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LE GLOBE
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/JOURNAL GÉOGRAPHIQUE
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^ORa^:NrE
SOCIÉTÉ m mmm m geive
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TOME VINGT-TROISIÈME
L
Quatrième Série — Tome III
BULLETIN
18 84
GENÈVE
LIBRAIRIE R. BURKHARD
SUCCESSEUR DE TH. MUELLER
2, place Molard, '2
188i
0-
t. ^3-^i
9-1 . iD . cs"
1%° «.
BULLETIN
EXTRAIT
DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ
Session 1883-1884.
SÉANCE EXTRAORDINAIRE DU 26 OCTOBRE 1883
à 3 heures,
SUR LA CATASTROPHE DU DÉTROIT DE LA SONDE.
M. de Seyff fait d'abord la description du délroit de la
Sonde, puis il rappelle les éruptions de volcans et les trem-
blements de terre qui ont eu lieu à Java dans les temps his-
toriques, depuis 158(i jusqu'à nos jours, en particulier, les
éruptions du Tombora (10 avril 181o), et du Galœngœng
(8 octobre 1822). Il arrive ensuite à celle du Krakatao, du 27 août
dernier, dans l'île de ce nom, à 35 kilomèties ouest de Java.
Avant d'en enlamer le récit, M. de S. entre dans des détails
très intéressants sur la géologie de Java et de Sumatra; con-
liairement à ce que l'on avait cru d'abord, on y a constaté
l'existence de gisements tertiaires anciens; à Sumatra, les
couches tertiaires anciennes sont en majorité sur les couches
plus récentes, tandis qu'à Java celles-ci sont plus fréquentes
que les anciennes. La pointe occidentale ou presqu'île mon-
tagneuse de Java consiste en une masse vitrifiée de porphyre;
les îles du détroit, à l'exception de trois du groupe des Jut-
phen et Brabantstiœdje, sont d'origine éruptive; en résumé,
4 m'LI.ETIN.
il fxislo enire J;iv;i et SiiiiialiM une grande analogie géolo-
gi(i:n.
Yenaiil au ié''il de la cataslroplie, M. de S. Tait (Tahoi'd jus-
lice des nouvelles inexactes, fantaisistes et extravagantes
jUiMiées au premier moment [)ar (piehiues journaux, entre
aulies [lar le Ddilii Ncics, de Londres qui, avant (pi'auciiii
ra|>;(Oi-t put être arrivé en EiH'ope ou en Améri(]ue, publiait
un artirle où il entremêlait les noms de lienx, et donnait,
connue actuels, des événements survenus dans les éruptions
on les tremlilements de terre antérieurs, jetant ainsi inutile-
ment l'angoisse d;'.ns bien des familles qui ont des parents ou
des amis dans les îles de la Sonde. Le désastre était déjà assez
con<idéral)Ie pour qu'il n'y eût pas besoin de l'amplifier.
(7esl le l'az de marée (lui, cette fois-ci, a été le principal
agent desti'ucleur.
A Java la première lame avait nue hauteur de 13'" à .*50";
elle a été le plus terrible dans le détroit, à Dwars-in-de-
We.L'. A plus de 12o kilomètres de Krakatao, dans la rade de
Batavia et dans son voisinage, sa foixe était encore assez
grande, pour casser comme de la paille de vieux canons aux-
quels un navire de guerre était amarré. Sur la côte occiden-
tale, à Anger.à Tjeringin, à Paninibang, elle a Italavé tout le
rivage, jusqu'aux collines à deux kilomètres et demi dans
r intérieur, l'asant tout, villages et forêts, laissant un désert
ou marais de boue l'ecouvei't de débris tl'arln'es et de maisons,
eniremêlés de milliers de cadavres; cependant, la plus grande
partie de ceux-ci ont été entraînés à la mer; un navire en a
renconti'é hors du déli'oit de telles masses que le passage en
était obstrué. — Les demeures européennes, chinoises ou
mai lises de la côte de Mérak. situées de 150 à 300 pieds au-des-
sus du niveau delà mer, ont disparu; seuls, un Européen et
deux indigènes ont eu la vie sauve. Plusieurs petites îles,
entie auti-es celle de Temposa, ont eu le même sort. — Sur la
côte septentrionale de Java, le village de Karang Antœ (baie
de Bantam), et la ville chinoise do Kramat. ont éié détruits,
plusieurs villages indigènes envahis par l'eau ont plus ou
moins soHtTert,etplusd8 300 de leurs liabitauts ont été noyés.
M. Morris, commandant d'un steamer anglais, qui a pa^sé le
détroit, une semaine après le ilésa>tre, a raconté ijue de tous
PROCES- VERBAUX. 0
côtés l'aspect était horrible : ruines partout, rien que îles
rochers nus, la mer chai-riant des cadavres, des arbres
entiers et des masses ponceuses de (i à 7 pieds de hauteui-.
Qui pourra, dit M. de S., donner une idée de l'iinmerisité
des forces qui ont fait (hsparaiire l'île de Krakatao,!on,uuede
\0 kilomètres, large de 0 à 7 kibtmétres, haute de S'i'i'^
au-dessus de la mer, celle-ci ayant en oulr-e une pr'ofondeur
de 30 à 70 brasses (l™ 60), et qui, au nord de la place où elle
se trouvait, ont fait surgir une rangée de 16 cratères volca-
niques, et oïd divisé en cinq parties l'île de Dwars-in-de-
Weg. Des îlots et l'ochers ont disparu, tandis que d'autres ont
surgi ailleurs, et le fond du détroit a été profondément modi-
fié. La terre a été secouée jusqu'à Dell, côte occidentale de
Sumatra, à 13S0 kilomètres; des pierres ont été lancées par-
dessus les montagnes justpi'à Serang, capitale du Bantam, à
75 kilomètres et des cendres granulées, en énormes masses,
jusqu'à Batavia. Pendant la matinée du 27 août, les cendi'es
ont obscurci l'ouest de Java, le détroit et le sud de Sumatra;
à Batavia même, on a dû allumer le gaz et les lanternes des
voitures! et les pressions atmosphériques étaient telles, (|irà
chaque détonation le gaz s'éteignait. Les plus anciens h;i!ii-
tants disent qu'à aucune éruption pr-écédeitte, ils n'avaient
entendu des coups ni i\e<. bruits aussi terribles; plusieiiis
familles à Batavia et à Weltevi'eden n'osant l'ester dans leurs
maisons, passèrent la nuit dehors, dans leurs voitures.
M. de Seyfï donne un extrait du journal de bord du navire
américain Bérénice, venant de New-York, avec un charge-
ment de pétrole:
« Dimanche 26 août, 2 heures après midi, 20 milles au sud
de Sumatra; en avant, ciel noir et menaçant, cargué les voiles
supérieures.
4 heures : temps plus menaçant, rentré toutes les voiles
de hune.
6 hem es: terribles coups de tonnerre et éclairs; tout à
coup, forte pluie de cendres, il fait obscur.
Minuit: la pluie de cendres augmente; elles sont mélangées
de pien-es ponces. Tonnerres et éclairs terribles; à chaque
moment des globes de feu tomljent sur le pont et éclatent en
étincelles ; le; timonier reçoit une secousse dans le bras, les
6 BULLETIX.
(iriKMiieiits en cuivre de l;i hiiire deviennent d'une chnleuf
lirùl.inlc; le c;i|)il;tine avant louclié un conla.w mélalli(|iie
reçoit un choc (jui le force à lâcher prise; son hras l'esle (|uel-
qiies minutes engourdi; les matelots se plai.iiiienl aussi de
secousses. On couvre de voiles les ouveiMures de la (-aie, pour
empécliei' le pétrole de prendre feu; l'on fait rentrei' tout
ré(|uipa,ue,le capitaine et son premier officier resi(Mit seuls sur
le pont.
È7 août, 2 heures du matin : les phénomènes électriques
continuent; il y a trois pieds de cendres sur le pont, l'équi-
page remonte pour les jeter à la mer.
8 heures : pas de changement, la pluie de cendres aug-
mente; on travaille continuellement à les Jeter à la mer.
11 heures : coup de vent terrihle du sud-est.
5 heures après midi : une énorme lame haute de 20 pieds
passe par-dessus le navire.
6 heures : l'ohscurité et la tempête continueni ; à la lueur
des éclairs on voit la mer couverte de pierres ponces.
Minuit : le temps paraît vouloir se calmer, les éclairs sont
moins fréquents.
28 août, 4 heures du matin : on peut remonter une voile.
8 heures : on voit de nouveau la lumière du. jour, la masse
des cendres jetées ci la mer dans ces 34 heures consécutives
peut s'évaluer cà 40 tonnes.
Midi : naviguons sous pleines voiles, mais la forte couche
de pierres ponces retarde la marche.
Dans l'après-midi, passant à l'est deKrakalao, trouvé celle
île éclatée ainsi que Dw,irs-in-de-Weg. La mer est pleine de
pierres ponces. On i'enconti-e de temps en temps des cada-
vres, »
Les ravages pi'oduils par l'éruption de Krakatao sont dus
presque entièi-em^ntau i-az de marée, et celui-ci, dit M. de S.,
a été causé, non |tar l'éruption du volcan, mais par l'etïondre-
menl de la plus grande partie de l'île qui a occasionné des
ondes circulaires ainsi qu'il arrive lorsqu'on jette une pierre
dans l'eau. Ce raz de marée n'a pu atteindi-e aucune des deux
cotes de l'Amériipe, puisque, à l'est, ses effets ne se sont pas
fait sentir, sur les côtes de Java, au delà de Samarang,
au nord de l'île, tt de Tjilatjap^ au sud; à l'ouest, on ignore
PROCES-VERBAUX. 7
avec quelle force et jusqu^à quelle distance il s'est fait sentir
sur les côtes de Sumatra, mais il a été observé dans le golfe
du Bengale, à Ceylan, aux iles Maurice, de la Réunion et de
Madagascar.
Quelle a donc été la cause du phénomène observé non
seulement sur la rive américaine du Pacifique, mais dans
l'Atlantique, à Colon, isthme de Panama, à Suez et en Europe h.
Rochefort? M. de S. n'admet pas que le raz de marée de Java
ait pu faire le tour, soit du cap de Bonne Espérance, soir de
la Terre de feu, et il émet l'hypothèse d'une vibration de la
masse de notre planète; un savant français, M. Daubrée,
a aussi émis l'opinion que, dans ces mouvements de l'onde,
il faudrait tenir compte de la propagation des vibrations par
le sol; mais dans le cas actuel et dans l'hypothèse de
M. de S., il faudrait admettre une vibration verticale a tra-
vers le diamètre de la terre, et par conséquent supposer que
l'intérieur de celle-ci formerait une masse compacte et ne
serait plus rempli de la matière originaire vaporeuse ou
nébuleuse.
Vu la longueur de cette communication, la séance fut levée
après que M. de S. eut reçu les remerciements de la Prési-
dence, et recueilli les applaudissements mérités de la nom-
breuse assistance, pour son travail si complet, dont nous
n'avons pu donner qu'un extrait bien abrégé. L'hypothèse de
M. de S. a été développée par lui, et discutée à l'occasion de
la revue des faits géographiques de 1883, dans la séance du
11 janvier 1884 (voir plus loin le compte rendu de cette
séance).
SEANCE DU 9 NOVEMBRE 1883.
Présidence de M. le D"" Dufresne, vice-président.
Au début de la séance, M. Dufresne exprime le regret
qu'une indisposition empêche M. le président de Beaumont
d'assister à la séance.
Le bureau s'est occupé du cours de géographie. Après le
succès de l'année dernière, il a été heureux d'obtenir de
M. Rosier qu'il donnât, cette année-ci, un nouveau cours en
8 lîULLETIX.
deux séries, l'une sur rindo-Cliiiie et la Chine, à parlir du
20 novembre, l'autre sur rEuro[»e septentrionale, à parlir du
8 janvier.
Le secrétaii'e général, M. L. de Sloulz, donne lecture de la
traduclion du procès-verbal des séances de la Session de
l'Association des Sociétés suisses de géograpfiie,qm a eu lieu à
Zurich.
Dès lors la Société en a reçu, du nouveau Voiort^ la tra-
duction oflirit'lle (|ue nous puljlions in extenso.
Assemblée générale de r Association des Sociétés suisses de
Géographie, l'es o,6 et 7 août 1883.
En considération des affaires nombreuses, et quelques-
unes même assez compliquées, dont notre Société a été char-
gée, en sa qualité de Société dirigeante, soit « Vorort, » de
V Association pour la période 1883-84, par la dernière assem-
blée générale de l'Association suisse de géographie, à Zurich,
notre comité, dans sa séance du 18 octobre 1883, a ciu
devoir décider de publiei' un rapport succinct sur la marche
des délibérations de cette assemblée, et de communiquer ce
rapport à tous les membres de notre Société, en y joignant
un tableau des objets dont l'exécution ultérieure nous a été
confiée.
Les sociétés suivantes étaient représentées à h réunion des
délégués, du 5 août, à l'Hôtel National à Zui'ich: 1" la Société
de géograpliie commerciale de la Suisse orientale à Saint-
Gall (Vorort, président iM. Scherrer-Eugter); — 2° la Société
de géographie de Genève ; — 3" la Société de géographie de
Berne; — 4° la Société cartographique de Zurich (comme
future section éventuelle de l'Association).
N'étaient pas représentés: l"La Société suisse de topogra-
phie, à Genève ; — 2" le Département fédéral du commerce
et de l'agriculture; — 3" la Société d'histoire naturelle et de
géographie d'Hérisau.
La discussion est ouvei-te par le rapport de M. le profes-
seur Amrein, sur les travaux du Vorort pendant Tannée de
sa gestion, et notamment sur les décisions prises par lui, en
ce qui concerne les résolutions de l'assemblée générale de
Genève, en 1882.
PROCES- VERBAUX.
9
Notons à cel égard les objets suivants : i" liiilialive des
négociations à entamer pour l'adoption d'un méridien inilial
unique; cette (lueslion disparaît des tractanda par le fait que
le gouvernement des États-Unis d'Amérit]ue a déclaré, il v a
quelques mois, êlre disposé à repi-endre lui-même ces négo-
ciations pour son compte.
2° Reproduction de la vieille carte suisse d'Aegidius
Tschudi, dont il n'existe plus que deux exemplaii-es. Celle
reproduction a été faite d'une manière soignée.
3" Pi-oposiiion Liardet, tendant à la confection de caries
administratives de la Suisse par l'Administration fédéiale.
Celle proposition a été reconnue inexéculahle; on a donc été
obligé de passer outre.
4° Subventions à accorder aux explorateurs suisses et aux
expéditions commerciales. Celle question, importante aussi
bien pour la science que pour le commerce et l'induslrie de
noire pays, a donné lieu à une discussion approfondie, qui a
abouti à cbarger le nouveau Vororl d'étudier les voies el
moyens de soutenir, à l'occasion, les entreprises de ce genre,
et h lui imposer, en particulier, pour lâche d'examiner
comment on pourrait engager la caisse fédérale à concourir
à ce but par des subventions.
5° M. le prof. Amrein fait, sur Vémigration et son organi-
sation, une longue conférence, dans laquelle il part du point
de vue que Ton ne pourra jamais arriver à rien de bien, si
l'on ne considère el ne traite cet objet comme une question
nationale. La décision est réservée à une réunion ultéiieure
des délégués, jusqu'au moment où l'on aura pu prendre,
auprès de M. Tschudi, membre de la commission nommée
par le Consed national pour étudier la question, des rensei-
gnements sur les données recueillies par cette commission.
6" Proposition de la Société de géographie de Lyon, ten-
dant à ce que les légendes des sceaux apposés sur les lelti-es,
etc., par les bureaux de poste suisses, porlenl, outre le nom
du lieu, le nom du canton; renvoyé pour démarches ullé-
i-ieures au nouveau Vororl.
Dans la seconde réunion des délégués, du 7 août à 7 heures
el demie du soir :
1° On annonce que la commission du Conseil national
10 P.ULLIOTIN.
chai'gée de la question île rémigralioii, a i-enconlré un accueil
1res froid, entre antres auprès de la Société du (liùlii; qu'en
(•onsé(iuence il convient de surseoii' à toute démarclie et
décision; néanmoins M. le prof. Amrein est invité cà commu-
niquer son travail et ses notes au nouveau Vorort, pour que
celui-ci puisse en faire usage plus tard, si l'occasion s'en pré-
sente.
2» A la séance du o août, M. le prof. Amrein, dans son
rapport sur les travaux du Vorort soilanf, avait exprimé le
viRu que le Vorort suivant fût obligé de présenter un rappoit
(lu même genre. Sur l'observation qu'une obligation de cette
nature ne saurait être imposée que par le règlement, cà con-
dition que celui-ci fût complété dans ce sens et que l'obliga-
tion fût imposée également cà tous les Vororts futurs, la pré-
sentation et la publication de ce rapport ont été laissées à
l'appréciation du Vorort en charge.
30 La proposition faite par M. le colonel fédéral Meister,
conseiller national, el agréée par l'assemblée génércile du
7 août (malin), tendant cà ce que, dans son rapport annuel
de gestion, le Vorort aitcà présenter aussi à l'assemblée géné-
rale une liste des ouvrages les plus importants concernant la
cartographie el la géographie publiés dans le courant de
l'année écoulée, donne lieu à une assez longue discussion,
dont le résultai est de laisser au Voroi't le soin d'examiner si,
dans ce travail, il ne sei'a pas nécessaire d'adoplei- une sub-
division, pai- exemple, par langues ou par pays.
A la première séance publique, qui eut lieu dans la matinée
du iS août dans la belle Aiila de l'école Escher-Linth, on eut
l'occasion d'entendre les conférences suivantes, annoncées
par le programme, savoir la conférence :
a) du D"" Hermann Brunnhofer, bibliothécaire cantonal à
A;ii-au, sur la patrie primitive des Germains;
b) de iM. le D'' Edouard Pétri, professeui- agrégé à l'uni-
versité de Berne, sur l'organisation communale el le paysan
russes;
c) de 1\!. Ch. Faure, secrétaire de la Société de géographie
de Genève, sur la pari des Suisses dans l'exploration et la
civilisation de l'Afrique :
d) de M. le prof. K. Keller, à Zurich, sur les conditions
PROCÈS- VERBAUX.
11
géo;ïrapliiques de la faune de l'Afrique orientale, nolammeiil
sur le liUoral de la Mer Rouge.
Ces conférences ne donnèrent pas lieu à discussion.
Dans la seconde séance publique, le 6 août, après midi, on
entendit :
a) M. F. Milllhaupt-de Steiger traiter la question des
moyens de rendre les travaux des congrès internationaux
plus fi-uctueux; l'orateur constate que les décisions et postu-
lats adoptés par les congrès, sont, à peu d'exceptions près,
des enfants mort-nés, par la raison qii\aucun organe ne
prend à cœur de les exécuter, ou ne possède les i-essources
nécessaires à cet effet. Il est de la compétence et du devoir
des Sociétés de géographie de veiller à ce que les décisions
des congrès soient portées à la connaissance du public, et
d'attirer sur elles l'attention des intéressés. Pour cela, \\
conviendrait de créer une Association générale desSociétés de
géographie, à la tête de laquelle serait placé un organe central.
L'assemblée se déclare en piincipe d'accord avec Toi-ateur,
et charge le Vorort d'étudier ultérieurement la question.
h) On entend ensuite la conférence de M. le D^ Hotz, pro-
f^'sseur au Gymnase de Bàle, sur la culture, le travail et la
mise en valeur de la soie.
Notre Société s'étant prononcée en principe contre les
séances de l'apiès-midi, atln de permettre aux membres de
visiter l'exposition de Zurich, l'un des principaux motifs qui
ont engagé à convoquer l'assemblée générale à Zurich, les
conférences de MM. Reymond et Hoch, qui avaient été fixées
au 6 août pour l'après-midi, sont retirées.
A la troisième séance publique, dans la matinée du 7 aoùl,
furent données les conféiences :
a) de M. Fruh, instituteur à Saint-Gall. sur le développe-
ment de l'enseignement géographique dans les écoles pri
maires, et
b) de M. Eni. Luthy, instituteur au gymnase de Berne, sur
l'étal de l'enseignement de la géographie dans les écoles pri-
maires et moyennes du canton de Berne.
Le débat auquel ces deux conférences donnèrent lieu,
aboutit à la décision suivante :
L'Association se fait un devoir :
12 lU'LLETIN.
a) (reiu'OiH';i;;t'r I.i luihlicaiion (riiii iniimiol scohiii'e el
familier de géographie, praliqiie el hien rédigé et, à cetelTel,
elle cherchera à s'cnleinh-e avec des personnes compétentes;
b) d'examiner les moyens de permellre à tout élève de se
prociirei", pour ses éludes, une carie de la Suisse Itonneel à
bas prix, el de rendre renseigaeinenl plus piolllahle |)ar la
création el l'emploi de reliefs.
c) M. le colonel fédéral Meister, conseiller national, parle
d'une nouvelle mélhoile de cartogra[)lne, ayant |)our oltjet
d'unir à l'exaclilude malhémalique des caries militaires luoder-
nes, les condiiions d'une bonne exécution artistirpie, satisfai-
sant Treil, tout en tenant compte du caractère de la contrée.
Dans le cours de son exposé, le colonel fédéral Meister pro-
pose que, dans son rapport de gestion, le Vorort présente
une nomenclature des publications cartograpiiii]ues et litté-
raires les plus importantes.
d) Comme suite à cet exposé, M. l'ingénieur Rob. Lauter-
biirg, de Berne, donne quelques explications sur le principe
de Venseignement de la cartographie dans les hautes études,
el, en ce qui concerne la représentation carlograpiiique,
aboutit, d'une manière générale, aux mêmes conclusions que
M. le colonel fédéral Meister.
e) Les conférences de M. de Beaumoiit, président de la
Société de géographie de Genève, sur ^influence hydrologi-
que des forêts, et de M, le pasteur Ftirrer, de Zuiich, sur
Vétat actuel de la civilisation eu Palestine, ne donnent lieu
qu'à quelques observations et questions, auxquelles MM. les
conférenciers répondent directement.
La série des conférences fut close, le 7 août après midi, par
les explications fournies par MM. le prof. Amrein et F. Milll-
haupt, cartographe, dans la section cartographique de l'expo-
sition de Zurich, sur l'histoire de la cartographie en Suisse
et l'état actuel de celte branche importante dans notre pays.
Nous terminons ce résumé succinct des principaux travaux
de V Association des Sociétés suisses de géographie en 1883, en
faisant observer que les communications ultérieures sur
celle assemblée concernent le Yorort de Saint-Gall, sortant de
charge.
Rappelons seulement en quelques mots quels sont les
PROCES- VERBAUX . 1 o
objets à liqiiulei-, dont cette assemblée générale a nanti notre
Société comme Vorort :
1" Iiivitei' la Société d'histoire natirrelle et de géographie
d'Eérisau et la Société de cartographie de Zurich a se faire
recevoir comme sections île noire Association ;
2° Hédii-ei- un rappoil sur les travaux du Vorort peudani
sa geslion d'une année, et donner, en même temps, une liste
des ouvrages cartographiques iittéraiies qui ont paru dans le
coui-ant de cette année;
:>° Faire des démarches en vue d'obtenir nue subvention
fédérale pour des voyages d'explorations scientifiques et des
expédil ions commerciales;
4" Étudier le travail de M. le prof. Amrein sur l'émigra-
tion ;
ri" Demander à TAdministralion des postes suisses de faire
compléter la légende des sceaux des bureaux de poste
(motion de la Société de géographie de Lyon);
(? Étudier la (piesiitui de la création d'un organe central
pour toutes les Sociétés de géographie, proposition Mûllhaupt ;
7" Préparer la publication d'un ouvrage populaire d'ensei-
gnement et de lecture familière sur la géographie;
8" Chercher à obtenir la confection de reliefs et d'une
bonne carte à bas prix pour les écoles.
M. Fanre ajoute que le procès-verbal n'a pas pu parler de
l'amabilité parfaite avec laquelle nos' Confédérés de Saint-
Gall et de Zurich ont reçu ceux des membres des Sociétés de
Berne et de Genève qui ont pu assister à cette réunion, ni de
Pespoir donné pai' M. le D"' en droit, Conrad Escher, piési-
deid de la Société cartographique de Zurich, de voir pro-
chainement une Société de géographie se fondei- dans cette
vdle; la petite conféiléralion s'augmenterait d'un quatrième
menihre, peut-être même d'un cinquième, M. le D-' Hotz,
ayant promis de travailler à créer une Société de géographie
à Eàle. — Quant aux séances de travaux, le programme
étant trop chargé, deux des membres de la Société tie Berne
ont dû renoncer à communiquer leurs mémoires, ajournés à
l'année prochaine, pour laquelle Berne a été nommée
14 iu:lm<:tin.
Yorurt. — Parmi les travaux lus dans la séance du malin du
second jour, ceux de MM. Friili, de Saint-Gall, et Lùlhy, de
Berne, sur renseignement de la géograpliie dans ces deux
caidons, viennent s'ajouter heureusement à ceux de MM. Tliu-
(litlium, D"" Hotz et Baiid. sur le même enseignement dans
les cantons de Zurich et de Tliurgovie, de Bâle, de Neuchà-
tel et de Genève. — Le procès-ver l»al n'a pas pu parler non
plus de la séance qui a eu lieu à l'exposition cartographique
où M. le professeur Amrein a, pendant plus de deux heures,
tenu sous le charme de sa parole ses nomhreux auditeurs,
heureux de faire, sous la conduite de ce guide autorisé, l'un
des organisateurs de celte partie de l'exposition, et le rédac-
teur du catalogue de la partie cartographique, la revue des
cartes qui permettait de suivre toute l'histoire de la carto-
graphie suisse, depuis la carte de Peutinger jusqu'à celle du
général Dufour, ainsi que celle des plans de cadastre et des
reliefs, une des gloires de l'exposition.
Passant à la mention des principaux faits géographiques de
r année, M. le président Dufresne relève surtout : 1° le con-
grès géodésique tenu à Rome, dans lequel les savants qui y
étaient réunis ont émis le vœu qu'un méridien universel
unique, celui de Greenwich, fût adopté, et en même temps
que l'heure universelle fût élahlie sur ce méridien. — La
solution de la question est réservée à la réunion à laquelle le
gouvernement des Étals-Unis a invité les États civilisés à
envoyer des délégués. — 2° L'expédition de Nordenskiold
iiu Gi'oenland,pays dont le changement de climat présente un
si grand intérêt. Au moyen âge celte contrée était une terre
verte, peuplée, ayant des évêchés chrétiens; aujourd'iiui c'est
une terre arctique, ne produisant que de maigres récolles,
<lans des parties très restreintes, avec très peu d'hahitants.
Un [)hénomène analogue s'est produit dans la partie septen-
trionale de l'Islande, d'où la population a émigré au Brésil;
l'empereur a donné à ces arrivants des teri-es inhabitées de
son vaste empire; mais la dilTérence des conditions climato-
logiques les a obligés à renoncer à celte région tropicale; ils
se sont dirigés vers le Manitoha. La question du change-
ment de climat du Groenland est assez importante, pour que
le rapport de l'expédition Nordenskiold soit attendu avec
PROCÈS-VERBAUX. 15
impatience, par les Américains surtout, qui ont hâte de pou-
voir en comparer les résultats avec ceux des découvertes rela-
tives au Gulfstream.
M. Dufresne rapporte encore avoir eu un échange très
aimable de lettres avec M. Mallet, attaché au ministère des
Étals-Unis à Washington, à l'occasion de la communication
lue Tannée dei'nière, sur les populations de langue française
aux Étals-Unis et au Canada.
M. Fmire passe en revue les progrès de l'exploration en
Afrique pendant les deiTiiers mois. Il regreile que la Société
soit privée du plaisir d'entendre : 1° M. Demairey,ingénieur
des mines, sur son voyage au Niger, à la suite de l'expédition
du colonel Borgnis-Deshordes, et sur les caries prêtées par
M. Moynier et exposées dans la salle, des itinéraii-es et des
territoires entre le Sénégal et le Niger et au delà, relevés par
les ingénieurs Vallière, Pietri et Derrien; 2" M. le mission-
naire Jacques, longtemps établi en Sénégambie^ à Sehdiou,
et qui va repartir pour Saint-Louis du Sénégal, où il est
appelé à aider à M. Taylor, dans l'oeuvre que celui-ci a enlre-
pi'ise en faveur des esclaves libérés, sous les auspices de la
Société des missions protestantes de Paris; 3° le rapport
annoncé de M. le D*" C. Passavant, de Bàle, sur son voyage à
la baie de Cameroon.
Parmi les derniers faits relatifs à Texploration, il signale le
départ de l'expédition polonaise Rogozinski, pour la région
des lacs à l'est du golfe de Guinée; sur l'Ogôoné, la fonda-
lion des stations de Savorgnan de Brazza, et au Quillou, celle
des établissements du Comité d'études du Haut Congo; puis
le long du grand fleuve, au delà de Stanley-Pool, les décou-
vertes de Stanley qui rectifient des erreurs géographiques et
ethnographiques de son récit :^ travers le Continent mijs-
térieux: le lac Léopold II n'a pas la direction S.-E.-N.-O.
indiquée primitivement, il s'étend du N.-E. au S.-O., du
1°, 40' au 2", 20' environ et, par un émissaire, en certains
endroits, aussi large que notre petit lac, la Wabouma, envoie
ses eaux au Qaango qui les appelle au Congo; au nord de ce
lac s'en trouve un autre, le Mantoumha, dont les rives sont
extrêmement peuplées, comme certaines parties du centre
africain, traversées par Pogge et Wissmann. Ce dernier est
10 lU'l.LETlX.
eiitié an service de S. iM. le toi des Hel.yes, qui lui fournit
(les ressources sudi-^aules poui* une e\|iédilion de plusieurs
années, dans Lnjuelle il éliuliera riivdtom'apliie du hassiii
niéiidicuial du Conuo.
Les Allemands, jusi|u'iri exploralein's seulement, voni deve-
nir cohuiisnteurs en Afrique, par le fait de l'acquisition d'un
vasie territoire, à Angra Pequena, pour le compte d'une
maison de Brème, dont les agents importeront, dans ces ter-
ritoires où travaillent les missionnaires de la Société rhénane,
les produits européens, en mémo temps qu'ils y établiront
certaines industries des pays civilisés.
-M. K. mentionne encH)re le voyage, de Natal au Zambèze
supérieui-, d'un jeune Écossais, M. Arnot, précurseur de
MM Coillard et Jeanmairet qui vont s'y rendre très prochai-
neinenl; — Celui de MM. Edmond Gautier, de Genève, et
11. Bei-lhoud, de Morges, des stations mi-ssionnaires des Spe-
lonken, au noi'd du Transvaal, dans la direction du Lim-
po|)o. La Société peut espérer entendre M. Gautier, qui
reviendra !)ientôl, raconter lui-même son voyage; — Au nord
de Zanzibar, les expéditions du D*" Fischer et de J. Thompson,
par le Kilimanjaro, dans la direction des lacs Victoria et
Baringo; — Sur le Djouba, celle de G. Revoit qui, parvenu à
Ganuneb, se propo.se de traverser, par Harrar ou le Choa,
toute la partie qui le sépare du golfe d'Aden; — au sud et à
l'est de l'Abyssinie, celle du D^'Stecker, et à l'ouest du même
pa\s, celle de J. M. Schuver, actuellement sur le Bahr-el-
Ghazal, d'où l'on espère voir revenir Gottfried Roth dont les
amis et la famille sont sans nouvelles depuis deux ans. — Deux
cai-tes de M. le profe.sseur Rosier, faites \^im\'VAfriqîtc explo-
rée et civilisée, permettaient de se rendre compte des pro-
giès et des explorations dans la région du Sénégal au Niger,
ainsi que dans celle à l'est de l'Abyssinie et au sud du détroit
de Bal)-el-Mandeb. — Les progrès marcheront très rapide-
ment partout, maintenant que des bateaux à vapeur circulent
SU!" le Haut Niger, sur le cours moyen du Congo, et bientôt
sur le Zambèze, le Tanganyika et le lac Bangouéolo. Nos com-
patriotes y prennent part au Niger, au Cameroon, au Vieux-
Cala!)ir, où un ancien élève du Polytechnicum de Zurich va
élre chargé de la direction d'un steamer, le David William-
PROCÈS- VERBAUX. 17
sort, pour la mission de la UniledpreshylerianChurcb ofScot-
land, à Angra Pequena, an Zamhèze, au Linipopo, au Choa,
au Soudan; c'est une raison pour que nous nous inléressions
toujours plus à l'œuvre scientifique et humanitaire africaine.
M. Moynier présente à la Société une collection de pho-
tographies, à lui envoyées, par M. J. Prost, un de ses corres-
pondants, explorateur de la Guinée.
M. de Seyff attire l'attenlion de la Société sur une carte,
dans laquelle sont déjà inscrits les premiers travaux de recon-
naissance et de sondages faits dans le déti'oilde la Sonde, depuis
le cataclysme de Krakatao, et sur d'anciennes caries de l'ar-
chipel indien, en particulier sur une carte de 1529, dans
laquelle n'apparaît pas l'île de Bornéo; il présente aussi une
carie de la Nouvelle Guinée, dressée par la marine hollan-
daise, à partir du 141° à l'est du méiidien de Green\vich, jus-
qu'à la côle^ qui n'avait pas été visitée depuis le voyage de
Cook. Il veut bien faire hommage de la carte du détroit de
la Sonde à la Société, au nom de laquelle le président le
remercie.
SÉANCE DU 23 NOVEMBRE 1883.
Présidence de M. H. Bouthu.lier de Beaumont.
Le président exprime le regret qu'un deuil de famille ne
lui ait pas permis de terminer le travail qu'il préparait sur
les grands faits géographiques de l'année. Il lient aujourd'hui
à reprendre la question du méridien initial, et donne lec-
ture des résolutions adoptées à Rome, avec recommandation
aux gouvernements de prendre comme méridien initial celui
de Greenwich.
Le rapporteur, M, le professeur Hirsch, de Neuchàtel, n'a
pas fait, du projet de M. de Humboldt de faire passerle méri-
dien initial par \e pic de Ténériffe, ni de celui de M. H. B. de
Beaumont de le faire passer parle détroit de Behring, un
examen aussi sérieux et complet qu'on était en droit de Tes-
pérer. M. le pi'ofesseur Thury avait envoyé à la commission
un mémoire qui n'a pas été mentionné dans les séances.
M. de Beaumont refait l'historique de la question auxcon-
LE GLOBE, T. XXIIl, 1884. 2
18 BULLETIN.
grès fie 187o, 1878, 1880, 1881, jusqu'à la session des Socié-
tés suisses de géof>i-apliie, à Genève, en 1882. Il a rempli, au-
près du Conseil fédéral le mandai dont elles l'avaient chargé,
et a été très surpris d'apprendie que celui-ci avait donné
comme instructions à son délégué au congrès géodésique de
Rome, M. Ilirscli, de se prononcer en faveur du méridien de
Greenwich. Les considérations que l'on fait valoii" en faveur
de ce méridien sont d'une grande valeur, mais elles ne sont
pas délerminantes. La navigation n'a plus, au point de vue
scientifique, qu'une valeur relative. Le chiffre de la marine
ne doit pas non plus l'emporter dans les discussions entre
savanis. M. de Beaumont exprime son opinion sur la mission
actuelle de la géographie, de la cartographie, de la géodésie,
et sa surprise du choix proposé d'un ohservaloire insulaire,
et de Fahandon des travaux français de triangulation sur
lesquels ont été raccordés ceux qui ont servi de base à l'éta-
blissement de la carte de la Suisse. A son avis, le méridien
initial doit être basé sur les travaux d'un observatoire conti-
nental, neutre et central, comme le serait celui de Venise,
par exemple, à 10 degrés juste de celui de Paris.
M. de Beaumont publiera son travail à part, avec des déve-
loppements que ne comportait pas sa lecture dans une séance
de la Société.
M. le professeur Tlmrij e\\}\\q\ie qri'W a rédigé son mémoire
à l'occasion de la réception de deux travaux, proposant
conmie méridien initial le sommet de la gi-ande pyi'amide de
Gizeh, point stable, moins facile à déplacer ou a faire sauter
par la dynamite qu'un observatoire. Il a examiné la question,
à un point de vue exclusivement scientifique, et a exposé les
résultats de son examen, dans les Archives de la Société des
sciences naturelles. Des exemplaires de son mémoire ont été
envoyés à la Commission réunie à Rome, qui en a pris con-
naissance.
Sur l'ensemble, M. Thury était d'accord avec M. Hirsch.
Après avoir étudié sept méridiens, il en avait éliminé quatre,
et n'en gardait que trois : Greenwich, Venise et Gizeh, entre
lesquels il ne se prononçait pas. Celui de Venise avait l'avan-
tage du partage des continents en deux grandes masses, du
grand nombre d'observations sur ce méridien, d'une position
PROCÈS-VERBAUX . 1 9
centrale et continenlale. L'anliiiiérulien de Behring sépaie
rOcéan en deux parties à l'endroit où les navigateurs chan-
gent de date. Venise coïncide avec Paris à 10° près, ce qui
pei-mellrait de conserver les cartes dressées sur ce dernier
méridien. — M. Thury iiidiipie encoi'e la nécessité de distin-
guer deux sortes de méridien, le méridien d'oljservalion et
le méridien de compte. I.e méridien d'observation peut 1res
luen être placé à Venise, tandis que le 0 serait à l'antiméri-
dien de Behring.
Le président exprime les remerciements de la Société à
M. le professeur Thury.
M. F. de Morsier fait ensuite une communication sur le
dernier voyage de Prjevalsky au Tfnbel, d'après les Mitthei-
lungeii de Gotha. L'objectif de l'explorateur était Lhassa;
mais il fut arrêté dans son voyage par la jalousie du Grantl
Lama; il décrit la région au nord du mont Bounza, d'une alti-
tude de 17,000 pieds, les tiibus qui l'habitent, leurs mœurs,
leurs vêtements, leur industrie, leur lentes, et entre dans des
détails spéciaux sur le yack, les rites religieux, la polyandrie,
l'usage des femmes de se noircir le visage, la langue thibé-
taine, les funérailles, etc.
Le président remercie M. de Morsier et le prie de tenir la
Sociélé au courant des explorations actuelles de Prjevalsky,
11 présente encore M. Alfred Bertrand qui revient del'lnde
et de l'Himalaya, et que la Société aura le plaisir d'entendre,
dans la prochaine séance, raconter son voyage à la vallée de
Cichemire.
M. Faure annonce enfin que M. Prost, correspondant de
RL G. Moynier pour V Afrique explorée et civilisée, explorateur
de la Guinée, actuellement à Territet pour sa santé, viendra
faire cà la Société une communication sur le pays des Achantis.
La séance est levée.
SEANCE DU 14 DÉCEMBRE 1883.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Api'ès la lecture du procès- verbal, le président, vu l'af-
Iluence des assistants venus pour entendre M. A. Bertrand,
20 Bl'LLKTIX,
;ijoiiriic à une aulro séance le rapport du lnireaii, mais avant
(le lui donner la parole, il présente comme membres élec-
tifs : MM. Alphonse Gantier. .1. Pi-ost, Alfred Berirand,
J. Heyeler et Ed^iH' Saiilter, (jui sont admis à riinanimilé.
y]. A. Bertrand ÏM\ ensuite la couimunication suivante sur
son :
Voijncie a la vallée de Cachemire.
Messieurs, on m'a demandé de vous dire ipielques mots sur
mon récent voyage au Cachemire, .le n'ai que des notes,
écrites le plus souvent sous la tenle, et pour lesquelles je
réclamerai votre indulgence; mais auparavant, veuillez me
permettre de vous lii'e (juelques pages exti-aites d'un ouvrage
anglais sur ce pays, écrit par le major Ince et pultlié à
CaliUtta en 1876, ouvrage (jui me paraît digne de confiance.
" Le Cachemiie a été souvent comparé à un « joyau »
ayant, pour écrin, les chaînes grandioses de l'Himalaya qui le
séparent de l'indoustan et du Thihet. Sa superficie est d'envi-
ron 25,000 milles cari-és, et l'on estime que sa population
s'élève à 42o,000 haîiilanis.
Suivant le traité de 1846, le marajah du Cachemire recon-
naît la suprématie de la reine d'Angleterre et doit lui pi-é-
senler, comme tiihut annuel, un cheval, douze chèvres et six
châles.
Le Cachemire se compose principalement d'une belle et
grande vallée, entourée de hautes monlagnes aux sommets
neigeux; traversée dans toute sa lontiueur par la l'ivière
Jhelaiii,el frangée,pour ainsi dire, pai- de nombreux vallons.
Qui n'a entendu parler de ses roses, les plus brillanles que
la lerreporle, ses temples, ses grottes, ses fonlainessi cl. lires?
N'est-elle pas célèbre dans le monde entier, pour la beauté
de ses paysages, son climat délicieux et son sol fertile? C'est
une oasis au milieu des i-ochers, des neiges, des glaciers.Elle
est regardée comme un paradis également par les Indous et
les Mahomélans; elle a été la retraite favorite des empereurs
mongols, qui y consiruisirent des palais somptueux et y éta-
blirent des jardins qui font encore l'admiration des voyageurs.
Celle vallée a une forme irrégulièrement oblongue :
100 milles de longueur sur 25 de largeur; son altitude est
PROCÈS-VERBAL'X. 21
lie 3200 pieJs au-dessus de la mer: les montagnes qui
l'entourent varient entée 8000 et 13,000 pieds; celles qui sont
au sud font partie du Pir Panjal; leur formation est princi-
palement basaltique et >chisleuse, leurs vei'sants son! cou-
verts d'épaisses forêts. Les chaînes du nord sont plutôt cal-
caires, leurs plus iiauts pics, tels que le Haramsok, sont
couverts de neiges éternelles.
La rivière principale est la Jhelam, l'Hydaspe des Grecs.
De Kanbal à Baramoula, distance d'environ 60 milles, elle
est large, tranquille et navigable presque toute l'année ;
ses rives sont généralement plates, et lors de la fonte
iieii neiges des montagnes environnantes, en juillet et en
août, l'eau monte à environ 12 pieds au-dessus de son
niveau, alors toute la contrée voisine ressemble à un lac;
il y a eu en 18'j6 et 187J des inondations assez consiilé-
rables.
Le climat du Cachemire, vu sa grande élévation, est beau-
coup moins chaud que celui de l'Inde; dans la partie infé-
rieure de la vallée il ressemble à celui du sud de l'Europe,
tandis que près des montagnes, il se rapproche i)lutùt de
celui de la Norwège ou de la Laponie.
Les tremblements de terre y sont assez fréquents, et c'est
pour cette raison, parait-il, que les Cacherairiens construi-
sent leurs maisons en bois. Vigne dit que le 2o juin 1828,
1200 maisons furent renversées et 1000 personnes périi-ent.
Parmi les animaux domestiques, le cheval, la vache et
le bœuf sont plutôt de petite taille; la vache est pour les
Indous un animal sacré, et il faut éviter avec soin de froisser
ce préjugé religieux: les moutons dont la chair est excel-
lente ne coûtent guère plus de deux à dix francs; les canards
et les poules sont abondants; quant aux mouches de toute
espèce, surtout les moustiques, c'est un vrai tléau.
Les Cachemiriens s'adonnent à l'apicultui-e et récoltent un
miel excellent; on élève aussi le ver à soie, et cet élevage a
été entreplis ces dernières années par le gouvernement. Le
héron est l'objet d'un soin spécial, car ses plumes ont le pii-
vilège d'orner les turbans des hauts dignitaires. Les animaux
sauvages les plus nombreux sont les singes, le renard, le
chacal, le cerf, le daim musqué, le léopard, l'our:, brun, Tours
noir, et dans les régions élevées le bouquetin.
22 lUILLETIN.
Le sol de la vallée est une i-iclie el feilile alluvion; grâce
à l'almosphère humide el à une lempéraluie fort douce, elle
produit d'abondantes rt''cr)Ucs de céréales ; aussi le blé se
vend-il très bon marché; les endroits du sol non cultivés
sont couverts d'arl)res qui croissent à l'état s;iuvage: noyers,
mûriers, pêchers, cerisiers, abricotiers, grenadiers, noisetiers,
pomniiei's, poiriers, [)eupliers, platanes, saules, etc.; on y
compte aussi dix-huit espèces diflerentes de raisins; le coton
y est cultivé mais en petite quantité.
Parmi les nombreuses plantes médicimdes (pie l'on trouve
à l'état sauvage, on peut citer: l'altsinthe, l'aloès, h rhubarbe,
la colo(|uinte, le chanvre et bien d'autres enc.ore; l'écorce
intéi'ieui'e du platane ressemble un peu à du liège, et une
l'ésine semblable à de la gulta-percha est tirée d'une plante
appelée dhup ; l'utilité de ces deux derniers produits n'a pas
encore été complètement déterminée.
Les versants sud des montagnes environnantes sont cou-
verts de gras pâturages, tandis que les vers.ints nord le sont
de forêts épaisses de pins, cèdres déodoras, etc., mais mal-
gré la fertilité du sol, des famines éclatent souvent dans ce
pays, vu le mauvais état des routes et la dinicullé (\e:^ trans-
ports; les conséquences en sont d'autant plus terribles,
qu'elles sont bien souvent suivies du choléra.
Les i-essources minéi-ales du Cachemire ne sont jusqu'à
maintenant que peu connues; on y travaille pouitant le fer;
le plomb, le cuivre, le soufre y existent pro!)ablement dans
diverses parties, ainsi que l'argent et l'or, mais on ne
trouve pas de sel dans le Cacliemire, et cet assaisonnement
indispensable doit être importé du Pinijab.
Les habitants du Cachemii'e sont en majeui-e partie maho-
métans et de la secte sunite; il y a pourtant un cei'tain
nombre d'Indous, à peu près un septième de la population ;
ils demeurent pour la plupart à Srinagar et dans les grands
centres; quoique peu nombreux, ils forment la classe privi-
légiée, ce qui s'explique par le fait que la dynastie régnante
appartient à la caste indoue des Dogras,
La race cachemirienne est fort belle; les hommes sont
grands, forts el bien bâtis; leur teint est généralement bruni,
mais souvent, et spécialement parmi les Indous, on trouve un
PROCÈS-VERBAUX. 23
leinl clair; leurs trnits sont réguliei-s et bien (.lécoiipés; les
mahométans rappellent , décidément le type juif et res-
seral)le en cela aux Palhans. Les Cacliemiriens sont gais,
intelligents et aiment à s'amuser; ils ont généralement une
belle voix et cbantent volontieis. La beauté des Cachemi-
riennes est proverbiale. Le Gacbemirien n'est en général pas
courageux, et Ton ne peut pas se fier toujours à sa loyauté.
Le langage de ce pays a un cai-aclère particulier et difïère
complètement des dialecles parlés dans l'Indostan; c'est un
prakrit du sanscrit comme l'italien Test du lalin; Vigne
affirme que, dans cent mots cachemiriens, quarante sont
persans, vingt-cinq sanscrits, quinze indostani, dix arabes et
le reste Ibibétains,
Lors de la conquête du Cacbemire par l'empereur mongol
Akbar, vers l'an 1388, le costume des Cacbemiriens fut
cliangé, celui des hommes se compose maintenant de panta-
lons bouffants et d'une longue cbemise très large; leur coif-
fure est une sorte de turban en laine appelé pagri; le
vêlement des femmes consiste aussi en une longue cbemise
rouge, bleue, verte ou blancbe. avec de larges manches
comme celles des hommes ; elles portent sur la tète une
calotte entourée de drap rouge; elles s'ornent aussi de
bijoux nombreux : boucles d'oreilles, bagues, bracelets, etc.;
leur manière de se coiffer est très particulière : leurs cbe
veux sont rejetés sur le derrière de la tête en une infinité de
petites tresses (|ui s(mt rassemblées, mélangées avec delà laine,
pour former une longue torsade qui descend jusque sur les
chevilles; cela rappelle, en plus élégant, la queue chinoise.
Les vêtements d'été sont en colon et ceux d'bivei- sont
d'une étoffe de laine assez épaisse. Dans la saison froide
chaque Gacbemirien, homme et femme, porte avec soi un
kangri (]ui rappelle un peu les braseros italiens.
Dame Nature se monti-e généreuse dans le Gachemire. la
nourrritnre y est abondante et à bas prix. Le revenu moyen
d'un Gacbemirien peut être évalué à 2 roupies par mois, soit
5 francs, ce qui leur paraît amplement suffisant pour leur
procurer nouiriture et habillement, et les maintenir dans
une robuste santé, en un mol, pour suffire à lous leurs
besoins.
24 BULLETIN.
L'article foiulaïueiilal de la nuiirrilure est le liz, mais le
blé, l'orgo el le maïs suiil aussi cultivés; en fait de légumes,
les choux, les navets, les concumtfhes, les laitues et beaucoup
d'autres variétés, entrent pour une large part dans la cuisine
cacliemirienne; ils font aussi de la soupe avec les feuilles de
dent-de-lion et de plantain; ils mangent la tige du lotus ;
la noix d'eau appelée singliara, réduite en farine pour en
faii'e du pain, est la principale noiiiTiliiie de ceux (pii vivent
sur les bords des grands lacs.
La chair du mouton el de la chèvre est mangée par les
malK)métans, mais il n'est pas possible de se procurer du
bœuf, car tuer l'un de ces animaux est regardé par les ludous
comme un sacrilège, crime qui, il n'y a pas longtemps, était
encore puni de mort.
Quant à leur industi'ie, les Cachemiriens sont suilout
renommés pour le tissage, la broderie el la gravui'e sur mé-
taux. Les fameux châles soiit faits avec la pai-lie de la toison
de la chèvre qui se trouve le plus près du corps; d'immenses
troupeaux de ces animaux pais.sent sur les montagnes du
Thibet occidental; la manufacture des châles est sous le con-
trôle du gouvei'nement qui en tire un impôt, et la pureté des
matières premières est garantie par les fortes pénalités qui
tomberaient sur ceux qui essayeraient de les falsifier, de là
leur grande valeur sur les marchés européens. Les châles
tissés sont les plus duraliles et les plus chers, bien que ceux
qui sont faits à la main attirent plus l'attention au premier
abord.
Comme orfèvres les Cachemiriens .sont 1res habiles ; leurs
ouvrages en vermeil et en argent massif sont particulière-
ment remarquables par Télégance du dessin et la beauté de
la ciselure.
Avec le cuivre et l'étain mélangés, ils font des pièces
d'orfèvrerie qui fei'aient croire que l'on a sous les yeux de
l'argent antique ciselé qui aurait été enfoui dans le sein de la
terre pendant des années; je ne parlerai pas d'autres chefs-
d'œuvie comme les cuivres émaillés, etc.
Les Cachemiriens savent aussi très bien travailler le cuir;
leur manière de le tanner fait qu'il est d'excellente qualité;
leui's ai-mes blanches et armes à feu, ont une grande réputa-
PROCÈS- VERBAUX. 25
tion. Le papier (qui est doux, fort, et semblable au parche-
min) est fait avec du chanvre indou à Naoshera, près Siiii;i-
gar; celte fabrication du papier est un monopole du gouver-
nement.
Il se fait un commerce considérable entre le Punjal) et le
Turkestan oriental, comraei-ce dans lequel le Cachemire
a sa lai-ge part, mais comme le marajab n'est guère par-
tisan du libre-échange, ses coffres se remplissent plutôt au
moyen du monopole. 11 n'y a pas de budget publié par le
gouvernement, c'est pour cela que les receltes et les dépen-
ses ne sont pas exactement connues, on croit pourtant (pje
les revenus s'élèvent à envii-on 10,000,000 francs (forly lakhs
of rupees), revenu qui découle de diverses sources, soit en
pailie des patentes et des di'oits d'importation et d'exporta-
tion et en partie :
a) Des droits sur les manufactures en généi'al et celles des
châles en particulier;
b)DG la part que le gouvernement prélève sur la vente des
produits du sol, car le sol est considéré comme la « pro-
priété » du souverain qui, conséquemment, réclame les deux
tiers de la lécolle; le produit des lacs et rivières est aussi
considéré comme [)ropriélé i-oyale et constitue un revenu
important.
Les principales dépenses sont l'entretien de l'armée, celui
des routes et des monuments publics et les charges qui se
rapportent à la magistrature et à la religion.
On prétend que l'histoire du Cachemire remonte à une
haute antiquité; la notion du déluge n'y est pas inconnue.
On dit aussi que Salomon l'a visité et y a introduit le culte
du vrai Dieu, qui s'y serait maintenu pendant longtemps ; ce
pays tomba au pouvoir desTartares 100 ans avanl l'ère chi-é-
tienne; plus tard les empereurs mongols s'en emparèrent et
le tinrent sous leur domination jusqu'au milieu du siècle
dernier où il tomba au pouvoir d'un souverain indou dont
la dynastie règne encore maintenant et est représentée par
Rambeer Singh, marajab de Jamoo et du Cachemire. »
Maintenant, Messieurs, j'arrive au commencement de notre
voyage; mais permettez d'abord que je vous indique notre
itinéraire de Bombay où nous avons débarqué en jan-
20 BULLETIN.
vier 1883, jusqu'au momenl où nous sommes entrés dans le
Cachemire.
En quittant Bombay, nous avons passé par Alimedabad
renommée pour son arrhitecluremaliomélane, qui se distin-
gue en particulier par la beauté de ses bois sculptés; puis
Jeypoor, capitale de Tun des États indépendants du Rajpoo-
tana où nous avons eu la bonne fortune de pouvoir visiter
une fort l)elle exposition des produits artistiques de l'Inde,
cuivres repoussés de Bénarès, ivoires de Delhi, mosaïques
d'Agra, incrustations d'argent de Lahore étofTes du Cache-
mire, tapis, bijoux splendides, dont quelques-uns envoyés par
les rajahs des envii-ons, entre autres l'un des plus gros di;i-
manls qui existent, en un mot une collection de ces richesses
de l'Inde qu'il est difficile de décrire.
Nous fûmes aussi témoins d'une fête populaire, à laquelle
assistait le marajah de Jeypoor. Quel spectacle original et
intéressant de voir ce prince entouré de ses hauts dignitaires
et de ces milliers d'Indous aux costumes de fête, aux couleurs
éilatanles et pourtant harmoniques ; mais aussi (piel con-
traste frappant ! à sa gauche est assis le résident diplomati-
que anglais, sans lequel ce puissant potentat n'a pas même le
droit de lever un soldat.
Agra, la cité d'Al<:bar, avec ses palais et ses mosquées en
marbre blanc, entre autres une des merveilles des Indes, le
Taj, de style sarcenic, de forme octogone, surmonté de
<iuatre coupoles et de seize minarets: le Taj a été construit
par Shah Jehan, pour servir de tombeau à sa femme
favorite, la belle Begam Mumtaz xMahal; Tavernier dit
que 20,000 ouvriers ont été employés à sa construction
pendant 22 ans. Suivant l'état de l'atmosphère, ce colossal
ensemble de marbre blanc se colore de teintes diverses,
mais rien ne peut se comparer à l'aspect de cette mosquée
éclairée aux feux de Bengale par une belle nuit d'Orient.
C'est à Agra que se trouve )e D"" Valenlin, médecin-mis-
sionnaire établi depuis vingt ans aux Indes; d'après lui, une
partie de la société indoue se sent remuée par le christia-
nisme qui y ferait des progrès, et nombre d"Indous instruits
.sentent et comprennent que le boudhisme et. ses nombreuses
castes ne peuvent pas marcher de pair avec la civilisation, si
bien représentée dans ce pays par les Anglais.
PROCÈS- VERBAUX. 27
A Agra, nous achetons des chevaux el des tentes et nous
engageons à notre service un certain nombre de natifs pour
une excursion de chasse projetée au nord de cette ville;
après quoi nous nous retrouvons dans la vie civilisée, à
Delhi.
Delhi! que de souvenirs ce nom réveille, et combien de
drames sanglants, combien de traits de bravoure pourraient
raconter ces murailles éventrées par les boulets des cipaye^;
les Anglais s'y trouvaient dans la proportion de 1 h 6.
Mais laissons là ces tristes souvenii's et pénétrons dans
l'intérieur de la ville; nous voici près du Bazar où se con-
centre surtout ractivité, et où bien des scènes de mœurs
peuvent être prises sur le vif; voilà justement une noce qui
s'avance: le cortège est ouvert par des chameaux montés par
des cavaliers, porteurs de drapeaux, puis vient la longue file
des voitures vides et des chevaux de selle capai'açonnés
envoyés par les parents et amis pour faire figure; en dei-
nier lieu voici le jeune marié lui-même, à cheval aussi, et la
figure couverte de franges d'or; mais quelle musique dis-
cordante!
Nous allons, comme invités, assister dans la soirée à la
cérémonie de famille; nous entrons sous une grande véranda h
éclairée par des globes verts el blancs; le jeune marié est
assis au milieu de ses parents et amis, tous revêtus de riches
costumes aux couleurs gaies, mais point de femmes, pas
même la jeune mai-iée, car aux Indes, les femmes des castes
supérieures ne se montrent jamais en public et sont toujours
confinées dans leurs appartements; l'intérêt de la soirée se
concentre surtout sur une Nautch, danseuse indoue, dont la
tianse se compose de mouvements gracieux arythmiques du
haut du corps, des bras et des mains ; elle chante aussi et
déclame accompagnée par qualie musiciens; par ses panto-
mines expressives de filer, faii-e de la dentelle, etc., elle
décrit probablemeul ce que sera dans la suite la vie des
futurs nouveaux époux; on nous passe, selon l'usage, des
graines de carimon et des préparations de bétel; le jeune
marié vient saluer en nous faisant un gracieux salam; il
peut avoir une douzaine d'années. Voici comment se prati-
que le mariage aux Indes : lorsqu'un garçon atteint l'âge de
28 miLl.KTIN.
10 ou l'a ans, ses parenls s'occupent à lui cliercher nue
femme dans la caste con-espontlante à la sienne; son épouse
aura (5, 7, Sou 1) ans! ils sont alors indissoluhlemenl promis
et liés l'un à l'aiiti'e, jusqu'à un âge plus avancé, époque à
laquelle une nouvelle cérémonie a lieu. Si, après les fiançailles,
son futui' époux vient à mourir, la pauvre enfant ne peut se
remarier, et elle est condamnée à i-ester veuve toute sa vie.
Parlerai-je encore du vieux Delhi surnommé la Rome
de l'Asie à cause du numhi-e de ses ruines et édifices si
remar(|ual>ies, dont le principal peut-èli'e est le Kutub-iMinar,
tour élevée en l'an liOO par le sultan Sliamo-ood-deen et
consli'uile en grès louge; elle se compose de 12 colonnes,
alternant avec 12 angles saillants; elle est divisée en cinq
étages avec galeries circulaires; sa base à 150 pieds de circon-
férence; sa hauteur est de 249 pieds.
Après une nouvelle excursion de chasse à l'ouest de Delhi,
entre Gurgoon etSounali, nous nous dirigeons vers le nord
jusqu'à Saharanpoor, d'où nous franchissons à cheval, en
trois semaines les Sowalik Hills, la Dehra Dun, le teri'itoire
indépendant de Nahan pour arriver à Umballa ; mais com-
ment décrire cette vie de camp, de chasse, ces scènes de
mœurs prises sur le vif el la beauté de la nature qui nous
entoure? Je n'ose l'entreprendre, et je me bornerai à lacon-
terdeiix incidents que je lire textuellement de mon journal :
Un beau malin, nous gravissions les Sowalik Hills pour
aller à l'aflut du cerf; après avoir pas mal grimpé dans les
rochers, nous étions immobiles, aux écoutes, nous avions des
traces de cerfs sous les yeux, lorsque, tout à coup, nous
entendons, à une centaine de mètres au-dessous de nous, un
teri'ible rugissement : au premier moment, je crus que c'était
un roulement de pierres, tant le bruit était fort, mais notre
chasseur indou nous fit comprendi-e que c'était un tigre ;
impossible de rien voir tant le fourré est épais; nous restons
en garde pendant quelques minutes, mais le fauve ne paraît
pas, et nous continuons notre chasse.
Quelques jours après, nous arrivions à un village important
qui sert de frontière entre le teriitoire indépendant de
Nahan el le Punjab; nous fûmes surpris de l'activité qui
y régnait; on ne voyait que chameaux d'un côté, et de
PROCÈS-VERBAUX. 29
l'antre de nombreux serviteurs dressant des tentes. Nous
questionnons el Ton nous apprend que le Rajah de Nalian,
au retour des noces de son fils, doit camper ici ce soir; nous
nous mettons en marche el nous ne lardons pas à rencontrer
l'avatil-garde de la procession, des cipayes à cheval, des
mules, des chameaux chargés de bagages, des éléphants
majestueusement montés chacun par 4 ou 5 cavaliers, puis
un bataillon, musique en tête, des palanquins couverts ou
non couverts, renfermant des femmes au service de la prin-
cesse. Nous devenons un point de mire pour la population
qui nous entoure; M""* R. surtout est très examinée. Quelle
révolution doit s'opérer dans la tête el les idées de ces pau-
vres femmes indoues, qui sont à un niveau si inférieur <à celui
de leur mari, à la vue d'une dame anglaise cheminant en
liberté avec ceux qui l'accompagnent et qui l'entourent
d'égards.
Mais, le défdé continue : voici une batterie de montagne
chargée à dos de mules, puis, non loin de nous, un palan-
quin s'arrête et il en descend un homme d'âge moyen, vêtu
de noir, el la lêle couverte d'im bonnet brodé d'or; il
s'avance vers nous et nous adresse la parole en bon anglais,
c'est le seci'étaire du rajah qui nous donne divers i-enseigne-
menls; le cortège, nous dit-il, se compose de trois mille per-
sonnes, quarante éléphants, etc.; le jeune marié a 19 ans, la
princesse, son épouse quelques années de moins. Puis, après
quelques minutes, M. le secrétaire prend congé.
Mais les heures s'écoulent et voici enfin le cortège de la
nouvelle mariée : un musicien, porteur d'une immense corne
d'argent dont il tire des sons aigus précède un palanquin
rouge richement orné, dans le(|uel se trouve la jeune prin-
cesse, soigneusement garantie conlie tous les regards;
puis un certain nombre de palanquins renfermant des sui-
vantes, et entourés de porte-étendards ; enfin, cette brillante
vision se peid aussi dans le lointain. Le rajah et son fils,
suivant l'étiquette, n'apparaîtront (ju'en tout dernier lieu, et
moulés sur le plus haut des éléphants. Bien lard dans l'après-
midi, Tagitation et le remous de la foule qui nous entoure
nous apprennent que le prince n'est pas loin; en elïet, voici un
héraut d'armes qui nous annonce la venue de son maître en
30 BULLETIN.
joiianl sur un double lamliour placé devant lui; à une quin-
zaine (le pas en arrière, el enlouré de cipayes à cheval, la
lance au poing, s'avance calmement et lentement un superhe
dépliant monté par le rajali qui est assis tout près de la léle
de ranimai, s(ui lils en arrière.
Le lendemain, nous fournissons noti"e dernière étape et
nous arrivons à Umballa,nos chevaux à moitié fourbus; nos
cliarriots attelés de buffles, renfermant nos tentes et nos baga-
ges, n'arrivent que bien tard dans la nuit; que nous importe,
nous sommes de nouveau dans la vie civilisée. Nous restons
([iielques jours à Umballa, ville de garnison, et commençons
nos pi-éparatifs pour noire future expédition dans le Cache-
mire; de là nous allons à Meerut, autre ville de garnison,
réputée l'une des plus agréables des Indes, et faisant un parfait
coniraste avec la contiée aride qui l'entoure : beaucoup de
verdure, beaux palmiers, jolis bungalows. C'est à Meerut
(|u'a éclaté la révolte des cipayes en 1837.
Notre prochaine visite est pourUmritsur (Amritsa),la ville
sainte des fiers Sikhs et qui lenferme l'une des merveilles
des Indes, le Temple doré; ce temple est situé au milieu
d'une nappe d'eau appelée le lac de l'Immortalité; il se
relie à la terre ferme par un pont en niai-bre blanc. Nous
pénétrons dans l'intérieur; le grand prêtre vêtu de jaune
et entouré d'autres prêtres est accroupi devant les livres
sacrés recouverts aussi d'un voile jaune; sur la gauche, qua-
ti'e musiciens jouent en chantant d'une voix lente et nasil-
larde; au milieu du temple est tendue une pièce d'éloffe sur
laquelle de nombreux fidèles jettent leurs offrandes : fleurs,
fruits, pièces de monnaie; nous remarquons aussi dans l'un
des angles une lampe d'argent qui représente la somme de
vingt mille francs. La réflexion dans le lac de ce temple aux
coupoles dorées est d'un effet saisissant.
A Umiitsur nous visitons des manufactures de tapis; les
métiers sont des plus primitifs et presque tout le travail se
fait à la main; nous voyons sortir des dessins et des assorti-
ments de couleurs magnifiques, des mains de ces pauvres
ouvriers qui ne gagnent guère plus de 25 centimes par jour.
Nous continuons notre route vers le nord, et traversons
Lahore, Jhelium, en suivant la grande ligne du Northei'n
PROCÈS-VERBAUX. 31
Piinjab State Railway qui nous conduit à Rawl Pindi.
Nous n'avons pas une minute à perdre, il faut nous procurer
une partie des provisions doni nous allons avoir hesoin dans
le Cachemire, puis il nous faut faire le triage de nos efïels
particuliers, en prendre aussi peu que possible et les empa-
queter dans ces cui'ieux paniers recouverts de cuir appelés
kUters, lesquels remplis, ne doivent guère excéder cinquante
livres et qui sont portés à dos par les coolies.
Nous entrons donc dans la seconde partie de notre beau et
intéressant voyage; nous allons coucher ce soir à Murree
bien haut dans rHimalaya; nous prenons pour nous y rendre
l'une de ces voilures de poste à deux roues et où l'on est
assis dos à dos; nous allons très vile et les chevaux sont
changés fréquemment. Tout change aussi autour de nous à
mesure que nous avançons dans la montagne : les palmiei's
font place aux pins de l'Himalaya aux longues aiguilles d'un
si beau vert; la température aussi varie considérablement, et
voici même de larges plaques de neige; c'est le cas de dire :
les jours se suivent et ne se ressemblent pas, car il y a à
peine 24 heures, hier au soir, à Lahore, la sueur ruisselait de
nos fronts. Nous arrivons à Mui'ree dans la soirée; en nous
réveillant le lendemain matin, la sensation de froid que nous
avons eue pendant la nuit nous fait souvenir que nous som-
mes à une altitude de 7000 pieds.
En sortant de ma chambre j'admire une vue magnifique
sur les chaînes parallèles de l'Himalaya et les cimes neigeuses
qui s'étendent au loin; du côté sud Murree s'élage piltores-
quemenl sui* les flancs de la montagne, tout autour se trou-
vent plusieurs bungalows anglais bien construits. Les maisons
des natifs ont toutes un toit plat; ici et Là dans les expositions
nord, de forts amoncellemenis de neige; Ton nous dit que cet
hiver il est tombé 22 pieds de neige, et que le thermomètre
esl descendu à plus de 20 degrés au-dessous de 0.
Murree est un sanitorium pour les troupes et beaucoup
d'Anglais établis dans la plaine viennent y passer la saison
chaude.
Nous faisons nos préparatifs pour pai'tir le lendemain; nous
pesons et réparlissons aussi exactement que possible nos
bagages, provisions, tentes, matériel de campement en lots
32 BULLETIN.
(le cinquante livi"es — la charge ordinaire et réglementaire
(l'un homme clans ce pa\s-ci; — nous avons engagé de vingt
à trente coolies.
Le lendemain, de honne heure, les environs de notre
hahitalion oiïient un aspect pittorescjue; nos coolies arrivent
les uns après les antres et se groupent autour de la maison;
le plus grand nomhre sont des Cachemiriens; ce sont en
général des hommes rohusles, la figure et les membres bru-
nis, larges d'épaules et foris de jarrets; ils poi-tent des panta-
lons bouiïanls et une ample chemise de laine grise, plusieurs
s'enroulent encore dans des châles de même étoffe; les jar-
rets et le bas de la jambe sont comprimés par des bandages;
ils ont poui- chaussures des sandales en paille de riz; dans
les fortes marches ils en usent une ou deux paires par jour-
Nous ne tardons pas, en passant la rivière Jhelam, de fran-
chii- la frontière du Cachemire, nous remontons le cours
de cette rivière, jusqu'à Baramoula, après avoir parcouru
environ 130 milles (soit 52 lieues) en 6 journées de marche;
nous tiaversons des vallons sauvages au fond desquels
mugissent la rivière elle-même ou les torrents qui vont s'y
jeter; ici et là, dans les expositions abritées, de grandes éten-
dues plantées d'abricotiers sauvages, maintenant en fleurs, con-
trastent avec les cimes que nous voyons dans le lointain
couvertes de neige. Pendant ce trajet nous n'avons pas
besoin de dérouler nos tentes et pouvons passer les nuits à
l'abri dans les Rest Houses, bungalows primitifs établis aux
frais du marajaii du Cachemire.
Nous avons rencontré en route une caravane de ma?--
chands thil)élains qui revenaient de Bombay à Yarcunde,
leurs solides montures cliargées de ballots d'étofTe; ils calcu-
laient que, aller et retour, leur voyage fait à pied et à cheval,
aurait duré, à leur ari'ivée chez eux, près de deux ans; mais
il faut ajouter, si je ne me trompe, qu'ils avaient profité de
l'occasion pour faire le pèlerinage de la Mecque.
De Baramoula, centre important de 800 âmes, où la rivière
Jhelam perd ses allui-es bruyantes et devient paisible, nous
continuons notre route en doonga (bateau cachemirien);
c'est une embarcation de 50 à 60 pieds de longueur, cons-
truite en bois de pin; sa plus grande largeur ne dépasse guère
PROCÈS-VEEBAUX. 33
6 OU 7 pieds; la proue et la poupe sont presque également
relevées, fond plat; le milieu du bateau est occupé par un
léger échaffaudage en forme de toit, recouvert de nalles qui
retombent sur les deux côtés ; cette partie ainsi que la proue
est réservée au voyageur tandis que le batelier et sa famille,
habitent la poupe, c'est leur unique demeure; dans notre
doonga, mari, femme, enfants, grand'mère, tous passent
leur vie; dans ce home bizarre, la principale pièce de leur
ameublement consiste en un fourneau de terre sur lequel ils
préparent leurs tchipaUes (galettes en farine de maïs), qui
constituent le fond de leur nourriture.
Tant bien que mal nous passons la nuit dans notre
doonga et nous nous réveillons le lendemain matin, navi-
gant lentement, mais enfin navigant, sur les ondes du
Woolar Lake (altitude 4 à 5000 pieds), le plus grand lac
du Cacbemire, pittoresquement entouré de montagnes, puis
nous rentrons dans le cours de la rivière Jhelam (qui traverse
le Woolar Lake comme le Rhône le lac Léman) ; de beaux
groupes de platanes s'échelonnent çà et là sur ses rives;
dans Taprés-midi, nous passons sous le pont de Sambul,
et quel pont! Les piles rétrécies à leur base sont composées
de pièces de bois à peine équarries, placées les unes sur les
autres avec des pierres et de la terre dans les interstices; le
tablier, tout en bois aussi, est gi'ossièrement travaillé; ces
ponts, parait-il, offrent beaucoup de résistance lors des gran-
des eaux.
Le matin, nous nous réveillons sur le grand canal qui tra-
verse Srinagar, l'une des capitales du Cachemire. Qiiel spec-
tac'e pittoresque et caractéristique s'ofTre à nos regards : des
deux côtés du canal s'élèvent des maisons en bois brun, en
partie construites sur pilotis; les carreaux des fenêtres sont
remplacés par du papier; beaucoup de ces constructions sont
misérables, mais sont écbafaudées pittoresquement; ici et là
une mosquée au dôme éclatant; nous passons aussi sous les
arches de plusieurs ponts, construits exactement comme celui
de Sambul; comme l'heure est matinale, c'est celle où l'on
va chercher de l'eau à la rivière et faire ses ablutions; voici
des Cachemiriens accroupis au bord de l'eau et se lavant
gravement les dents pendant que d'autres procèdent plus
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 3
34 BULLETIN.
haut à d'autres lavages. Les femmes ont un costume par-
ticulier : c'est une sorte de longue et large chemise en
étoffe épaisse, rouge, verte, hleue, etc. ; pieds nus, elles se
parent de bracelets et de nombi-eux ornements d'argent;
beaucoup portent sur la tête une petite calotte rouge; elles
ont les cheveux divisés en une infinité de petites tresses
pendant que d'aulies ont une abondante chevelure qui
tombe sur leurs épaules; les Cachemiriennes ont une grande
réputation de beauté : leurs cheveux noirs et leurs traits
réguliers me rappellent le type romain; elles ont en général
une certaine noblesse et même de la fierté dans toute leur
prestance.
Nous sommes suivis par des bateaux de marchands qui
nous flairent comme un renard flaire sa proie. Nous pas-
sons devant le palais du marajah; il s'y trouve une mosquée
adjacente dont la coupole est, dit-on, couverte de feuilles
d'or pur; et que dire de la quantité de doongas, avec leur
population flottante, qui naviguent le long des rives; puis, la
rivière fait un coude, et voici parsemés les bungalows
réservés aux familles anglaises qui viennent séjourner ici
pendant la saison chaude. Nous nous rendons chez un grand
commerçant de Srinagar nommé Summud-Shah où l'on
nous off're dés l'entrée, suivant la coutume, thé et sucreries;
toutes les merveilles de son bazar sont bientôt étalées sous
nos yeux : tapis cachemiriens, châles, lapis de Yarcounde,
etc.; nous ne nous laissons pas prendre d'emblée à ses paroles
mielleuses, mais nous acceptons cependant un déjeuner qu'il
nous offre pour le lendemain; eh bien, il a été excellent ce
déjeuner cachemirien (Summud Shah avait en secret demandé
à notre cuisinier de se rendre chez lui pour aider ses gens à la
confection de ce repas et pour apporter en même temps nos
couverts); le mets principal fut le fameux pillau dont la
base est le riz, le plus beau riz que j'aie jamais vu de ma vie,
dans lequel on met, suivant son goùl, une infinité de petits
plats posés devant chaque convive et contenant viandes et
légumes, préparés de diverses manières;je note entre autres,
comme dessert , des fraises rouges et blanches en sagou ;
pas de boissons fermentées,mais du thé en abondance. Après
avoir fait des emplettes nous retournons faire nos derniers
PROCÈS-VERBAUX. 35
préparatifs pour une excursion de chasse projetée clans Test;
nous reviendrons plus lard à Srinagar sur laquelle j'aurai
encore à dire quelques mois. Nous nous embarquons dans
noire doonga et bienlôl dans les courbes gracieuses de la
rivière Jhelam que nous remontons, la curieuse el pittores-
que Srinagar disparaît à nos regards; nous traversons la plus
belle partie de la vallée du Cachemire qui s'appelle
tiappy Valley (vallée heureuse), vu sa feililité; elle est
paisemée de riants villages où croissent des abi-icoliers énor-
mes qui sont maintenant en (leurs; Thorizon est fermé par
des chaînes de hautes montagnes couvertes de neige; malgré
cet aspect riant et celte grande fertilité, le Cachemire en
général, et la vallée heureuse en particulier, ont été rava-
gés, il y a deux ans, par une terrible famine et faute de
routes et de moyens de traiisporl, pour faire arriver des Indes
le grain à temps et en quantilé suffisante, plus de cent mille
personnes sont mortes de faim; une livre de riz coûtait alors
deux roupies, soit cinq francs, et aujourd'hui le riz
est tellement abondant que l'on peut avoir deux cent cin-
quante livres de riz, de qualité inféiieure il est vrai, pour
une roupie, soit deux francs cinquante; ces chiffres n'ont
pas besoin de commentaire.
Nous débarquons k Kanbal. près Islamabad, dans l'après-
midi; là nous attendent nos chasseurs cachemiriens qui doivent
nous servir de guides dans l'Himalaya, el qui ne nous quit-
teront plus jusqu'à la fin de nos chasses; ce sont de robustes
montagnards, dans la force de l'âge, au teint hàlé; ils ont le
couteau de chasse passé fièrement à la ceinlure, ils sont
chaussés du grassdjouti (sandales en paille), et, suivant la
coutume du pays, ils ont chacun sous leurs ordres deux
aides; ils sont en oulre responsables des hommes qu'ils ont
choisis pour porter à dos nos provisions, munitions, tentes,
matériel de camp, etc., les voilà déjà rôdant, ces coolies,
autour des charges, tâchant de s'emparer de celles qu'ils
supposent être les moins pesantes et ils s'éloignent à grands
pas dans la direction que nous devons suivre.
Pour nous, les grandes marches à pied et la vie de tente
vont recommencer ; nous nous engageons dans la haute val-
lée de Nowboogh, et en deux jours et demi franchissons les
3fi BULLETIN.
35 milles qui nous séparent du col de la Mar^^an Pass
(IJ, 600 pieds); adieu les belles forêts de cèdres deodoras
(|ue nous avons tr-aversées; nous sommes mainlenaiit dans la
région des pins et des liouleaux, et c'est sur un épais tapis de
neif,'e que nous dressons nos tentes ce soir-là; nous sommes
à environ 9000 pieds d'altitude. Les ^rroupes sombres de
beaux arbres (|ui se détacbeiil sur la neipe, et sous lestpiels
nos coolies ont allumé leurs feux pour cuire leurs Icbipaties
donnent à notre campement l'aspect le plus pittoresque.
Il faut que j'explique maintenant pourquoi nous faisons
tant de bâte pour traverser la Marsan Pass, que, malgré
la saison peu avancée et le temps défavorable, nous voulons
francbir demain; c'est l'usage et l'étiquette pour les Anglais
qui viennent chasser dans le Cachemire, que les premiers
arrivés peuvent s'établir dans les NuUabs (vallées) qui leur
conviennent et où ils croient trouver le plus de gibier;
une fyis un chasseur arrivé le premier dans une nidlab,
il en prend en quelque sorte possession et aucun autre n'a
le droit d"y chasser; or nous avons deux Anglais à quelques
milles seulement en arrière de nous, el. // faut (we must
arrive first) arriver les pi'emiers.
Le jour suivant, de bonne heure, nous nous mettons en
marche, et nous voilà bientôt brassant la neige, en en ayant
plus souvent au-dessus qu'au-dessous du genou; nous admi-
rons l'eiïet fanlastiiiue de la lune sur les pics qui nous entou-
rent et se détachent sur le bleu intense du ciel; à mesure que
nous grimpons, un vent froid nous cingle le visage, nos bar-
bes se couvrent bientôt de glaçons, mais nous gi-impons
grimpons toujours; magnifique lever de soleil sur les blan-
ches cimes de l'Himalaya. Dans la matinée nous sommes au
sommet de la Margan Pass (ll.HOO pieds), mais quel long
sillon nous avons à tracer sur la neige avant d'arriver à
l'autre versant; nous voyons, dans le lointain, le pic Koon
Noon ou Ser and Mer (23,4i7 pieds), l'une des plus
hantes sommités de cette partie de l'Himalaya; mon ami
M"" \\. souffre beaucoup de l'un de ses pieds qu'il croit
avoir à moitié gelé; heureusement (pje, grâce à une bonne
friction de neige, la circulation se l'élaljlit el il peut continuel'
sa marche; sur l'autre versant nous enfonçons quelipies fois
PROCÈS-VERBAUX. 37
jusqu'à la ceiiilure. Nous voyons sur les escarpements de
roclieis un troupeau de bouquetins; un peu plus loin, nous
avons la bonne chance de voii- défdernon loin de nous, mais
sans que nous puissions cependant les arrêter avec nos rides,
une oui-se et ses deux petits.
Après avoir tirasse la neige pendant environ 20 milles,
nous débouclions dans la vallée de Wardwan; c'est là que
poui- quelques semaines je me sépare de mon ami afin de
tenter, chacun de notre côté, les hasards de la chasse dans
nos nullahs respectives ; en effet, un coup de fusil tiré mai
à propos pourrait gravement déranger la chasse de l'autre;
pour moi, je me dirige vers l'esl, mais je suis arrêté [lar
le mauvais temps pendant envii-on douze jours dans le
petit hameau de Moongul, à l'entrée de la vallée de ce nom.
Use compose d'une dizaine de chalets, et quels chalets! les
cloisons sont formées de pièces de bois et de troncs disjoints
rehés par de la teri-e; le toit bien primitif est fait en planclies
simplement posées les unes sui- les autres ; ici et là se trouvent
des enclos pour le bétail : moulons, chèvres, vaches, chevaux,
lorsqu'ils ne broutent pas sur les flancs de la montagne. .Mais
comme ce hameau est bien encadré par les montagnes cou-
vertes de sapins qui l'entourent, et le torrent qui mugit au
fond de la vallée.
On se demande quels doivent être la vie, les pensées, le
raisonnement des habitants d'un hameau tel que celui-là; ils
n'ont pourtant pas l'air malheureux; la culture de leurs mai-
gres champs et leurs ti'oupeaux suffisent à leurs besoins; ils
tissent leur vêtements eux-mêmes; je vois des jeunes gens
qui causent et rient entre eux, une navette à la main; malgré
la saleté, les ornements ne manquent jamais, surtout aux
femmes; les petits enfants sont à peine vêtus.
Quant à l'intérieur des habitations, il est aussi primitif que
le reste; le principal habitant du village m'avait cédé sa
demeure, je dois premièrement bien faire attention de ne
pas me casser le cou en montant l'escalier qui, comme dans
toutes les autres maisons, se compose d'un ironc de pin dans
lequel sont creusées d'informes et gi-ossières marches; puis
j'arrive à un palier situé à une douzaine de pieds au-dessus
du sol. Il est composé de planches disjointes et forme une
88 BULLETIN.
galerie; le dit palier tlonne accès sui- deux pièces, je
ne veux pas dire des chambres, le leime serait trop loin
du sens de ce mol; celle de droite sera la cuisine, celle de
lïauclie ma chambre à coucher; j'entre dans celle-ci; une
seule petite fenéli-e à ras du i)lancher y laisse passer un jour
plus que douteux, car comme les vitres sont inconnues dans
ce pays-ci, elles sont remi)lacées sur la dite fenêtre par une
peau tendue sur laquelle je pourrais jouer du tamiiour; le
plancher, puisque j'ai parlé du plancher, est remplacé par
de la terre battue; les minces cloisons qui divisent le chalet
disparaissent sous un mortier café-au-lait; la poi'te est un
chef-d'œuvre, elle n'a pas plus de quatre pieds de hauteur
et se compose de deux planches disloquées qui laissent
passer l'air et font un cimranl avec le trou percé dans la
peau à tambour qui se trouve vis-à-vis; le plafond est repré-
senté par des poutres enfumées qui soutiennent le grenier
au-dessous du toit; cette chambre peut avoir environ
15 pieds de longueur sur 9 de large et 7 de hauteur; la
meilleure pai-tie en est la large cheminée-fourneau qui peut
bien contenir un bon feu mais qui i-emplit aussi la maison
de fumée; en plein jour, pour lire ou écrire, il faut avoir sa
bougie.
Un dimanche que j'étais resté au logis, je me vois subite-
ment transformé en médecin; on m'amène des petits enfants
malades, et ces braves gens ne mettent point en doute que je
ne puissse les guérir, mais comme je ne veux pas engager
ma l'esponsabilité, ma principale piescriplion est un bon
lavage à Teau chaude qui me semble très nécessaire et qui,
dans tous les cas, ne peut pas leur faire de mal.
Enfin un jour, Gurkan, mon chasseur, vient me réveiller
de grand malin et m'annonce que le temps est beau, donc, à
bas (lu lit et il s'agit de plier bagage; les coolies sont en
bas qui nous attendent; je vais passer une inspection, j'en ai
seize (outre les imit ou dix qui sont attachés à mon service),
et voyant mon étonnemenl, Gurkan me fait comprendre qu'il
lui en faut un aussi grand noml)re paice que nous trouverons
probablement beaucoup de neige; voici en efï'et des coolies
qui n'ont aucune charge si ce n'est leurs pelles cachemirien-
iies, c'esl-à-dii'e des pelles en bois.
PROCÈS-VERBAUX. 39
Un dernier regard au loil rustique qui m'a abrité pendant
reî> deux dernières semaines, et, en roule avec mon état-ma-
jor, c'est-à-dire Gurkan, Bazkan et Mira qui ne me quittent
jamais; les coolies chargés suivent plus lentement.
Le lendemain, nous pénétrons sur ces pentes de neige
interminables qui forment la Moongul NuUah et la sépa-
rent de la Zainai Nullah ; en outre, comme le soleil luit
dans toute sa force, la révei'bération de la neige est ardente,
ceux de nos gens qui n'ont pas de lunettes <à neige souffrent
beaucoup des yeux; enfin, après bien des effoils, nous arri-
vons au sommet de la passe qui se nomme, je crois,
Stiow Bridge, nous sommes à une altilude d'au moins
■13,000 pieds; nous descendons l'autre versant et arrivons dans
l'après-midi à l'endroit où nous devons passer la nuit; ma
tente est dressée sur la neige tandis que les coolies vont cher-
cherun abri bien illusoire dans les anfractuosités des rochers,
et, comme il n'y a point ou presque point de bois dans les
efivirons,ils ne peuvent pas cuire leurs galettes ni se chauffer;
c'est dur après une joiu'née comme celle qu'ils ont fournie
aujoui'd'hui.
Les étoiles pâlissent encore a l'horizon lorsque nous nous
remettons en marche; le lendemain, le hoid est intense, et la
neige durcie nous permet d'avancer rapidement; aussi arri-
vons-nous de bonne heure à Sangum, qui doit devenir mon
([uartier général; c'est de ce point que rayonnent les trois
Zainai Nullabs, j'y suis arrivé le premier, et par conséquent
nul autre, selon l'usage, n'a le droit d'y chasser.
Mais il nous faut installer le campement où nous allons
vivre pendant bien des semaines : les uns piétinent la neige
qui a plusieurs pieds d'épaisseur, pour y dresser les tentes; les
autres vont couper des brindilles de bouleaux blancs rabou-
gris, afin de nous préserver du contact immédiat de la neige;
un immense rocher excavé et formant un abri convenable
est aussitôt habité par les coolies.
Ce vallon couvert de neige et entouré de hautes monta-
gnes offi-e un aspect bien sauvage; au moment du dégel, c'est-
à-dire de 10 à 3 heures, les avalanches grondent de tous les
côtés; la vie de chasse que nous avons menée là, pendant
trois ou quatre semaines, a été particulièrement rude; il tom-
40 BKLI.ETIX.
hait de la neige presque chaque jour, et pendanl la nuil il
gelait à pierre fendre. Je nie souviens en particiiliei-, qu'un
jour le froid était si inlense que, ne pouvant me l'échaulTer
malgré une forte gymnastique, je pris le seul paili qui nie
restât, savoir de me coucliei- à 2 heures de l'après-midi;
quanta la nourriture.l'endroil le plus proche d'où nous pou-
vions tirer poules, œufs, moulons, etc., était Moongul; un
homme marcliant hien, mettait trois jours pour aller et
revenir; quant au riz qui formait la base de la nourriture de
mes gens, il fallait aller le chercher à Changus, et c'était une
course aller et retour de plus de vingt-cinq lieues dans les
montagnes; nous avons même été obligés de faire venir des
provisions de Srinagar, à quarante lieues de distance; tous
ces transports se font à dos d'hommes.
Les principaux animaux de ces hautes régions sont le
bouquetin, l'ours brun et le léopard gris; celui-ci est le plus
terrible ennemi du premier; nous apercevons presque jour-
nellement sur la neige les traces de ces divers animaux; on
voit aussi planer dans les airs le grand aigle de l'Himalaya,
qui atteintjusqu'à huit pieds d'envergure.
La chasse au bouquetin est l'une des plus fatigantes qui
existent, nous en avons fait plus d'une fois l'expérience.
Permettez, Messieurs, que, à l'appui de ce que je viens de
vous dire, je vous décrive deux de ces journées de chasse
prises au hasard dans mon journal.
Un malin, nous quittons le campement et nous nous éle-
vons sur les pentes rapides couvertes soit de neige, soit de
gazon glissant, en ayant au-dessous de nous le torrent qui
bouillonne; il faut faire attention où l'on pose les pieds, et,
aux plus mauvais endroits, tailler des marches avec la
hachette; magnifiques elTets de neige, dômes, crevasses;
après une bonne giimpée, nous nous dérobons derrière un
mouvement de terrain pour scruter les pics environnants;
Gurkan qui a une vue d'aigle et un jarret d'acier, n'a pas
une minute de repos, il finit par découvrir un troupeau de
bouquetins; avec la lunette nous les voyons brouter dans les
anfi'actuosités d'une arête de rochers, pendant que leurs com-
pagnons sont aux aguets; mais il faut les tourner, nous avons
des marches et contre-marches à faire, monter puis redes-
PROCÈS- VERBAUX. 41
cendie. Nous sommes en face d'une pente de rochers per-
pendiculaires et humides, avec un torrent au pied, recouvert
seulement d'une mince couche de neige qui se briserait sous
le poids de nos corps ; il faut donc revenir sur nos pas et
prendre un chemin moins dangereux; le passage que nous
prenons n'est pourtant l'ien moins que facile; ce ne sont
que rochers où il faut s'aider aussi bien des genoux et des
mains que des pieds ; nous passons au travers de débris d'ava-
lanches vieilles de quelques jours ou peut-être de iiuelipies
heures ; nous trouvons sur l'une d'elles les bois et le crâne
d'un jeune bouquetin qui aura probablement péri victime de
son imprudence; nous ne sommes pas très éloignés du som-
met et, nous l'espérons, pas loin non plus des bouquetins.
Effectivement en levant les yeux, nous en voyons deux à une
assez grande hauteur, sûrement les sentinelles qui surveil-
lent le reste de la bande, car ils nous regardent allen-
tivement et ne tardent pas à détaler. Comme il se fait tard,
nous devons renoncer à les poursuivre, nous sommes donc
joués encoi'e une fois, ce n'est ni la première, ni la dernière,
et nous rentrons au campement à la nuit tombante.
Un autre matin, à 3 heures, nous partons pour la chasse;
au lever du soleil, toujours magnifique dans ces l'égions,
noussommes déjà à une certaine hauteur; mes hommes vont
en reconnaissance, et reviennent au bout d'une heure, en
disant qu'ils ont en vue un troupeau de bouquetins; il faut
recommencer à grimper en prenant toutes les précautions
possibles, afin de ne pas éveiller l'attention de ces animaux,
qui ont l'ouïe fine et la vue perçante; nous sommes presque
courbés en deux, et, à certains moments, il nous faut, pour
ainsi dii-e, ramper; nous arrivons enfin à l'endroit d'où, épié
avec la lunette, nous pensons que le troupeau doit se trouver.
Nous avançons si possible, encore avec plus de précautions,
mais rien, ils ont disparu; seulement sur la neige nous discer-
nons leurs traces et nous les suivons; tout à coup, et à moitié
caché par une éminence, nous voyons le troupeau; entre
Gurkan et moi nous tirons deux beaux m<àles — bonne addi-
tion pour notre cuisine, — mais bientôt le l'este de la
bande s'enfuit à toute vitesse. Quelle majesté lorsqu'ils galop-
pent, la tête relevée et leur longue barbiche pendante I Un
42 BULLETIN.
beau hoiiquetin mâle appioclie de la taille d'un poney; les
Itois (le ceux que nous avons tués ont près de tiente-cinq
pouces de longueur, leur chaud pelage est d'un brun gri-
sâtre, plus clair sur le dos, leurs yeux bruns sont grands et
beaux.
Je fus heureux de penser que mes gens pourraient profi-
ler de cette bonne addition à leur nourriture, car ils ne se le
permettent pas toujours; en effet, un jour, un bouquetin
al teint d'une balle s'élant dévalé d'une paroi de rocher où
il se tua, ils n'en voulurent pas toucher, quoiqu'ils fussent
privés de viande depuis longtemps, leur religion ne leur per-
mettant pas de manger de la chair d'un animal qui n'a pas
été égorgé. J'ai déjà parlé de ces hommes si forts et aptes à
supporter de grandes fatigues ; ils sont d'une sobriété exces-
sive;le fond de leur nourriture se compose de riz et de leurs
galettes de maïs ; ils n'usent pas de boissons fermenlées, ne
fument qu'exceptionnellement, mais en i-evanche tous ceux
qui peuvent s'accorder un superflu quelconque prisent du
tabac; une tasse de thé fait leur bonheur, et pour l'obtenir,
i!s se faisaient souvent passer pour malades.
L'aspect de ces hommes à la figure martiale, et presque
toujours encadrée d'une barbe noire, était des plus pittores-
ques, sous le grand rocher qui leur servait de demeui-e; je
me souviens aussi d'une soirée où soudain le calme de la
iiuil fut interrompu par leurs chants expressifs.
Mais le mois de mai s'avance; çà et là se montrent des pla-
(lues de gazon, et des branches de quelques bouleaux nains
rabougris, sur le sommet desquels nous avons marché en
arrivant presque sans nous en douter, apparaissent au-
dessus de la neige. Nous quittons Sangum et nous nous diri-
geons vers l'est afin de camper pour quelques jours dans
un endroit encore plus élevé, Jabbal. J'estime que là nous
sommes environ à une altitude de 14,000 pieds — enchâsse
nous devons avoir atteint une élévation bien supérieure.— De
ce campement, nous ne sommes éloignés de la frontière du
lidltlstan ou Petit Thibet que de peu de journées de marche.
J'y trouve mes gens qui nous avaient précédés assez agités,
car une ourse et son petit qui, du reste, s'étaient empressés de
déguerpir, venaient de passer près d'eux; c'est le moment où
le retour du printemps fait sortir ces animaux de leurs tanières.
PROCES-VERBAUX. 4'^
C'est (le nouveau sur la neige que je dresse mes lentes; j';ii
sous les yeux un splendide amphilhéàtre de montagnes.
Qu'elles sont majestueuses ces hautes cimes de l'Himalaya ;
ici elles sont découpées comme une pièce de dentelle; là, un
pic solitaire s'élance dans les nues, faisant contraste avec
un dôme arrondi, et tout cela se détachant sur un ciel de ce
hleu si intense que l'on ne trouve que dans les toutes hautes
régions! Nous avons été assaillis là par un coup de vent,
accompagné de neige et de grêle qui, pour ne durer que
quelques minutes, n'en a pas été moins violent; aussi avons-
nous eu juste le temps de consolider la lente avec des blocs
de neige et les bâtons de montagne que nous avions sous la
main.
Enfin le moment vient de rejoindre mes amis. Adieu cette
vie si rude, adieu la tente dressée sur la neige, el ma bai-
gnoii'e qui y était creusée tout près, adieu les bouqueliiis
et les autres habitants de ces hautes montagnes qui me lais-
sent un si bon souvenir!
Nous nous dirigeons vers le sud-ouest. A mesure que
nous descendons dans la vallée, la neige disparaît de plus en
plus et la chaleur se fait peu à peu sentir; voici de beaux
groupes de sapins et même des fleurs; dans l'herbe déjà
épaisse sur laquelle nous marchons, nous distinguons de la
rhul»arbe el des asperges sauvages qui ne sont pas à dédai-
gner.
Nous suivons le fond de cette vallée sinueuse,soit en nous
frayant une route à travers les broussailles, soit en longeant
le cours du torrent lui-même; je retrouve^M. et M""* R. près
de Furiabad à l'entrée de la vallée de Maroo, et ensem-
ble nous continuons notre route pour retournera Srinagar;
nous sommes dans la région des pins et des cèdres; voici
môme dans les buissons des fraisiers et framboisiers en
rieurs; à Metwan nous revoyons avec plaisir des habitations,
des cultures, des bestiaux; puis [nous campons à Garum-
Pani dont la traduction liltéi'ale veut dire « eau chaude, »
à cause d'une source sulfureuse où les habitants des environs
vont chercher un remède à tous leurs maux.
Depuis que nous sommes réunis nos marches et campe-
ments oITrent un aspect très animé, car nous sommes environ
44 BULLETIN.
une (luarantaitie de personnes. El le soir, quand nos cinq
lentes sonl dressées el (jue les feux formés de troncs d'arhres
sont allumés et entourés de nos gens qui se raconlenl les
incidenls de la journée, el qu'à ces bruils divers se mêlent
les bêlements de nos clièvi-es el de nos moulons, tout esl
vie el mouvement autour de nous. Je me souviens aussi de
Pagam, à l'entrée de la vallée de Wardwan où nous avons
campé dans un emplacement planté de beaux noyers, sous
lesquels se trouvait le Cliokri, plate-forme en bois où les
principaux el anciens de l'endroit viennent s'entretenir des
affaires du village, el où ont lieu les jugements, etc; le
chokri esl maintenant très animé, car les collecteurs de
taxes y sont assemblés, et, par les scènes que nous avons
sous les yeux, nous pouvons juger que ces fonctionnaii-es ne
sont pas mieux vus dans le Cachemire que dans les autres
parties du monde
Nous arrivons bientôt à Wardwan, notre point de départ,
puis nous passons le col Soornag Margan Pass (envnon
12,000 pieds); grâce à la saison, ce passage s'exécute bien plus
facilement qu'il y a deux mois; du sommet de ce cot, la
vue esl imposante, c'est l'une des plus belles dont j'aie joui
pendant le cours de ce voyage. A nos pieds s'étend Happy
Valley, la i-iche et fertile vallée du Cachemire, sillon-
née par les courbes gracieuses de la rivière Jeblam; cette
vallée est entourée, comme d'une ceinture, par les hautes et
majestueuses montagnes de l'Himalaya. En route, nous chas-
sons l'ours.
Quelques jours après, nous sommes de nouveau à Srina-
gar, la Venise de l'Orient, car, comme sa sœur de l'Occi-
dent, elle est traversée par- un grand nombre de canaux,
mais la plupart sont bordés d'arbres, en particulier, de pla-
tanes de toute beauté.
Nous sommes en été maintenant; les moissons viennent de
se terminer; nous descendons en doonga la rivière Jhe-
lam qui traverse la ville; tout est très animé; de nombreu-
ses embarcations vont el viennent dans tous les sens; un
grand nombre de baigneurs se livrent à de joyeux ébats;
mais il ne faut pas être trop délicat, car à ces eaux aboutis-
sent plusieurs égoùls; il ne faut pas non plus, comme nous
PROCÈS- VEEBAUK. 45
l';ivons fait aujoniil'hui, pénétrer à pied dans Tinlérieur de
la ville, car alors la poésie disparaît pour faire place à la
réalité que la meilleure volonté ne peut méconnaître : une
saleté repoussante qui affecte autant la vue que l'odorat.
Nous passons devant l'une des pins célèbres mosquées,
Shah-Hamadan-Masjid; comme toutes les mos(|uées du
Cachemire elle est construite en hois de cèdre, avec doubles
toits superposés, couverts de terre, et qui, au printemps, sont
èmaillés de fleurs, beaucoup de maisons cachemiriennes ont
le même genre de toits qui servent ainsi de jardins.
Nous allons visiter une fabrique de châles ; nous y trou-
vons, dans une petite chambre resserrée^ une douzaine d'in-
dividus, chacun devant son primitif métier, avec ses innom-
brables bobines de ditïérentes couleui-s, qu'il enchevêtre
suivant le modèle qu'il veut reproduire; puis nous entrons
dans le bazar d'un oifèvre où nous voyons travailler l'une
de ces pièces or et ai'gent si finement ciselées.
Nous ne voulons pas quitter Srinagar sans visiter le Dal
ou City Lake qui se liouve au nord-est de cette ville, et,
nous voici naviguant sur le canal Sunt-I-Kul (jui relie le
lac avec la rivière Jehlam; nous traversons le joli village de
Drogun, puis nous passons sous le vieux pont en pierre
de Naiwidyar qui se compose de trois arches élégantes ;
sur l'arche du milieu se trouve une vieille inscription per-
sane encore lisible. Puis voici Hassanabad avec .sa mosquée
en ruines; ce village a été en 1874 le théâtre de scènes san-
glantes entre les deux sectes musulmanes rivales, les sunites
et les scias.
Nous passons aussi sur le bord des fameux jardins flottants
cachemiriens où sont surtout cultivés les concombres et les
melons ; voici la manière dont on les établit : les tiges des
plantes aquatiques qui croissent où les eaux sont basses, sont
divisées, à envii'on deux pieds au-dessous de l'eau, de sorte
(ju'elles cessent d'être en contact avec le fond du lac, mais
elles conservent leur position respective. Quand elles
sont ainsi détachées du sol, elles s(mt serrées les unes
contre les autres, de manière à en former des cou-
ches d'environ deux mètres de largeur et d'une longueur
indéfinie; le haut des tiges des l'oseaux, des joncs et des
40 BULLETIN.
autres piaules d'eau qui composent ces couches, sont cou-
pées, étendues sur leurs surfaces et couvertes d'une légère
épaisseur de boue qui, peu à peu, pénètre d.iiis l'intérieur
des liges. Ces jai'diiis lluttaiits sont tenus en place par des
pieux en saule fixés à chaque bout.
Nous ne naviguons plus maintenant dans les canaux, mais
sur le lac même. Quelle scène pittores(|ue! de tous les
côtés de légères embarcations chargées de fidèles se rendent
au village d'Hatzralbal, car aujourd'hui est le jour de l'une
des grandes fêtes qui y sont célébrées annuellement, et
où l'un des poils de la barbe de Mahomet, renfermé dans une
i)OÎle d'aigent, est exposé à la vénération des Cachemiriens
musulmans qui aQluent de toutes les parties du pays ; une
multitude couvre le rivage, et ce qui m'étonne parmi ces
milliers de pei'sonnes, c'est le grand calme qui y règne. Quel
contraste avec nos bruyantes foules européennes!
Ce lac, en partie entouré de montagnes, est parsemé d'îles
jtlantées d'arbres de magnifique veime; voici en particulier
Silver Island, Tile d'argent, où une insciiption rappelle que
IfS voyageurs Hugel, Henderson et Vigne se renconlrèi-ent
;j Srinagar.
C'est sur les bords de ce lac que les empereurs mongols
établirent ces jardins de plaisance demeurés célèbres, et où se
tiouvaient leurs palais d'été, Shalimar Bagh, en particulier,
qui fut leur ïrianon ; l'empereur Jehangir avec sa femme,
la belle Mumtaz Mahal, ensevelie dans le Taj à Agra, y fit plu-
sieurs séjours.
Ce jardin renferme plus de 140 jets d'eau; le non moins
fameux jardin de Nishat Bagh est aussi dans le voisinage.
Nous sommes de nouveau à Srinagar, et, pour en pren-
dre congé, nous montons au sommet du Ïakht-I-Suliman
(traduction littérale : trône de Salomon), qui domine la ville,
et d'où nous admirons encore une fois, au lever du soleil,
cette vue mcompai-able.
L'on nous dit que Srinagar a environ 150,000 habitants,la
plupart mahométans, on y compte seulement 20,000 Indous.
Par une faveur toute spéciale, accordée à mes amis, nous
avons l'autorisation d'effectuer notre retour aux Indes par-
la route impériale (sud), réservée à l'usage du marajah; nous
PBOCÈS-^rERBAUX. 47
visiterons donc en route Jamoo où le marajali se trouve
maintenant avec sa cour.
Nous retournons donc à Islamabad par eau; nous passons
près d'Avantipoore, ancienne capitale du Cachemire, qui
n'est plus que ruines maintenant, mais qui a possédé, dit-on,
jusqu'à 3,000,000 d'lial)ilants.
Entre Islamabad et Yernag, nous avons notre dernier jour
de grande chasse, et j'ai le bonheur de tuer un ours brun.
C'est dans les environs de Yernag que la rivière Jhelam
prend sa source; près de là se trouve un bel étang habité
par des poissons sacrés; le soir, avant de leur jeter leur
nourriture, le gardien a bien soin de s'incliner profondément
devant eux. De Yernag nous entrons dans la route privée du
marajah, laquelle doit nous conduire à Jamoo; c'est là aussi
que no\i< nous sépai-ons des fidèles Cachemiriens, qui nous
ont accompagnés jusqu'ici et qui sont remplacés par des coo-
lies de l'endroit.
Peu apiès nous traversons la Banihal Pass (9200 pieds);
après six jours de marche où tout nous est facilité par les
oi-dres qui ont été donnés, mais où la chaleur devient si
forte (pie nous sommes obligés de faire nos dernières étapes
de nuit, nous atteignons la ville de Jamoo; là, nous logeons
dans le bungalow mis à la disposition des étrangers par
le marajah; ce bungalow offre tous les conforts désirables, y
compris une excellente table, ce qui fait un grand contraste
avec noti'e vie passée.
Jamoo est situé sur un plateau; c'est une ville qui a un
cachet complètement dilïerent de celui de Srinagar; plus de
canaux, mais des rues pavées qui sont d'une extrême pro-
preté; plus de maisons en bois, mais des maisons en pierre
ou en terre, et d(uit la plupart sont soutenues par des colon-
nes qui forment ainsi un passage couvert le long de la rue;
beaucoup de ces colonnes sont peintes en rouge, bleu, etc. ;
Jamoo renferme un grand nombre de mosquées et de
monuments pubhcs;la plupart de ces édifices sont remarqua-
blement travaillés.
Quelle dilîérence aussi dans la population; ce n'est plus
cette race forte et énergique du Cachemire, mais bien un
mélange où la race indoue prédomine et où les types n'ont
plus la même pureté.
48 BULLETIN.
Ce inaliii nous devons avoir une audience du niarajali, et
un di^niitaire, le surinlendanl des écoles qui a un nom
démesurément long, et (|ui parle anglais, vient nous chei'-
cher avec une escoite de cipayes; lui-même est à cheval,
Un bel éléphant caparaçonné de rouge et jaune et surmonté
d'un palan(iuin est amené pour notre usage et nous traver-
sons ainsi la ville de Jamoo; nous arrivons près du palais, les
cipayes en faction pr'ésenleni les armes, et nous pénétrons
ilans les cours intérieures. Quel assemblage pittoresque de
personnages, courtisans, soldats dans tous les costumes pos-
sibles; nous atteignons bientôt l'entrée du Palais proprement
dit et nous descendons de l'éléphant pour pénétrer dans un
passage couvert non moins encombré de monde, et où le
premier ministre vient nous recevoir; puis on nous fait
entrer dans une grande salle où nous sommes présenié> aux
trois jeunes princes, les fils du marajah. Après quelques
minutes le marajah lui-même apparaît accompagné de digni-
taires; l'introduction a lieu, puis nous passons dans une autre
salle au milieu de laquelle se trouve une rangée de fau-
teuils; le marajah prend place sur celui du milieu, les trois
princes, par rang d'âge, se placent à sa gauche et il nous indi-
(jue des sièges à sa droite. Pendant que nous sommes éven-
tés par deux vigoureux gaillards, la conversation s'engage au
moyen d'un interprète ; nous commençons par remercier de
l'aulorisation qui nous a été donnée de voyager par la
route de Jamoo, et de toutes les attentions que nous
avons trouvées sur notre chemin, puis nous sommes ques-
tionnés sur notre voyage.
i.e marajah paraît être âgé d'une cinquantaine d'années,
il a, dans toute sa manière d'être, beaucoup de noblesse et de
dignité; il est habillé de mousseline blanche, et les pointes effi-
lées de sa longue moustache noire sont passées sous les plis
de son turban.
A notre retour dans le bungalow, nous apprenons que nos
dépenses dans cet endroit ont été défrayées par le marajah.
Depuis Jamoo, la route devenant carrossable, il met une
confortable calèche à notre disposition; nos l)agages ne sont
plus portés à dos d'hommes, mais suivent dans des voitures
traînées par dos chameaux; nous franchissons ainsi la fron-
PBOCÈS-VERBAUX. 49
tièredes Indes anglaises el, à Syalkof, nous tombons dans la
fournaise du Punjab, dès lors, le grand éventail appelé pwn-
kah est de rigueur nuit et jour, et nous ne retrouvons une
fraîcheur relative que quelques semaines après, lorsque nous
prenons de nouveau la mer.
Les applaudissements des nombreux assistants témoignent
du vif intérêt avec lequel a été écoutée la communication de
M. Bertrand, auquel le président adresse, sur Srinagar, quel-
ques questions qui fournissent au voyageur l'occasion de com-
pléter son récit. Puis le président lui exprime les remercie-
ments de la Société et le prie de bien vouloir donner aux
personnes présentes des explications sur les cartes et les
albums de photographies exposés sur les tables.
SÉANCE DU 21 DÉCEMBRE 1883.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Après la lecture du procès-verbal, le président communi-
que une invitation de M. Bertrand aux membres delà Société,
à visiter ses collections lundi prochain après midi. — Puis il
exprime ses regrets de la démission de M. de Stoutz de ses
fonctions de secrétaire général, que l'état de sa santé et son
éloignement de la ville ne lui permettent pas de continuer.
M. Adolphe de Morsier veut bien s'en charger provisoire-
ment. — M. H. Auriol, présenté comme membre effectif, est
admis à l'unanimité
Le président annonce que les hoirs de M"^ de Budé-
Kunkler ont fait à la Société un don de 200 francs. La Société
vote des remerciements.
La Société de Lyon a remercié du volume envoyé pour la
fête de la 10""" année de cette Société.
La Société de Sidney annonce sa fondation et demande
l'échange des publications.
M. Gamel, armateur du navire la Dymphna envoie le rap-
port du lieutenant Hovgaai'd sur son dernier voyage.
La Société de géographie de Berne communique un pro-
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 4
50 BULLETIN.
jet de lettre au Département fédéral du commerce et de
l'agriculture, au sujet de la motion de M. le conseiller natio-
nal Geigv, sur les moyens de compléter la représentation à
l'étranger des intérêts économiques et commerciaux de la
Suisse,molion sur laquelle le Département fédéral a demandé
à la Société de Berne, comme Voroi-t de l'Association des
Sociétés suisses de géographie, de lui faire part de ses idées.
La Société de Berne envoie deux exemplaires de ce projet,
avec prière de lui en retourner un avant la fin de l'année,
avec les observations de la Société de Genève.
jyime veuve J.-M. Ziegler a envoyé le portrait de son mari,
notre regretté membre honoraire.
M. J. Prost prend ensuite la parole pour sa communication
annoncée sur :
La Côte d'Or et l'Aclianti.
Il n'a pu, dit-il. rester indifférent devant le mouvement
colonial qui se produisait en France il y a quelques années
au profit de l'Afrique, et à celte époque sa résolution fut
bientôt prise de visiter la Côte d'Or, l'Achanti surtout, dans
le but d'y créer des établissements agricoles et, en outre, par
ces établissements de relier la côte avec l'intérieur.
Empêché, dit M. Prost, de parcourir l'Achanti comme je
me le proposais, en raison de la guerre civile qui vient de se
terminer récemment par le triomphe du prince Quacoe Duah
sur l'ancien roi Coffee Kalcalli et sur son prédécesseur Men-
sah, j'ai dû séjourner longtemps à la Côte d'Or, et ce n'est
qu'au moment même où les fièvres m'obligeaient à revenir
pour quelque temps en Europe que j'aurais pu, sans trop de
difficultés, commencer une véritable installation.
Mon intention n'est pas aujourd'hui de vous faire une rela-
tion de voyage, mais simplement de vous faire part de quel-
ques notes sur la politique, l'histoire, la géographie de la
Côte d'Or et de l'Achanti, et de vous esquisser à grands traits
les mœurs de leurs habitants. Je ferai mon possible pour être
bref et ne pas abuser de votre bienveillante indulgence.
La Côte d'Or forme une des parties des Côtes de Guinée,
où nous trouvons, de Touesl à l'est : la Côte du Poivre ou
PROCÈS- VERBAUX. 51
États de Libéria, l;i Côte d'Ivoire, la Côte d'Or, la Côte des
Esclaves, la Côte de Bénin el enfin la Baie de Biafra.
La Côte d'Or était,. j(i>qiiVn 187o, placée sous le proleclorat
du gouvernement brilannique, mais depuis l'expédition an-
glaise contre les Achanlis elle a été élevée au rang de Colonie.
L'origine des rapports entre la Côte d'Or et l'Europe
remonte assez loin.
Le prince Henry de Portugal, dit le Navigateur, fut le pre-
mier à diriger l'attention du côté de l'Afrique occidentale, et
sous ses auspices, des explorateurs parcoururent la côte jus-
qu'à Sierra Leone, en 1441. Ce prince obtint du pape Martin V
la propriété de tous les pays situés depuis le Cap Mogador ou
Souèrà jusqu'aux Indes orientîdes, mais à sa mort, en 1463,
on ne voit pas que les explorateurs se soient avancés plus
loin que Sierra Leone.
Le roi Jean de Portugal envoya en 1481 Don Diego d'Asam-
liuya avec la mission d'explorer les pays plus au sud. Il
emmenait avec lui 700 hommes; abordant à Elmina, il y bâtit
le fort Saint-Georges, en dépit de la violente opposition des
indigènes et, malgré les lièvres et les maladies nombreuses
qui décimaient ses équipages, il resta jusqu'à l'achèvement
complet de son entreprise.
La découverte de l'Amérique par C. Colomb et le commen-
cement de la traite des esclaves sur la côte occidentale d'Afri-
que attirèrent d'autres nations sur les côtes de Guinée. Les
Hollandais formèrent des établissements sur divers points,
notamment à Monrœ, puis en 1037, ils chassèrent les Portu-
gais d'Elmina et conservèrent cette possession jusqu'en 1872.
Puisque nous parlons d'Elmina, permettez-moi de vous
dire que M. Moynier, dans son journal l'Afrique explorée et
civilisée, a bien voulu otïrir riiospilalité de ses colonnes à une
petite e.squisse que je lui adressais sur cette ville.
Le Pays des Achantis, qui est sans contredit le plus grand
et le plus riche royaume de l'Afrique occidentale, s'étend au
nord de la Côte d'Or, entre le pays d'Assinie à l'ouest, le
Volta à l'est, et le Prah qui le sépare au sud du Protectorat.
Les montagnes de Kong forment sa limite N. Les Acliantis,
en parlant de leur pays distinguent entre l'Achanti-Pa ou le
Pays d'Achanli proprement dit, les provinces et les États
tributaires.
52 BULLETIN.
L'AcImiUi-Pa ou le Pays des Aclianlis proprement dit, se
divise à son tour eu petits arrondissements ou départements
dont les principaux sont ceux de : Atchoma, au centre, avec
('oiim-issie, capitale du l'oyaume. Le pays est ainsi nommé de
la terre rouge qui foriue le sol et qui, dans la langue du pays,
a nom atchoma.
Adanse, au sud. capitale Fammanali, ville oii fut signé, le
l;i février 1874,1e traité de paix entre l'Angleterre et l'Aclianti,
liailé i-édigé par sir G' Wolseley.
Amanse, capitale Bekwae, au sud-ouest.
Kwabini, capitale Mampouten, à l'ouest.
Nsùtà, au nord, avec une capitale du même nom.
Séhjwé, capitale Dwaben, à l'est, et enfin Kokofii au sud-est,
avec un chef-lieu du même nom.
11 me semble utile de vous dire ici quelle est l'origine des
deux mots Achauti et Fauti, telle que la tradition s'en con-
serve aussi bien à Coumassie que dans les pays du Protectorat
anglais, et qui remonte à une époque très reculée.
Étant en guerre et à court de vivres, les uns mangeaient
une f acine nommée chan et les autres une racine nom-
mée fan. De là les noms d'Achanti et Fanti, mangeurs de
chaii' et mangeurs de fan. La lettre A du mot Achanli n'est
qu'une lettre préfixe.
L'origine proprement dite de l'Aclianti n'a jamais été net-
tement définie, mais la version qui me paraîtrait la meilleure
serait celle-ci : Quand les mahométans furent chassés de
l'Europe occidentale et que les chrétiens affirmèrent leur
supériorité en Europe, les Maures tournèrent le (lot envahis-
.sant de leurs armées vers l'Afrique centrale et sur les bords
de ce Qiiorra ou Niger, si longtemps mystérieux, ils établi-
rent le siège de leur puissant empire à Tombouclou.
Ils avancèrent, étapes par étapes, jusqu'aux montagnes de
Kong, chassant devant eux la race aborigène de l'Afrique
centrale, et quand ils l'eurent refoulée dans les pays bas
situés entre celte chaîne de montagnes et la mer, ils allèrent
fonder le royaume de Gaman.
Le Gaman, dont la capitale est Buntùkù, est à 10 journées
de marche environ au nord-ouest de Coumassie, sur les
bords de la rivière.
PKOCÈS-VERBAUX. 53
Ce dislricl est situé au pied des monts de Kong et est pres-
que entièrement peuplé de nialiométans. Il est très liche en
mines d'or.
Tracer l'histoire de l'Achanti dans le principe serait une
tâche difficile, sinon impossible, car les Achantis s'imaginent
que c'est mettre en danger la vie du roi que de parler de son
prédécesseur ou de demander quel sera son successeur; la
superstition et la pohlique donnent une nouvelle force à ce
préjugé et c'est, d'après la loi, un crime capital de s'entrete-
nir de ces deux points. Si l'on réfléchit que les habitants du
pays n'ont point la coutume de calculer le temps, on ne doit
pas être surpris de manquer de renseignements positifs et
complets sur l'histoire de ce peuple.
Les premiers blancs qui cherchèrent des renseignements
sur la géographie et l'histoire des différents peuples de l'inié-
rieur de l'Afrique eurent tous à réprimer leur curiosité, de
crainte de donner du poids aux insinuations calomnieuses
dont ils étaient l'objet de la pai't des nègres.
Bowdich, dans sa relation d'ambassade au royaume achanli,
va jusqu'à dire que les mahométans qui viennent dans les
marchés mettent tout en œuvi-e pour confirmer les habi-
tants d'Achanti dans l'idée qu'ils étaient venus dans leui- pays
comme espions.
Du reste, les alarmes et la jalousie que ces voyageurs inspi-
raient, dictaient celte conduite aux Achantis, et ce n'est
qu'après un long commerce avec les Européens que leur
confiance revint.
jMais toujours l'incapacité des nègres plutôt que leur mau-
vaise volonté, empêcha d'obtenir des informations complètes
et les renseignements font presqueabsolument défaut jusqu'au
XYi[[rae siècle. Ce n'est qu'à l'année 1700 qu'on peut réelle-
ment faire commencer la période connue.
A celte époque la capitale de l'Achanti était Béka ou Bek-
wae, ville située à 60 milles sud de Coumassie, mais le
monanjue régnant à celte époque, Osai Tutu transféra à
Coumassie la capitale de son royaume.
Je vous tracerai à grands li-aits Thistoire de ce souverain,
car c'est sous son règne que le royaume achanli se forma, si
je puis m'exprimer ainsi.
54 lU'LLETIN.
Dès son arrivée ;iii Irùne, Osai Tiilii coiniuit ou rendit lii-
Itutaires les pays (rAJviin-Assiii-Qualioii, Akeya, et étendit ses
conquêtes jusqu'au delà du Meuve Tando, puis tournant ses
armes victorieuses contre le royaume de Gaman, s'empara
de Buntuku et rendit également ce pays tributaire de son
royaume. Il conquit ensuite Banna et une partie des monta-
gnes de Kong, puis bientôt après Tuffel, Wassaw et Fanti
furent ses vassaux. Denkera seul restait indépendant et son
jeune roi Bosiante était considéré comme l'égal du puissant
Osai Tutu.
Mais, c'est ici le cas de dire avec le i)on La Fontaine :
Deux coqs vivaient en paix, une poule survint
Et voilà la guerre allumée.
Suivant une vieille coutume^ le roi de Denkera envoya en
1719 une ambassade à la cour de Coumassie; elle se compo-
sait des plus belles femmes de son barem, car, dans ces pays,
le beau sexe est souvent employé dans les relations diploma-
tiques. L'ambassade fut accueillie avec la plus grande cour-
toisie par Osai ïulu qui, ne voulant pas être en retard de
politesse, s'empressa d'envoyer à Denkera une ambassade
également féminine.
Parmi ces noires beautés se trouvait une jeune parente du
roi, dont Bosiante fut bientôt amoureux et qui rentra à Cou-
massie avec des preuves apparentes de ses relations avec le
jeune roi.
Osai Tutu jura de laver son désbonneur dans le sang, et la
gueri'e fut déclarée. Elle dura deux ans. En 1720. au plus
fort des hostilités, Bosiante mourut. Son successeur, Intun
Daban, fit alliance avec les Hollandais ([ui lui fournirent des
armes et des munitions, et il persuada Akim qui jusqu'alors
avait été jaloux de la prospérité de Denkera de se joindre à
lui contre l'ennemi commun.
Osai Tutu battit les alliés dans deux grandes batailles où
Denkera perdit 100,000 hommes et Akim 30,000. On ouvrit
alors la tombe du coupable Bosiante, on exbuma son cadavre
pour le donner en pâture aux serpents fétiches et aujourd'liui
encore, le tamboui" de guerre du roi des Acbanlis porte sus-
pendus comme trophées le ciàne et le fémur du roi trop
amoureux.
PROCÈS- VERBAUX. 55
Vers Tannée 1730, à son retour d'une expédition contre
les gens d'Akim, Osai Tutu tomba dans une embuscade tan-
dis qu'il passait le Prali, en rentrant dans sa capitale. L'endroit
où il mourut a nom Gormantee. Il laissait un empire qui
s'étendait depuis Assinie jusqu'au Volta. et des montagnes de
Kong jusqu'au rivage de la mer. Son successeur vengea bra-
vement sa mort et la mémoire d'Osai Tutu se conserve dans
le serment le plus terrible de l'Achanti : « Memenda Gor-
mantee! ■> (Par Samedi et Gormantee!)
Nous voyons alors venir quelques rois qui complètent
et consolident les conquêtes de leur prédécesseur Osai Tutu,
mais dont l'bistoire reste sans faits saillants.
A l'arrivée au trône d'Osai Tutu Quaminah en 1799 com-
mencent les relations politiques entre l'Acbanti et l'Angle-
terre et cà partir du XIX"^ siècle, ces relations deviennent
trop étroites pour qu'on puisse les séparer. Il ne m'est plus
possible de vous en faire l'historique, et si j'ai attiré quelques
moments votre attention sur ce dernier sujet, c'est surtout
pour vous montrer que, quoique barbare, l'Achanti a son
histoire et sa politique.
Je me propose maintenant de vous dire quelques mots sur
les Achantis, les productions de leur pays et la langue qu'ils
parlent.
Les Achantis s'adonnent au commerce et le font avec intel-
ligence; ils sont petits, généralement maigres et osseux; fins,
actifs, sobres, guerriers, mais ignorants, ils sont très supei"-
stiiieux et on peut leur reprocher une assez grande malpro-
preté. Le roi et les grands chefs étalent dans les grandes
occasions un luxe à demi barbare, mais magnifique; on les
voit revêtus de vêtements de soie et portant au côté un glaive
à poignée d'or massif.
Leurs principales industries sont la fabrication d'objets en
or, en fer, la poterie et le tissage de la soie.
Leur position géogi-aphique qui les exclut des bords de
l'Océan ne leur permet pas d'écouler les produits de leurs
manufactures quand le territoire protégé par l'Angleterre
leur est fermé, mais ils négocient néanmoins avec les cara-
vanes qui se rendent à Tombouctou à travers le désert, et de
cette façon quelques-uns de leurs produits arrivent jusqu'aux
rivages lointains de la Méditerranée.
56 lU'LLlCTIN.
L;i nature s'est [ilii à enrichir le sol de rAclianti, non seu-
lement d'nne ni,tgni(i(iue végétation et d'une merveilleuse
fertilité, mais elle y a placé de nombreux et précieux miné-
raux. Les luisseaux et les rivières qui sillonnent cette vaste
contrée ne sont pas seulement la cause de ses richesses
végétales, ils sont encore appelés à faciliter toute espèce
d'industrie, l'industrie minière surtout, lorsque la civilisation
européenne se sei-a substituée à l'étal primitif où ce pays est
encoi-e plongé.
En outre de l'or et du fer que l'on trouve en abondance
sur toute l'étendue du tei-ritoire, l'Achanti contient un grand
nombre d'autres minéraux. Parmi les sources qui y abondent,
un grand nombre sont minérales, et mériteraient une étude
particulière. Les eaux qui entourent Coumassie, par exemple,
ont la singulière pi'opriélé de rendre noir comme de l'ébène
tout bois qu'on y fait séjourner quelque temps, surtout quand
il s'agit de bois tendre.
Voilà un sujet d'études qui amènerait certainement à d'in-
téressantes découvertes.
Tous ceux qui connaissent la richesse de ces contrées peu-
vent à bon droit s'étonner de voir la masse des émigrants
eui'opéens se presser pour aller chercher de Por en Amérique
et en Australie, tandis qu'aucun d'eux ne se dirige vers les
riches mines que renferme le pays qui en somme a mérité
le surnom de Côte d'Or.
La cause de cette désertion, m'a-t-on objecté, viendrait de
ce que Tor en arrive en poudre au lieu d'y venir en pépites
et en lingots.
Erreur capitale! Dans l'Aclianti on trouve Tor en pépites
et en lingots comme partout ailleurs.
Les forêts renferment en grande quantité des bois de tein-
ture, de construction et d'ébénisterie des plus belles essences
et des plus variées; parmi les plus importantes, je pourrais
vous citer le cèdre, l'ébène, l'acajou, l'odum, le teck, le cous-
siawa. Ce dernier est un bois de couleur jaune safran.
On y rencontre en outre un grand nombre de variétés de
bois produisant la gomme (gommes blancbes et gommes
jaunes magnifiques). La gomme copal s'y trouve ainsi que la
gulta-percha.
PROCÈS- VERBAUX. 57
Il me reste à vous parler d'un arbre assez comparable à
notre cbêne d'Europe, pour l'aspect du moins, car sa taille
reste toujours assez petite. C'est l'arbre qui donne ce curieux
produit: le beurre végétal ; ses fruits ressemblent assez à de
petits marrons dépouillés de leur coque épineuse et sont for-
més comme eux d'une amande et de leur enveloppe. Les
indigènes les récoltent, puis ils broient toutes les amandes de
façon à former une sorte de pâte qui est ensuite jetée dans
une marmite pleine d'eau; le beurre vient nager à la surface;
on le recueille alors et, le laissant refroidir^ on le dispose en
pains qu'on entoure de feuilles mainteimes à l'aide de liens
quelconques. Ce beurre se conserve indéfiniment et ne s'al-
tère ni au contact de l'air ni à celui de l'bumidité. C'est une
production précieuse qui ne réclame pas de grands frais de
préparation, une simple marmite suffit.
Je n'ai nullement l'intention de proclamer la supériorité
du beurre végétal sur les beurres de la Suisse ou ceux de la
Normandie, mais dans un pays comme l'Acbanti, où nous
vivons assurément beaucoup plus de privations que de tout
autre chose, je dois dire qu'il est souvent très agréable d'avoir
ce produit pouraccommoder les mets exotiques qui font la base
de la nourriture, tels que les patates, l'igname, etc., etc.
Le gibier de toute sorte abonde partout et le naturaliste
engagé dans ce pays ne trouverait pas seulement sa satisfac-
tion dans la poursuite des mammifères, il y rencontreiait
aussi les plus belles espèces d'oiseaux aux couleurs les plus
riches et les plus variées. Je ne parle pas des reptiles, qui
sont représentés par une variété plus nombreuse qu'agréable.
L'Acbanti possède un petit lac de 25 à 28 milles de circon-
férence, qui a nom Bossomtc/iué. Il est situé à environ 50 kilo-
mètres au sud de Coumassie et est un des plus grands fétiches
du pays. On en retire une grande quantité de poissons (jui
sont fumés sur ses bords, enveloppés dans des feuilles sèches
de plantain, puis expédiés dans toutes les parties de l'Acbanti.
C'est donc l'objet d'un grand commerce, même avec certaines
provinces du Dahomey voisines de TAchanti.
Je dois aussi vous parler de deux sources d'immenses
richesses pour l'Acbanti : la noix de Calla et le plantanier.
La noix de Calla (en achanli Bessé), est un fruit rouge qui,
58 BULLETIN.
ainsi ([uc le fruil de l'arhre à beurre, ressemble à une cbà-
laigne. On le recueille par huit ou dix dans une capsule de la
grosseur d'un concombre, sur un arbre que l'on trouve en
grande quantité dans les endroits bien arrosés ou maréca-
geux.
Les Achantis font un immense commerce de ce fruit avec
l'intérieur. Après l'avoir cueilli et séparé de ses enveloppes,
on remballe dans de larges feuilles qui le conservent aussi
frais que possible et on l'expédie à Salaga, où il est acheté
par les caravanes qui se dirigent de là sur tous les points de
l'Afrique.
Le Bessé a la propriété, comme le Coca du Pérou, de don-
ner des forces à ceux qui le mâchent et de leur permettre de
faire de longues routes et de supporter de grandes fatigues
sans boire ni manger.
Le plantanier qui ne demande, comme l'arbre à noix de
Calla, aucune cultui'e, fournit en tout temps aux Achantis
une nourriture saine, abondante et délicieuse. Son fruil res-
semble à une grosse banane et on le mange soit bouilli, soit
rôti. Les feuilles de l'arbuste ont la singulière propriété de
mettre absolument à l'abri des rats tout objet ou toute pro-
vision dont on les entoure; de la pelure brûlée du fruit, on
recueille une sorte de potasse dont les indigènes font un savon
assez estimé.
Je ne veux pas entier dans le long détail de toutes les pro-
ductions du pays, mais je dois vous faire une courte descrip-
tion des produits principaux qui se trouvent sur tous les
marchés de l'intérieur.
Les objets en vente sont du bœuf et du mouton coupés
par petites tranches pour faire la soupe, du sanglier, du daim,
des poulets, de la chair de singe, de l'igname, des bananes,
des cannes à sucre, du riz ; de Vencrouma, plante potagère,
mucilagineuse, semblable à l'asperge; du poivre, du beurre
végétal, des oranges, des ananas, mangots, goyaves, papayes,
i\e> citrons, etc., etc. Enfin du poisson sec et du poisson salé,
de gros escargots sèches à la fumée et collés symétriquement
sur de petits bâtons, du vin de palmier, des pipes, des san-
dales, des calebasses, puis quelques menus objets de prove-
nance européenne.
PROCÈS-VERBAUX. 59
Les Achanlis ne font cPautre culture que celle des ignames.
Ils les plantent invariablement fin décembre et les recueillent
les premiers jours de septembre : c'est la seule culture faite
avec régularilé et symétrie; tout autour de la plantation règne
une large allée, et dans une cabane demeure un esclave avec
sa famille, pour empêcber toute déprédation.
Tous les fruits qui se vendent au marcbé sont naturels au
pays et croissent en abondance. Les oranges sont fort grosses
et d'un goût absolument exquis. L'ananas et mille autres
fruits délicieux se donnent à des prix qui feraient rêver tou-
les les ménagères qui se complaisent à la fabrication des
confitures.
Je n'ai jamais vu de cocos dans les marchés de l'intérieur;
sur la côte ils sont estimés.
Vous menlionnerai-je les différents dialectes parlés, soit
dans l'Achanti, soit sur la Côte d'Or? Ce serait une étude
trop longue et je me bornerai à vous dire quelques mots de
la langue mère, c'est-à-dire du Tchij parlé communément
dans les pays de la Côte d'Or, entre les rivières Assinie et
Tanno à l'ouest et le Volta à l'est, et depuis le rivage de la
mer jusqu'au cours supérieur du Voila vers les montagnes
de Kong au nord.
Les dialectes du langage ne présentent pas une grande
différence entre eux et peuvent être ainsi énumérés :
1° VAkân, le plus pur des différents dialectes.
2° Le Brôn ou Kâmanâ, parlé au nord et à l'est; et
3° Le Fanii, qui se parle dans les différentes tribus du lit-
toral.
Les Achantis font beaucoup de gestes en parlant. Leurs
indexions de voix font de leurs discours une sorte de récita-
tif. En prononçant le même mot, ils varient fort souvent de
ton, parce qu'ayant plusieurs significations, ils le prononcent
suivant le sens qu'ils veulent lui donner.
L'art oratoire est plus cultivé dans l'Achanti que dans les
contrées qui l'avoisinent, aussi la langue de ce pays peut-elle
être considérée co[nme le dialecte allique l'était en Grèce.
L'oreille est frappée de son euphonie, comparativement aux
antres idiomes, ce qui doit être attribué au fiéquent emploi
des voyelles et à la rareté des aspirations.
00 BULLETIN.
On ne trouve diiis la lini^iK' Tclii que peu de con.joncliniis,
encore moins d'adverbes el les prépositions manciuenf ; elles
sont remplacées par des noms ou des verbes. Pour dii-e par
exemple : « Il a coupé une brancbe avec une bâche » les
Acbantis diront : « Odé adnre twa dubâ, » ce qui, traduit mot
à mot, signifie : « Il tient une liaclie, coupe la branche. »
Je pourrais vous citer bien d'autres exemples, mais ne
voidant pas abuser de votre attention, je me hâterai de citer
quelques proverbes locaux parmi ceux très nombreux qui
sont fort en usage dans l'Achanti; il en est qui ont absolu-
ment le même sens que nos proverbes, ainsi :
Le paresseux dit: demain je ferai cela. « Onihafo se : oky-
éna meye. »
Un mot est comme un oiseau, il s'envole. « As'emtè se
anoma enkyé-lù. »
Un homme a deux oreilles, mais il n'entend qu'un mot.
« Asô si abien' na enté nsém abien. »
Et tant d'autres:
Un enfant brise un escargot, mais ne brise pas une tortue.
Celui qu'un serpent a mordu a peur d'un ver.
Etc., etc.
De même que les langues de l'Amérique, la langue Tchi
abonde en figures hyperboliques et pittoresques. Un roi de
l'intérieur, dans les Étals duquel les Achantis menaçaient
depuis longtemps de faire invasion, envoya à Coumassie
quarante vases d'huile de palmier en leur faisant dire qu'il
craignait qu'ils n'en trouvassent pas le chemin et qu'il leur
envoyait de l'huile pour les éclairer.
Sur divers points de la côte, notamment à Accra, au lieu
de vous souhaiter une bonne nuit, on vous dit : « Que le
soleil te trouve bien après ton repos.»
La poésie des indigènes consiste en chants très courts,
différant suivant l'impression qui les leur dicte. Tous ces
chants sont, ou furent, dans l'origine des improvisations ; ce
qu'ils veulent dii-e est plutôt indiqué qu'exprimé.
Je puis vous en citer un entre autres qui avertit les filles
qui vont se marier loin de leur pays de ne pas oublier leur
famille :
Adwô'è! Woko aware anima n'tem! ô!
Wo abusùa awie sa ô ! Adwô'è !
PROCÈS-VERBAUX. 61
Ce qui veut dire : 0 Adyowa ! Tu es partie pour te marier
et lu n'es pas revenue de longtemps; la famille a disparu par
la mort! 0 Adyowa!
Le chant n'est en somme qu'une espèce de récitatif.
C'est la seule partie de la musique à laquelle les femmes
prennent part.
Elles forment les chœurs et aux funérailles d'une femme
elles entonnent elles-mêmes le ciiant funèbie.
Je vous citerai une autre chanson achantie assez longue et
remarquable.
Les hommes sont assis d'un côté sur une rangée avec leurs
instruments de musique ; les femmes sont placées en face, et
un homme et une femme chantent alternativement :
Une fkmme.
Mon mari m'aime trop, il est bon pour moi ; mais je ne
puis l'aimer. Il faut que j'écoute mon amant.
Un homme.
Ma femme ne me plaît point; je suis las d'elle; j'en choisi-
rai une autre qui est fort jolie.
La femme.
Mon amant me tente par de douces paroles; mais mon
mari me traite toujours bien : ainsi donc je dois l'aimer et lui
rester fidèle.
L'homme.
Jeune fille, vous êtes plus johe que ma femme; mais je
ne puis vous donner ce nom : une femme ne veut plaire qu'à
son mari ; quand je vous quitte, vous cherchez à plaire à
d'autres.
Il est impossible de lire cette chanson sans se souvenir de
la charmante ode d'Horace : Donec gratus eram tibi (livre 3,
ode ix).
La musique sauvage de ces peuples ne peut se juger
d'après les règles ordinaires de l'harmonie ; cependant leurs
airs sont doux et animés. Leurs instruments, pris séparément,
ne rendent pas des sons très mélodieux, mais plusieurs, com-
binés ensemble, produisent quelquefois un elTet surprenant.
Leui- flûte est faite avec un long roseau creux, percé en trois
endroits. Les tons en sont toujours bas, mais quand plusieurs
62
BULLETIN.
musiciens jouent en môme temps, ils savent en graduer les
sons d'une manière agréable. Inutile de dire que la plupart
(lu temps c'est le hasard seul qui préside à l'accord.
Essayer (le convainci'e un noirfjii'il ne joue pas un tel jour
le même air qu'il a joué la veille est peine perdue, et il répon-
dra invariablement: «Je touche la même corde, je dois pro-
duire le même son. »
Le sanko est leur instrument favori; le corps en est étroil.
il est en bois creux^ couvert par-dessus d'une peau d'alligator.
Un chevalet s'élève cà l'un des bouts et il en par-t huit cordes,
faites des jets d'un arbre nommé enta, qui vont joindre un
long manche garni d'entailles profondes dans lesquelles ils
les font entrer pour en baisser ou en hausser le ton, suivant
l'occasion.
La corne est celui de leurs instruments qui produit les sons
les plus forts. Il est en général fort grand et fait d'une défense
d'éléphant; les cors de chaque chef ont un air parliculier et
que tous les soldats reconnaissent de très loin.
V oumpoukoua est un instrument sur lequel on frappe for-
tement avec le pouce et qui leur l'emplace le tambour de
basque.
Leurs auti'es instruments de musique méritent à peine ce
nom. Ce sont des tambours, des gonggongs, des castagnettes
et même de vieilles casseroles.
Les gonggongs sont en fer creux, on les frappe avec des
baguettes de même métal ; les castagnettes sont également
en fer.
Je prononçais il y a quelques instants, en vous citant une
chanson, un nom de jeune fdle, « Adyowa, » et il me paraît
bon de vous dire quel est le système en usage pour nommer
les enfants. Il est très simple, car en règle générale, il se
l'appoi'le au nom du jour où l'enfant est né.
Masculin Féminin
Kwasi
Akosua
Kwàsi(ia
Dimanche.
Kwadwo
Adwowa
Dsvoda
Lundi.
Kwabena
A béna
Bênàda
Mardi.
Kwàlfii
Aloia
Wùkùda
Mercredi.
Yaw
Yà
Yaw'da
Jeudi.
Kofi
Aùia
Fida
Vendredi.
Kwamé
Am'ma
Memmemda
Samedi.
PROCES-VERBAUX.
63
Viennent
ensuite les noms
donnés suivant le nombre
d'enfants.
Masculin. Fémiain.
Mensà
Mânsà
le S"» enfant.
Anam
Mânan
le 4"« <
Ason
Ason
le 7™« «
Botwè
Boswè
le 8-= «
Akron
Nkrômma
le e™" «
Bâdù
Baduwa
le 10™° «
Ata
Atawa
jumeaux.
Tawia
Tawiâ
né après deux jumeaux.
Vous voyez que la méthode est simple et n'a pas demandé
beaucoup de frais d'imagination à ses auteurs ; je la recom-
mande aux parrains qui, désireux d'abdiquer leurs fonctions,
chercheraient un nouveau système de patronimie.
Les anciens Égyptiens, Babyloniens, Indiens, donnaient
aux sept jours de la semaine le nom d'un dieu ; les Achantis
leur ont donné le nom d'un génie ou d'un fétiche, ce qui
revient absolument au même. Les plus honorés étaient
Ayisi, Adwô, Bènà, Wukù, Yaw', Afi, Amén, ils ont été choisis.
Vous dire les noms de tous leurs dieux, fétiches, amulettes,
talismans, serait vous faire une longue énumération de mots
plus ou moins barbares, car j'en connais pour ma part plus
de deux ou trois cents,
La plupart des fétiches sont conservés dans les maisons
pour la guérison des maladies, l'éloignement des serpents et
surtout la crainte du poison; pour cette dernière cause, je
pourrais vous citer au moins quinze ou vingt fétiches qui
sont l'objet d'une vénération égale à la peur qu'ils ont d'être
empoisonnés.
Je dois dire comment les Achantis expliquent l'origine du
monde et reconnaissent qu'ils sont inférieurs aux Européens.
Au commencement du monde, Dieu créa trois hommes blancs,
trois hommes noirs et autant de femmes. Pour qu'ils ne pus-
sent se plaindre dans la suite, il leur donna le choix du bien
et du mal et mit sur la terre une grande calebasse et un
morceau de papier cacheté d'un C(Mé. Dieu dit aux noirs de
choisir les premiers. Ils prirent la calebasse, croyant qu'elle
contenait toutes choses; mais en l'ouvrant ils n'y virent qu'un
64 BULLETIN.
iiiucceau d'or, un morceau de fer et plusieurs autres métaux
dont ils ne connaissaient pas l'usage. Les blancs ouvrirent le
papier cpii leur appi'it toutes choses au monde. Dieu laissa
les noirs dans les t)ois, mais conduisit les blancs sur le bord
de la mer (car ceci se passait en Afrique) et leur apprit à
construire un petit vaisseau qui les transporta dans un autre
pays, d'où ils revinrent longtemps après avec dilTérentes
maicbandises pour trafiquer avec les noirs, qui auraient pu
être le peuple supérieur si au lieu de choisir la calebasse ils
eussent pris le papier.
Avant de terminer ce court exposé, je dois vous parler un
peu du gouvernement despotique auquel l'Achanti est soumis
et d'où provient le sacrifice d'un grand nombre d'hommes à
des moments déterminés.
Un voyageur pris d'affection et de bonne tendresse, enfin
pris d'une belle amitié pour un monarque noir, me disait :
« Mais les exécutions ne s'appliquent qu'à des gens bien et
dûment condamnés à moi't. »
Il n'en est malheureusement rien et la cruauté froide qu'on
reproche au peuple achanti comme aux habitants du Daho-
mey est parfaitement vraie.
Mon contradicteur ne savait probablement pas pour quels
motifs futiles on coupe la tête à un homme. Je vais vous en
donner un exemple :
Pour avoir laissé tomber une goutte d'huile dans la rue, la
tête doit tomber à la même place; de même si on brise un
œuf.
On ne doit fumer avec aucune pipe européenne dans la
rue et on ne doit en porter aucune dans un paquet.
On doit se sauver et se cacher à tous les veux lorsque les
femmes du roi allant à la promenade, les eunuques font
entendre le cri de Fué, annonçant leur approche.
Il est défendu de siffler avec la bouche.
On ne doit porter aucune charge enveloppée dans des
branches vertes de palmier, etc., etc.
Bref, une quantité de lois semblables sont édictées et leur
transgression est punie de mort.
Autre exemple :
Comme dans tous les pays, il arrive dans l'Achanti que la
PROCÈS- VERBAUX. 65
justice est embarrassée et ne peut se prononcer, faute de
preuves. On a recours alors aux sortilèges et l'accusé est
invité à. jurer par le grand serment qu'il est innocent; l'accu-
sateur remplit les formalités contraires.
Ils doivent alors le prouver par VOduni. Pour cela on prend
un morceau de l'écorce de l'arbre ainsi appelé et on le pré-
sente à l'accusé qui le màcbe pendant un certain temps, puis
on lui donne une grande quantité d'eau à boire. S'il ne
rejette pas cette eau il est déclaré innocent.
L'accusateur est aussitôt reconnu pour un imposteur, un
calomniateur, et aussitôt mis aux fers, il ne tarde pas à être
décapité. Et comment ces exécutions se font-elles? Quelques
exécuteurs sont très adroits et la tête tombe souvent au pre-
mier coup de couteau, mais aussi l'exécution est souvent
codfiée à de jeunes bourreaux qui, armés de couteaux ordi-
naires, charcutent le cou de la victime et mettent plusieurs
minutes à cette lugubre opération.
Je ne vous parlerai pas des condamnés à mort pour meur-
tre; ils sont torturés pendant une journée entière avant d'être
décapités. Leur supplice dépasse en atrocité tout ce que l'on
peut imaginer.
Viennent alors les sacrifices faits à l'occasion des grandes
fêtes ou Coutumes et pendant lesquelles on immole un nom-
bre plus ou moins grand de victimes humaines. Elles sont
choisies parmi les prisonniers de guerre, mais à leur défaut
les premiers venus sont bons.
A ce propos, je dois vous citer les paroles du roi Osai Tutu
Quannuhah à M. Dupuis, envoyé anglais à Coumassie, qui lui
faisait des remontrances pour avoir, de sang-froid, fait mettre
à movl 10,000 prisonniers. Le monarque africain lui répondit:
« J'ai combattu avec Denkera, j'ai pris son or et j'ai amené
plus de 20,000 esclaves à Coumassie. Qudlques-uns ne valaient
rien, j'ai lavé mon trône dans leur sang; quelques-uns étaient
forts, je les ai vendus ou donnés à mes capitaines. Que pou-
vais-je faire? Si je ne les tue pas, ils deviendront puissants
dans mon royaume et tueront mon peuple. «
Vous voyez par là à quoi tient la vie d'un homme! Espé-
rons (|ue ces exécutions deviendront de plus en plus rares à
mesure que les mœurs s'adouciront et que tous, missionnaires
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 5
66 BULLETIN.
religieux, scienlifKiues ou autres, nous aucons pu répandre
les semences de la civilisation dans ce sol si souvent arrosé
de sang humain.
Vous aurez pu vous étonner, Messieurs, que jusqu'ici je ne
vous aie parlé d'aucune des aventures qui généralement vien-
nent placer une note gaie, mais triste quelquefois, dans la vie de
l'explorateur et dans le récit de ses voyages, mais je suis peu
partisan de ces narrations. En effet, la vie en Afrique comme
je dirai partout ailleurs, otïre ce que les uns appellent des
difficultés et que d'autres appellent dangers; j'estime à l)on
droit, je le crois, que ces difficultés ou ces dangers existent
partout ou nulle part, et pour me servir de l'expression de
M. Cil. Wiener, notre explorateur de l'Amérique équatoriale:
on meurt ou l'on ne meurt pas, voiLà tout!
Eh bien! partant de ce principe et me laissant guider par
lui, j'ai simplement fait mon possible pour ne pas me laisser
arrêter par les difficultés qui pouvaient s'élever sur ma route
el, avec un peu d'énergie, ce résultat est facile à obtenir.
Mon but, vous le connaissez, il est, tout en faisant de l'ex-
ploration proprement dite, de faire du commerce avec les
indigènes, car j'ai toujours cru el je croirai toujours que le
commerce est le plus grand agent de civilisation.
Permettez-moi, Messieurs, devons remercier de la bienveil-
lante attention que vous m'avez accordée et, en terminant,
laissez-moi vous rappeler, sans tristesse, le souvenir de tous
ceux qui ont été mes prédécesseurs sur la Côte de Guinée, les
Bonnat, les Muzy, les Brun et en dernier lieu un de vos com-
patriotes, Ch.-A. Veuve, mon compagnon de voyage.
Le président remercie M. Prost de sa communication.
M. de Seyff demande si les soldats achanlis de l'armée des
Indes hollandaises, dont plusieurs ont servi avec distinction,
ne pourraient pas être employés à l'exploration de l'intérieur.
Aux Indes ils étaient très disciplinés, fournissaient des senti-
nelles précieuses; ceux qui y sont reslés ont épousé des fem-
mes malaies; leurs descendants placés dans des écoles de
bataillon ont donné de bons sous-officiers. En général ils
s'acclimataient facilement, même dans les endroits les moins
salubres.
PROCÈS-VERBAUX. fil
M. Prosl connaît très hien ces solrhits arlianlis liollindai-,
retraités à Elmina, où ils habiteiit uu (iiiai'tier spécial, le quar-
tier (lit de Java. Ils y forment une véritable aggloméi'ation,
ayant son chef, qui prévient le consul de tout ce qui parait
louche, l'informe des décès, des disputes, des vols, etc., bref,
celte petite cité consei-ve une certaine disciphne militaire. En
l'absence du consul, M. Pi-ost a été chargé de leur payer leur
pension. Plusieurs d'entre eux poun-aient être avantageuse-
ment employés pour explorer l'intérieur.
M. Hornung demande si les Anglais n'oni pas pu obtenir la
suppression de la grande Coutume, et quelle est la condition
civile des femmes?
M. Prosl répond que, loi's de la conclusion du traité de
Fomanah, du 13 février 1874, il fut question de la suppres-
sion des sacrifices humains, dans les limites du possible, mais
l'interprète employé dans les négociations — plus tard inter-
prète de M. Prost, — leçut 100 livres sterling pour ne pas
lire devant le roi l'article où il était (juestion de cette sup-
pression, et les cruautés ont continué. — Quant à la condi-
tion des femmes, les Achantis en emploient pour les mis-
sions délicates, parce qu'ils les considèrent comme plus
rusées que les hommes. Jusqu'à l'âge de huit ans les enfants
restent auprès de leur mère, (]ui les soigne très tendrement.
Sur la demande de M. Moynier, M. Prost présente quel-
ques spécimens, bagues, boutons de chemises, fabriqués à la
Côte d'Or et chez les Achantis, et entre dans quelques détails
sur les procédés de fabrication de cette branche de l'indus-
trie achantie.
M. Aloïs Humbert s'informe de la manièi-e de voyager et
de la position des Européens dans l'Achanti.
M. Prost répond (]ue l'on voyage en hamac, porté par qua-
tre hommes qui peuvent faire 70 kilomètres, sans fatigue. Le
climat est malsain à la côte, mais on pourrait établir un sani-
tarium du côté du Volta, navigable en bateau à hélicejusqu'à
Aguana ; au delà on le remonte avec des pirogues. Le Pr-ah
est difficile à remonter, d'ailleurs ce fleuve est fétiche et rem-
pli d'alligators. M. Prost donne encore quelques renseigne-
ments sur l'exploitation des mines, rendue difficile par les obs-
tacles que rencontre le transport des machines, de la côte à
G8 lU'LLKTIN.
riiitôricur. Le clieiniti de fer projeté le long de la rivière
Aiii (tliia la facilitera beaucoup.
M. le président remercie encore M. Prost de Tohlii^eance
avec laquelle il a répondu aux questions (jui lui ont été posées,
jiuis il lève la séance.
SÉANCE DU 11 JANVIER 1884.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
Le président rapporte que le bureau s'est occupé de la
question du recrutement de la Société, et propose à cet effet:
« que la cotisation des membres soit réduite à 10 fr. pour les
hommes voués à l'enseignement primaire et secondaire, et
pour les jeunes gens au-dessous de 2o ans; les dames qui
souscriront pour 10 fr. pourront recevoir des livres de la bi-
bliothèque ». Adopté. — M. Rocbette, trésorier, communique
que, pour diverses raisons, le rapport financier a dû être
ajourné, et demande que la (jueslion des comptes soit ren-
voyée à une commission, pour laquelle il propose MM, Massip
et Adolphe de Morsier. Adopté. — M. Massip est nommé véri-
ficateur des comptes pour cette année.
On procède aux élections et le bureau est constitué comme
.su il :
MM. H. Bouthillier de Beaumoni, Président.
D'" Dufresne et Marc Micbeli, Vice-Présidents.
Adolpbe de IVlorsier, Secrétaire général.
Raoul Gautier, Vice-secrétaire.
G. Rochette, Trésorier.
G. Moynier, Conservateur de la Bibliothèque.
CI). Faure, Secrétaire-bibliothécaire.
Les commissions restent les mêmes.
Le président rend compte des travaux géographiques de
l'année. Il signale la satisfaction des Sociétés de Berne et de
Sainl-Gall, en apprenant de lui, que celle de Genève a institué
une section de géograpliie commerciale, et attire sur cette
PROCÈS-VERBAUX. 69
section, pour lui rendre vie, l'altention des memltres df In
Société qui ne s'y sont pas rattachés.
M. (le Beaumont relève ensuite l'importance de l'expédition
de Nordenskiold pour l'ésoudre la question du climat de l'inté-
rieur du Groenland. L'explorateur suédois pensait que les
glaces ne recouvrent pas toute la surface de celte grande terre;
des obstacles ne lui ont pas permis d'accomplir la mission dont
il avait été chai-gé pours'assurer de la réalilé des faits. L'hvpo-
llièse des naturalistes liasée surtout sur les migrations d'oi-
seaux et d'animaux à l'intérieur subsiste donc, appelant une
nouvelle expédition.
Le président rappelle la déception de la Société privée de
la communication de M. Demafley sur son voyage au Niger,
et recommande auxgéologuesde la Société un cei'tain nombre
de spécimens de roches du Sénégal moyen et de la Palé:)ié,
donnés par M. Demaffey à son départ de Genève. Il relève
les communications de M. F. de Morsier sur les voyages de
Prjevalski au Thibet, de M.Bertrand sur le Cachemii'e, et de
M. Prosl sur l'Achanti ; il s'arrête à celle de M. de SeytT, du
26 octobre, sur la catastrophe du détroit de la Sonde, sur l'ex-
posé historique et géologique de M. de SeyCf, sur la description
du phénomène du 26 août, et sur l'explication que le conféreu-
cier en a donnée ^ M. de Beaumont diffère d'avis d'avec M.
de Seyff en ce sens que tandis que ce dernier explique le raz
de marée de la côte occidentale du Pacifique et surtout celui
de l'Atlantique, par un ébranlement de la masse terrestre,
transmis à travers notre globe tout entier, M. de Beaumont
pense que, à l'est de Krakatao, après les l)as-fonds de l'ar-
chipel sur le bord desquels le raz de marée s'est fait sentir,
la secousse est descendue dans les profondeurs de la mer, et
.s'est transmise ainsi à travers l'Océan Pacifique sur la côle
ouest de l'Amérique du Suri.
M. Dufresne lemercie le Président de son compte remhi.
en particulier de l'attention qu'il a vouée à la question du
Groenland, à l'ordre du jour depuis les observations récentes
des naturalistes américains sur le Gulfstream. Il rappelle le
changement de climat du Groenland et de l'Islande, l'émigia-
' Voir page o et suivantes.
70 BULLETIN.
tion (les Islandais au Bré-^il d'altonl, puis au Mamioba. Il allii-o
ensuite rallenlion tle la Société sur les opinions nouvelles
relatives à la forme de la terre, dont un des pôles serait plus
aplati que l'autre, ce qui ouvre des horizons nouveaux pour
les éludes de la flore et de la faune des régions polaires. Les
découvertes géologiques ont permis de constater que, tandis
que le singe ne vit que dans des régions chaudes, l'homme
vit sous tous les climats, et a même vécu à l'époque gla-
ciaire La théorie de Saporta infirme celle de Cari Vogt sur
la parenté du singe et de l'homme.
M. Humbert demande en quoi les observations récentes
faites sur le Gulfstream modifient les résultats fournis par
Maury, sur lesquels reposent encore les travaux de nos com-
palrioles, Pourtalès et Alexandre Agassiz, et ceux du Coast
Survey. Il ne pense pas que la théorie de Saporta, qui place
le lieu d'origine de l'homme au pôle, ait beaucoup de succès.
Quant à l'habitat du singe, l'acclimatation en Sibérie du tigre
que l'on croyait ne pouvoii- vivre que dans les pays chauds,
montre que l'on ne peut pas affirmei- d'une manière absolue
que les quadrumanes ne peuvent vivre que dans les régions
chaudes. Le question de l'origine de l'homme est encore
entourée de trop d'obscurité pour que la science puisse se
prononcer entre les partisans de l'unité et ceux de la multi-
plicité des espèces. Les changements survenus dans la flore
et la faune des régions polaires, appartiennent à la géologie,
et non à la géographie qui doit s'occuper surtout delà surface
du globe terrestre. En terminant. M. Humbeit relève les ser-
vices rendus à la géologie et à l'élude des l'égions polaires
par Oswald Heer récemment décédé.
M. le professeur Thury rectifie Topinion qui attribue à Cari
Vogt l'idée de Torigine simienne de l'homme. D'après ce
naturaliste le singe et l'homme ont une origine commune,
mais le dernier ne dérive pas du singe.
M. de Beaumont croit devoir relever l'opinion émise par
AL Humbert et rattache intimement l'étude de la géographie à
celle de la géologie, qui lui est d'un grand secours pour l'in-
telligence des foi-mes de la surface tenestre, de la formation
des continents, de leur flore et de leui- faune actuelles.
M. Dufresne est du même avis, et d'après Oswald Heer, il
PROCÈS- VERBAUX. 71
fait rentrer l'Iiisloire de la migration des plantes dans l'étude
de la géographie.
M. de Seytî complète sa communication du 26 octobre par
les renseignements nouveaux reçus depuis qu'il en a fait
lecture. M. de Lesseps a rapporté à l'Académie des sciences,
que des ingénieurs ont i-essenti à Colon et à Suez un raz de
marée analogue à celui de Krakatao. Il rappelle que le raz de
marée du détroit de la Sonde n'ayant pas dépassé à l'est
l'archipel néei'landais, mais s'élant fait sentir à Colon, la
vague du Pacifique et à bien plus forte raison celle de l'At-
lantique, n'ont pu à son avis être causées que par l'ébranle-
ment vertical agissant au travers de la masse teiTestre. En
réponse à une demande de M. de Beaumont: comment il
explique le passage de la foi'ce par le centre de la terre, M.
de SeylT entre dans des détails sur l'action des forces hori-
zontale et verticale, d'où il déduit que celte dernière doit
avoir produit une vibration qui a ébianlé la masse liquide
des antipodes de Java, et causé aussi la vague du Pacifique.
Il ajoute que deux grandes baies ont été remplies de pierres
ponces au point qu'un navire de secours a été pris comme
dans des glaces. Il attire encore l'attention de la Société sur
la carte publiée dans le dernier numéro des Verhandlungen
de Berlin, meilleure que celles qui ont paru précédemment.
D'après cette carte, k l'endroit où était naguère le cratère de
Krakatao, existe aujourd'hui une profondeur insondable et
les îles nouvelles ont une forme analogue à celle de Banda
dans l'archipel des Molluques.
M. Thury explique (jue les raz de marée peuvent être dus
à des causes très diverses: à un déplacement d'eau, aune
pression barométrique, à un ébranlement de l'écorce terres-
tre. Il faut distinguer la force de pression d'avec les forces
dynamiques. Les raz de marée du Pacifique et de fAtlnn-
lique peuvent avoir été causés par une vibration de Técorce
terrestre.
M. de Seyff admet que cette vibration s'est produite à tra-
vers la terre.
M. de Beaumont ne saurait admettre une secousse donnée
sur un point de la terre se répercutant seulement aux anti-
podes contre le sol du fond de la mei" et ne produisant pas
72 lU'LI.ETIN.
un effet circulaire sur l'Océan comme effet liydcodyna-
mique.
La séance est levée.
SEANCE DU 2o JANVIER 1884.
Présidence de M. H. Bouthiluer de Beaumont.
Le procès- verbal de la précédente séance est lu et adopté.
Le président présente comme membre effectif M. Henri
Vaucher qui est admis à l'unanimité. Il rappelle la souscrip-
tion ouverte pour acquérir certains ouvrages, cartes,
plans, etc., de feu M. Albert Petitpierre. Puis il dépose sur la
table une carte du Congo jusqu'à l'Equateur, dressée à la
boussole par les agents de l'Association inlernat^onale du
Congo, et qu'il a reçue de Bruxelles, ainsi qu'une lettre de
M. Strauch, secrétaire général de l'Association, il rapporte
encore avoir reçu de M, F. Berton, de San-Francisco, une
coupure de journal relative à un tremblement de terre
accompagné d'un raz de marée dans l'Alaska. L'article étant
en anglais, M. Ad. de Morsiei-, secrétaire général, le traduii'a
pour la procliaine séance (voir p. 81).
M. Massip communique le l'ésultat auquel est arrivée la
Commission nommée dans la précédente séance poui- exami-
ner la question des finances. Elle a ti-ouvé les écriluies par-
faitement en règle. La balance au 31 décembre solde par un
déficit'de i24 francs 35 cent., mais comme plusieurs articles
concernant les années 1882 et 1884 ont dû être passés
en 1883, la Commission propose d'ajournei' le règlement au
30 septembre procliain, et d'arrêter dorénavent le bilan à
cette date. A ce moment toutes les cotisations de l'année
courante étant rentrées, et toutes les notes payées, il n'y
aura plus d'écritures clievaucbant d'une année sur l'autre, et
l'on pourra facilement établir une position claire et vraie, ce
qui n'est pas le cas au 31 décembre. Adopté, avec remercie-
ments à la Commission.
Avant la communication de M. Ad. Gautier, M. Faure
demande à ajouter quelques mots sur la carte déposée par
PROCÈS-VERBAUX. 73
M. le président, et dont l'envoi, après le long silence de
l'Association internationale africaine, lui paraît un signe de
vie d'un heureux augure. Alors même qu'elle n'est accompa-
gnée d'aucun rapport sur les travaux des agents de rAssf»cia-
tion, elle témoigne d'une activité considérable de leur part.
En effet, elle révèle la création d'une douzaine de stations au
moins, le long du Congo: la plus en amont, sous l'Équaleur,
deux nouvelles à Stanley-Pool, outi-e l'ancienne de Léopold-
ville, et, chose assez digne d'attention, deux en aval de Yivi,
naguère encore la première à partir de l'embouchure du
Congo; ces deux dernières sont situées juste vis-à-vis l'une
de l'autre, sur les deux rives du fleuve, comme pour en g;ir-
der l'entrée. Un nombre à peu près égal de stations ont été
fondées dans la vallée du Niari, découverte par S. de Brazza,
comme la voie la plus courte pour parvenir de l'Atlantiipie à
Stanley-Pool. Ici encore deux de ces stations sont établies à
l'embouchure de la rivière, d'autres le long de son cours infé-
rieur, en aval et en amont des chutes de Ngoton et de
Mayombé, puis sur le cours moyen Jusqu'au point où cesse la
navigation, le plus près possible de Stanley-Pool. Sur les deux
flancs de cette série de stations, dont les noms rappellent
ceux des membres de la maison royale de Belgique et celui
de Stanley, se trouve une ligne de postes, vraisemblablement
destinés à en assui-erla possession à l'Association. Quant aux
noms des explorateurs envoyés [)our reconnaître celte
région et pour y fonder les stations, à leurs découvertes et à
leurs travaux, jusqu'ici le pul»lic les ignore. Tout ce que l'on
sait, c'est que Vivi, Isanghila, Baynerville et Stanley-Pool
occupent sur la carte une position déterminée par des obser-
vations astronomiques; la situation des autres n'est que pro-
visoire, la détermination n'ayant pu en être faite qu'à la
boussole.
La parole est ensuite donnée à M. Adolphe Gautier, pour
une communication sur
U Exposition cartographique de Zurich.
Cette exposition, intéressante pour tous les géographes,
était remarquable par une granjile abondance de cartes;
74 BULLETIN.
M Gautier a pu s'en procurer un certain nombre qui ornent
la salle, et permettent (.le parcourir toule l'histoire de la car-
t(),u^ra[iliie suisse, depuis la carte la plus ancienne jusqu'aux
plus modernes, de Dufour et de Siegfried.
La science cartographique est relativement moderne; les
anciens, dans leur indiflérence pour celte élude, n'avanl guère
produit que des dessins assez infoi-mes, témoin la cai'le de
Peulinger ri95 à 211 ans ap. J.-C.j.
Le moyen âge ne fournit rien. Jusqu'à la Renaissance, où
la Suisse fut un des premiers pays à s'occuper de cartogra-
phie. On peut même dire que c'est un art suisse, et qu'il a
é'é cultivé dans notre pairie plus qu'ailleurs, ce qui s'expli-
(jue par le fait que notre pays est petit, montagneux, et que
l'homme est porté à dessiner ce qu'il a devant lui.
Conrad Tûrst, savant médecin zuricois, fut le premier à
dessiner une carte, dite le Tableau chorographique, destiné à
accompagner sa Descriptio de situ Confœderatorum, et que la
Société helvétique d'histoire va faire publier. Il est vrai de
dire que c'est encore l'enfance de l'art et que la carte n'est
pas complète.
La première carte complète de la Suisse fui celle que
dressa le savant chroniqueur glaronnais Egidius Tschudi
(I.iOo-lST^). et que publia en 1338, à l'insu de l'auteur,
Sébastien Munster. Aujourd'hui on n'en connaît pas un seul
exemplaire. Deux ans plus tard, une seconde édition, sembla-
ble à la première, sauf un cadre de plus, en fut faite, et iM.le
D"" Sieber, bibliothécaire de l'Université de Bàle, en a trouvé
un exemplaire, dit l'Unicum, dont il a bien voulu autorisei-
en 1882 la reproduction photographique réduite en quatre
feuilles, pai' M. Rod.WoltT.pour la session des Sociétés suisses
de géographie, à Genève, et en 1883, la reproduction de la
même grandeur que l'original, parle procédé phololithogra-
phique, pour l'Exposition nationale de Zurich. M. Gautier en
présente la feuille qui contient les cantons de Zurich el de
Thurgovie. il en fait ressortir la position exacte des lieux, la
forme défectueuse des lacs, l'exagération dans la largeur des
rivières, le de.ssin des montagnes qui rappelle les foui-mi-
lière^.
Après la carte de Tschudi, parurent les travaux de Sébas-
PROCÈS-VERBAUX. 75
lien Munster (1489-15S2), entre autres un allas complet, dont
les cartes rappellent le geni-e de Tschudi, mais les propor-
tions n'en sont pas exactes. En revanche, son plan de Bâle a
une échelle plus grande, et l'exactitude des dimensions
montre que les travaux pour le dresser ont été faits avec
intelligence.
Dans la carte de la Rhétie de Guler (1S62-I637), les mon-
tagnes et les lacs sont défectueux.
Dans l'ouvrage de Stumpf (1350-1566), les cartes ont
encore le nord en bas; la forme des lacs est très fantaisiste;
mais le grand nombre des cartes de détail et d'ensemble lui
donne du prix, et pour l'élude de l'histoire, sa division des
Gauen (Aargau, Zurichgau, Thurgau, etc.) et la délimitation
précise de leurs limites, lui assignent une certaine valeur.
Merian (1654), graveur de mérite, se distingua par ses
plans remarquables, dont la carte de Muos (1698) donna une
i-éduction. Sa carie indique un progrès dans le bassin des
montagnes et des lacs, plus exact que celui de ses prédéces-
seurs.
Léopold Cysat, secrétaire d'État de la république de
Lucerne, pril, pour sa carte, le milieu entre la carie et le
panorama, aussi l'exactitude topographique laisse-t-elle à
désirer.
La fin du XVh^siècle vil naîlre Conrad Gyger (1599), Zuri-
cois,peintre sur verre, qui devança de beaucoup son temps par
sa carte de Suisse, dont celle de Muos est une î-eproduction.
Toutefois son chef-d'œuvre est la carte du canton de Zurich,
qui révèle un talent exti-aordinaire; elle a loul l'attrait d'un
véritable tableau. L'exactitude en est remarquable, le relief
frappant; les cultures, les forêts, les vignes y sont indiquées.
Dans la session de l'Association des Sociétés suisses de géo-
graphie, à Zurich, le colonel Meister a exprimé le regret que
les cartes actuelles soient dressées trop exclusivement au
point de vue mathématique, et que le côté pittoresque, tel
qu'il existe dans la carte de Gyger, soit fort négligé. Henri
Kellei-, cependant, avait commencé par en dresser d'après
nature; on pouvait y reconnaître les églises, les châteaux,
les villages, etr.
J.-J. Scbeuchzer (1712), savant zuricois de premier ordre,
7G BULLETIN.
dressa avec son frère une carte en quatre feuilles, à beau-
coup plus grande échelle, mais moins exacte, il reconnaît
que les inexacliludes proviennent du manque d'ime bonne
triangidalion. Aussi fut-ce à son instigation que l'on com-
mença à mesurer des triangles, d'abord très approximatifs,
c'est vi-ai, mais les panoramas et les reliefs vinrent au
secours de la cartogra[thie.
Un des premiers panoramas fut celui que J.-B. Miciieli
dressa pendant sa captivité dans la citadelle d'Aarbourg; il
servit de point de départ pour les opérations ultérieures de
triangulation.
Quant aux reliefs, l'idée n'en pouvait venir que dans un
pays de montagnes, lin des plus fameux est celui du lac des
Quatie-Cantons, exécuté par le général PfvfTer, et exposé
dans le Jardin des glaciers, à Lucerne. Malgré son grand âge,
Pfyffer courut les montagnes jusqu'à plus de quatre-vingts
ans, dessinant et prenant des croquis pour modeler ensuite
son reliefen cire,surdes carrés de bois assemblés plus tard, et
dont quelques-uns sont restés inachevés. Parmi ses imitateurs,
M. Séné, l'auteur du l'elief du Mont-Blanc, a produit, presque
sans instruments et sans opérations mathématiques, une œu-
vi-e remarquable au point de vue de l'arl.
Les premiers travaux de triangulation furent faits pour la
Suisse romande et les environs de Genève, par les Fatio,
père et tîls,dont la carte accompagne l'histoire de Genève de
Spon (1730) et par de Roverea; mais la cartographie suisse
subit un temps d'arrêt après la publication de l'Histoire
d'Appenzell, par le pasteur Walser, de Wolfhalden, qui
l'accompagna d'une carte très mal faite (1740), dans laquelle
il donna un panorama des Alpes de son canton, négligeant
tout le reste. Le succès de cet ouvrage fut si grand, que deux
éditeurs allemands s'adressèrent à Walser pour avoir des
cartes; il fit les autres cantons suisses et la science recula.
Les cartes des environs de Genève et celle de la Suisse
romande de Henri Mallet (17SI), forment un contraste frap-
pant avec celles de Walser. Mallet fit sa triangulation avec le
plus grand soin, et put donner un levé tellement exact que,
en 1839, la carte du canton de Vaud n'était encore qu'une
réduction de celle de Mallet. La correction dans la forme du
PEOCÈS- VERBAUX. 77
lac, clans le tracé des ruisseaux et des roules, dans le relief
du terrain, en font une carie de premier ordre.
Déjà alors, se faisaient, dans l'Oberland bernois, de séi'ieux
travaux de triangulation.
Les gouvernements cantonaux intelligents, et parmi eux
ceux de Berne, de Soleure et de Zurich, décidèrent d'en faite
pour se relier avec ceux que des pailiculiers exécutaient en
Valais et à Fribourg. Le professeur Traites fut chargé des
mensurations sur territoire bei-nois, el Hasler, de la triangu-
lation zuricoise. Malheui-eusemenl l'invasion de la Suisse par
les troupes de la République française arrêta ces travaux.
Lorsque l'orage révolutionnaire fut passé, on profila de ce
qui avait été fait dans le genre des panoramas et des reliefs,
ainsi que des idées nouvelles el des systèmes perfectionnés
d'ombres et de hachures.
Weiss et Meyer (178(1-1802), produisirent une carte à plus
grande échelle, dans laquelle le terrain était représenté sous
une forme beaucoup plus exacte, comme il est facile de s'en
convaincre par la place respective assignée aux lacs de
Thoune et de Brienz. S'd y a dans les hautes Alpes des
lacunes, elles s'expliquent par l'impossibilité où se sont trou-
vés les deux auteurs de tout faire; néanmoins le progrès est
très marqué.
Beaucoup de cartographes suivirent les traces de Weiss et
de Meyer. Oslerwald (1773-1830) fil avec grand soin la trian-
gulation de la principauté de Neuchàlel, en prenant quantité
de hauteurs au moyen de triangles el d'observations baro-
métriques; plus tard sa carte fut gravée, et dans le dessin du
relief, on peut constater une exactitude plus grande que dans
les travaux antérieui-s. Il en est de même pour la carie du
Jura bernois de Buchwalder (1792-1883); aussi, quand Dufour
dut faire la carte de la Suisse, désirant hâter son travail, il
.s'abstint de faire le levé de Neuchàlel et du Jura bernois.
Il e.i résulte (jue dans ces deux parties de la carte Dufour, il
y a, au point de vue actuel, des inexactitudes qui ne per-
mettent pas de se servir de ces feuilles pour des travaux
réclamant une grande précision.
La première carte de Henri Keller (1778-1862), si utile aux
toui isles, pour la facilité avec laquelle .s'en lisent tous les
78 BULLETIN.
détails, fut nii événement. La deuxième édition est supérieure
par un beaucoup plus grand nombre de noms, et tous les
voyageurs en ont fait usage.
Le besoin éprouvé par les militaires d'avoir de bonnes
cartes, engagea les autorités fédérales à en faire une, doni
fuient cbar-gés successivement MM. Finsler, quarlier-maîti e
général de la Confédération, puis ses successeurs Wurstem-
berger et Dufour. Celui-ci. né en 178(5, avant de reprendre
la mesure de la base d'Aarberg, di'essa aux frais de l'État
de Genève, et. en qualité d'ingénieur cantonal, la carte du
canton au 'Asouo pour laquelle il adopta le système des
courbes de niveau à 4"^ d'é(juidislance. Ces courbes existent
dans les minutes de la carte au Vizsnoî ^^^^^ '^ gravure elles
furent remplacées par des bàcliures, fait regrettable au point
de vue de l'utilité. Ce fut à l'occasion de la feuille 17 de la
carte de la Suisse, contenant la partie du Valais où est Mar-
tigny, que se posa le problème de l'éclairage par la lumiéi-e
veiticale ou parla lumière oblique, M. Wolfsberger eut l'idée
de l'éclairage oblique et le proposa au général Dufour qui
approuva ce système et le fit adopter par la Commission; il
donnait à la carte plus de relief et plus de clarté. On peut
s'en convaincre en comparant la carte Dufour avec celle de
l'État-major français qui est noiie et très peu lisible. Toute-
fois dans certaines parties, les levés ont été faits à vue, et les
courbes de niveau n'ont pas été tracées, ce qui est regret-
table, ces dernières étant beaucoup plus utiles. Aussi, le
système des hachures est-il de plus en plus abandonné. Dans
l'atlas Siegfried en 546 feuilles, les unes au V500005 les autres
au 725000» l6s courbes sont à 10"° en pays de plaine et de
collines, el à 30"" dans les liantes montagnes. Malheureuse-
ment l'éqiiidistance n'est pas la même dans tous les cantons.
Dans la carte du canton de Genève, les courbes sont à 4™. dans
celles du canton de Vaud à 8", ailleurs à lO"", dans certains
cantons elles font défaut. Ce manque d'uniformité est une
complication pour la publication de la carte Siegfried.
Aujourd'hui, pour les caries les plus ordinaires, on se sert
de courlies de niveau, en y ajoutant des teintes. Comme l'a
fait Leuzinger, cartographe très habile, dans une petite carte
où les montagnes et le relief sont admirablement représen-
tés, les courbes en sont à âoO"" d'équidistance.
PROCÈS-VKRBAUX. 79
Avec les caiies Dufour et Sie.f^-fried, dit M. Gautier, la
Suisse est arrivée à la perfection. Il fait ressortir encore la
valeur qu'a, pour la Société de géop:raphie de Genève,
l'exemplaire de la carte Dufour, don du .i^énéral qui en a
complété le relief des quatre angles, de sa propre main.
A Zurich, les plans n'étaient pas rangés avec soin comme
les caries, on les trouvait disséminés partout; il y en avait
d'anciens et de modernes. M. Gautier en présente plusieurs,
entre autres tr-ois : l'un de Zurich (1576), l'autre de
Lucerne (1597), le troisième de Frihourg (lOOG), de Martin
Martini, d'un travail de gravure remarquable. Un autre plan
de Lucerne, en quatre feuilles, est ti'ès pittoresque, il repose
sur un lever mathématique. Henri Keller, outre ses cartes et
ses panoramas, a aussi fait de foi't jolis plans de Zurich et de
Bâle; ce sont de petits chefs-d'œuvre. Ils sont très utiles
aujourd'hui pour permettre de se rendre compte du déve-
loppement qu'ont pris ces villes.
Quant aux panoramas, M. Gautier cite d'abord les travaux
des Uelkeskampf (1824), représentés par une carte perspec-
tive de la Suisse en neuf feuilles, destinée aux touristes. C'est
un terme moyen entre le panorama et la carte. Vinrent
ensuite les vrais panoramas, exposés partout aujourd'hui, et
qui accompagnent tous les guides des touristes.
La Société exprime par ses applaudissements l'intérêt avec
lequel elle a suivi la communication de M. Gautier. Le prési-
dent l'en remercie et donne la parole à M. le professeur
Chaix, qui loue M. Gautier d'avoir si hien fait ressortir le
mérite et le grand nombre des travaux topographiques qui
assignent à la Suisse un rang très honorable. Elle a dû ses
travaux à l'initiative des particuliers. Jusqu'à Mallet, on peu!
dire que ce sont des travaux d'intuition, faits sans triangula-
tion, ce qui leur donne un mérite de plus. La représentation
attrayante et exacte provient du génie des cartographes. En
dehors des travaux faits en Suisse, M. Chaix relève le mérite
des cartes hollandaises, et celui de la carte du général Bour-
set, d'une partie du Dauphiné et des Alpes, citée encore
aujourd'hui avantageusement.
Quant h la triangulation, c'est aux Hollandais que nous en
sommes redevables. Ils ont donné beaucoup de cartes d'une
exactitude surprenante.
80 BULLETIN.
Loi-s du Congrès géographique de Venise, M. Cliaix a
étudié avec soin les ai'cliives de cette ville, très riches au
point de vue cartographique, quoique les travaux des ingé-
nieurs vénitiens ne reposassent pas encore sur la triangula-
tion; peut-être étaient-ils faits à la houssole.
Comme carte contemporaine de celle deïschudi, M.Chaix
rappelle celle d'Erltenslein, de la Russie, dans laquelle, à
propos de la faune russe, l'auteur met dans la houche d'un
bison ces mots : Ich hin ein Bison. La foi'me de la carte n'est
pas exacte, mais M. Chaix a été frappé par certains détails
hydrographiques, entre autres par un lac à deux émissaires
dans le gouvernement de Toula. On peut aussi y découvrir
l'origine de certains noms russes : ainsi la Neva y sort d'un
lac qui s'appelait Neva et non Ladoga.
.M. Chaix relève le mérite des anciens cartographes. La
caite de Peutinger était un tableau des routes de l'empire. La
feuille de la Numidie et de l'Afrique, entre autres, indiquant,
en Géiulie, des routes qui peut-être étaient des chemins de
caravanes. Strabon s'attacha, surtout pour la Grèce, à donner
les dimensions des provinces, sur des bases qui ne sont point
trop mauvaises. Ptolémée reproduisit Marin de Tyr, et l'on
peut construire une carte assez bonne d'une partie de l'Afri-
que, en suivant les indications des longitudes et des latitudes
de tous les lieux qu'il place le long de la côte de la mer
Rouge ; les dislances en sont relativement exactes.
Le Président remercie M. Chaix de ces détails intéressants.
M, Walter signale à M. Gautier une carte entière de la
Suisse, d'Osterwald, gravée à Paris, et publiée en 1851 par
les soins de quelques Neuchàtelois, amis de la géographie.
M. Hornung rappelle la valeur des travaux des Romains en
fait de cadastre et de castramétalion, et recommande
l'ouvrage de Bureau de la Malle, sur l'Économie politique
des Romains.
M. Faure appuie les opinions de MM. Chaix et Hornung
sur le mérite des travaux cartographiques des Romains qui,
pour le transport de leurs légions, du centre de l'empire aux
extrémités, avaient besoin avant tout d'itinéraires indiquant
les distances des stations échelonnées sur toutes les routes
qui partaient de Rome dans toutes les directions. L'itiné-
raire d'Antonin en est la preuve.
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES. 81
Le Président r-appelle que l'exemplaire de la carie, donné
par le général Dufoui' est un des cinq qu'il fil tirer ensemlile
delà même œuvre, l'un pour l'empereur Napoléon III, le
second pour le Conseil des Étals, le troisième pour l'Exposi-
tion de Paris, le quatrième pour la Société de géographie de
Genève. Il n'avait pas de système exclusif, mais combinait l'art
et les mathématiques, la lumière oblique et la lumière verti-
cale selon les parties de la carte. Personnellement M. de Beau-
mont n'est pas très partisan des courbes de niveau qui, quel-
qu'utiles qu'elles puissent être, ne donnent aucune jouis-
sance h la vue; elle se lient avec une infinité de détails, et,
s'il n'y a pas de couleurs, elles se confondent avec les rivières.
M. Gautier cite encore, comme chef-d'œuvre de cartogra-
phie, la carte du canton de Zurich, par Wild, professeur au
Polylechnicum. Lorsqu'on s'occupa des avant-projets des
chemins de fer, Wild fut chargé des travaux à exécuter dans
le canton de Zurich, et put faire, d'après sa carte, tous ses
avant-projets, sauf ceux de la partie de la vallée de la Thur.
Le Président réitère à M. Gautier les remerciements de la
Société, et lève la séance, Theure étant trop avancée pour la
communication de M. Faure sur le Soudan égyptien, qui est
ajournée au 8 février.
NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES
Éruptions volcanique*^ clans l'Alaska.
Extrait d'un article du journal Daily Evening Bulletin de
San Francisco du 28 décembre dernier, qui nous a été adressé
par M. le consul Berton, notre membre correspondant.
Il paraît que déjà dans le courant du mois d'août, on avait
aperçu de la fumée sortant du mont Augustin. Cette monta-
gne est un pic élevé, situé au nord-est de l'île Cherna-
boura dans la baie de Kamischak, sous 39° 24' de latitude
et 153° 30' longitude ouest. L'île Cliernaboura, d'une largeur
de 7 à 8 milles, se trouve à 49 milles à l'ouest de l'élablis-
LE OLOBE. T. XX lit. IP^'^-i . H
82 NOUVELLES GÉOGRAPHIQUES.
semenl du Han-e anglais, silué à l'entrée du brns de mer de
Cook, Cook's Inlet, côté est. Le 0 oclobre, vers huit lieures
du matin, les pêcheurs et colons de cet établissement enten-
dirent une forte détonation. Le temps était parfaitement calme,
la brise légère du sud-ouest, la marée à son plus bas; on
apercevait la côte opposée, soit la rive ouest de l'entrée de
Cook, distante de 60 milles. Au même moment on vit une
épaisse fumée s'échapper du sommet du mont Augustin et
se dirigiger au nord-est poussée par la brise, puis, s'élevant
peu cà peu et rencontrant probablement un courant contraire,
elle se répandit dans tout le ciel qu'elle obscurcit bientôt com-
plètement, et il fallut allumer les lampes. Il tomba pendant
le jour environ 4 à o pouces de cendres ponceuses.
Une demi-heure après l'éruption on vit arriver une grande
lame haute de 2.t à 30 pieds, et apparaissant du rivage comme
un muraille d'eau. Elle emporta les bateaux de pêche et
inonda les maisons ; si la marée n'eût pas été basse l'établis-
sement auiait certainement été détruit, et les habitants noyés.
Cette première vague fut suivie à environ cinq minutes d'in-
tervalle de deux autres hautes de lo cà 18 pieds et, pendant
la journée, d'autres fortes lames arrivèrent dans le Havre
anglais. Ces lames furent aussi ressenties à Saint-Paul dans
l'île Kodiac.
La nuit on voit les flammes sortir du mont Augustin, et le
jour d'épaisses colonnes de fumée; la distance, nous l'avons
dit, est de 49 milles (environ 79 kilomètres). Ordinairement
le pic est couvert de neige, mais en ce moment il en est com-
plètement dépourvu.
Le capitaine Gullie^vec le schooner Kodiac, de l'Ile du môme
nom, s'est approché de Tîle Chernaboura le 10 novembre.
Il rapporte que le mont Augustin a été partagé de l'est à
l'ouest, que la partie nord s'est affaissée au niveau des ancien-
nes falaises, et que la fumée sort du pic un peu au sud de
celte grande fracture. Il a fait la découverte extraordinaire
qu'un nouvel ilôt, haut de 7o pieds environ, et d'une super-
ficie de 1 Vî mille, a surgi au nord-ouest de Chernaboura,
dans la passe profonde entre l'île et le continent. Celte passe
d'une largeur de (j à 8 milles a été visitée et décrite par Van-
couver.
Dans la presrju'île de l'Alaska deux volrans éleinls^ à
OUVEAGES REÇUS. 83
l'ouest du volcan en activité de Iliamna haut de 12,000 pieds,
se sont rallumés, on y voit des nuages de fumée pendant le
jour, et des jets de flammes la nuit.
Un parti de 7 à 8 Aleutes s'était établi sur l'île Clierna-
boura pour y chasser, mais deux ou trois de leurs femmes,
effrayées des bruits souterrains du mont Augustin, ne vou-
lurent pas y rester, et furent transportées à Saint-Paul, dans
l'île Kodiac. Depuis l'éruption on n'a plus eu de nouvelles de
ces Aleutes, et on ci-aint qu'ils n'aient péii. A. de M,
-^'\r\.r\J\'\j^j^-
OUVRAGES REÇUS
De juin à décembre 1883.
PÉRIODIQUES ET PUBLICATIONS DE SOCIÉTÉS
Petermann's 3Iittheilungen, 1883, N<" 6 à 12. Ergânzungs.
hefte N- 72, 73.
Société royale de géographie de Londres. — Pi'oceedings
and monthly Record of Geography, 1883, N°' 6 à 12.
Société de géographie de Paris. Compte rendu des séances,
1883, N''^ 10 à 18. — Bulletin 1883, N°^ 1 à 4.
Société de géographie de Berlin. Zeilschrift, t. XVIIl,
1883, N"^ 1 à S. — Verhandlungen, 1883, t. X, N°^ 3 à 8.
Société de géograpliie de Vienne. Mittheilungen, 1883,
t. XVI, N°^ o cà 10.
Société impériale de géographie de Russie. Bulletin, 1883,
t. XIX, N»^ 1 à 3. — Compte rendu, 1882.
Société italienn,e de géograpliie. Rome. Bulletin, 1883,
t. XVII, N"^ 6 à 12.— Indice générale délia Série I Anni 1867-
1875. Volumi I à XII. (Don de M. G. Moynier.)
Société de géographie de iMadrid. Bulletin, 1879, N» 6, 1883,
l. XIV, N- 3, 5, G, LXV,N-1, 2, 3.
Société de géographie de Lisbonne. Bulletin, 1883,3"* série,
N"' 10, 11, 12; 4°'^série. N° 1. — La (luestion du Zaïre. Lettre
à M. Behaghel, par M. Luciano Cordeiio, Lisbonne, 1883,
in-8% 9 p. — Stanley flrst Opinions. Portugal and ihe slave
Irade. Lisbonne, 1883, in-8°, 9 p. — Augusto Cai-los da
84 OUVRAGES REÇUS.
Silva. Expediçao scientifica a Serra de Eslralla, en 1881,
Lisbonne, 1883, in-4'', 77 p. et carte.
Société néerlandaise de géographie. Amsterdam, Tijdsclirift,
Deel VII, N- 3 et 4.
Société royale belge de géographie. Bulletin, 1883, t. VII,
N"^ 2 à S.
Société de géographie de Lyon. Bulletin, N» 23. — Procès-
verbaux des séances, N°^9 et 10.
Société géographique roumaine. Bucharest, Bulletin, 1883,
l" semestre.
American geographical Society. Journal, 1881, t. XIII, Bul-
letin, 1882, N° 5, 1883, N» 2,
Société de géographie commerciale de Paris. Bulletin, 1883,
l. V, N« 3, t. VI, N- 1, 2.
Société de géographie commerciale de Bordeaux. Bulletin,
1883, N"' 11 à 24, Congrès national des sociétés fi'ançaises de
géographie, S"" session, Bordeaux, 1882. Compte rendu des
travaux du Congrès.
Société de géographie de Marseille, Bulletin, 1883, N°' 4
à 12.
Société languedocienne de géographie. Montpellier, 1882,
t.V, N«4. 1883, t. IV,N°'^1,2.
Société de géographie de Metz, Jahresi3ericht, 1882.
Société de géographie du Nord. Douai. Bulletin, 1883,
N°^ 34 à 37.
Société de géographie de Lille. Bulletin, 1883, N°^ 7 à 9.
Société de géographie de l'Est. Nancy. Bulletin, 1882, 4"*
trimestre, 1883, tiimestres 1 et 2.
Société normande de géographie. Rouen. Bulletin, 1882,
septembre à décembre, 1883, jauvier à août.
Société de géographie de l'Ain. Bullelin, 1883, N»^ 2 et 3.
— Géogi-aphie de l'Ain, 1" fascicule, Bourg, 1883, in-8"j
192 p.
Société de géographie de Rochefort. Bulletin, 1883, t. IV,
Nos i ^ 4 — Annuaire de la Société pour 1883. — Règlement
de la bibliothèque.
Société de géographie de la province d'Oran. Bulletin,
N- 15, 16, 17.
Société de géogi-aphie de la province de Constantine. Bul-
letin, N- 1, 2, 5.
OUVRAGES REÇUS.
85
Société de géographie de Toulouse. Bulletin, 1883, N"'' 7
à 13. — Supplément au N" G. Les gorges du Tarn entre les
grands Causses, par Louis de Malafosse.
Société de géographie d'Anvers. Bulletin, 1883, I. VIII,
N"' 1,2. — Mémoires t. II.
Société de géographie de Francfort sur Mein. Jahresbe-
richte, t. XLVI-XLVII, 1881-1883. — Beitrage zur Statistik,
t. IV, N° 2.
Société de géographie de Dresde. XVIII, XIX, XX. Jahres-
berichte.
Société de géographie de Karlsruhe. Verhandlungen
1880-1882.
Société de géographie de Leipzig. Mittheilungen, 1882.
Société de géographie de Hambourg, Mittheilungen, 1880,
NO 2. — Hambui'gischer Correspondent N° 153.
Société de géographie de Brème. Deutsche geographische
Blâiter, 1880,'t. III, N»" 2, 3, 1883, t. VI, N- 3, 4.
Société de géographie de Berne. Jahresbericht, 1882-1883,
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Société de géographie commerciale de la Suisse orientale,
à Saint-Gall. Mittheilungen, 1883, N°^ 2 et 3.
Observatoire impérial de Rio-de-Janeiro. Bulletin, 1883,
N"^ 3 à 10.— Emm. Liais. Annales de l'observatoire impérial
de Rio de Janeiro, 1. 1, Rio de Janeiro, 1882, in-4«, 204 p. illust.
Société khédiviale de géographie. Le Caire. Bulletin,
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L'Echo des Alpes. Publication des sections romandes du
Club alpin suisse, 1883, N»« 2, et 3.
Meteorological Society. Quarterly Journal, avril, juillet,
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Revue maritime et coloniale, 1883, N»" 3, 5 à 12.
Société d'anthropologie de Paris. Bulletin, 1881, N°4. 1882,
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Société d'anthropologie de Vienne. Mittheilungen, 1883,
No" 1 et 2.
Smithsonian Institution. First annual Report of the Bureau
86 OUVRAGES REÇUS.
of Etimology, by J. W. Powell. Washington, 1881, in-4",
()03 p. illusl.
Cosmos (le Giiido Cora, 1883, l. VII, iV^ 7 et 8.
Esploratore. Milan. 1883, t. VII, N»^ 6 à 12.
Exploration, N*"* 332-362.
Revue internationale de géographie, Paris, N°' 91-98.
Revue de géographie de L. Drapeyron, VI"* année, N"^ 12,
VII""' année, N»' 1-6.
Société physico-économique de Konigsberg. Schriften,
23'°' année, 1882, 1" et 2""^ parties.
Journal asiatique, Paris, t. XVII, N» 3, t.XXI,No 3, t. XXil,
Institut Lombard des sciences et Lettres, Mémoires, t. XIV,
Compte-rendu, t. XIV.
Institut vénitien des sciences, lettres et arts, Atti,5'°'' série,
t. VII, Liv. 10, t. VIII, Liv. 1-10. e-^^ série, t. I, Liv. 1 à 3. —
Relazione critica sulla varie determinazioni dell' équivalente
meccanico délia caloria, di Enrico A. Rowland. App. al t. VII,
S""^ série, degli Atti de l'Istituto.
Société archéologique de l'Orléanais. Bulletin N»' 114-116.
Mémoires, t. XIX.
Revue savoisienne, 1883, N°^ S-11.
Académie royale de Belgique. Annuaire, 1882-1883. —
Bulletins, 50"^ année, 3""' série, t. I et II (1881), III et IV
(1882), V (1883).
Afrique explorée et civilisée, 1883, t. IV, N'''6 à 12.
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Moniteur des consulats, N"" 199-229.
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et Rapport annuel, 1882-1883. Paris, 1883, in-8, 12 p.
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Ungarische Revue, 1883, juin, Buda-Pesth, 1883, p. 405-
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00 OUVRAGES REÇUS.
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G. Moyniei'. La question du Congo devant l'Institut de droit
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D"" Richard Lehmann.Bericbt ûber die Thàtigkeit der Zen-
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Deutschland. Mûnchen, 1883, in-8", 34 p. (Don de l'auteur.)
M. Dragomanov. Chansons politiques du peuple ukrainien,
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Henri Mager. De la lecture des cartes étrangères. Paris,
1883, in-12, 100 p. (Don de Tauteur.)
Angel Anguieno. Anuario del Observatorio astronomical
oacional de Tambaya para el anno de 1884. Anno IV, Mexico,
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Saint-Louis, 1881, in-12, 264 p.
CARTES
E. Gaebler. Atlas. Liv. 6. (Don de l'auteur.)
M. Venukof. Carte de la partie méridionale de la province
littorale de la Sibérie, 1883. (Don de l'auteur, iM. C.)
Kaart von bat Gedeelte Java en Sumatra Vsooooo- Krakatau
en Omslreken. (Don de M. de Seyfif. M. E.)
-tiiéAtate*"
LISTE DES MEMBRES
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE GENÈVE
MEMBRES EFFECTIFS
MM.
Audéoud, Alfred.
Auriol, Henri.
Baud, J.
Bouthillier de Beaumont, Aloïs
BouthillierdeBeaumont,Aug*«
Bouthillier de Beaumont, Frank.
Bouthillier de Beaumont, Gust.
Bouthillier de Beaumont, Henri,
Président.
Bertrand, Alfred.
Beyeler, J.
Binet, docteur.
Boissier, Agénor.
Boissier, Edmond.
Bonna, Paul.
Bornand, E.
Budé (de), Eugène.
Candolle (de), Alphonse, prof.
GandoUe (de), Gasimir.
Candolle (de), Lucien.
Ghaix, Paul, professeur.
Choisy, Louis, pasteur.
Claparède, Théodore, pasteur.
De Lor, avocat.
Dominicé, Adolphe.
Dragomanof.
Dufresne, Edouard, docteur,
Vice- Président.
Dunant, Ernest.
Dunant, Pierre, docteur.
Dunant, Victor.
Du Pan, Amédée.
Eynard, Edmond.
MM.
Féesch, Henri.
Faure, Charles, Secrétaire -
Bibliothécaire.
Favre, Camille.
Ferrière, docteur.
Freundler, pasteur.
Gaberel, pasteur.
Galland, Charles.
Galopin, Charles, professeur.
Gampert, Gh., architecte.
Gautier, Adolphe.
Gautier, Alphonse.
Gautier, Raoul, Vice-Secrétaire.
Giraud-Teulon, professeur.
Gosse, H., docteur.
Hentsch, Henri.
Hornung, Joseph, professeur.
Hurahert, Aloïs.
Ivernois (d'), A.
Le Fort-Naville, Alfred.
Lenoir, David.
Lesseré-Bordier, docteur.
Lombard, Alexandre.
Lombard, Henri-Cl'., docteur
(senior).
Lombard, Henri-Charles, doct.
(junior).
Lombard, Victor.
Mandrillon de Savignac.
Marcel, William, docteur.
Martin, Charles, pasteur.
Massip, Edmond.
90
LISTE DES MEMBRES.
MM.
Messerly, Oscar.
Micheli, Louis.
Micheli, Marc, V ice-Président.
Morin-Cayln, Théodore.
Morsier (de), Adolphe, Secré-
taire-général.
Morsier (de), Fi'ank.
Moynier, Gustave, Conserva-
teur de la Bibliothèque.
Naville, Emile.
Odier, Ernest.
Odier, James.
Perron, Charles.
Pictet, Alfred.
Piclet, Eugène.
Pictet-de Candolle, Louis.
Prevost-Le Fort, Georges.
Prost, J.
Kapin, docleur.
Reclus, Elisée.
MM.
Rochelle, Gustave, Trésorier.
Rosier, William, professeur.
Roughton, G.
Sarasin, Edouard.
Sarasin, Georges.
Saussure (de), Henri.
Sautter, Edgar.
Schieck (de), Adolphe, consul.
Scholten-Lenoir.
Seyff (de),R.-F.
Stoutz (de), Louis.
Thudichum, Charles, prof.
Traz (de), Ernest.
Tronchin, Henry.
Turretlini, François.
Vaucher, Henri.
Wartmann, professeur.
Weller, Henri.
Wyltenbach (de).
MEMBRES HONORAIRES
MM.
Daniel CoUadon, professeur à Genève.
Cellérier, professeur à Genève.
Scherrer-Engler, président de la Société de géographie com-
merciale de la Suisse orientale, à Sainl-Gall.
D'" Théophile Studer, professeur, président de la Société de
géographie de Berne.
D"" Behra, à Gotha.
D' Nachtigal, consul général de l'empire allemand, à Tunis.
Baron de Richthofen, professeur à Leipzig.
D'" de Hochstetten, à Vienne.
LISTE DES MEMBEES. 91
D"" Unfalvy, président de la Sociélé de géographie de Buda-
Pesth.
de Sémenoff, président de la Société impériale de géographie
de Russie.
D*" Nordenskiold, professeur à Stockholm.
P.-J. Veth, professeur, pi'ésident de la Sociélé néerlandaise
de géographie.
Julius de Payei*, explorateur, à Francfort s/M.
Charles Maunoir, secrétaire-général de la Société de géogra-
phie de Paris.
Malle-Brun, secrétaire-général honoraii'e de la Société de
géographie de Paris.
Vivien de Saint-Marlin, ancien président de la Sociélé de
géographie de Paiis.
de Quatrefages, professeur, ancien président de la Commis-
sion centrale de la Sociélé de géographie de Paris.
Baron Reille, à Paris.
Général Beaufort d'Haulpoul, à Paris.
Van der Maëlen, à Bi'uxelles.
Commandeur Christoforo Negri, à Turin.
Commandeur Correnti, à Rome.
Sir H. Rawlinson, à Londres.
Ch. Rieu, à Londres.
D"" Schweinfurth, au Caire.
F.-V. Hayden, à Washington.
Geo. M. Wheeler, à Washington.
H. Stanley, à Vivi.
Savorgnan de Brazza, à Brazzaville.
Van de Velde, à Bruxelles.
MEMBRES CORRESPONDANTS
MM.
Aimé Hiimhert, professeur à Neuchâlel.
Ayer, professeur à Neuchâtcl.
Sylvius Chavannes, à Lausanne.
Mulhaupt de Sleiger, à Berne.
92 LISTE DES MEMBRES.
Amrein, professeur à Sainl-Gall.
Hellwald, à Stutlgardl.
D'" Lenz, professeur à Vienne.
H. Duveyrier, à Paris.
Venukoff, à Paris.
William Huber, à Paris.
Léon de Rosny, à Paris.
André de Bellecombe, à Paris.
A. Meulemans, ta Paris.
Coillard, missionnaire au Zambèze.
A. de Smidt, gênerai surveyor à Capelown.
F. Berton, consul suisse à San Francisco.
Luciano Gordeiro, secrétaire-général de la Société de géo-
graphie de Lisbonne.
P. Berlhoud, missionnaire au Transvaal.
Frank Vincent, explorateur, à New- York.
]Vo S«.
BULLETIN
EXTRAIT
DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ
Session 1883-1884.
SÉANCE DU 8 FÉVRIER 1884.
Présidence de M. le D'' Dufresne, vice-président.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
M. Welter présente la carte d'Osterwald dont il a parlé
dans la précédente séance ; elle a été publiée après la mort
de l'auteur, à Paris, sans date, ni nom d'éditeur, et n'a pas
figuré dans l'exposition de Zurich. Les Mittheilungen de
Gotha de 1877 renferment à son sujet un jugement très favo-
rable de Sydow.
M. Ad. Gautier signale un document qui s'y rapporte : c'est
le Recueil des hauteurs des pays compris dans le cadre de la
carte générale de la Suisse, en tête duquel se trouve un aver-
tissement d'Osterwald, du 6 mai 1847, expliquant le retard
survenu dans la publication de la carte par un accident de la
pierre sur laquelle elle était gravée, ce qui l'engagea à la faire
graver sur cuivre.
M. Welter ajoute que le Bureau de la guerre à Paris, ayant
eu sous les yeux le travail d'Osterwald, déclara que cette
carte était ce qu'on avait fait de mieux en ce genre. L'auteur
avait indiqué au graveur un procédé de son invention, des
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 7
94 BULLETIN,
courbes de hauteur eu lignes horizontales, au lieu de lignes
verticales, pour indicjuer le relief des montagnes. Peu de
jouis avant sa mort arriva à son adresse une lettre de ce gra-
veur, lui disant qu'il ferait précieusement usage de sa décou-
verte. Osterwald n'était plus dans un état de santé qui permît
de la lui communiquer. Il mourut en janvier I80O.
Le Président présente une collection de photographies de
Kalmouks, envoyée à la Société par le prince Roland Bona-
parte.
M. G. Faure fait une communication sur
Le Soudan égyptien.
Laissant de côté le point de vue des découvertes faites
dans ce pays, et du développement de la civilisation depuis la
conquête de Méhemel-Ali, sujet traité dans V Afrique explo-
rée et civilisée, ainsi que le côté politique qu'il ne lui appar-
tient pas d'aborder dans la Société de géographie, il se borne
à un tableau géographique de cet immense territoire. Il décrit
le désert de Korosko que vient de traverser Gordon-pacha,
celui de Nubie déjà herbeux, et même boisé dans certaines
parties, la vasie plaine du Sennaar, du Kordofan et du Dar-
four, jusqu'à Lado, où se termine la première terrasse au sud
du delta, inclinée seulement de O",! en moyenne par kilo-
mètre. A mesure que l'on avance vers le sud la quantité
d'eau de pluie augmente, et, grâce à la position des deux ter-
rasses où se trouvent les lacs Victoria et Albert-Nyanza, les
vapeurs de l'océan Indien, apportées par les vents alizés des
deux hémisphères, et condensées sur les sommets du Kilimand-
jaro et du Kénia, alimentent ces deux réservoirs d'où descen-
dent abondantes, mais non destructrices, les eaux auxquelles
la basse Egypte doit son extrême fécondité. Sans que la main
de l'homme soit intervenue, ces réservoirs présentent des
rapports aussi admirables que ceux que peuvent offrir les
procédés les plus ingénieux de l'industrie humaine, soil pour
le service des eaux, soit pour préserver de la destruction des
vallées entières.
Au-dessous des deux terrasses supérieures, la troisième se
présente aussi comme un vaste réservoir dans lequel les
eaux du Bahr-el-Abiad, augmentées de celles de tous les
PEOCÈS- VERBAUX. 95
affluents du Bahr-el-Ghazal, sont retenues pendant un certain
temps de l'année par la végétation aquatique, qui forme une
barre, au travers de laquelle il est impossible de passer, et
dont Baker, Marno et Gessi ont travaillé à débarrasser le Nil.
Les alluvions déposées sur cette plaine, qui s'étend tout le
long du pied des terrasses de l'Abyssinie, à travers le Sen-
naar et le Taka, jusqu'à la chaîne dominant la mer Rouge
lui procurent une fécondité pai-eille à celle du delta. Les pro-
cédés de culture des indigènes, tout primitifs qu'ils sont, suf-
fisent pour faire produire à ce sol tout ce qui est nécessaire
à la vie. Le manque de sécurité ne lui permet pas de lui faire
produire davantage. Les exaclions des administrateurs égyp-
tiens expliquent l'empressement avec lequel les indigènes du
Sennaar et du Kordofan ont répondu aux appels du Mahdi.
Depuis la guerre dans laquelle l'Egypte a enlevé à l'Abys-
sinie les territoires au nord de ce dernier Étal, le négous
n'a pas cessé de les réclamer ; il a profité de la venue de
Rohlfs, à sa cour, il y a deux ans, pour le charger de négociei'
la paix avec l'Egypte, moyennant la rétrocession des territoi-
res susmentionnés, en particulier du port de Massaoua. Mais
l'Angleterre qui aurait dû appuyer cette demande auprès de
l'Egypte a, jusqu'à la révolte du Soudan, refusé d'intervenir.
Les progrès faits au Soudan et surtout dans les provinces
de l'Equateur, administrées par Emin-bey et Lupton-bey,
auxquels la géographie est redevable de travaux cartografi-
ques très précieux, sont gravement compromis. Si la civili-
sation se voit fermer la porte du nord de l'Afrique par la
vallée du Nil, celle du sud lui reste ouverte par le Congo,
dont la navigation, il faut l'espérer, demeurera libre pour
toutes les nations. Si un jour, une nouvelle rencontre ent?-e
la barbarie musulmane et la civilisation chrétienne a lieu sur
les bords du Congo, celle-ci, nous n'en doutons pas, triom-
phera comme autrefois à Poitiers. Sans doute le sang coulera
à flots; mais nous avons la certitude que les blessés des deux
camps recevront les soins les plus empressés; dans cette
œuvre de secours, Genève aura sa large part, mai^^ après
avoir été à la peine, elle sera aussi à l'honneur!
Le Président donne la parole à M. le professeur Cliaix qui,
ayant suivi depuis cinquante ans l'œuvre de civilisation com-
mencée par Méhémet-Ali, et vu l'Egypte de ses yeux, veut
96 BULLETIN.
bien faire appel à ses souvenics et aux trésors de son érudi-
tion pour compléter l'exposé de M, Faure.
Le Soudan n'a pas de limites, et l'on comprend sous ce
nom des régions très distinctes. Le nom en apparaît pour la
première fois un demi-siècle avant la première croisade, sous
la plume d'un écrivain arabe, très distingué, de Cordoue,
qui tu un voyage de simple curiosité à travers le Sahara jus-
qu'au Niger. Alors Tombouclou n'existait pas encore; la
région du Soudan égyptien s'appelait Ethiopia supra Egyp-
tura; elle a toujours entretenu des relations avec l'Egypte;
les traces de l'ancienne domination des Pharaons et des Pto-
léraées se retrouvent tout le long de la vallée du Nil jusqu'à
la quatrième cataracte.
Au XVIII"'' siècle Bruce, après son exploration de l'Abys-
sinie, revint par le Bahr-el-Azrek et l'élat de Sennaar dont
le roi, non vêtu, était oint tous les jours de graisse d'hippo-
potame. Aujourd'hui Sennaar est bien déchue de son ancienne
réputation.
Sous Méhémet-Ali la Nubie fut conquise pour recruter
l'armée égyptienne de la population de ce pays. Ismaïl-pacha
ayant commis des exactions sans nombre, périt dans les flam-
mes d'un incendie allumé par la vengeance d'un cheik vic-
time de ses mauvais traitements. Méhémet-Ali courroucé,
envoya son gendre, Mohammed-Defterdar, pour châtier les
habitants de Schendy et raser cette ville.
Le Kazogl avait des dépôts aurifères que les indigènes
exploitaient par le lavage, serrant le produit de leurs tra-
vaux dans des tuyaux de plume. Les officiers égyptiens calcu-
laient l'époque à laquelle la récolte de l'or devait être termi-
née, pour se présenter au Fazogl et se faire livrer ce
qu'avaient recueilli les indigènes. Méhémet-Ali fit lui-même
une expédition jusqu'au Fazogl, après avoir fait étudier par
des ingénieurs les procédés d'exploitation des sables aurifè-
res de l'Oural. M. Chaix ayant été présenté au vice-roi, diri-
gea la conversation sur la région aurifère de la Nubie, Méhé-
met-Ali répondit que les ingénieurs venaient d'arriver des
monts Ourals. L'expérience qu'ils avaient acquise dans les
exploitations russes ne fut pas appliquée au Fazogl.
Quant aux peuplades du Soudan égyptien, M. Chaix rap-
pelle le jugement porté par le général américain Colston,
PROCÈS-VERBAUX. 97
sur les Bécharins du S.-E. d'Edfou, population tranquille et
douce. Les armes n'ont pas changé; c'est encore aujourd'hui
la lance qui est l'arme offensive; M. Chaix en présente deux
qu'il a rapportées de son voyage.
La pente du Nil est régulière et modérée. M. Chaix a pris
le niveau du fleuve en 30 ou 40 endroits différents, avec le
baromètre à mercure. Il a trouvé pour Assouan une altitude
de 93°; à deux lieues en amont la cote était de 113°. AKhar-
loum les observations sont rendues très difTiciles par l'absence
de toute colline aux alentours; les points de comparaison
font complètement défaut. Le volume médiocre du Nil s'ex-
pHque par le fait que pendant la seconde moitié de son
cours, il ne reçoit point d'affluents; en outre l'évaporation
est considérable, et la culture absorbe et retient une forte
quantité d'eau. Le lit du fleuve, d'une largeur assez uniforme,
est plus encaissé en Egypte qu'en Nubie; il n'est pas comblé
par les apports du Nil. Autrefois il y avait sept embouchu-
res, tandis qu'aujourd'hui il n'y en a que deux, et cependant
la quantilé et la hauteur de l'eau n'ont pas diminué. Le fleuve
creuse ses deux branches actuelles plus qu'aul refois, et lors
de l'inondation ses eaux entrent dans des voies qui peuvent
être d'anciennes embouchures. Le fond du lit n'est pas vaseux.
M. Chaix a retiré del'estomacd'un crocodile disséqué du gra-
vier pur, des quariz, des silex, etc., qu'il présente à la Société.
M. Humbert signale dans le dernier numéro du journal
anglais, iVafî/re, un article sur le Soudan, où l'auteur, M. Kean,
donne un tableau des races de cette région et rectifie des
erreurs courantes,
M. Lenoir ne croit pas que la civilisation du Soudan puisse
venir du sud; c'est de l'Egypte qu'elle remontera la vallée du
Nil; mais pour cela, il faut que l'Egypte devienne chrétienne,
car, sous l'islamisme, il n'y a pas de progrès à attendre, vu
l'absence de la famille au sens propre du mot. M. Lenoir a
eu l'occasion de visiter-^ à Louqsor, une école de 60 jeunes
gens, tenue par un maître anglais, duquel il apprit l'existence
à Siout d'une école destinée à former des régents et des pas-
leurs. La proportion de l'élément musulman n'était que de
6 sur 60; tous les autres élèves étaient des cophtes. Au Caire
il y a deux écoles améiùcaines. Dans l'Egypte proprement
dite, il existe un reste de chrétiens accessibles, qui seront
98 BULLETIN.
peut-être le levain destiné à faire lever toute la pâte. Quoi-
que la mosquée d'El-Ayar ait 8000 élèves, M. Lenoir croit
néanmoins le mahométisme sur son déclin. L'ancien pays de
Goscen, si fertile autrefois, est un désert aujourd'hui, et cepen-
dant le petit canal d'eau douce rend tout fertile sur son pas-
sage. 11 suffirait de créer des réservoirs pour faire refleurir
le pays, en emmagasinant l'eau au moment des crues poui*
irriguer les campagnes entre les deux inondations. Le khé-
dive actuel est un homme supérieur et donne l'exemple de
rhonnêleté, il est monogame et voudrait relever le fellah.
SEAxNCE DU 22 FÉVRIER 1884.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
}.e Président rapporte que M. A. de Morsier, secrétaire-
général, a extrait d'un article de journal envoyé par M. F.
Berton, M. C. une nouvelle, d'après laquelle l'explorateui-
Schwatka, chargé de faire le relevé du bassin du Yukon dans
l'Alaska, a donné à un glacier de ce pays le nom Je Saussure
en souvenir de notre illustre compatriote. Il présente ensuite
deux cartes, l'une du Transvaal, donnée par M. Gros, de Pre-
toria, l'autre, du canal de Panama, offerte à la Société par
M. E. Massip.
M. Scholten-Lenoir est admis comme membre effectif à
l'unanimité.
Lik parole est donnée à M. le professeur J. Brun pour une
communication sur
La Péninsule Scandinave.
M. Brun a rappoi-té de son voyage de nombreuses photo-
graphies qui décorent la salle.
Il signale d'aboi-d dans le Sund, passage redouté des navi-
gateurs, une circulation considérable, semblable à celle du
Bosphore. La mer est peu profonde; le fond en est uni, mais
le double courant de surface et de fond, de la Baltique à
PROCÈS- VERBAUX. 99
l'Océan et vice-versa, la rend dangereuse. Entre Gothenbourg
et Copenhague, le changement de ton du bruit des roues
indique des alternances et de fortes luttes entre les différents
courants, soit de sortie de la Baltique soit de remous.
Du Sund on aperçoit à peine la côte de Suède; quant à
celle du Danemark, elle est couverte d'une végétation luxu-
riante; l'aubépine entre autres devient un arbre dont le tronc
a la grosseur du corps d'un homme.
Dans la plaine du midi de la Suède, Tœil s'attache au plus
petit relief; le terrain d'alluvion en est riche et fertile. Au
delà le roc est à nu; non pas du calcaire, mais des gneiss,
des micachistes, des granits de toutes les variétés, roches
moutonnées comme les glaciers les ont laissées; ou bien l'on
rencontre des tourbières; en général il y a peu de terre ara-
ble. En Norwège, c'est la côte, avec la pêche et les richesses
qu'elle procure, qui fait la vie du pays; en Suède ce sont les
forêts, la pêche et quelque peu de cultures.
Le canal de Gothenbourg, pour lequel on a utilisé les lacs
Wener et Wetter, fonctionne encore aujourd'hui. Quoique
situés dans un pays plat, ces lacs onl une profondeur de
1200™, qui dépasse de beaucoup celle du lac de Genève. Les
bateaux qui font le service sur le canal sont très confortables,
et peuvent passer sous les ponts sans avoir plus de O^jSO à
0'°,30 de libre de chaque côté. Le canal passe entre des mon-
tagnes, ou bien se trouve plus élevé que la plaine qu'il tra-
verse; mais grâce aux écluses on peut avoir des changements
de niveau de 200" à 300".
Stockholm, la Venise du nord, gracieuseetjolie, est entiè-
rement bâtie sur le granit; il n'y avait autrefois pas de terre
végétale; il a fallu apporter celle qui s'y trouve maintenant.
Quoique la ville ait beaucoup de ponts, la circulation se fait
surtout en bateau. En été, celte circulation est telle, que M.
Brun l'estime trois fois plus forte que celle du midi; et elle
dure jour et nuit.
De Stockholm à Throndjem on a étabU un chemin de fer à
voie étroite, avec des wagons et des locomotives plus petites
que pour les trains ordinaires. Les tourbières qui alternent avec
le roc ont opposé de grandes difficultés à la construction. On
remarque dans la végétation de grandes différences avec celle
des contrées moins septentrionales; pour les mômes espèces
100 BULLETIN.
végétales, les feuilles du nord sont plus vertes, plus grandes;
les fruits sont plus savoureux. C'est dans cette partie de la
Suède, dit M. Brun, que l'on rencontre les meilleures fraises
et les meilleures cerises. A mesure que l'on s'éloigne du golfe
de Bothnie pour se rapprocher de la Norwège, la contrée
prend un nouvel aspect; le retrait des glaciers y est marqué
par une quantité de blocs erratiques. La végétation des pins,
des sapins, des bouleaux y est magnifique ; ces derniers, au
tronc robuste et brillant, font un effet atlmirable au milieu
des autres essences. Dans les mois de juin, juillet et août,
cette contrée est plus inondée de lumière que ne le sont le
sud et le Sahara lui-même. iM. Brun y a vu un effet de
mirage.
Le pays qui environne OEstersund paraît être plat; l'absence
de chaînes de montagnes proprement dites, et la succession
des plateaux donnent l'impression que l'on est en plaine. A
Oere, au pied de l'Oreskutan (1640°"), les voyageurs station-
nent pour étudier les moeurs des habitants. Gomme il ne peut
y avoir de culte que toutes les six semaines, on y arrive de
toutes les localités du voisinage, en stuhlkarren et carrioles,
petites voilures à deux roues, très légères, attelées de petits
chevaux faciles à conduire. La population est de race belle et
forte; les groupes que l'on rencontre sont sérieux, causent
peu, ce qui n'empêche pas qu'ils ne soient heureux. Il existe
dans le pays beaucoup d'inscriptions runiques, quoiqu'il soit
difficile de les découvrir, enfermées qu'elles sont dans les
tumuli. Celles que l'on a trouvées ont été déposées dans les
musées de Stockholm, de Copenhague et de Christiania qui
sont d'une richesse inouïe pour leurs collections de pierres
taillées et de bijoux préhistoriques.
Le jour du solstice d'été étant le plus long est aussi celui
de la plus grande fête de l'année. A Œslersund le soleil l'oule
à l'horizon sans se coucher pour ainsi dire. Au reste^ malgré
la disparition du soleil, on est enveloppé d'une lumière diffuse
qui, ne produisant point d'ombre, fait un effet singulier.
Les montagnes ne rappellent en aucune manière les
nôtres; il n'y a pas de sentiers, pas d'arbres, pas de chalets,
et il n'y a que peu d'habitants. Du sommet de l'Oreskutan,
la désagrégation des roches produit l'impression d'un effon-
drement général. Pour garantir contre les coups de vent et
PROCÈS-VERBAUX. 101
la neige, le chemin de fer qui court sur les plateaux, on a dû
élever une triple barrière de planches.
A Storlien on franchit la frontière des deux pays, et l'on
trouve une race différente de celle que l'on vient de quitter.
De la côte ouest au sommet du plateau se rencontrent des
vallées magnifiques, couvertes de forêts, d'alpages et de trou-
peaux, grâce à l'influence du Golfstrom. Tandis que sur le
versant du golfe de Bothnie, la température descend à 26°
de froid, sur le versant opposé elle ne descend qu'à — 6° ou
— 8°.
On atteint bientôt la région des fiords. Cette formation
existe sur la côte américaine, au sud du Chili; mais la beauté
n'en est pas comparable à celle des fiords de la Norwége. M.
Brun y voit les fissures du soulèvement de la région qui,
d'Edimbourg à Copenhague, h Saint-Pétersbourg et à Arkan-
gel, a été une des premières émergées, et s'élève encore
aujourd'hui de l"" en mille ans environ. Dans certains endroits
on aperçoit encore le polissage du glacier, mais en général le
rocher plonge droit dans la mer, et Ton ne trouve ni plage,
ni sables, ni dunes. Dans quelques fissures on a rencontré
des farines fossiles formées d'espèces végétales à carapace
siliceuse, qui ne vivent plus dans les mers européennes
actuelles, mais que Nordenskiold, dans ses sondages au nord
de l'Asie, a retrouvées à près de 6000"" de profondeur.
Au delà du cercle polaire, les végétaux n'ont plus que six
semaines pour croître, fleurir et fructifier; les arbres dimi-
nuent. Les touristes abondent et trouvent, pendant ces quel-
ques semaines, des vapeurs spéciaux pour les excursions. Au
bord des fiords, quelques huttes en bois rappellent la vie,
dans une région d'un aspect désert, vraie région glaciaire»
où le glacier du Swartisen (glace noire), en Norwège, a une
dimension de 1800 kilom. carrés. De ce plateau immense des-
cendent des fleuves de glace; de rouge qu'elle est quelque-
fois en été, la neige noircit légèrement chaque hiver. C'est
une algue, qui en perdant la vie, produit cet elïet noircissant,
La beauté des fiords, la grandeur et la durée des effets de
lumière, l'intensité des teintes pourpre, violacée, verte, fon-
dues ensemble, dépassent toute description. Les rochers de
porphyre et de granit, rendus presque toujours humides par
la présence d'algues de nuances diverses, vert tendre, brun
102 BULLETIN.
chocolat, hrun pourpre, etc., revétenl les couleurs les plus
variées.
Les trois choses les plus remarquables de la région au delà
du cercle polaire, sont les glaciers du Swartisen, les îles Lofo-
den et le Cap nord.
On n'a pas encore pu établir, d'une manière exacte, si les
îles Lofoden sont ou ne sont pas volcaniques; l'abord n'en
est pas facile, et cependant elles reçoivent ;1e février en
avril, pour la pêche de la morue et de la sardine, 30,000 per-
sonnes vouées à cette industrie, malgré les dangers auxquels
les exposent les tempêtes et les sti'oms. M. Brun en décrit
une dans laquelle périrent 800 personnes : les fiords remplis
d'eau à la marée haute déversaient leur Irop-plein à la marée
basse, lorsqu'arriva du nord un coup de vent tel que la mer
se mit à bouillonner ; en un instant elle devint phosphores-
cente et flamboyante; les pêcheurs, ne pouvant songera
chercher un refuge à la côte, furent obligés de gagner la
haute mer et furent engloutis dans les (lots, puis balayés par
le Golfstrora.
A mesure qu'on avance vers le nord, le brouillard devient
de plus en plus fréquent. Quelquefois il est d'une densité
telle que d'un bord du navire on n'aperçoit rien à l'autre
bord, tandis que la vigie peut se trouver au soleil. Ce brouil-
lard est produit par l'évaporation du courant d'eau chaude.
Mais dans les mois d'été il n'y a pas à craindre qu'il dure, ni
que l'on soit privé du spectacle solennel du soleil de minuit.
La clarté en est telle, qu'il n'est pas possible de le fixer,
mais, vu les conditions d'humidité de l'air, la lumière n'en
est pas chaude. En approchant de la Laponie, l'aspect du
pays change: aux rochers verticaux de loOO" des îles Lofo-
den, succède un plateau de 600"', d'un aspect gris, et couvert
surtout de lichens ; à Hammerfest on a encore des arbustes
rabougris, mais l'homme y est déjà plus grand que la forêt.
Plus au nord la végétation arborescente cesse tout à fait.
Quant aux Lapons, on en distingue trois classes, les
pêcheurs, les forestiers et les nomades; leurs pommettes
saillantes les font ranger parmi les races asiatiques; ils diflfè-
rent des Norwégiens, pour le genre de vie et pour la langue
au point qu'entre les deux peuples il est nécessaire d'avoir
des interprètes.
PROCÈS- VERBAUX. 103
Le rocher du Cap nord est d'une grande beauté; il s'élève
fièrement au milieu d'une mer toujours agitée, et l'on n'y
parvient qu'après une rude ascension. Le saisissement du
spectateur est tellement grand et profond, qu'il s'y sent
comme enveloppé par ses propres impressions, et ne se rap-
proche pas de ses semblables. La limpidité de l'atmosphère
permet de voir à des distances inouïes. Les Norwégiens
appellent cette région triste, inhospitalière et inhabitée, le
Finmark, pour la distinguer delà Norvège proprement dite,
qui est riante, hospitalière et habitée. A Bodoe le Salten-
strom est un mauvais courant qui vide un fiord à chaque
marée, puis le remplit chaque fois de 6 à 8 milliards de
mètres cubes d'eau. Du rocher qui domine la passe on peut
voir les jeunes baleines jouer entre elles comme des enfants.
Des myriades d'oiseaux, canards, pingouins, plongeons,
mouettes, faucons parasites habitent ces parages et y font
curée de poissons à chaque marée.
Les tiords de la Noi-wège proprement dite sont riants; ils
ont des alpages, des forêts, un peu de vie; les habitants
vivent de la pêche du hareng, de la morue, du saumon, et
du transport du bois. Aux environs de Bergen, on navigue
toujours entre des îles, mais les pilotes courent avec rapi-
dité dans les passes les plus difTiciles, grâce à la sûreté de
coup d'ceil qu'ils acquièrent par un apprentissage qui dure
une vingtaine d'années. Les matelots norwégiens sont les pre-
miers du monde.
M. Brun décrit encore le Jotunheim (la demeure des sor-
ciers), puis un bateau à 16 paires de rames retrouvé dans
une tourbière, où il était enseveli depuis 800 ans, la neige
noire, etc., etc.. et donne des explications des spécimens
placés sous le microscope, et des photographies qu'il a rap-
portées de son voyage.
Des applaudissements témoignent à M. le piofesseui- Brun
l'intérêt avec lequel ses nombreux auditeurs ont suivi sa com-
munication dont le Président le remercie.
M. Humbert demande à M. Brun si c'est le fait d'avoir
retrouvé les farines de diatomées fossiles en Norwège, tan-
dis qu'on trouve les diatomées vivantes aujourd'hui à 6000""
de profondeur, qui lui fait dire que cette partie du continent
européen a été émergée à une date très ancienne.
104 BULLETIN.
M. Brun répond qu'on a retrouvé en Norwège, dans leJul-
land el sur la côte de Richmond des espèces appartenant aux
premières végétations qui aient apparu, et ne vivant actuelle-
ment qu'à oOOO'" ou (JOOO"". Il faut (jue le soulèvement ait été
très ancien.
M. Humbert rappelle que les terrains siluriens sont identi-
ques en Europe et dans l'Amérique du Nord; ils appartien-
nent à l'époque la plus reculée. Le fait cité par M. Brun n'en
est pas moins intéressant. On doit aux naturalistes Scandina-
ves la description de crustacés vivant à de grandes profon-
deurs dans les lacs Wener et Wetler. A une certaine époque
ces lacs étaient en communication directe avec la mer ; alors
l'eau en était salée. Après le soulèvement l'eau de la surface
est devenue douce, et peu à peu Teau des couches profondes
l'est devenue aussi, et certaines espèces se sont acclimatées
dans l'eau douce; le même fait s'est produit au lac Baïkal
pour le phoque, et au Tanganyika pour une méduse. M. Hum-
bert rend hommage aux travaux des savants Scandinaves?
Linné, Fr'ies, Millier, Berzélius, etc., qui, avec peu de res-
sources, ont néanmoins créé des musées admirables au point
de vue de l'archéologie et de l'histoire naturelle.
Le Président attire l'attention sur la collection de cartes de
la Scandinavie que possède la Société, et remercie M. Brun
de lui avoir ôté l'illusion de la chaîne de montagnes pour y
substituer le tableau des plateaux gradués. Il prie M. Brun
d'exposer son idée sur la foi'mation des tlords.
M. Brun fait remarquer que le bord dufiord étant cà angles
vifs, et que la profondeur du fiord étant considérable, il n'est
pas possible d'attribuer la formation de celui-ci à l'érosion
glaciaire, que l'on distingue ailleurs parfaitement en Norwège.
L'opinion des savants suédois est aussi que les fiords sont les
fissures du soulèvement de celte partie du continent.
SÉANCE DU 14 MARS 1884.
Présidence de M. H. Bouthillier de Bëaumont.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
Le Président rapporte que, désireux de voir se développer
PROCES- VERBAUX. 105
à Genève Tintérêt pour les études de géographie commer-
ciale proprement dite, le Bureau a décidé d'offrir le concours
de la Société aux personnes qui voudraient se grouper en
association. A cet effet un appel a été rédigé et envoyé aux
journaux quotidiens, invitant les personnes directement inté-
ressées à l'étude des divers pays envisagés comme lieux de
production et comme débouchés pour le commerce, et dis-
posées à participer à la fondation d'une Société de géogra-
phie commerciale, a se réunir, au local de la Société, le jeudi
20 mars à 8 heures du soir, afin d'en discuter la création, et
au besoin d'en poser les bases. La Société mettrait à la dispo-
sition de la nouvelle association son local, sa bibliothèque et
ses relations étendues. Cette réunion est recommandée à
l'attention des membres de la Société de géographie.
Le Bureau a été saisi, par M. Moynier, président de la com-
mission du cours, d'une proposition en vue de s'assurer l'en-
seignement de M. le professeur Rosier pour Thiver prochain.
Il y a lieu d'espérer que M. Rosier pourra répondre affirma-
tivement à la demande qui lui a été faite, et que la Société
pourra enregistrer un nouveau succès aussi complet que celui
des deux années précédentes.
L'office de renseignements pour les émigrants, créé sous les
auspices de la Société d'utilité publique et de la Société de
géographie, sollicite la sympathie effective de cette dernière,
et de toutes les personnes qui s'intéressent au vrai bien de la
Suisse et de ceux qui la quittent.
La commission de la bibliothèque a remis à M. le secré-
taire général de la part de MM. Alphonse Gautier et Frank
de Beaumoni, des articles bibliographiques que nos lecteurs
trouveront à la fin de cette livraison.
Le secrétaire-général annonce avoir reçu en outre un arti-
cle d'un journal américain sur M. VincenI, M. G. et son voyage
au pays de l'éléphant blanc, voyage dont M. le professeur
Ghaix nous a entretenus l'année dernière. M. le Président
présente un nouvel album de photographies de Peaux-
Rouges, don fait à la Société par le prince Roland Bonaparte.
Le bibliothécaire présente plusieurs documents reçus du
service hydrographique des É^tats-Unis, les cartes pilotes de
janvier et février indiquant les points où ont eu lieu les nau-
frages survenus dans l'Atlantique pendant ces deux mois, et
106 BULLETIN.
le texte qui accompagne ces cartes; une série de données
destinées essentiellement aux marins, et deux cartes des côtes
du Brésil.
Le Président donne la parole à M. H. F. Gros poui' une
communication sur
Les Boers et l'Ouverture de l'Afrique.
Messieurs,
Je voudrais vous entretenir de celte partie de la popula-
tion du sud de l'Afrique qui représente la gi'ande majorité
de la population blanche, laquelle est une combinaison de
races eui'opéennes, parlant, m'a-t-on assuré, un patois encore
usité il y a deux siècles dans certaine province des Pays-Bas.
Ce patois esl à peine compris des Hollandais qui débarquent
au Cap aujourd'hui, tandis que les Boers comprennent suffi-
samment la langue des Pays-Bas sans pouvoir la pai'ler. Les
Anglais nomment ces colons-là Diitch, mot qui correspond à
Hollandais; eux-mêmes se font appeler Afrikander ou bur-
gher; nous, nous l'appellerons Boer, quoique aucun de ces
termes, traduit littéralement, ne soit juste.
Celui de Boer est pourtant préférable, parce qu'il corres-
pond à notre mot de fermier et qu'il rappelle la pi'ofession
de celui qui le porte ; mais quand on veut s'en servir, il faut
le faire avec ménagement, car il contient une épithète
que les Anglais ont rendue méprisante, ce dont le Boer est
informé.
L'histoire nous raconte assez brièvement que, de 1685 à
1689, des réfugiés, français pour la plupart, flamands, mora-
ves et piémontais, victimes des persécutions religieuses de
cette époque, et envoyés par les Pays-Bas, auxquels ils avaient
été demander un asile, furent expédiés au Cap avec leurs
familles, pour renforcer le petit nombre des colons hollandais
qui, depuis peu d'années, s'y étaient établis. En 1795 l'Angle-
terre prenait possession de celte colonie restée hollandaise
jusque-là, pour l'abandonner de nouveau sept ans plus tard
jusqu'en 1806, où, reconnaissant tout le parti qu'elle pouvait
tirer de cette excellente position maritime sur la route des
Indes, elle se l'appropria définitivement.
Voilà en deux mots. Messieurs, l'origine de la race, dont
procès-\'t:rbaux. 107
l'influence s'étendra un jour sur toute la partie méridionale
du continent africain, car j'ai la ferme conviction, les circon-
stances l'estant les mêmes, qu'il n'existe pas, sur tous les abords
de ce vaste continent, de peuple plus uni, plus courageux et
plus endurant, pour résoudre, dans des conditions suffisam-
ment humanitair-es, le grand problème de l'ouverture de
l'Afrique. Gomment le Boer y arrivera-t-il? Je ne saurais le
dire, mais je m'attacherai à en montrer la possibilité.
Dans le sud de l'Afrique, trois éléments sont en présence :
le Boer qui, pour conserver ses traditions, préfère se sou-
mettre à une émigration systématique ; l'indigène qui, pour
s'y opposer, posséderait la force numérique, mais chez qui
l'union et les expédients manquent totalement, et l'Euro-
péen qui va rampant partout où le passage a été frayé. C'est
au contact de ces trois forces opposées que l'on doit de voir
continuellement le Boer s'avancei-, tandis que l'indigène recule
ou s'écarte, et que l'Européen vient les serrer de près.
Au nombre des causes qui stimulent le Boer à se porter en
avant, je n'en connais pas de plus fortes que l'aversion qu'il
nourrit en son cœur pour les institutions européennes qu'on
veut lui imposer, avec leurs armées de fonctionnaires publics
et d'impôts, leurs complications d'emprunts, de municipali-
tés, de postes, de télégraphes et d'entretiens de routes, que
le Boer met au rang d'autant d'engins inutiles à l'existence
de patriarche qu'il s'est choisie. Ce qu'il demande avec in-
stance, c'est de pouvoir vivre en paix, à sa manière, et pour
obtenir ce résultat, dès l'année 1833, une partie des Boers
que l'on est convenu d'appeler les Treks-Boers ou Boers
nomades se sont séparés en masse de leurs frères pour porter
leurs pas là où ils supposaient que le gouvernement anglais
ne saurait les atleindre; mais celui-ci les suivit constamment
en Natalie, dans le Griqualand occidental, dans l'État libre
d'Orange et finalement au Transvaal. D'ailleurs et sans être
toujours suivi par les Anglais, tant que le Boer persistera
dans son idéal de liberté, il n'en continuera pas moins à
émigrer vers le nord, l'est et l'ouest, car, avec les années et
Taugmentation de la population dans les proportions actuel-
les, celle-ci se créera des besoins nouveaux, ainsi qu'une
civilisation et un gouvernement qui posséderont toutes les
ressources énumérées plus haut.
108 BULLETIN.
En se portant en avant, le Boei- obéit à d'autres exigences
non moins impérieuses, .^ui ne lui laissent aucun repos, et
que je dois également passer en revue.
Quand il plante sa tente sur une terre étrangère, le Boer
ne le fait pas par la force des armes, comme on l'a souvent
prétendu ; il cherche au contraire à se faire l'allié du pos-
sesseur du sol par des moyens honorables; un prix en bes-
tiaux est débattu entre les parties, et accepté en échange
d'une pièce de terre. Plus tard surviendra une trahison ou
un vol de bétail, et vengeances et massacres en seront les
conséquences.
L'histoire est là pour nous dire lequel du blanc ou de l'in-
digène est le plus scrupuleux en pareille matière ; toujours
est-il que ces conflits se terminent généralement par la sou-
mission de l'indigène.
On a reproché au Boer d'employer des moyens brutaux
dans ses guerres contre les naturels ; à cela je répondrai que
durant un espace de 18 années, je l'ai vu maintes fois aux
prises avec son ennemi nalurel,employant,pour châtier quel-
que peuplade qui l'avait outragé, tantôt la ruse, tantôt la force,
toujours la patience, et malgré des cas trop nombreux d'une
barbarie des plus révoltantes exercée par les naturels envers
leurs prisonniers blancs, je n'ai jamais vu que les Boers aient
usé, dans leurs représailles, d'autres procédés que de ceux
dont se sert la nation qui se pique d'être la plus humaine et
la plus civilisée du monde. Je dirai même que la politique
vacillante et détestable du cabinet anglais dans ses posses-
sions du sud de l'Afrique, pendant ces dernières années, n'a
trouvé d'admirateurs ni parmi les Boers, ni parmi les Anglais,
ni parmi les indigènes. N'a-t-on pas vu peu de temps après la
découverte des mines de diamants, le gouvernement du Cap,
par une imprudence impardonnable, permettre la livraison
de centaines de milliers de fusils aux indigènes, qui accou-
raient de toutes parts pour les acheter — il est vrai que ces
fusils payaient un droit d'entrée d'une livre sterling par
canon à leur débarquement, — et les arsenaux anglais se pur-
geaient par ce canal de toute leur vieille ferraille, aussi la
spéculation promettait-elle d'être belle. Mais qu'en résulta-
t-il? Hélas! ce que l'on avait prévu. Toutes ces bouches à
feu se dirigèrent contre les Anglais qui les avaient vendues;
PROCES-VERBAUX. 109
les guerres du Lessouto, du Zoulouland et du Transvaal, plus
quinze millions de livres sterling qu'elles avaient coûté, vin-
rent enrichir l'histoire et les mécréants qui avaient combiné
celte spéculation.
Pour réparer une partie du mal, ou pour en profiter, on
voulut faire passer une loi de désarmement; on offrit aux
Bassoutos de racheter leurs armes ; comme ils refusèrent
de s'y prêter, on chercha à les leur reprendre par la force,
et l'on échoua.
En ce qui concerne le Zoulouland, peut-on expliquer autre-
ment que par une légèreté incroyable tous les désastres dont
ce pays a été et continuera à être affligé. Les Zoulous sont en
armes, le répit accordé par l'ultimatum de sir Bartle Frère
est écoulé et le duel se poursuit furieux et sanglant. On voit à
l'issue un roi vaincu, traîné en captivité, un peuple privé
de son chef et plongé dans h guerre civile; pour y mettre
un terme, on écoule quelques meneurs, et l'on rétablit le
monarque déchu, qui, à son retour dans ses États — on devait
s'y attendre, — n'y retrouve qu'un petit nombre d'adhérents;
alors on l'abandonne à son misérable sort, et la guerre civile
n'est point encore terminée.
Si l'on considère la position du Transvaal et ses rapports
avec l'Angleterre, de 1876 à aujourd'hui, on remarquera
dans son administration toujours la même inconstance et la
même légèreté.
En 1876 les Boers de cette république soutiennent une
guerre contre Secocoeni, le chef souverain des Bapédis, qui
avait, comme le reste des indigènes, fait provision de fusils
anglais. Cette guerre ne se termina pas à l'honneur des
blancs; les ressources du pays furent épuisées et ses habi-
tants démoralisés. Mais voici que sir Théophile Shepstone,
accompagné de son état-major et de vingt-cinq gendarmes,
apparaît sur la scène, porteur d'un message de paix et d'a-
mour; une députation de sept délégués choisis par les habi-
tants de Pretoria — j'ai eu l'honneur d'en faire partie —
l'accueille, on s'empresse autour de lui, on l'accable de félici-
tations; attelée à son équipage, la populace le mène en triom-
phe dans les rues de Pretoria; des (lots de Champagne cou-
lent àl'ambassade anglaise; la confiance renaît dans les cœurs,
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 8
110 BULLETIN.
car rAngleterre, par la bouche de son représentant, vient
étudier les griefs du Tiansvaal. Trois mois plus tard il pro-
clame l'annexion, et de ses poches sortent des rivières de
souverains; la dette publique est garantie et les salaires arrié-
rés des fonctionnaires sont payés. Ensuite sir Gai-nel Wolse-
ley accourut du Zoulouland pour se saisir de Secocoeni qui fut
amené prisonnier à Pretoria; c'est là que j'entendis l'éminent
généi'al prononcer ces paroles historiques : « L'Angleterre
ferait remonter les eaux d'un fleuve à sa source, plutôt que
d'abandonner un pays sur lequel le drapeau anglais a été
planté. » Il faut croire, qu'en s'exprimant ainsi, l'orateur était
autorisée donner au sujet de l'occupation anglaise les garan-
ties qu'on lui demandait.
Et comme si les capitaux n'avaient attendu qne cette décla-
ration pour faire irruption dans le Transvaal, une ère de paix
et de prospérité jusque-là inconnue commença pour tout le
territoire, mais elle ne fut pas de longue durée. Les guerres
du Zoulouland et de Secocoeni terminées, sir Garnet Wol-
seley repai-til pour l'Angleterre avec ses beaux dragons et
ses régiments ; la grande popularité de sir Théophile Shep-
stone fut remplacée par celle plus douteuse de sir Owen
Lanyon, dont l'administration rapace et arrogante produisit
des soulèvements non i-éprimés parmi les Boers, qui se réu-
nirent à plusieurs reprises, pour tenir conseil, et le 16 décem-
bre 1880, ils proclamèrent la république.
Il faut convenir que le moment était bien choisi, car, dans
l'intervalle, M. Gladstone avait succédé à lord Beaconsfield et
les loOO hommes qui composaient la garnison du Transvaal
étaient répartis sur tous les points d'une surface plus grande
que la France, Du côté de la Natalie, une force égale
était seule à la disposition immédiate de son gouverneur le
général Colley. C'est avec celte petite colonne que, pour
franchir la chaîne du Drakensberg, il livra les combats de
Laing's Nek, d'ingogo et d'Amajuba, qui furent une succes-
sion de défaites. Passant sous silence les sièges de Pretoria,
de Potchefstroom et tant d'autres^ bien que riches en émou-
vants épisodes, j'ajoute que la paix fut enfin conclue et que
la rétrocession du Transvaal devint un fait accomph.
Messieurs, j'arrive du Transvaal, avec ma famille, et dans
peu de jours je dois de nouveau quitter Genève, ma patrie,
PROCÈS-VERBAUX. 111
pour aller reprendre ma place au milieu des Boers. C'est
vous dire que je dois prendre garde à mes paroles, car Tani-
mosité de ces hommes pour tous ceux qui prirent les armes
contre eux est loin d'être éteinte, et nul ne peut vivre là-bas
s'il ne semble pas au moins partager les opinions d'une frac-
tion qui s'est considérablement accrue depuis les exploits dont
je vous entretenais tout à l'heure. Eh bien, Messieurs, je
brave le danger auquel m'exposeraient mes sentiments, si
on venait à les connaître au delà de l'Océan, et je vous avoue-
rai, en ce qui concerne Tannexion, que mon opinion reste ce
qu'elle était quand, avec la députation, j'allais au-devant de
l'envoyé extraordinaire anglais, et je vous demande, à vous
comme à tous les citoyens du Transvaal, mettant de côté tout
autre intérêt que celui de la vérité : Que serait-il advenu de
la république sans l'annexion ?
Retranché dans son dédale de montagnes escarpées, un
chef puissant avait résisté avec succès pendant deux ans à
tous les efforts du gouvernement de Pretoria; ce chef ne sor-
tait que nuitamment et par petites expéditions, pour se livrer
au pillage et au meurtre; c'est là, on le sait, la tactique par
excellence des Cafres dans leurs guerres contre les colons.
On avait appris qu'il existait une alliance entre Secocoeni et
Cettiwayo, le roi des Zoulous, alors en possession de toute sa
force. Son royaume donnait déjà des signes évidents d'une
fermentation qui éclata peu après l'annexion, mais qui pou-
vait devenir excessivement grave pour les intérêts de tout
le sud de l'Afrique; Secocoeni restant maître delà place dans
le nord-est, pour peu que ses succès eussent été imités alors
dans l'est, la conflagration pouvait s'étendre sur tout le litto-
ral sud du Limpopo, et c'en était fait des colons. Il fut alors
aussi question de bruits de guerre chez les Bassoutos; mais,
soit que l'indécision s'en mêlât, soit que la saison ne leur
fût pas propice, leur danse de guerre fut ajournée à trois
années plus tard, soit à peu de mois avant la guerre du
Transvaal.
Dans le sein de la république l'anarchie régnait en plein ;
son président Thomas Burgers avait perdu tout contrôle sur
le Volksraad et sur les habitants ; chacun voulant agir selon
ses idées, personne ne prenait l'initiative, les citoyens jetaient
loin leurs armes, car des revers auxquels ils étaient peu hahi-
Il2 BULLETIN.
tués avaient éloulTé en eux non seulement le sentiment de
leurs devoirs, mais ce qui est pire encore, leur patriotisme.
Les coffres de l'État étaient littéralement vides et son cré-
dit absolument ruiné; ses fonctionnaires ne recevant plus
leur salaire qu'en bons sur le trésor, ces chiffons étaient
échangés à vil prix contre les articles les plus indispensables
à l'existence.
C'est dans les villes, à Pretoria surtout, où siégeait le gou-
vernement, que l'anarchie se faisait le plus sentir; tandis que
dans les districts éloignés du théâtre de la guerre, où les nou-
velles pénétraient difficilement, les campagnes étant sépai'ées
par de grandes distances les unes des autres, on discutait
fort à l'aise les chances de se réveiller un jour sans vestiges
d'un gouvernement quelconque.
C'est alors qu'avertie à temps du danger que couraient ses
colonies limitrophes, l'Angleterre nous prenant sous son aile,
attaqua d'une main de maître, toutes les difficultés du moment.
Tous les fonctionnaires qui avaient servi sous la république
à l'exception de deux d'entre eux, Burgers et Bakker, dont
le premier avait accepté une pension du gouvernement
anglais, continuèrent volontairement leur service, à la solde
du même gouvernement.
Voilà, Messieurs, le meilleur témoignage qu'il me soit pos-
sible de vous offrir pour prouver l'a propos de cette anne-
xion; si elle ne compta pas de partisans parmi certaines
nations européennes, cela tient aux fausses représentations
qu'on en a faites. Pour ma part je crois sincèrement que c'est
à celte annexion que le pays doit d'avoir été préservé d'une
invasion. Cettiwayo et Secocoeni disparurent tour à tour de
l'horizon fumant, et un soleil radieux se leva sur le Trans-
vaal ; en peu de temps nous eûmes une ligne télégraphique,
des postes régulières, des routes mieux entretenues et des
percepteurs d'impôts à nos portes.
Les troubles qui, de tout temps, désolèrent le sud de l'Afri-
que, doivent être attribués à l'éloignement, à l'incompétence
et à l'instabilité du cabinet anglais dans sa direction des
affaires d'un autre hémisphère : — à son incompétence, qui
résulte de son éloignement, parce qu'en Angleterre on est
aussi peu au courant qu'il soit possible de l'être, du vrai carac-
tère des Boers et des indigènes. Ce sont deux étalons doux.
PROCÈS-VERBAUX . 113
et intéressants, qu'il serait cependant très aisé de conduire
si l'on savait les tenir en mains, sans trop se servir du fouet,
avec un mors bien adapté à leur bouche, et un conducteur
qui ne fût pas renouvelé trop souvent. Je peux vous donner
l'assurance, Messieurs, que de tels instruments se rencon-
trent parmi les Africains, sans qu'il faille aller jusqu'en Angle-
terre pour les trouver ; à l'instabilité, parce que les gouver-
ments anglais se succèdent, mais ne se ressemblent point, et
que l'on voit trop fréquemment, comme partout ailleurs, un
ministre entrer dans une voie dans laquelle son successeur le
suit rarement; c'est à celte instabilité que le Transvaal doit
son indépendance actuelle. — La retraite de sir Owen Lanyon
fut signalée par le départ spontané d'une foule de colons
anglais et africains, qui reprirent le chemin du sud; tandis
que quatre années auparavant l'entrée des Anglais avait pro-
duit un effet d'un tout autre genre, puisque deux cents famil-
les de Boers allèrent grossir les rangs de l'exploration afri-
caine en prenant le chemin du nord.
La seconde raison qui porte le Boer à contribuei-, malgré
lui, à l'ouverture de l'Afrique, se trouve tout naturellement
dans l'accroissement de sa famille ; vous ne manquei'ez pas de
remarquer qu'en l'exposant je me laisserai souvent entraîner
dans des détails qui peuvent paraître étrangers à mon sujet ;
je les ai crus nécessaires parce qu'ils entrent indirectement
dans la source très complexe de tous les désavantages aux-
quels le Boer est soumis.
Le Boer, qui est essentiellement fermier, se sent peu fait
pour toute autre vocation. Je parle du Trek-Boer et non du
Boer gentleman, lequel, s'étant fusionné avec les colons de
son entourage, se rencontre principalement aux abords des
villes, dans les colonies du Cap et de Natal, Le Trek-Boer s'oc-
cupe de l'élevage du bétail, dont l'espèce varie avec les con-
ditions des pays, par exemple, le mouton se rencontre dans
les plaines arides de la colonie du Gap et dans l'Étal libre
d'Orange; la végétation de la première consiste en petites
touffes de buissons, hauts de 30 c. à peine, ou bien d'une
herbe rabougrie et rare, telle qu'on la trouve dans l'Étal
libre. La race chevaline prospère dans les plaines et sur les
plateaux peu arrosés, non visités par une maladie épidémi-
que très funeste dans ses résultats, et qui n'est autre qu'une
114 BULLETIN.
fièvre pfovenanl d'un excès continu de nourriture, à l'épo-
que où riierbe est fleurie, l'épidémie apparaît alors et sévit
jusqu'aux pi'emières gelées. Les Africains sont d'accord pour
attribuer cette maladie à l'air de la nuit ou à la rosée. L'éle-
vage du gros bétail est l'un des attributs favoris du Boer^ et
c'est dans le Transvaal qu'on le voit en faire son occupation
la plus rémunératrice; l'agriculture y est aussi mieux déve-
loppée qu'ailleurs; grâce aux pluies plus régulières de Télé,
les pâturages y sont mieux fournis; dans maintes parties du
pays riierbe atteignant souvent une hauteur de six pieds, les
chevaux et les moutons en sont exclus.
Une autre occupation propre au Boer habitant les confins
de la civilisation, c'est la chasse et la coupe des bois de char-
pente; des produits de sa chasse il fera des articles en cuir,
qui trouvent un facile écoulement parmi ceux de ses compa-
triotes, chez lesquels le gibier manque.
J'ai dit que la population des Boers, allant en croissant
dans des proportions remarquables, leur émigration en était
le résultat direct. En effet, bien qu'immenses, leurs fermes
avec leur rare végétation (le Transvaal excepté) ne peuvent
guère recevoir plus d'un certain nombre de têtes de bétail;
l'agriculture étant presque nulle et à peine suffisante pour les
besoins de la population, la jeune génération a tellement sub-
divisé la ferme de ses pères, qu'il est matériellement impos-
sible de la' subdiviser davantage, et comme tout ce monde se
marie très jeune et voit dans la possession d'une nombreuse
famille son bonheur terrestre, c'est ailleurs qu'il doit aller
le chercher, on le voit alors fréquemment sur les routes avec
son wagon ; des provisions et son attirail domestique bien
modeste, prendre littéralement la clef des champs.
La place diminue chaque jour; en outre le Boer a, dans
certaines parties du pays, d'autres difficultés non moins sérieu-
ses : je veux parler de la sécheresse persistante de quelques
saisons et du terrible fiéau des sauterelles, dont j'ai pu trop
souvent déplorer les effets, par exemple, en 1865, lorsque je
traversai les plaines du Karoo qui s'étendent de Gérés jusqu'à
Beau fort- West, sur un parcours de 300 kilomètres, mainte-
nant traversé par un chemin de fer; la sécheresse qui sévis-
sait depuis deux ans était telle que l'air était rempli des éma-
nations d'animaux morts d'inanition; la pluie vint enfin et
PROCÈS- VERBAUX. 115
quinze jours après, ô prodige! les buissons que j'avais crus
morts aussi, reverdirentlet se couvrirent de charmantes petites
fleurs; mais, comme si des ondées bienfaisantes n'étaient pas
faites seulement pour ressusciter une végétation, là où il n'en
restait plus aucune trace, des nuées de sauterelles remplirent
l'air; le soleil en était littéralement obscurci, et se transpor-
tant de lieux en lieux avec le bruit sourd de l'ouragan, elles
semèrent de nouveau partout, dans les jardins, les champs et
la campagne, la dévastation et l'etTroi. Ces sauterelles sont
voraces au point de s'attaquer à tout, même aux semelles des
souliers qu'on a laissés par mégarde à sa porte. En revan-
che et comme pour servir les desseins d'une admirable Pro-
vidence, alors qu'il n'y a plus que la famine à attendre, on
voit les oiseaux de l'air, les animaux des champs, même les
indigènes en faire volontiers leur nourriture; grillée, comme
les naturels la préparent, la sauterelle africaine n'est pas à
dédaigner. Quand elle ne vole pas, le sol en est couvert à cer-
tains endroits d'une couche de 5 à 15 centimètres d'épais-
seur; elle s'attache aux buissons et aux pierres au point d'en
cacher la nature et la forme ; on la voit aussi traverser de
petites rivières à sec marchant sur les corps de ses congénè-
res qui y sont tombés.
C'est le matin, dès que les rayons du soleil sont assez
chauds pour la dégourdir, qu'on la voit s'élever par nuées et
suivre la direction du vent à des hauteurs qui varient avec
la force de celui-ci, s'abattant avec lui pour reprendre bien-
tôt, et toujours au ^vé du vent, un vol effréné vers des
régions inexplorées par elles, jusqu'à ce qu'enfin, franchissant
plaines et montagnes, ces nuées immondes rencontrent la
mer où elles sont englouties et deviennent la proie du
poisson.
Au nombre des causes qui tendent à faire du sud de l'Afri-
que une contrée de plus en plus défavorable à la colonisation,
non seulement des Boers, mais de tous les colons, quelle que
soit leur origine, je puis ajouter la funeste habitude qu'on a,
dans l'État libre d'Orange, le Lessouto, la Natalie et le Trans-
vaal, et dans toutes les autres parties où il y a encore un peu
de végétation capable d'être consumée, de la Itrùler. En effet,
dès que le printemps s'annonce en juillet, sous le prétexte
que le bétail aura plus tôt une herbe tendre et verte à brou-
116 BULLETIN.
ter, on voit tout le monde, la torche à la main, mettre résolu-
ment le feu aux broussailles; en quelques jours l'incendie
se pi'opage et le pays tout entier, déjà bien afTreux, n'oiïre
plus à la vue qu'un vaste brasier.
Je ne connais pas de pratique plus funeste à tous égards
que celle-là. Pour la faire cesser il faudrait que, d'un commun
accord, prédicateurs et législateurs, s'élevassent contre elle.
Il est prouvé que si ces feux annuels ne détruisent pas les
serpents enfouis sous le sol dans les mois de mai, juin et
juillet, ils détruisent d'autre part des milliers d'oiseaux qui
nichent dans l'hei'be, et des milliers d'insectes dont le rôle à
tous est trop connu pour être rappelé. Ce mal n'est rien
encore en comparaison de celui qui est produit directement
dans toute la flore; les rares arbres que Ton rencontre encore,
périssent les uns après les autres par suite des brûlures que
leur écorce a reçues à sa hase, et il est matériellement impos-
sible à toute graine ou à tout arbrisseau de prendre son essor.
La végétation diminuant, l'humidité du sol et de l'air dispa-
raît aussi et les pluies en deviennent de plus en plus rares.
Sans pouvoir s'en rendre cempte, des vieillards m'ont
assuré se souvenir d'un temps où les pluies étaient plus fré-
quentes, où l'herbe croissait dans la colonie du Cap, là où il
n'y a plus, à l'heure qu'il est, que les petits buissons rabougris
dont je parlais tout à l'heure, lesquels sont maintenant trop
espacés pour que le feu s'y propage.
Voilà les causes qui me font croire que, tant qu'elles sub-
sisteront, le Boer est appelé à jouer inconsciemment le rôle
de pionnier dans la civilisation de l'Afrique centrale. « C'est
moi qui défriche et John Bull qui moissonne, » l'entend-on
murmurer souvent. Oui, Messieurs, c'est lui qui défriche
l'Afrique, et en la défricliant il ne se sert ni de l'hypocrisie,
ni des millions, ni des soldats, ni du rhum des autres nations,
mais seulement de la connaissance parfaite qu'il a du carac-
tère de l'indigène, de sa carabine au besoin, de son endu-
rance stoïque toujours.
Sa connaissance de l'indigène et son endurance, il les a
puisées de bonne heure à l'école de l'adversité : il y a deux
siècles il se créait une nouvelle patrie sur la terre du Cap des
Tempêtes, comme on l'appelait alors ; en 1811, par petites
étapes, il s'avançait jusqu'à Gratï-Reinet, qui lui était alors
PROCÈS- VERBAUX . 117
plus inconnu que l'Afrique centrale ne l'est de nos jours ;
dans la même année il reprenait par les armes son bétail
que les Caffres lui avaient enlevé ; vingt-trois ans plus tard'
il franchissait par terre la distance énorme et peuplée de tri-
bus hostiles qui le séparait de la Natalie, où Pieter Retief
plantait bravement sa tente au milieu de 400,000 Zoulous,
qui le regardaient ébahis; en 1837 attiré dans un piège il se
faisait massacrer par Dingaan, le roi des Zoulous; en 1838
Prétorius, à la tête de ses 400 braves, se vengeait de cet
affront; en maintes occasions il se mesurait avec les troupes
anglaises et après avoir franchi la rivière Orange s'établissait,
toujours, toujours plus avant dans l'intérieur ; en 1850,
puis de 18o8 à 1866, il soumettait Moshesh, et les Anglais
profitant de cette victoire, lui arrachaient sa conquête; enfin
de 18o2 à 1877, pénétrant toujours plus avant, il s'établit
dans le Transvaal et en chassa le puissant Mosélikatzi qui
l'avait trahi.
S'il restait encore un doute dans votre esprit, Messieurs,
snr ce que peut accomplir le Boer, j'ajouterai que, ne con-
naissant l'Afrique centrale que par ce qu'en ont rapporté les
Livingstone, les Stanley, les Cameron, et tant d'autres, je ne
vois rien, jusqu'au Soudan, qui soit de nature à effrayer le
Boer, quoique le Noir Continent lui paraisse cependant plus
noir qu'à nous, parce que les seuls enseignements géogra-
phiques qu'il ait reçus, il les a puisés lui-même dans le seul
Livre qu'il possède; ce Livre lui parle d'une Terre Promise,
il sait qu'elle est au bout de son grand voyage et c'est vers
cette terre qu'il s'achemine.
« Afrika voor Afrikanders » est son cri de ralliement; il le
criait bien haut il y a deux siècles en débarquant sur cette
plage inhospitalière, les échos du Zambèze le répètent aujour-
d'hui.
Arrivé au bout de ma communication, si j'osais, pour
la troisième fois, parler de l'annexion du Transvaal, ce
serait uniquement pour faire ressortir les conséquences d'un
moment de faiblesse; le Boer du Transvaal, identique par ses
aspirations et ses goûts, au Boer d'autrefois, a reconnu son
erreur et prouvé par la suite que la leçon lui a été salu-
taire.
Je sens qu'une explication de ma conduite vous est due,
118 BULLETIN.
et je sais également que votre honorable Société me la deman-
derait si je ne l'offrais volontairement.
Lorsque je me prononçais en faveur de l'annexion, c'est
que je voyais par les yeux des hommes les plus sensés du
pays, qui voulaient sa sécurité et le progrès; c'est avec eux
que je combattis ; mais aussi longtemps que les Boers du
Transvaal voudront rester unis, sincères et justes, c'est de
leur côté que je me rangerai.
La Société exprime par ses applaudissements ses remercî-
ments à M. Gros pour cette intéressante communication.
M. le D'' Lombard demande à M. Gros des renseignements
sur le mouvement de la population au Transvaal.
M. Gros répond que pendant les années de l'annexion, il y
a eu augmentation du nombre des colons anglais et euro-
péens; de 900 habitants qu'avait Pretoria en 1876, le chiffre
s'en était élevé à 4000 pendant le siège; après la rétrocession
il est redescendu à 1000. C'est surtout dans les campagnes
que l'augmentation s'est produite. Les villes ne sont pas peu-
plées de Boers; dans les campagnes ceux-ci sont fermiers
sans avoir cependant, dans leurs mœurs, rien de commun
avec nos fermiers ; assez indolents ils choisissent des occu-
pations qui ne leur coûtent pas beaucoup de travail. Ils cul-
tivent un peu de terrain autour de leur liabitation, là où il y
a une source; ils ont des charrues, mais vu la dureté du ter-
rain et la faiblesse relative des bœufs, il faut en atteler douze
pour le labourage, et avoir en outre un attelage de rechange.
Les Boers ne se servent pas d'engrais; leurs propriétés sont
entourées de clôtures; celles des naturels sont tout ouvertes ;
leurs bestiaux empiètent à chaque instant sur le terrain d'au-
trui, de là naissent beaucoup de discussions et l'obligation
d'en appeler à la justice.
Quant aux différents éléments de la population au sud de
l'Afrique, sans pouvoir préciser les chiffres, M. Gros estime
qu'il peut y avoir 200,000 Boers pour 100,000 Européens.
Dans le Transvaal seulement il \ a 40,000 Boërs et 600,000
indigènes; Wolseley en a indiqué 800,000. A mesure que les
Boers avancent les indigènes se retirent. La loi d'impôt du
Transvaal ayant institué une taxe sur le nombre de huttes
que chacun possède, les natifs s'entassent dans le plus petit
nombre possible de huttes pour payer moins au fisc.
PROCÈS- VERBAUX. 119
Sur les cartes les limites du Transvaal sont indiquées
comme s'arrêtant au Limpopo, quoiqu'on trouve des Treks-
Boers, nomades et chasseurs, au delà du Limpopo et jusque
sur les bords du Zambèze.
M, Moynier demande des explications sur les incendies de
forêts si fréquents dans cette partie de l'Afrique. Faut-il les
imputer à la population indigène, ou la responsabilité en doit-
elle être attribuée aux blancs?
D'après un renseignement fourni par un Boer, M. Gros
croit que les indigènes ne pratiquaient pas l'incendie et que
l'usage en a été introduit par les blancs.
M. de Beaumont rappelle qu'en Russie règne l'habitude de
brûler les herbes. En paissant, les bestiaux laissent, sans y
toucher, une herbe dure qu'il faut brûler.
M. Gros explique qu'au Transvaal, dans certains endroits
où le feu ne peut pas prendre, l'herbe ancienne reste et
pourrit, la nouvelle pousse et la recouvre; les Boërs préfè-
rent celle-ci pour leurs troupeaux qui ne veulent pas autre
chose, mais chez lesquels il résulte, de cet usage exclu-
sif de l'herbe fraîche, des maux d'entrailles qui seraient
évités si rherbe nouvelle se trouvait mélangée avec de
l'ancienne.
M. de Beaumont demande si le régime des sources et le
débit des rivières ont beaucoup changé?
M. Gros répond que la sécheresse augmente. En 1870, par
exemple, les Champs de Diamants étaient couverts de mimo-
sas; il y avait en outre beaucoup d'herbe et une belle végé-
tation. Les mineurs venus, coupèrent tous les arbres sans
aucune retenue, les forêts de mimosas disparurent, d'herbe,
il n'y en a plus; aujourd'hui la sécheresse est perpétuelle.
M^ Hornung rappelle les données fournies pai- un article
de la Revue des Deux Mondes sur les conséquences du
déboisement : l'absence de pluie et la disparition de la végé-
tation. Si les blancs taillent en ruine, leur action en Afrique
ne mérite pas le nom de civilisati'ice.
M. Gros répond que lesBoers ne s'attribuent pas la mis-
sion de civiliser les indigènes ; ils voudraient bien plutôt les
maintenir dans l'ignorance. Ignorants eux-mêmes, ils ne se
demandent pas pourquoi les pluies deviennent de plus en
plus rares. Ils ne lisent ni journaux, ni livres, si ce n'est la
120 BULLETIN.
Bible. Le moyen de remédier au mal serait de leur prêcher
le reboisement.
M. Humi)ert voit au déboisement deux causes : les incen-
dies et les chèvres. On estime généralement que l'eflel du
feu sur les arbres est de les faire périr. En Inde on brûle les
broussailles en pleine forêl, cependant celle-ci ne périt pas.
Quand les herbes des prairies ont atteint une certaine hau-
teur on en brûle aussi de vastes étendues. Y a-t-il au Trans-
vaal des forêts brûlées?
M. Gros répond qu'il n'y a pas de forêts. Dans la colonie du
Cap, dans l'État libi'e de l'Orange, on trouve des buissons
d'épines, dans le Transvaal, des mimosas; si les bouquets
d'arbres sont trop serrés il n'y a pas d'herbes, et le feu ne
peut pas atteindre le tronc. Aux mines d'or on a brûlé les
forêts.
M. Humbert signale les modifications apportées dans cer-
taines régions de l'ouest américain par la plantation d'arbres
faite d'une manière graduelle; de trop sec qu'il était, le cli-
mat l'est devenu un peu moins, et aujourd'hui on peut faire
des cultures auxquelles on ne pouvait songer autrefois.
M. de Beaumont rapporte qu'en 1842, le gouvernement
russe publia un ukase promettant le titre de noble de lo°*
classe à tout propriétaire qui planterait en forêts une partie
de sa propriété. Alors furent plantées des étendues considé-
rables d'arbi'es d'essences diverses : pins, frênes, chênes, de
manière à ce que les essences tendres fussent protégées con-
tre le vent qui cassait la couronne des arbres. Le régime du
pays fut modifié; au lieu du steppe on vit pousser une herbe
fraîche et verte. M. de Beaumont planta lui-même 14,000
arbres; malheureusement ils furent mangés par les lièvres
pendant l'hiver.
M. Faure ne pense pas que l'on doive attribuer aux blancs
l'importation en Afrique de l'usage de brûler herbes et forêts,
puisque les premiers navigateurs portugais qui, dans leur
recherche de la route des Indes, firent le tour de l'Afrique
australe, virent, pendant leur navigation, les tlammes et la
fumée les accompagner de l'Angola à Mozambique. — Quant
aux Boers, si l'on a eu souvent à leur reprocher leur esprit
peu libéral, il importe de leur rendre justice toutes les fois
qu'on le peut. Une lettre reçue tout récemment par l'Afri-
PKO CES- VERBAUX . 121
que explorée et civilisée, de notre compatriote M. Jeanmairet,
en route pour le Zarabèze avec M. le missionnaire Coillard,
annonce que le gouvernement du Transvaal a exempté l'ex-
pédition de tous droits d'entrée pour ses nombreux bagages.
Le vice-président, M. Joubert, a présidé lui-même à Pretoria
une grande assemblée en faveur de la mission du Zambèze-
Enfin à l'appui de l'idée de M. Gros, du rôle auquel les Boers
sont appelés dans l'ouverture de l'Afrique, M. Faure rappelle
l'exode de ces 300 familles boers qui, pour ne pas subir l'au-
torité anglaise, lors de l'annexion désir ThéopliileShepstone,
préférèrent s'expatrier du Transvaal comme leurs pères
l'avaient fait de la Colonie du Cap d'abord, de celle de Natal
ensuite, et s'avancèrent vers le N.-O., à travers les solitudes
du Kalabara, où beaucoup moururent de fatigue, de faim, de
soif, et d'épuisement, jusqu'au Damaraland et au Kaoko. Là,
leurs compatriotes de la colonie du Cap, émus du récit de
leurs privations et de leurs souffrances, leur envoyèrent des
secours en vivres et en vêtements, et leur aidèrent à obtenir
de. l'autorité portugaise l'autorisation de traverser le Cunéné
pour fonder près de Humpata, sous le lo°, la colonie de San
Januario. Aujourd'bui, d'après le témoignage de tous les
explorateurs qui les ont visités, lord Mayo, H. H. Johnston,
le D'' Hopfner, le baron de Danckelmann, ils sont devenus
producteurs, et ont changé le système de transport employé
jusque-là dans cette région. Au lieu des longues files de por-
teurs, l'on voit des wagons attelés de bœufs transporter à
Mossamédès les céréales exportées par les Boers. Ils n'ont
peut-être pas conscience du rôle qu'ils jouent; mais celui-ci
n'en est pas moins remarquable.
M. de SeylT demande si, pour l'occupation du terrain par
les Boers du Transvaal, il y a des contrats conclus avec les
indigènes?
M. Gros répond qu'ils plantent d'ordinaire leurs tentes là
où il n'y a pas d'indigènes.
M. de Seyff relève les accusations portées contre les Boers
d'occuper les terres des indigènes et de faire de ceux-ci des
esclaves. Les délégués de la république du Transvaal, actuel-
lement en Europe, se défendent de faii-e des esclaves.
M. Gros explique que les indigènes volent aux Boers du
bétail et même dés enfants et des femmes. Krùger ne leur a
122 BULLETIN.
jamais fait la guerre, que quand ils avaient pris quelque
chose.
M. de Seylï ajoute qu'aux Indes il faut avant tout passer
un contrat avec le possesseur du sol, pour avoir du terrain;
les indigènes brûlent des herbes, parce que celles-ci sont si
hautes qu'on ne peut pas les couper. — Les délégués du
Transvaal ont besoin de trouver des capitaux pour dévelop-
per l'agriculture; il faut en outre des bras el des hommes
pour créei- des industries el donner une impulsion au com-
merce.
M. Gros ne croit pas que depuis 1833, les Boers aient
d'une manière générale fait des esclaves. Il y a eu des x:as
isolés; mais le fait se rencontre sous le gouvernement colo-
nial anglais aussi bien que sous celui des Boers. Quant à la
question d'apprentissage, il arrive fréquemment qu'un enfant
orphelin est adopté par une famille boer, qui lui donne des
soins, sans salaire jusqu'à un certain âge; au delà de ce terme,
le jeune homme reçoit un salaire.
M. Moynier demande à M. Gros jusqu'à quel point le Trans-
vaal serait favorable à l'émigration des Suisses? Y aurait-il
avantage à les diriger de ce côté?
Oui, répond M. Gros, s'ils savent bien ce qu'ils veulent
faire, si non, ils s'exposent à tomber dans une profonde
misère. Des manœuvres, des pâtissiers, des ferldanliei's, des
rhabilleurs el des charrons pourront y prospérer.
M. de Beaumont aimerait à avoir encore quelijues rensei-
gnements sur le climat.
i\l. Gros le trouve bon, chaud, sec; les environs de la
rivière Orange sont favorables aux malades qui souffrent de
la poitrine. Au-dessous de 2000 pieds d'altitude on est exposé
aux fièvres soit au nord soit à l'est, mais le plateau du Trans-
vaal, qui a une hauteur moyenne de 3000 à 4000 pieds, est
très salubre.
SEANCE DU 28 MARS 1884.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
Le Président communique le décès du D'" Behm^ membre
PROCÈS- VERBAUX. 123
honoraire de la Société, continuateur de la publication de
l'Institut de Gotha, les Petermann's Mittheilunqen.
M. A. de Morsier, secrétaire général, propose que la Société
charge le président d'exprimer à M. Justus Perthes la part
que nous prenons à la perte faite par la science dans la per-
sonne du D'" Behm. Adopté.
M. de Morsier ajoute quelques mots sur notre compatriote
M. Arnold Guyot, mort récemment en Amérique.
M. Faure rappelle que le Bureau Ta chargé de préparer
un travail sur M. Guyot. Il l'a fait, mais en présence de la
communication de M. le professeur Chaix, il juge préférable
d'ajourner sa notice, qui priverait la Société du travail de
notre savant collègue. II demande seulement qu'une place
soit réservée dans le Globe pour la Notice sur A . Guyot, et,
si la chose est possible, que l'occasion lui soit fournie de la
lire à la Société.
Le Président i-apporte, qu'ensuite de Tappel adressé aux
personnes disposées à se constituer en Société de géographie
commerciale, avec l'appui de la Société existante, quelques
personnes se sont réunies à l'Athénée le jeudi 20 mars, à
8 heures; elles ont entendu avec intérêt l'exposé que M. de
Beaumont leur a fait de l'importance de la question; elles
ont approuvé le projet et ont décidé d'en poursuivre d'une
manière séparée la réalisation.
Le Président communique avoir reçu de W. César Pascal,
comme hommage à son système du méridien médiateur, une
pendule établissant l'heure sur ce méridien-là. Il présente
encore l'ouvrage de Lovett Cameron : Notre future route
de l'Inde, donné à la bibliothèque par M. Frank de Mor-
sier.
Parmi les ouvrages reçus, le bibliothécaire signale la carte
pilote du service hydrographique des États-Unis, pour le
mois de mars, d'après laquelle des icebergs et des champs de
glace sont descendus dans le voisinage de la côte américaine,
jusque sous le 42" ; quelques-unes de ces montagnes de glace
avaient 3 kilomètres de base et 100"° de hauteur; certains
champs de glace avaient une étendue de 80 kilomètres.
Le Président donne la parole à M. le prof. Chaix pour une
communication sur
124 BULLETIN.
Merw et les Frontières de la Perse.
Quoique la Perse n'ait plus l'étendue qu'elle avait à l'épo-
que de Cyrus le Jeune, elle forme encore aujourd'hui un
pays assez vaste, puisqu'elle a cinq fois la grandeur de la
France. Grâce à la nature montagneuse de son sol, elle pré-
sente des contrastes climalériques frappants. MM. Alphonse
de GandoUe et Boissier ayant employé pour leurs travaux
scientifiques un botaniste chargé de pourvoir leurs collec-
tions, M. Chaix a été frappé de voir, dans l'ouvrage publié à
la suite de ses reclierches par Aucher-Eloy. la quantité de
montagnes qui fournissent des plantes exposées au froid.
La Perse offre l'aspect d'une forteresse foi-midable. Au
centre se trouve un plateau d'une hauteur moyenne de 4000
pieds, entouré d'une ceinture de montagnes; les cartes en
indiquent deux chaînes. Mais sir Heni'v Rawlinson, qui a
exploré, pour le service de la Perse^ la frontière occidentale,
a découvert que cette mui-aille d'enceinte est composée de
cinq ou six chaînes consécutives, ayant des défilés d'une
grande beauté et d'une haute importance militaire. Là se
trouve la forteresse de Holwan, mentionnée sous les Arabes,
dans laquelle s'enferma lezdegerd III, mais sans s'y défen-
dre, car il s'enfuit avant l'arrivée de l'ennemi. Alexandre,
poursuivant Darius Codoman, se présente devant ces défilés
pour forcer l'entrée du plateau persan. Quoique l'abord en
soit inaccessible, il réussit; le défilé fut forcé.
Grâce à des montagnes neigeuses, les cours d'eau sont
nombreux; les uns s'écoulent à l'extérieur du plateau, les
autres à l'intérieur, d'autres encore après avoir fait beaucoup
de méandres à l'intérieur, trouvent une issue à travers des
gorges de montagnes et s'écoulent à l'extérieur. Précieux
pour l'irrigation, ils n'offrent point de ressources pour la
navigation. En effet la distance du plateau à la mer est peu
considérable.
D'après le colonel Ross, le Kara Agatch n'a, de sa source
près de Schiraz, à son embouchure, que 120 milles en ligne
directe, tandis qu'avec les méandres de son cours il en a 400.
Le Karoun qui traverse la plaine de l'ancienne Susiane a été
étudié par les Anglais qui y ont trouvé 16 pieds de pro-
PROCES- VERBAUX. 125
fondeur. L'Angleterre a fait explorer les montagnes de la
zone S.-O. de la Perse. Le capitaine Wells, le colonel Cham-
pain, M. Forbes, ingénieur, ont pénétré dans l'intérieur et
ont fourni deux cartes à grande échelle avec leurs itinérai-
res. Ils ont constaté que si le plateau persan a une hauteur
moyenne de 4000 pieds, on y rencontre néanmoins à chaque
pas des montagnes qui atteignent de 11000 à 1:2000 pieds, et
qui, en mai, sont encore couvertes d'une neige épaisse, tandis
que, tout auprès, dans le golfe Persique, la chaleur est étouf-
fante. Le lac Neris existe toujours à l'est de Chiraz, mais il
n'est pas connu sous le nom de Bachtegan que lui donnent
nos cartes. Les conditions du plateau sont favorables à l'agri-
culture. Lors de son second voyage dans les montagnes sep-
tentrionales de la Perse, le colonel Lovett y a trouvé des
habitants vivant dans l'aisance, vêtus de neuf et bien nourris.
La frontière la plus faible est celle du Béloutchistan; sans
doute elle a aussi ses montagnes, sillonnées de vallées qu'a
explorées le major-général sir Ch. Mac Gregor; mais ces mon-
tagnes ne sont pas hautes et n'ont pas de neige; le plateau
s'incline au S.-E. vers la mer d'Oman. La rivière Hilmend
forme, dans une dépression du grand bassin, un lac sans
issue, un grand marécage, auquel sir H. Rawlinson, très com-
pétent puisqu'il avait servi comme général dans cette partie
de l'Afghanistan, donne une altitude de 1000 pieds. Lors de
la délimitation des frontières entre l'Afghanistan, le Bélout-
chistan et la Perse proprement dite, à laquelle présida le
général GoldschraidI, le chef des Afghans Shir-Ali vit 5000
lieues carrées de son territoire adjugées au shah de Perse.
La frontière orientale, franchie à plusieurs l'eprises parles
colonnes anglaises, est formée par une barrière de huit chaî-
nes parallèles de montagnes, parmi lesquelles le mont Soli-
man a. 11000 pieds, et la montagne Blanche (Séfid Koh) au
nord, loOOO pieds.
La frontière septentrionale a été explorée à fond par des
officiers anglais : le major-général sir Gh. Mac Gregor, le
colonel Lovett. le capitaine Napier, etc., une portion de la
carte en a été dre.ssée; M. le profe.sseur Chaix en a dessiné
la partie N.-E. Le territoire compris entre Téhéran, Hérat et
Merw forme le Khorassan. Dans le Mazandéran, au sud de la
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 9
126 BULLETIN.
mer Caspienne, s'élève la chaîne puissante de TElhoui-s,
explorée par le colonel Lovelt et par le capitaine Forbes,
avec des montagnes de 12000 à 14000 pieds; le Démavend
entre autres en a 18(500. Des routes y ont été créées par le
général Bùhler, une ligne télégraphique y a été établie.
Cependant ces chemins ne pourraient pas servir à de Tartil-
lerie à cheval. La vie des liabitants subit l'influence des ditTé-
rences de climat aux diverses altitudes; ils passent les mois
de l'hiver dans les vallées inférieures et montent successive-
ment aux chalets supérieurs ou yaïlahs. Les paysans sont
généralement dans l'abondance ; ils mettent le feu aux herbes,
sans s'inquiétei' de brûler en même temps les poteaux du
télégraphe, et font passer la cliarrue à travers les routes.
Le Khorassan a été témoin de l'éclat de la civilisation
orientale. Autrefois l'étendue des terres cultivables y était de
J5000 1. c. ; à peu près la moitié de la France; aujourd'hui
il n'y en a plus que 9000 1. c. ; les déserts ont empiété au
midi et au nord ; ailleurs les Turcomans ont exercé leurs
ravages et les Russes ont fait des conquêtes ; 40,000 puits ont
disparu, et le pays est devenu inhabitable. Les montagnes
soni moins continues et moins hautes que dans le Mazandé-
ran. D'après une communication de M. Yenioukov à la Société
de géographie de Paris, on y a mesuré deux montagnes dont
l'une a SOOO"", est couverte de neige et a des sources abon-
dantes, d'où résulte une grande fertilité du sol. C'est l'ancien
pays des Parlhes, arrosé dans sa partie orientale par l'Arius
et le Margus. D'après la description de Strabon, ce pays était
tout couvert de forêts, il y avait peu de terrains cultivés;
aussi, vu la pauvreté de la contrée, les rois de Perse la tra-
versaient-ils très rapidement. Aujourd'hui la végétation fores-
tière a disparu. Le Margus de Strabon s'appelle actuellement
le Mourg-Ab. A ce propos, iM. Chaix fait remarquer que ce
sont les noms les plus anciens qui se sont conservés le plus
longtemps. Strabon distingue de l'Oxus. l'Ochus, tributaire
du Margus, qui, dit-il, avec l'Arius, va perdre ses eaux sur la
frontière du désert. Antiochus Soler fonda Antiochia Mar-
giana; d'après Strabon, il entoura la colonie d'une muraille
qui n'avait pas moins de loOO stades. Le sol de celte pro-
vince, comme celui de l'Ai'iane, était très favorable à la vigne.
M. Chaix a mesui'é la surface de l'oasis de Merw, sur la
PROCÈS- VERBAUX. 127
carie publiée dans les Proceedings de la Société royale de
géographie de Londres ; il a trouvé qu'elle était de 236 lieues
carrées, soit légèrement inférieure à loOO stades qui corres-
pondent <à 30J 1. c. Le nom a changé; le nom primitif avait
un caractère persan; les Arabes l'ont appelée Marou. Isde-
gberd III s'y réfugia; les habitants paraissant vouloir se saisir
de lui pour le livrer aux Arabes, il se déguisa pour s'échapper
sous la conduite d'un paysan qui l'assassina. Les habitants
primitifs de cette région étaient des Parthes; les Turcs seld-
joucides ayant passé rOxus l'envahirent, mais leur invasion
n'eut que peu d'influence sur la prospérité de la ville de
Merw. Dans son Histoire des dynasties musulmanes Aboul
Feda s'exprime en termes amers sur les Mongols de Gingis-
klian, et maudit le chef des Tatares qui, étant allés jusqu'à
Hamat en Syrie, en avaient chassé l'émir qui était le père
d' Aboul Feda. En 1210 eut lieu, dit-on, un massacre épou-
vantable, auquel trois villes, parmi lesquelles Tous et Merw,
fournirent quatre millions de victimes. Quoiqu'il y ait vrai-
semblablement de l'exagération dans celte assertion, Merw
ne s'en est pas relevée. D'après la i-elation d'Odonovan, ce
n'est plus une ville, mais une simple dénomination géogra-
phique. Les progrès des Russes dans le Turkestan sont,
depuis 50 ans, vus de mauvais œil par une partie du peuple
anglais. Sir Roderic Murchison s'etïorça d'amener ses compa-
triotes à comprendre que la Russie ne veut pas chasser les An-
glais de l'Inde. Merw n'est pas plus la clef de cette péninsule,
qu'Orléans n'est la clef de la Suisse. Ce n'est pas une position
militaire, car elle est entourée de déserts; elle n'est pas
davantage sur la route de l'Inde, car celle-ci passe à l'Est
de Merw. En outre celte dernière localité est éloignée de 75
lieues de la première chaîne des montagnes qui airêteraient
les Russes, et que l'on ne peut franchir qu'à travers une suc-
cession de cols très élevés.
Mais si Mei-w ne donne pas aux Russes la porte des Indes,
elle leur donne la sécurité; en eflet en rectifiant leur fron-
tière, ils ont voulu, d'accord avec la Perse, détruire le bri-
gandage exercé par les Turcomans. Les frontièi-es en Orient
ne sont pas immuables; celles de la Perse ont été modifiées,
ce qui a valu à la Russie un accroissement de superficie de
900 1. c. et une facilité pour la construction des chemins de
128 BULLETIN.
fer. Les Russes demandaient une extension de territoire jus-
qu'à l'Atrek; mais ils ont modéré leurs prétentions, et se
sont contentés de 30 lieues du cours de l'Atrek, au lieu des
120 lieues qu'ils demandaient.
M. Chaix a dessiné la carte de ces frontières. A Test sont
des montagnes très hautes que le général Kalitin a très soi-
gneusement explorées; sur une distance de 116 milles, il a
trouvé quatre cols, dont le premier a 8000 pieds et le second
1 1000 pieds de hauteur.
Sous le joug des Afghans gémit encore un pays qui ne
fait pas partie de l'Afghanistan, et dont la capitale était Balk,
les ruines en ont 17 kilom. de tour ; à peu de distance on en
trouve d'autres de 15 kilom. de circonférence, restes de l'an-
cienne Bactra ; les habitants en étaient des Perses et non
des Afghans. Il ne peut y avoir qu'avantage pour eux à
passer de la domination de maîtres sanguinaires sous celle
de la Russie.
De la mer Caspienne à l'Inde, la frontière a 400 lieues de
développement. Jusqu'à Hérat, sur une étendue de 250 1.,
celle frontière est faible; les montagnes en sont moins éle-
vées; mais encore ici l'on n'est pas sur la route qui mène
dans l'Inde. De Hérat à Kaboul on rencontre des montagnes
de 18000 à 19000 p. avec des cols de 11000 p., faciles à
défendre. De Kaboul à Attok, il faut traverser le Pamir, qui a
12.000 lieues carrées, où les cols sont à 13000 et 14000
pieds, les lacs à une altitude de 11000 p., et les sommets
qui entourent le plateau s'élèvent à 25000 p. Il n'est pas
possible de passer à droite ou à gauche de ce plateau. Aussi
peut-on accepter l'annexion de Merw, sans appréhender une
rencontre prochaine entre les Russes et les Anglais.
La Société témoigne par ses applaudissements l'intérêt avec
lequel elle a entendu la communication de M. Chaix.
Le Président donne la parole à MM. de Seyff, Hornung et
Humbert.
M. Hornung n'admet pas que les Rus.ses apportent la civili-
sation aux Turcomans, et ne se réjouit pas de les voir détruire
des nationalités originales comme ils l'ont fait au Caucase.
M. Chaix répond qu'il a parlé du Turkestan, d'après les rap-
ports des officiers anglais tels que les ont présentés les Pro-
ceedings.
PROCÈS- VERBAUX. 129
M. Humbert estime que la question traitée par M. Chaix
revient à savoir s'il y a eu avantage pour Merw à passer de la
domination des Turcomans sous celle des Russes. Ainsi posée
la question ne peut être résolue qu'afïirmativement.
SÉANCE DU 15 AVRIL 1884.
Présidence de M. H. BouimLLiER de Beaumont.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et adopté.
M. le professeur Chaix offre en don à la Société la carte
qu'il avait préparée pour sa communication delà séance pré-
cédente, mais qu'il n'avait pu achever. Il l'a dressée à l'aide
des travaux russes pour la partie septentrionale, de ceux des
Anglais pour le S.-E. et aussi de ceux de quelques explora-
teurs hindous exercés au lever du terrain pai- les Anglais. Il
ressort de la carte que la nature a élevé un rempart puissant
entre les deux civilisations russe et anglaise qui peuvent
poursuivre leur lâche sans crainte de se heurter.
M. le Président remercie M. Chaix du don de sa carte, puis
il présente la 4™* livraison de l'Atlas de Vivien de Saint-Mar-
tin. Il exprime la satisfaction qu'éprouve la Société à voir un
Genevois, revenu d'un voyage au sud de l'Afrique, faire part
aux amis de la géographie des observations qu'il a recueillies
dans une région encore peu visitée, et donne la parole à
M. Edmond Gautier pour sa communication sur :
Une Excursion au nord du Transvaal \
Avant d'arriver à Pretoria, il faut traverser les immenses
plaines déboisées de la République d'Orange, et du sud du
Transvaal. Pretoria est la dernièr-e ville que l'on rencontre
en allant vers le nord, du moins la dernière qui mérite de
porter ce nom. Bâtie au milieu d'une petite plaine tout
* Ces notes, rédigées à la hâte, ont été publiées telles quelles,
aussi les lecteurs sont priés de ne pas s'étouner si le style laisse
souvent beaucoup à désirer. E. G.
130 BULLETIN.
entourée de collines, Pretoria a l'avantage, rare au sud de
l'Afrique, d'êti-e abondamment pourvue d'eau. Les maisons
sont blanches et basses; il y a d'assez beaux magasins dans
une ou deux rues, mais la plupart des maisons sont de peti-
tes villas à l'anglaise entourées de jardins. Au printemps,
quand les haies de roses mousses qui les entourent sont en
(leurs, la ville est très piltoresque. J'ignore le chififre exact de
la population blanche de Pretoria; je crois pouvoir l'estimer
à environ deux mille âmes. Beaucoup d'Anglais sont partis
depuis la dernière guerre et depuis que les affaires vont mal;
cependant les Anglais doivent bien former encore la moitié
des blancs de Pretoria; leurs modes et leurs habitudes ont
été adoptées par la population hollandaise. Quand je passai
à Pretoria les affaires y allaient fort mal; la crise commer-
ciale s'y faisait sentir comme dans toute l'Afrique australe.
Une guerre longue et difficile, avec un chef cafre, épuisait
les finances de la République ; les fermiers, fatigués de la
guerre et accablés d'impôts, vendaient leur bétail à vil prix
sur le marché de Prétoi-ia. La population indigène ou colo-
rée, comme l'appellent les colons, n'est pas très considérable;
cependant presque tous les domestiques et les manœuvres
sont des noirs. Les habitants des villages voisins viennent
aussi naturellement faire leurs emplettes de couvertures et
de verroterie dans les magasins de Pretoria, et donner un
peu d'animation à ses rues. Chaque après midi, quand la
chaleur commence à diminuer, les élégantes de la ville font
leur petite promenade en voiture; mais depuis le départ des
Anglais le grand monde de Pretoria a perdu beaucoup de
son éclat et de son entrain.
Pour poursuivre ma route vers l'intérieur et gagner Mara-
bastadt, je louai un petit char à deux roues, traîné par deux
bons chevaux et conduit par un mulâtre originaire de Cape-
town. En Afrique, les cochers et les conducteurs de bœufs
s'occupent en généi'al beaucoup plus de leurs bêtes que de
leurs voyageurs. Peu leur importe que le passager soit mal
couché et mal nourri, pourvu que les bêtes trouvent de la
bonne herbe, du maïs ou du fourrage. Ils parlent du principe
qu'il faut soigner avant tout ceux qui travaillent le plus.
Nous dételâmes d'abord à une ferme, à peu de distance de la
ville. Bien que ces fermieis soient souvent propriétaires de
PROCÈS-VERBAUX. 131
centaines de bœufs et de milliers de moutons, leurs demeu-
res sont simples et primitives. Le maîti-e de la maison me
demande mon nom, et sa figure s'éclaire quand je lui
apprends que je ne suis pas anglais. La mère de famille
m'apporte la tasse de café traditionnelle, et les nombreux
enfants qui couraient pieds nus dans la chambre, en compa-
gnie des poules et des canards, viennent me serrer la main
les uns après les autres. Les petits garçons sont brûlés par le
soleil, tandis que les fillettes sont bien abritées par leurs
grands capis, sortes de capuchons de toile claire rappelant
un peu les cornettes des sœurs de charité. Nous continuons
notre route. Les fermes sont bientôt derrière nous et nous
entrons dans le pays des buissons, Bushveldt; des arbustes
épineux couvrent la campagne à perte de vue; de loin en
loin les toits pointus des huttes d'un village indigène s'élè-
vent au-dessus des buissons, et varient la monotonie du
paysage. Près d'un de ces villages, quelques Cafres, presque
nus, armés de bâtons se démènent comme une bande de
possédés pour éteindre un incendie de la prairie. C'est une
besogne que je ne leur envie pas parla chaleur qu'il fait.
Nous entrons dans le désert des Springbok, plaine sablon-
neuse où l'on ne trouve un peu d'eau qu'après la saison des
pluies. C'est là que nous passons notre première nuit en plein
air^ sous un ciel splendide. C'était à la fin de juin, au cœur de
l'hiver, et le matin, au lever du soleil, la terre était toute
blanche. A la plaine aride que nous venons de traverser, suc-
cèdent les collines et les plateaux du district de Waterberg.
Les fermes recommencent et, certes, à voir la richesse du
sol, l'abondance des eaux et la beauté des pâturages, il sem-
ble que ce pays doit être le paradis des agriculteurs. Malheu-
reusement chaque année après les pluies, pendant les mois
d'avril et de mai, une fièvre maligne vient décimer la popu-
lation. Plusieurs fermes qui paraissaient devoir prospérer
ont dû être abandonnées à cause de leur insalubrité. L'an-
née 1883 a été pailiculièrement mauvaise sous ce rapport, et
80 personnes de race blanche ont succombé k la maladie.
Sur notre route se trouvait établie une station de la Société
des missions de Berlin, chez les Bapedis. Le missionnaire
qui avait perdu sa femme durant l'épidémie était absent lors
de notre passage, mais je trouvai chez un évangéliste indi-
132 BULLETIN.
gène une excellente hospitalité. Sa maison était propre et
fort bien tenue; non seulement il ne voulut rien accepter
pour mon dîner et celui de mon cocher, mais sa femme nous
otTrit encore une provision d'oranges pour la route. Le dis-
trict de Waterbergesl arrosé par le Nyl, afïluent du Limpopo.
Près de la rivière les pâturages sont excellents; l'élevage des
bœufs y réussit fort bien. Sauf dans ces prairies basses, le
pays est partout couvert de buissons de mimosas; la route
longe d'assez jolies collines situées à l'ouest; à certains
endroits le gibier est assez abondant (perdrix et petits faisans,
antilopes, chacals, etc.). Un soir de bivouac une bête sauvage
est venue grogner à quelques pas de moi; la même nuit nos
chevaux, effrayés sans doute par quelques bêtes féroces, sont
revenus au camp au triple galop, bien que nous leur eussions
fait le court-pied. Nous trouvons encore un magasin sur
notre chemin, à Makapansport, défilé de Makapan. Ce Maka-
pan était un chef cafre occupé alors à se battre avec un de
ses voisins. On s'était battu la veille de notre passage.
Les boutiques du sud de l'Afrique ont en général le même
type. Ce sont de petits bâtiments en tôle, recouverts de pla-
ques de zinc, où la chaleur est affreuse au milieu du Jour. Là,
de malheureux marchands, anglais pour la plupart, menant
une vie d'un ennui mortel, vendent aux indigènes des cou-
vertui'es, des pipes, des marmites, des vêtements et de la
verroterie, sans parler de l'eau-de-vie qui fait autant de mal
à ceux qui la vendent qu'à ceux qui l'achètent; les voyageurs
sont bien reçus partout.
Peu après Makapansport le paysage change: le pays
devient montagneux, la route traverse des collines assez
élevées, les buissons dispai-aissent; le grand nombre des
champs cultivés indique que la population indigène est con-
sidérable. Après le passage des montagnes et une grande
plaine sans arbres, nous arrivons à Marabastadt.Denxou. trois
magasins et quelques maisons d'aspect assez misérable, voilà
toute la ville. D'un côté s'élève une colline aride, partout ail-
leurs l'œil ne découvre que de grandes plaines sans arbres.
Une pethe rivière marécageuse fournit aux habitants de
Marabastadl l'eau qui leur est nécessaire, mais comme les
affaires vont trop doucement, et qu'il faut bien tuer le temps,
ils la boivent rarement pure. Je n'ai pas le temps de vous
PROCÈS- VERBAUX. 133
décrire la contrée qui s'étend entre Marabastadt et les Spé-
lonken, et que l'on franchit en trois ou quatre jours de mar-
che. Les Boers ont donné le nom de Spélonken au pays acci-
denté qui s'étend au sud de la chaîne imposante du Zout-
pantsberg (latitude 23°). Ce mot signifie caverne, mais il
n'y a pas de véritables cavernes aux Spélonken. Le terrain est
très mouvementé, de petites collines rondes, séparées par des
ravins ou des ruisseaux, se succèdent les unes aux autres,
suivant que ces mouvements sont plus ou moins accentués,
on parle de grandes ou de petites Spélonken. Ce pays a été
extrêmement déboisé ces dernières années. On trouve encore
bien des arbres dans la plaine, mais il est à redouter qu'ils
n'aient bientôt disparu et ce n'est que sur les pentes duZout-
pantsberg qu'il existe encore des forêts. Les Spélonken sont
très peuplées; les habitants appartiennent à la tribu des Mag-
wamba ou Knopneuzen qui, venus de la Côte il y a une ving-
taine d'années, ont fait la conquête du pays sous la conduite
d'un Portugais nommé Albasini. Les anciens habitants
Bapfesha ont été pour la plupart refoulés dans les monta-
gnes. Les Magwamba sont une belle race aux mœurs assez
douces. Ils cultivent surtout le maïs, la patate et les arachides.
Ils ont le génie du commerce et la passion des voyages.
C'est au milieu de cette peuplade, dans les petites Spélon-
ken, que nos compatriotes vaudois ont fondé deux stations
missionnaires qui n'ont pas tardé à devenir très prospères.
Leur œuvre est de celles qu'on apprend à aimer en les
voyant de près, et je suis heureux de pouvoir rendre hom-
mage ici à leur excellente hospitalité. Les missionnaires vau-
dois désiraient depuis longtemps explorer la route du Lim-
popo du côté de l'est; voir s'il y avait une route praticable
pour les wagons, examiner si le fleuve était navigable, et
faire connaissance avec la population de ces régions peu con-
nues. Dans ce but nous organisâmes une petite expédition avec
M. Henri Berthoud, missionnaire de la station de Valdésia.
Nous choisîmes deux hommes chrétiens du village de Valdé-
sia, sur lesquels nous savions pouvoir compter, et quelques
jeunes garçons pour garder nos bêtes et nous rendre divers
petits services. Nous n'eûmes pas de peine à recruter notre
bande, il fallut même refuser des jeunes gens qui désiraient
nous accompagner. Un marchand des environs nous loua un
134 BULLETIN.
tombereau; chez un auti'e nous trouvâmes des ânes, et grâce
aux bons soins de M'^^Berlhoud, nos provisions ne laissaient
rien à désirer. Mon compagnon, lialtilué depuis deux ans à
la vie africaine, était devenu très pratique, et prenait pour
lui les parties les plus ennuyeuses de la besogne : surveil-
lance de nos gens, oi'ganisation des bagages, etc. En revan-
che je lui faisais manger une cuisine toujours primitive et
quelquefois exécrable, surtout pendant les premiers jours.
Nous partîmes de Valdésia le 28 juillet, suivant d'abord la
direction du sud. Les Spélonken sont à 2 ou 3000 pieds d'élé-
vation au-dessus de la mer, et nous devions quitter le haut
plateau pour descendre dans les plaines basses qui aboutis-
sent à la côte de l'Océan indien. Les derniers établissements
blancs sont à deux heures de la station. A quelques heures
de marche de Valdésia, nous passâmes un col et, après une
longue descente, nous nous trouvâmes dans la plaine. Nous
avions à franchir une petite rivière, la Tabi, qui prend sa
source dans les Spélonken et coule toute Tannée, même à la
fin de Thiver, après de longs mois sans pluie. Nous la pas-
sâmes sur le dos de nos gens, et ce ne fut pas sans peine que
nos bœufs amenèrent notre tombereau sur l'autre berge. Les
ébéniers se trouvent déjà sui'le bord de la Tabi, à cet endroit-
là, mais ce ne sont encore que des buissons. Après la ïabi,
nous marchons vers le sud et passons à côté du cône gr-ani-
lique de Magoro, du nom d'un chef de la tribu des Bapfesha qui
n'y demeure plus. Sur le versant nord de celte colline, nous
contemplons notre premier baobab qui n'est ni bien haut ni
bien majestueux, mais seulement large et disgracieux. Comme
tous ceux que nous avons vus durant notre voyage, il n'avait
pas de feuilles à ce moment de l'année. De l'autre côté de
Magoro, entre une petite rivière et une mare d'eau grasse,
nous avons passé la nuit la plus froide de notre voyage, nous
grelottions sous notre tombereau; vers le lever du soleil le
thermomètre n'indi(|uail qu'un peu plus de deux degrés cen-
tigrades, ce qui ne l'a pas empêché de monter à trente, à
l'ombre, quelques heures plus tard. Nous marchions sur des
li-aces de wagons, mais il n'y avait aucune route marquée à
cet endroit. Ce pays doit être giboyeux, nous vîmes beaucoup
de tiaces d'aniilopes; nous passâmes une charmante rivière^
probablement le Leblabane qui se jette dans la Tabi et, après
PROCÈS-VERBAUX. 135
avoir traversé une chaîne de collines rocheuses, nous trou-
vâmes une route de chasse filant vers l'est, tracée par les
wagons des Boersqui s'en vont, chaque hiver, faire leur pro-
vision de viande d'antilope dans ces vastes plaines presque
inhahitées. Pendant quatre jours nous avons suivi celte route,
traversant en général un pays plat, un désert couvert de buis-
sons. Quelques dattiers croissent dans les ravins et annon-
cent souvent la présence de l'eau. Sur quelques-unes des
collines que la route côtoie ou traverse, se trouvent de petits
villages de Bapfesha, peuplade parlant une langue ressem-
blant au sessouto, mais tout ce pays est extrêmement peu
peuplé. Le baromètre indiquait une diminution d'altitude
constante à mesure que nous avancions vers l'est. Au bout
de quatre jours nous nous retrouvâmes sur les bords de la
petite Tabi qui, après avoir fait un coude à l'est, revient vers
le sud pour se jeter dans la grande Tabi, et ensuite dans
rOlifant-River, le principal affluent du Limpopo sur la rive
droite. A la droite de la Tabi se trouvent des salines assez
importantes exploitées par les indigènes.
Nous côtoyons la rivière pendant quelques heures, et nous
la repassons à un gué très pittoresque; la Tabi a bien grandi
depuis la première fois que nous l'avons vue; son Ut est au
moins aussi large que celui de l'Arve à la Jonction. Si la
la rivière avait été pleine cela aurait été un obstacle insur-
montable pour nous, mais les eaux étaient tout à fait basses et
ne nous venaient pas môme au genou; dans une flaque un
peu plus profonde quelques crocodiles prenaient leurs ébats.
D'assez grands mimosas croissaient sur les berges; des deux
côtés de la rivière poussait une épaisse jungle de roseaux; des
oiseaux pêcheurs jouaient dans la Tabi. Celte rivière, avec ses
eaux claires et ses berges couronnées de feuillage, faisait un
contraste déUcieux avec le pays plutôt monotone que nous
avions traversé les jours précédenis.
A deux heures à l'est de la Tabi nous arrivâmes à une autre
rivière, le Nalazi. Depuis là nous continuons vers l'est, tra-
versant encore deux petites rivières marécageuses. Le pays
devient moins boisé; à certains endroits il n'y a plus guère
que de rherbe sèche. Nous voyons devant nous des collines
grandir à l'horizon. A leur pied nous trouvons un campe-
ment de chasseurs boers,sur les traces desquels nous avions
136 BULLETIN.
marché; leurs bœufs et leurs ânes paissaient dans une clai-
rière ; leurs wagons étaient placés sur la hauteur; de nom-
breuses peaux d'antilopes et de zèbres prouvaient qu'ils
avaient fait bonne chasse. La viande coupée en longues tran-
ches minces séchait au soleil, sur des perches. Aucun de ces
chasseurs ne parlai! anglais, et nous n'étions pas très forts
sur le boer; heureusement l'un d'eux connaissait justement
les deux langues indigènes que nous savions, et de celte
manière nous pûmes nous entendre. Noire sucre, notre café,
notre lait condensé et nos cartouches excitaient leur envie et,
de notre côté, comme nous n'avions encore rien tué, nous
pensions qu'un peu de viande fraîche ne ferait pas mal dans
notre garde-manger. Nous fîmes d'assez curieux échanges,
troquant du savon et du lait condensé contre de la viande et
des cornes d'antilopes. En quittant nos amis les chasseurs,
nous nous dirigeâmes vers le sud, longeant les colhnes pier-
reuses jusque près du village du chef Shilowa. Le temps
avait changé, un vent violent et froid s'était levé ; une pluie
fine nous fouettait le visage. Enfin après une longue marche^
nous arrivâmes entre deux collines, dans un endroit horri-
blement rocailleux; les traces des wagons qui nous avaient
guidés jusque-là, s'arrêtaient brusquement; des sentiers indi-
gènes assez bien tracés indiquaient la proximité d'un village.
En suivant l'un de ces sentiers, et guidés bientôt par des cris
lointains, nous arrivons au pied de grands rochers ; d'abord
nous ne voyons que des pierres, mais en regardant avec
attention nous apercevons les toits de chaume de quelques
huttes. Le village dont nous approchons par un sentier très
escarpé a un aspect des plus misérables. Des gens d'une lai-
deur repoussante nous dévisagent avec curiosité; ici une
horrible vieille montre sa tète au-dessous d'un rocher; là
nous entendons la toux des fumeurs de chanvre. Nous
demandons le clief, et un homme nous conduit à grands pas
à son kraal, c'est-à-dire à son parc à bœufs. Il paraît que
c'est là que sa majesté Shilowa reçoit ses hôtes. Elle com-
mence par nous faire attendre un bon moment pendant que
ses sujets, dont plusieurs n'ont jamais vu de blancs, nous
examinent à loisir. Je ne .sais pas quelles réflexions ils fai-
saient sur noire compte, mais ces gens de Shilowa étaient
bien les plus vilains échantillons de l'espèce humaine que
PROCÈS- VERBAUX. 137
j'eusse encore contemplés. Deux de ces hommes se présen-
tèrent successivement à nous sous le nom de Shilowa, puis
enfin le véritable s'avança en personne, vêtu d'un long
manteau à l'européenne, mais sans chapeau et sans panta-
lon. Le pantalon semble tout à fait inconnu dans ces para-
ges. Sa majesté doit avoir bu un peu trop de l'excellente
bière de sorgho, que fabriquent les dames de son village-
Cependant elle nous traite avec politesse et nous offre un
pot de bière en échange de la couverture de coton dont
nous lui avions fait présent. Un des plus laids de la bande
des gens de Shilowa s'engage à nous servir de guide pour
aller au Limpopo, et ce n'est pas sans satisfaction que nous
quittons ce village pour retourner à notre camp.
Nous passons un dimanche près de chez Shilowa, prépa-
rant notre départ pour le Limpopo; nous avons atteint la
limite du Transvaal, le dernier endroit connu des chasseurs ;
nous n'aurons plus les ornières tracées par leurs wagons
pour nous guider. En outre les buffles, par conséquent la
mouche tsétsé, habitent le pays que nous devons traverser.
Il faut laisser nos bœufs et notre tombereau en arrière et
continuer notre marche avec nos ânes. Nous n'emmenons
avec nous que trois de nos gens^Shiponka, le meilleur de
nos hommes, deux jeunes garçons et le guide. Nous pensions
pouvoir revenir chez Shilowa à la fin de la semaine rejoin-
dre notre bande.
C'est toujour's vers l'est que nous marchons; d'abord sur
une espèce de sentier; puis bientôt à travers des collines
rocheuses. Nos pauvres ânes doivent passer sur des pentes
de pierres rondes rappelant par leur structure les morraines
de glaciers; ces collines sont couvertes de broussailles. Les
chiens de notre guide font partir une troupe de petites anti-
lopes et les acculent contre une paroi de rochers, il en tue
deux à bout portant^ l'une d'un coup de fusil, l'autre à coups
de pierre. Vers le soir, après une marche des plus fatigantes,
nous arrivons au bord du Shinguezi. Tout près de la rivière,
à l'ombre de très beaux arbres, nous trouvons un hameau de
quelques hultes. C'est là que vit le vieux Madjemane,
patriarche d'une soixantaine d'années, qui a quitté le village
de son chef pour venir s'établir dans ce lieu solitaire avec
ses deux femmes et sa nombreuse postérité. Jusqu'à présent
13S BL'LLETIN.
tous les indigènes que nous avions rencontrés étaient des
Bapfeslia delà famille des Béchuana. Depuis chez Madjemane
nous entrons de nouveau dans le pays des Magwamba que
nous avions quittés peu après les Spélonken. Nous passons
une très bonne nuit à côté du village, mais le matin la rosée
était si forte que nos couvertures étaient inondées.
Pour continuer notre route nous devons suivre le cours
du Shinguezi, du côté du sud, jusqu'au village du chef Nzan-
gitakulala,de là il nous sera plus facile d'arriver au Limpopo.
Comme il n'existe pas de chemin^ nous voyageons dans le lit
de la rivière; de même que la plupart des rivières de ces
parages, le Shinguezi ne coule pas à la fin de l'hiver. C'est
cependant un cours d'eau important, son lit est fort large et
ses falaises très élevées et très pittoresques. De nombreux
baobabs poussent sui' les berges; des euphoi-bes, des syco-
mores et des mimosas de plusieurs espèces ornent le pay-
sage. De nombreuses antilopes habitent sur ces bords, mais
encore ce jour-là nous ne réussissons à en tuer aucune. Sur
le sable de la rivière nous voyons des traces de buffles et de
bêtes fauves. La chaleur était foi'te et la marche fort pénible
sur les pierres glissantes ou les sables du lit de la rivière.
Après le milieu du jour nous arrivâmes au grand et beau
village du chef Gwamba Nzanguakulala. D'après les renseigne-
ments que l'on nous donna nous étions encore à deux petites
journées de marche du Limpopo, mais la route était assez
mauvaise et nous ne trouverions pas d'eau jusqu'au fleuve.
Mon compagnon, indisposé ce jour-là, et pressé de revenir
chez lui pour terminer des travaux de bâtisse avant la saison
des pluies, me demanda de renoncer à aile:- au Limpopo. Je
m'y décidai non sans regret, ne voulant pas prendre sur moi
la responsabilité de le faire aller jusqu'au fleuve. Je lui
demandai de rester encore un jour chez Nzanguakulala pour
pouvoir chasser un peu. Nous nous décidâmes à revenir aux
Spélonken par un chemin plus direct et à envoyer un messa-
ger à nos gens, chez Shilowa, pour leur dire de retourner de
leur côté sans nous attendre. Le lendemain, pendant que je
faisais aux buffles et aux girafes une chasse tout à fait infruc-
tueuse, M. Berlhoud parlait longuement avec le chef, lui
annonçait l'Évangile et cherchait à recueillir de nombreux
renseignements sur le pays. Le Shinguezi coulant du nord
PROCÈS-VERBAUX. 139
au sud, inclinant légèrement vers l'ouest, va se jeter dans
rOlifant, peu avant sa jonction avec le Limpopo. De nom-
breux villages de Magwamba se trouvent sur les bords de
ces rivières. Tous les chefs de ce pays reconnaissent la supré-
matie du grand chef Mozila. Depuis que nous avions quitté
les Spélonken nous avions descendu de plus de deux mille
pieds, et no!re baromètre indiquait une altitude très faible
au-dessus du niveau de la mer.
Le jeudi 16 août, nous prîmes congé du chef. Le guide
qui devait nous accompagner nous fit faux-bond pour aller à
la chasse aux buffles, mais nous connaissions le chemin jus-
que chez Madjemane. Notre chasse fut plus heureuse ce jour-
là que de coutume, car nous tuâmes deux antilopes. Pendant
trois jours nous eûmes à marcher dans le lit du Shinguezi;
sur les pierres glissantes et à travers les roseaux. Nous
remontions la rivière dans la direction du nord-ouest. Les
endroits pittoresques et les Ijeaux paysages ne manquaient
pas sur notre chemin. Un soir nous campâmes au pied d'une
immense falaise de rochers ; des centaines de babouins pre-
naient leurs ébats au sommet de la berge; en bas une flaque
d'eau tranquille et profonde était ombragée par des arbres
magnifiques. La chaleur augmentait chaque jour; nos ânes
avançaient péniblement. La tsétsé se trouve en abondance
dans toute celte partie du cours du Shinguezi; elle semble se
tenir de préférence aux endroits les plus chauds et les plus
abrités; elle n'est guère plus grande que nos mouches ordi-
naires; son corps est plus allongé, les ailes sont recourbées
d'une façon particulière à la partie postérieure du corps; sa
couleur ressemble à celle des taons; sa piqûre n'est pas très
douloureuse et ne fait pas venir d'ampoules; elle est très
agile et difficile à prendre.
Nous ne fûmes pas fâchés, après ces journées fatigantes, de
trouver le sentier nègre par lequel les indigènes se rendent
des Spélonken au Bezonga, pays qui environne la jonction
de l'Olifant avec le Limpopo. C'est le jour où nous quittâmes
le lit du Shinguezi que nous eûmes à supporter la chaleur la
plus forte. Le thermomètre marquait 37° à l'ombre, un peu
avant le moment le plus chaud de la journée. Pour la pre-
mière fois aussi nous vîmes des palmiers à feuilles en éven-
tail. Nous suivîmes le sentier nègre pendant toute une
140 BULLETIN.
semaine, Iraversnnt un pays assez accidenté; les provisions
que nous avions prises cliez Shilowa, calculées pour une
semaine, étaient finies; la viande de l'une de nos antilopes
s'était gâtée, et celle de l'autre était devenue si dure que
nous ne pouvions plus la digérer; le gibier était rare et
farouciie. Les gens du Shinguezi nous avaient assuré qu'il ne
fallait que 4 ou o jours pour aller aux Spélonken par celte
roule, il nous en fallut 10. Une nuit nous campâmes auprès
d'un massif de très beaux ébéniers. Le tronc est brunâtre,les
petites brancbes grises et couvertes de longues épines; après
un aubier assez épais, d'une couleur jaunâtre, on trouve le
précieux bois d'ébène si dur que la hache a de la peine à
l'entamer. Tout le pays que nous avions traversé' était
abondamment pourvu d'eau, mais l'un des derniers jours
nous dûmes passer la nuil sans boire ; le bois nous manquait
aussi, et les lions rugissaient autour de nous. Le matin il
fallut faire encore trois lieues pour arriver à la première eau;
mais nous étions arrivés au grand village de Lébolane, le
premier que nous trouvions sur notre chemin depuis huit
jours de marche. De là nous gagnâmes la station à travers
un pays très peuplé, passant au nord de la Montagne de fer.
Les indigènes avaient fondé là une exploitation assez impor-
tante qui, paraît-il, est en décadence depuis quelques années.
Le 26 août, au soir, nous arrivâmes aux établissements
blancs. J'étais si fatigué que je m'arrêtai au premier maga-
sin, tandis que mon compagnon poursuivait sa route jusqu'à
Valdésia. Le lendemain je le rejoignis dans la matinée; l'indi-
gène qui m'accompagnait ce jour-là me disait en sessouto en
me regardant d'un air de commisération : Ua bona bas u
otile, « vois-tu, mon pauvre maître, tu es bien maigre. »
Le Président remercie M. Gautier, au nom de la Société,
de cet exposé plein de vie, qui donne tant de relief à la des-
cription des lieux et aux épisodes du voyage. Il fait ressortir
en particulier l'intérêt que présentent les détails donnés sur
la végétation du pays exploré, elle voyage lui-même au Lini-
popo qui, s'il pouvait être ouvert à la navigation, deviendrait
la voie la plus courte pour atteindre le nord du Transvaal
par l'Océan Indien.
PROCÈS-VERBAUX. 141
M. le D"" Lombard demande à M. Gautier si les crocodiles
se rencontrent dans les rivières qu'il a traversées. — M.
Gautier répond que d'après les indigènes, il doit y en avoir ;
lui-même n'en a vu que de petits. En revanche il a rencon-
tré des singes, des babouins surtout en troupes immenses,
des lemurs à longue queue, peu de serpents, mais des scor-
pions, des araignées, beaucoup d'oiseaux, entre autres celui
qui conduit les indigènes là où il y a du miel; les canards
sauvages abondent et sont très beaux.
M. de Beaumont demande des explications sur les parties
du pays encore boisées et sur celles où il y a eu déboisement.
Autrefois, répond M. Gautier, il y avait beaucoup d'arbres
aux Spélonken, mais on les a coupés, et la vraie forêt n'est
guère conservée que dans le Zoutpansberg. Là aussi, comme
en d'autres endroits du Transvaal, sont des lagunes salées,
dont les indigènes exploitent le sel.
M. Hornung voudrait apprendre quels sont les rapports
entre les indigènes et les chefs dans la partie explorée par
M. Gautier et s'il y a une forme de gouvernement.
Il n'y règne guère que la contrainte, dit iM. Gautier, les
natifs redoutent surtout Mozila, chef de race zoulou, auquel
ils sont soumis de fait, et paient un tribut ; mais en général
les chefs ont peu d'autorité sur leurs gens.
M. Gautier ajoute quelques détails sur le mode des paie-
ments, au moyen de rouleaux de fils de laiton et de cotonna-
des. Au reste les indigènes connaissent la valeur des monnaies
anglaises. D'une humeur voyageuse, un grand nombre font
le voyage aux mines de diamants. Les Européens ont, de
distance en distance, des magasins où l'on peut se pourvoir
de tout, et qui jouissent d'une assez grande sécurité ; il est
très rare qu'on les pille.
En réponse à une demande de M. Welter au sujet du chan-
vre fumé par les indigènes, M. Gautier dit qu'il croit cette
plante importée; et à M. de Traz qui désirerait savoir de
quelle nature sont les roches signalées par M. Gautier, il
avoue n'avoir pas fait une étude de la géologie du pays, mais
avoir remarqué des silex, des grès, des quartz aurifères.
M. Chaix relève ce qu'a de nouveau l'itinéraire de M. Gau-
tier, dans la partie N.-E. du Transvaal, et dans le fait que
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 10
142 BULLETIN.
riiifluence des Boers s'arrête, à l'est, à la limite des posses-
sions portugaises.
Quant aux négociations entamées entre le gouvernement
des Boers et celui de Lisbonne, M. Gautier rapporte que le
gouvernement portugais est disposé à faire construire un
chemin de fer de la baie de Delagoa à la frontière du Trans-
vaal, d'où la section sur le territoire de la République du sud
de l'Afrique jusqu'à Pretoria serait faite par le gouverne-
ment des Boers ; ceux-ci paient déjà un impôt pour le che-
min de fer,
M. de Seyff explique que le mol pati qui se rencontre dans
beaucoup de noms propres : Zoulpansberg, Du Toit's Pan,
etc., signifie vallée, vallée du sel, vallée Du Toit. Générale-
ment les noms donnés par les Boers ont été dénaturés par les
Anglais et les Français.
SÉANCE DU 25 AVRIL 1883.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu el adopté.
Le Président rapporte que la Société de géographie de
Lûbeck a demandé d'entrer en rapport d'échange avec la
nôtre, et nous a envoyé son Jahresbericht. — Trois sociétés
se sont fondées à Hérisau, à Zurich et à Bâle. — Le Bureau
a chargé M. le Président et M. de Traz de représenter la
Société à la réunion de l'Association des Sociétés suisses de
géographie à Berne. Quand il sera informé de la date exacte
el de l'ordre du jour de la session, il en informera les mem-
bres de la Société par une circulaire qui sera adressée à
chacun d'eux. — Le Bureau devra mettre au net le règle-
ment de la Société el le faire imprimer.
Le Président donne la parole à M. Faiire pour la lecture
de la première partie de sa Notice sur: La vie et les travaux
d'Arnold Guyot de 1807 à 1848 (Voir aux Mémoires).
M. Welter signale à M. Faure la thèse soutenue par
A. Guyot à BerUn en 1835 pour obtenir le grade de docteur
en philosophie. Le sujet en est la Division naturelle des lacs;
elle traite des lacs 1» sans tributaire visible mais avec un
PROCÈS- VERBAUX. 143
émissaire, 2« avec affluent et émissaire, 3» avec affluent sans
émissaire, 4" sans tributaire et sans émissair*e.
M. Faure remercie M. Welter de cette indication qui lui
sera très utile pour compléter sa Notice.
M. le Président H. B. de Beaiimont introduit ensuite la
question à l'ordre du jour.
La mer intérieure des Chotts de Tunisie et le lac Triton.
Messieurs, une étude tr-ès intéressante sur !a position pro-
bable du lac Triton, publiée dans le quatrième bulletin de la
Société de géograpbie de Gonstanline, m'a suggéré le désir
d'inviter la Société de géographie de Genève à s'occuper
de ce sujet, comme se rattachant à la grande idée de M. Rou-
daire sur la mer des Chotts, et à porter son attention sur ce
projet qui n'a pas encore été pour elle un objet spécial de
dissei'talion.
Permettez-moi donc, par ces quelques mots, d'introduire le
sujet auprès de vous, je dis à dessein d'introduire, ne pou-
vant avoir la prétention de résoudre une question aussi
vaste dans ses domaines historique, géographique et tech-
nique.
Je ne suivrai pas l'auteur érudit de la notice que je cite,
M. Wolters, dans ses recherches sur la place qu'occupait dans
le parnasse de l'Olympe le dieu Triton, sur son culte, sur sa
représentation, etc., ces considérations nous mèneraient trop
loin. Très développées par l'auteur, elles sont le produit d'un
examen critique serré des textes anciens des géographes
grecs. Toutefois, après cet examen, de même que d'autres
savants qui ont voulu aussi jeter de la lumière sur cet inté-
ressant sujet, M. Wolters ne peut arriver à une certitude sur
l'emplacement de cet ancien lac Triton.
Son opinion à la suite de son travail serait de reconnaître
le fleuve Triton dans Toued Djeddi de nos jours. Tandis que
M. Roudairele cherchait alors dans TouedTarfaoui qui se jette
dans le chott Rharsa.
Ce sujet a été repris et étudié ces derniers temps de diffé-
rents côtés et par plusieurs auteurs soit dans un intérêt de
recherches historiques ou plutôt préhistoriques, soit dans un
intérêt géographique et d'actualité pour autant qu'il participe
144 BULLETIN.
à la grande conception de M. Roudaire sur la conduite de la
Méditerranée dans le Sahara,
Sans suivre les textes mêmes des auteurs anciens et en
admettant la justesse de leur interprétation et de leur com-
paraison, par M. Wolters dans son travail, qu'il nous soit
permis, en restant plus spécialement dans notre domaine de
géographe, d'indiquer une appréciation qui nous semblerait
plus conforme à l'état et à la disposition des lieux actuels, et
à la représentation donnée par les caries anciennes, quelque
fautives qu'elles puissent être, telles que les âges nous les
ont transmises.
Dans la mappemonde d'Écathée (500 a. J.-C), d'après l'atlas
de Vivien de Saint-Martin, nous trouvons un golfe profond
plus au nord que celui de Gabès ; dans celle d'Hérodote
(450 ans), le même golfe est représenté plus profond encore
et s'étendant au sud sous le nom même de lac Triton. En
tout cas ce que nous connaissons aujourd'hui des lieux mê-
mes nous montre : d'une part, au golfe de Gabès, un seuil
élevé moitié sablonneux et rocheux, et d'autre part, à Sousa
(golfe d'Hammamet), une grande étendue de terre, d'un
niveau très bas jusqu'à une assez grande distance, que la mer
recouvre facilement dans les gros temps, et lors de ses ma-
rées malgi'é leur faiblesse; elle présente en outre une cer-
taine continuité jusqu'aux premiers cholts. A voir les cartes
modernes, ces terrains peu accidentés, présentant des sebkahs
et des arrêts d'eau momentanés, seraient de grandes éten-
dues de pâturages vagues, des steppes ainsi que les appellent
quelques cartogaphes.
Par ces considérations l'entrée de la mer ancienne nous
semblerait avoir été plus naturelle ici qu'à Gabès, mais nous
ne pouvons en donner d'autres preuves que des appréciations
que nous reconnaissons comme conjecturales encore, dans
l'état de nos connaissances.
Jusqu'à quel point la position de l'ancien lac Triton est-elle
liée avec le projet de canal marin de M. Roudaire pour
rentrée des eaux de la Méditerranée? Nous pensons qu'elle
ne Test point d'une manière essentielle. M. Roudaire trouve-
rait, peut-être, si ce n'est plus de facilité au moins plus de
stabilité et de sécurité dans le percement d'une tranchée
dans des terrains solides de grès ou de roches favorables
PROCÈS- VERBAUX. 145
à la résistance contre les mouvements violents des eaux pro-
duits soit par des orages sur la Méditerranée, soit par la
navigation elle-même dans le canal de passage. Mais nous ne
devons pas nous arrêter ici à ces considérations techniques.
Quoiqu'il en soit, le projet du colonelRoudaire de l'immer-
sion des chotts par la mer, a eu, dès le début, un grand
retentissement. J'en garde dans mon souvenir le plus vivant
témoignage. Ayant eu l'avantage de présider la séance où cet
habile ingénieur exposait déjà ses vues en 1875, au congrès
international de géographie de Paris, j'ai pu être témoin du
grand intérêt qu'il a provoqué et de la sympathie avec
laquelle il a été écouté. Ses travaux de nivellement avaient
commencé en 1872. Voilà donc plus de douze ans écoulés
sans amener encore de résolution définitive. Vous connaissez
les écrits nombreux qui ont soutenu ce projet, comme d'au-
tres qui ne l'ont pas approuvé.
Le gouvernement forcé lui-même par l'opinion publique a
nommé deux commissions spéciales pour s'en occuper.
Toutes deux lui ont retiré leur adhésion, comme œuvre
d'État, mais l'initiative privée ne Ta pas abandonnée pour
€ela ; bien au contraire, depuis que le champion des grandes
œuvres de notre siècle, Ferdinand de Lesseps, lui a donné
son appui, il a pris une marche nouvelle, un élan nouveau
qui permet de croire, sous l'égide d'une si puissante adhésion,
à un résultat plus certain.
La réussite doit donner, au dire du persévérant promo-
teur, des conditions nouvelles, ou mieux des changements
précieux de climat, à une grande contrée soumise aujour-
d'hui aux lois du désert. Elle doit donner aux possessions
algériennes une sécurité, qu'elles auront de la peine à obte-
nir par d'autres moyens, et apporter au commerce intérieur
de ce continent des facilités très grandes et d'une haute
importance. Nous n'avons rien à dire contre les idées théo-
riques qui établissent ces résultats. La pratique les corrobo-
rera-t-elle ? Nous n"osons l'affirmer. Le reboisement des
montagnes des versants de l'Aurès et de l'Atlas, surtout de
leurs sommets et de leurs hauts plateaux, afin d'établir une
relation avec les coui-ants atmosphériques du versant de la
Méditerranée chargés de l'évaporation de la mer, seraient à
notre avis la première chose à faire pour rendre aux fleuves
146 BULLETIN.
l'eau qui leui' mancjue et peut-être élever le niveau des
cliolls en modifiant comme on le désire, le climat de la
contrée. L'exploitation du sel dans certaines parties des
cliolts sur leur rive méridionale, présenterait une branche
de commerce très fructueuse avec l'intérieur et serait peut-
ôti'e un des moyens les plus sûrs et les plus actifs de ramener
le commerce des caj'avanes à l'Algérie. Mais l'initiative
manque et il faudrait que l'entreprise fût soutenue dès le
début par une force permanente.
Je ne m'étendrai pas davantage sur un sujet aussi considé-
rable. Je devais seulement l'introduire devant vous pour
qu'il devienne l'objet de votre discussion. Je n'ai pu le faire
que très brièvement espérant cependant avoir sollicité votre
attention en sa faveur.
M. Edgar Sautter n'a pas eu l'occasion d'étudier la ques-
tion de la mer intérieure. Il a rencontré le capitaine Roudaire,
il y a une dizaine d'années, époque où l'explorateur des
cholts était enthousiasmé pour son projet, beaucoup plus
qu'on ne l'est en Algérie. Au point de vue scientifique la
question est intéressante : Roudaire a le bonheur d'être
appuyé par M. de Lesseps; lui-même ne voit que les côtés
faciles du sujet. Mais il y a des difficultés dont on ne peut
encore se rendre bien compte, en particulier celle de savoir
ce qu'est le sous-sol, et tout ce qui se rapporte à l'ouverture
du chenal par lequel la mer devrait être amenée dans les
chotts tunisiens.
M Welter signale dans la Revue scientifique un article de
M. Rouire traitant la question de l'ancienne mer intérieure
africaine. L'auteur s'efforce de démontrer que le lac Triton
ne doit pas être cherché dans un des chotts de Tunisie ou
d'Algérie, dont la région était un golfe barré, vers l'ère
chrétienne, par un cordon littoral. Le seuil de Gabès a une
hauteur de 46"", composé de grès, de gypse et de calcaire,
il appartient à une formation géologique ancienne; on y a
trouvé des traces d'habitations préhistoriques. M. Rouire a
exploré la partie du pays qui s'étend autour du lac Kalbiah
au nord de Kairouan, lac permanent, en communication
avec la mer et qui peut, mieux que les chotts de Tunisie,
avoir été le lac Triton.
M. le Président voit dans le fleuve qui formait le lac TrilOn
PROCÈS-VERBAUX. 147
la séparation entre deux nations différentes, l'une séden-
taire et riche, l'autre nomade et pauvre.
M. Sautter connaît le lac Kalbiali, et le golfe de Hamraamet
où le bord de la mer diffère essentiellement de la côte de
l'Algérie. Ici la mer est profonde, à Hammamel le bord de la
mer est absolument plat ; à 500" du bord un bâtiment ne
peut pas débarquer; il en est de même à Sousa plus au sud.
Entre le lac Kalbiah et Sousa, la mer est également très peu
profonde. Le golfe de Hammamet pourrait très bien avoir élé
l'entrée du lac Triton.
M. le Président croit que l'exploitation du sel des cliotts
pourrait être très lucrative, les caravanes arabes allant cher-
cher ce condiment très loin.
M. Sautter rappelle que le sel abonde en Algérie; qu'il y a
plusieurs montagnes de sel gemme que Ton exploite, et oùl'on
en taille de vrais blocs ; à 20 kilomètres de Sétif se trouve
une exploitation dirigée par un colon français qui y trouve
des ressources pour l'élève de ses bestiaux.
M. de Seyfï n'a jamais rencontré un travail sur les produits
que l'on pourrait transporter par la mer que M. Roudaire se
propose de créer dans la région des chotts. Pour le canal
de Suez avant de rien entreprendre, on avait calculé les
sources de revenus ; ici rien de semblable n'a eu lieu, et
cependant c'est une chose indispensable pour gagner la con-
fiance des financiers.
M. Sautter ajoute que le commerce local est peu important
et qu'à cet égard il ne faut pas se faire d'illusions, il ne croit
pas non plus que cette entreprise présente aucun avantage
militaire, ni qu'il soit possible d'établii- sur la mer intérieure
une navigation sérieuse.
M. Hornung trouve très juste l'idée du reboisement expri-
mée dans la communication de M. le Président. Autrefois
l'Algérie avait de l'eau parce qu'elle était boisée ; si l'on veut
ramener l'eau, il faut la reboiser.
M. le Président donne rendez-vous aux membres de la
Société à la reprise de la session en automne, puis il lève la
séance.
P.-S. Avant la présentation de ces quelques mots à la
Société de géographie, pour attirer son attention et sa dis-
148 BULLETIN.
cussion sur la position probable assignée au lac Triton par
les textes anciens, il avait paru, sur le même sujet, dans la
Nouvelle Revue, un article de M. le D"" Rouire que je ne con-
naissais pas, et en dernier lieu, cette Revue a publié une
réfutation de l'opinion de cet auteur par M Roudaire lui-
même, réfutation dont je viens de prendre connaissance. Dans
cette introduction du sujel que je faisais à la Société, j'ai bien
fait ressortir qu'à côté des textes dont la précision et la valeur
étaient si ditïéremment jugées, j'avais suivi tout particulière-
ment la fartographie ancienne telle qu'elle nous est donnée
par notr€ illustre collègue et membre bonoraire, Vivien de
Saint-Martin. J'ai mis sous les yeux de nos collègues de nom-
breuses cartes qui montrent combien cette côte de l'Afrique
avait été mal connue ou mal rendue par lescartograpbes. En
étudiant ces différents tracés j'ai reconnu que le golfe d'Ham-
mamet, indiqué évidemment comme pénétrant profondé-
ment dans l'intérieur des terres, avait pu alors avoir une
communication avec les cbotts, dans lesquels on peut recon-
naître le lac Triton, je crois même qu'il est difficile de ne pas
admettre ce fait comme le prétend M. Roudaire, soit pour un
des cbotls, soit mieux encore à mon avis pour leur ensemble.
Mais je ne suis pas d'accord avec lui, pour le moment du
moins, sur le soulèvement du seuil de Gabès, les données
géologiques n'arrivant pas encore pour moi à le prouver
et les textes bistoriques parlant plutôt de mouvements du soi
qui se sont produits et celles de ses parties qui avaient été
inclinées vers l'Océan s'étant écoulées, ainsi que M. Roudaire
donne la citation de Diodore de Sicile. Ce qui ne veut point
dire qu'il y ait eu soulèvement. Que la mer se soit étendue, à
l'époque quaternaire et préhistorique jusqu'au pied de la
région des plateaux, dont M. Desor fait la partie supérieure
de sa division du bassin Saharien ? cela pour moi ne fait pas
de doute, et d'après les discussions que j'ai eu le plaisir
d'avoir avec mon aimable et si regretté collègue, sur ses
notes et matériaux rapportés, sa seconde division des dunes
serait le témoignage de la présence de ces grandes eau> par
la formation même de ces dunes. Ainsi donc, parfaitement
d'accord avec M. Roudaire sur l'étendue ancienne des chotts,
je crois voir dans le golfe d'Hammamet une entrée de la mer
vers cette nappe d'eau, entrée qui a persisté pendant un
NÉCROLOGIE. 149
temps assez prolongé après celle par le seuil de Gabès, lors-
que celui-ci eut émergé par suite de l'abaissement des eaux. —
Du reste la question hydrologique du Sahara est une des plus
intéressantes en géographie physique, et. sa résolution, très
importante à mon avis au point de vue scientifique, demande
encore de nombreuses et sérieuses observations pour êlre
résolue. H. B. de B.
NÉCROLOGIE
Quoique le nom du D"" Behm n'ait pas été entouré d'une
auréole brillante comme celui de Petermann, la perte qu'a
faite la science géographique, par la mon du successeur de
l'éminenl rédacteur des Mittheilungen de Gof/ia, n'en sera pas
moins douloureusement sentie par tous ceux qui suivent
attentivement le développement des importantes publica-
tions de l'Institut de M. Justus Perlhes.
Né à Gotha, le 4 janvier 1830, Ernst Behm devint, dès
le mois de févi'ier 1856, le collaborateur de Petermann,
auquel il apportait un concours précieux pour la rédaction des
Mittheilungen, par les connaissances solides qu'il avait acqui-
ses pendant ses études de sciences naturelles et de médecine
à léna, Berlin, Wùrzbourg et Paris, en même temps que par
son zèle scientifique calme et persévérant. Jusqu'au 15 mars
1884, jour de sa mort, il contribua sans relâche aux succès des
travaux géographiques de l'Institut de Gotha.
D'un caractère tranquille et réservé, tout ditférent de celui
du bouillant Petermann qu'il complétait avantageusement, il
entra bien vite en rapport d'intime amitié avec le savant
géographe, qu'il aidait de ses conseils, de son travail patient
et consciencieux, et qui, comblé de gloire, en attribuait une
partie à celui qu'il appelait son bras droit, et l'échelle sur
laquelle il s'était élevé aux honneurs dont il avait joui pen-
dant si longtemps.
En effet, tandis que Petermann représentait devant le
monde entier les entreprises de Tlnstitul de Gotha. Behm
150 NÉCROLOGIE.
travaillait dans le silence du cabinet, songeant peu à la gloire;
et cependant c'est lui qui, du vivant même de Pelermann,
rédigea en grande partie les 22 volumes des Mittlieilungen,
pai'us de !8o6 à 1877, c'est-à-dire jusqu'au moment où il
devint rédacteur en chef de celte publication.
Les Mittlieiliingen n'avaient pas d'ailleurs absorbé tout son
temps. Après avoir pendant dix ans travaillé presque exclu-
sivement pour Petermann, il avait collaboré, dès 18()6, avec
M. Justus Pertbes à la création du Geographisches Jahrbucfi,
devenu bientôt le manuel indispensable de tous les géogra-
phes, qui y trouvent chaque année des mémoires rédigés par
des hommes spéciaux, et renfermant les résultats acquis dans
les diverses branches de la géographie.
En 1872, M. H. Wagner qui, depuis quelques années, avait
entrepris de réformer l'Annuaire statistique de l'Almanach
de Gotha, l'appela à collaborer à la publication connue sous
le nom de « Beiolkerung der Erde, » comme supplément aux
Mittheilungen de Gotha, et dès lors les deux savants auteurs
ont donné sept éditions de ce travail constamment amélioré,
et enriciii des éléments nouveaux que les derniers recense-
ments, dans tous les États des deux mondes, leur ont permis
d'y introduire. Le collaborateur du D'' Behm lui rend ce
témoignage, que jamais le labeur le plus dur ne Ta fait recu-
ler, et qu'il a toujours déployé un zèle infatigable.
Le travail spécial qu'il accomplissait pour cette publication,
l'engagea à se charger,dés 187(5, delà partie de la statistique
et des voies de communication de l'Almanach de Gotha. Et
après la moit de Petermann. en 1877. il rédigea i-égulière-
ment le Monatsbericht des iMittheilungen, qui est devenu une
source précieuse de renseignements pour quantité de savants
et de revues géographiques.
On comprend que tous ces travaux ne laissaient pas au
D"" Behm le loisir nécessaire pour faire des voyages; rare-
ment il s'éloigna de Gotha ; cependant il se rendit aux congrès
géographiques de Paris et de Venise, auxquels affluaient les
explorateurs, pour s'instiuire lui-même, mais aussi pour
attirer leur attention sur les lacunes existant encore dans nos
connaissances sur les régions qu'ils avaient visitées. Sa science
étendue et précise lui faisait pressentir les découvertes,
avant que les voyageurs eussent atteint les régions qu'ils
BIBLIOGRAPraE. 151
s'efforçaient de découvrir. On se rappelle l'exaclitude avec
laquelle il dessina la carte du cours du Congo avant le célèbre
voyage de Stanley en 1877.
Quoiqu'il fût doué d'une grande puissance de ti-avail, et
que le travail fût un plaisir pour lui, le fardeau de toutes les
occupations susmentionnées n'en pesait pas moins lourde-
ment sur ses épaules. La maladie ne lui fit pas désirer de s'y
soustraire; il ne cessa, jusqu'à la fin, d'écrire et de prendre
intérêt aux publications de l'Institut de Gotha; aussi son col-
laborateur, M. H. Wagner, lui i-end-il ce témoignage qu'il a été
fidèle jusqu'à la mort!
I
BIBLIOGRAPHIE
Le Moniteur des consulats, journal diplomatique, littéraire,
financier, industriel, commercial. Fondateur : Aug. Meule-
mans; Administration : 1, rue Lafayette. Paris. — Numéros :
231-236. — Les six numéros de ce journal contiennent des
articles d'intérêt divers sur tous les pays du monde, nous
citerons :
Une description de Buenos-Ayres, et plusieurs articles sur
le développement extraordinaire de la République Argentine,
contrée vers laquelle l'immigrant peut se diriger en toute
confiance, sûr qu'il est d'y trouver des ressources de toutes
espèces. La récolte de cette année a été particulièrement
bonne et l'exportation des viandes fraîches et salées prenait
toujours plus de développement.
La description des mœurs des Patagons et l'annonce du
départ d'un voyageur français, M. Poisson, offrent aussi de
l'intérêt. Quelques articles sur le Pérou et la guerre qu'il a
entreprise contre le Chili, nous montrent qu'on ne jouit pas
là-bas de toute la sécurité possible.
Les nouvelles de l'épidémie de fièvre jaune qui a ravagé
le Brésil sont meilleures, le mal est en décroissance.
Le journal insiste sur le fait que les relations de la France
avec la Louisiane pourraient être plus étendues.
Dans Ylle Maurice, un correspondant parle de l'infiuence
152 BIBLIOGRAPHIE.
des Français restés les plus nombreux dans Tile et du lort
causé aux cultures par le déboisement des forêts.
L'état sanitaire du Sénégal ne laisse i-ien à désirer.
Alpb. G.
La République du Paraguay, précis bistoriijue et statisti-
que, par Aug. Meulemans (Paris, chez Dentu, 1884). — Bro-
chure de 33 pages. — Précis historique. L'auteur nous raconte
d'une façon fort claire et intéressante l'histoire du Paraguay,
depuis sa conquête par l'Espagne en 1568, jusqu'à nos jours.
La domination des .Jésuites, qui fit plier le pays sous leur joug,
puis les nombreuses années de dictature sous Framia et les
Lopez; les guerres contre le Brésil et la République Argen-
tine el enfin la reconstitution du pays après la mort de Lopez,
et le traité de paix de 1876, voilà les principaux sujets de cet
ouvrage. L'auteur nous donne ensuite un aperçu sur la géo-
graphie, la statistique, les différents pouvoirs, l'agriculture, le
commerce, l'importation, l'exportation et l'immigration de cet
intéressant pays, et nous montre enfin la République du
Paraguay ayant pris place parmi les états florissants du Nou-
veau-Monde. Alph. G.
Nous trouvons, dans VOesterreicfiische Monatschrift fur
den Orient de février, un article de M, Pechuel-Lœsche des-
tiné à refroidir les entreprenants, et à calmer les amateurs de
nouveautés qui seraient tentés de considérer l'Afrique comme
un Eldorado, où il importe de coloniser sans retard, afin d'y
récolter des richesses qu'ils croient y rencontrer.
L'auteur considère l'Afrique comme un pays avant tout
impropre à la colonisation, el cela à cause de son climat tro-
pical, les Euiopéens ayant de la peine à le supporter à la lon-
gue; à cause du nombre de ses habitants qui ne permet pas
une grande exportation de ses produits, ces dei'niers suffisent
à peine à l'entretien des indigènes; à cause du peu de ferti-
lité naturelle de son sol en général; enfin les moyens de trans-
port sont aujourd'hui encore si primitifs, qu'il n'existe de
véritable commerce que le long des côtes, et que le seul
objet d'échange de l'intérieur qui mérite d'être mentionné,
l'ivoire a une bien minime importance comparé à l'immen-
sité du continent. M. Pechuel-Lœsche estime la surface delà
BIBLIOGRAPHIE, 153
partie de l'Afrique fournissant l'ivoire à 12 millions de kilo-
mètres carrés, et la production annuelle à 750 tonnes, consti-
tuant la dépouille de 50,000 éléphants mâles. Estimant le
poids d'une paire de défenses à 20 kilogr. en moyenne, une
tonne en repi'ésenlerait 100, valant au maximum 25,000 fr.,
et ceci pour un territoire de 16,000 kilom. carrés, c'est-à-
dire un peu plus grand que le grand-duché de Bade.
En somme, l'auteur ne croit pas que l'Afrique soit un pays
d'avenir pour l'Europe. F. de B.
Proceedings of tfie Royal Geographical Sobieti/, {de Londres.)
1^0 de «Juin 1883. Les bassins de l'Amaru-Mayu et du
Béni, par Cléments R. Markham, secrétaire de la Société
royale de géographie.
Exploration de la rivière Béni en 1880-8 i, par le D'" Edwin
R. Heath, avec carte. Le voyage du D^'Heath a eu un résultat
important pour la géographie du centre de l'Amérique du
Sud : la reconnaissance complète du cours du Béni qui, pre-
nant sa source près de La Paz 16", 30' lat. sud, coule vers
le nord jusqu'au 10°, 30', où il reçoit l'Amaru-Mayu, puis
réuni à la rivière Mamore, qui a reçu elle-même l'itenez, ils
forment ensemble la grande rivière Madeira, un des princi-
paux affluents du tleuve des Amazones.
Juillet. Discours annuel du Président Lord Aberdare,
sur les progrès de la géographie.
Voyage dans le district à Voiiest du cap Delgado, par H. E.
O'Neill, consul de Sa Majesté à Mozambique, avec carte.
Expédition entreprise en septembre-octobre 1882, dans le
but de se renseigner, en vue de sa suppression future, sur la
traite des nègres dans la Ijaie de Tunghi, au sud du cap
Delgado 10°, 40' lat. sud, et dans le désir d'exploi-er le pays
encore inconnu de la tribu Mavia ou Mabiha.
Août. La Chine sous quelques-uns de ses aspects physiques
et sociaux, par E. Colborne Bader. Article bien écrit et in-
structif.
Un voyage de Mossamedes à la rivière Cunene, S.-O. de
154 BIBLIOGRAPHIE.
l'Afrique, par le comte de Mayo, avec carte. Celte relation,
contenant beaucoup de détails sur le pays et ses habitants, a
donné lieu dans le sein de la Société, à une discussion inté-
ressanle.
Sopt(>uibre. Visites aux côtes est et nord-est de la Noîi-
velle Crtiinée, par Wilfred Powell. L'attention se porte sur
celte île à cause des pi-élenlions rivales de la Hollande qui
prélend avoir des anciens droits à la possession de la partie
de rile à l'ouest du 141°, et de rAngieterre qui, poussée par
sa colonie voisine du Queensland, voudr-ait s'emparer sinon
de l'île entière du moins de sa partie orientale. Celte com-
munication, outre sa valeur géographique, a donc un intérêt
d'actualité.
Une visite au peuple Masaï habitant au delà des frontières
du pays de Nguru, par J. F. Last, avec cai-te. C'est la des-
cription d'une nouvelle partie de l'Afrique orientale, 6° lat.
sud, 3(5° cà 38° long. est.
Rapport sur les progrès de l'expédition de la Société au
Victoria Nyanza, par M. Thompson. Letti'e écrite de Mombasa
en juin 1883.
Octobre. U)ie visite aux stations de M. Stanley sur le
Congo, par H. H. Johnslon, avec carte.
Une visite aux Wa-itumba forgerons et aux Mangaheri,
près Mamboia, Afrique orientale, par. J. T. Last.
Ces deux relations d'explorations de parties, bien distantes
Tune de l'autre, du vaste continent africain, présentent cha-
cune de l'intérêt. De la première nous relevons que, au
moment de la visite de M. Johnslon il y a un an, contraire-
ment à d'autres informations, M. Stanley et les divers repré-
sentants de l'Association paraissaient vivre généralement en
bonne intelligence avec les indigènes.
IVoveuibre. Le district d'At/mbasca, nord-ouest du Ca-
nada, par le Rev, Emile Petitot, avec carte. Description inté-
ressante et très complète à tous les points de vue, d'une
vaste région d'environ 122,000^ milles, soit plus que la
Grande-Bretagne et l'Irlandes réunies (long. 105°-m°, 30',
lat. 56°-60°}.
BIBLIOGRAPHIE. 155
Déeeiikbre. Relèvement de la rive orientale du lac Nyassa,
et dernières nouvelles sur la « Route de jonction des lacs, »
par James Stewart, avec carte. Les lettres de M. Stewart
sont des 2 juillet et 1" août 1883. On sait qu'il est mort peu
après, le 30 aoùl, emporté par la fièvre. Sa fin prématurée,
il n'avait que 40 ans, est une vraie perte pour la géographie;
son nom i-estera attaché à l'achèvement du lever des rives
du Nyassa et à la construction de la route de jonction des lacs.
Le Congo, de son embouchure à Bolobo, avec notes sur la
géographie, l'histoire naturelle, les ressources et l'esprit poli-
tique du bassin du Congo, par H. H. Johnston, avec carte
physique. C'est le complément de la communication parue
dans le numéro d'octobre.
Notes sur la rivière Maud, ou Kara-Aghatch (le Sitakos
des Anciens) dans le sud de la Perse, par le lieutenant-colonel
E. C. Ross, avec carte. Article de géographie historique.
Ce numéro donne encore des nouvelles du voyage de
M. Révoil.
«fanvier 1884. Une visite au Kafiristan, \^av W. W.
Mac Nair. Le Kafiristan est situé dans le bassin supérieur de
la rivière Kabul, ses habitantsn'ont, paraît-il, jamais été con-
quis depuis Alexandre le Grand et n'ont pas embrassé l'isla-
misme; ils sont grands ennemis de leurs voisins les Afghans
musulmans. M. Mac Nair est le premier Européen qui ail
visité cette région ; son intéressant récit sera lu avec plaisir.
Notes sur la géographie du sud de l'Afrique centrale, en
explication d'une nouvelle carte de cette i^égion, par Andrew
A. Anderson. Notes et carte sont le résultat de 16 années
d'explorations et seront bien accueillies de tous ceux qui
s'intéressent aux progrès de la géographie du continent afri-
cain. L'auteur nous annonce du reste la prochaine publica-
tion de ses récits de voyages.
Février. Explorations récentes dans les alpes du sud de
la Nouvelle-Zélande, par le Rev. W, S. Green, avec carte.
M. Green, membre actif et entreprenant du Club alpin
anglais a, entre autres expéditions, fait l'ascension du mont
Cook, 12,3o0 pieds, la plus haute sommité de l'île, et exploré
156 BIBLIOGRAPHIE.
un grand glacier. Dans la conversation qui a suivi son récit,
il a été communiqué une letti-e de M. W. Graham qui parle
de ses ascensions dans l'Himalaya.
Un voyage en bateau autour du Stanley-Pool, par le Rev.
T. J. Comber, avec carte, lettre récente, du 6 octobre 1883.
Le voyage du Z)' Fischer dans le pays des Masaï, d'après
sa communication à la Société de géograpbie de Hambourg.
Les systèmes des montagnes de l'Himalaya et des chaînes de
rinde voisines, par le lieutenant-colonel H. H. Godwin-Austen,
avec carte.
Mars. Trois mois d'explorations dans les îles Tenimber,
ou Timor-Laut, par H. 0. Forbes, avec carte. M. Foi-bes, et
surtout son épouse qui l'accompagnait, ont fait preuve d'un
vrai courage, en s'élablissant ainsi sur une terre à peu près
inconnue, dans laquelle aucun Européen n'avait résidé avant
eux, et dont les babitants jouissaient de la plus mauvaise
réputation. Il est bien à regretter que de violents accès de
fièvre et surtout l'état de guerre des villages indigènes
les uns contre les autres, aient été un obstacle aux explora-
tions de M. Forbes. Sa relation n'en sera pas moins lue avec
plaisir et profit.
Notice sur l'ascension du volcan Ambrym dans les Nouvelles
Hébrides, par le lieutenant G. "W. de la Poer Beresford, R. N.,
communiqué par l'amirauté. Cette sommité n'avait jamais
été gravie précédemment, et le court récit de cette ascension
est intéressant.
L'expédition russe de 1883 à Pamir, avec carte. Traduction
d'une communication faite à la Société russe de géographie,
L'éruption volcanique de Krakatau, avec carte, par M. H.
0. Forbes. Les membres de la Société de géographie de
Genève qui ont déjà entendu sur ce sujet la communication
de leur collègue, M. de Seyff, liront avec intérêt le présent
article. Observons que l'orthographe Krakatoa, adoptée par
la plupart des journaux, ne paraît pas être la bonne, M. de
Seytï écrit Krakatao et M. Forbes Krakatau, se conformant
tous deux à la prononciation indigène.
BIBLIOGRAPHIE. 157
Avril. Ma récente visite au Congo, par le major général
sir F. J. Goldsmid. Notes sur le Congo inférieur, de son
embouchure au Stanley-Pool, par E. Delmar Morgan.
La Nouvelle-Guinée. Résumé de nos connaissances actuelles
sur celte île, par Coutts Trotter, avec carte.
Explorations récentes dans le sud-est de la Nouvelle-Guinée,
par le Rev. W. G. f^awes, avec carte.
Comme nous le disions, à propos du numéro de septembre,
l'attention se porte en ce moment sur la Nouvelle Guinée
jusqu'ici relativement négligée par les explorateurs. L'article
de M. Coutts Trotter est, comme Findique son titre, un
résumé historique et géographique très complet de nos con-
naissances sur cette grande île, connaissances Umitées du
reste presqu'uniquement aux côtes, la Fly-River seule ayant
été remontée sur une certaine longueur. Le second article
est une lettre du Rev. W. G. Lawes, datée de Port Moresby
19 décembre 1883, donnant des détails sur les dernières
explorations de son collègue missionnaire le Rev. J. Ghal-
mers.
Mai. Observations géographiques dans la région du Bahr-
El-Ghazal,\)ar Frank Lupton(Lupton Bey), avec introduction
par Malcolm Lupton, et carte.
Les dernières lettres de Lupton Bey, gouverneur de la
province de Ghazal, sont du commencement de novembre.
il donne des informations sur la géographie et les habitants
de celle vaste région (6°, 30' à 9°, 30' lat. nord, 25° à 31°
long, est), ainsi que des détails sur l'état politique amené
par la révolte du Mahdi avec lequel, ces dernières années,
il n'a pas été, paraît-il, moins de vingt fois en conflit armé.
Lupton se trouve maintenant coupé de toutes communica-
tions avec l'Europe par le Nord, et sa position ne paraît guère
meilleure que celle de Gordon.
Les pays de Somal et de Galla, et les informations recueil-
lies par le Rev. Thomas Wakefield, par E. G. Ravenstein, avec
carte. Ces deux pays sont situés au sud-est de l'Abyssinie
entre l'équateur et 10° lat. nord ; l'auteur fait un résumé
historique des découvertes géographiques et montre que
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 11
158 HIliLIOCRAlMIIE.
les (Jislricls explorés jusqu'ici sont bien limités^ comparés à
ceux où aucun Européen n'a encore mis le pied ; il nous
donne ensuite des notes intéi'essantes recueillies par le Rev.
Tlionias Wakefield qui depuis 18G5 a séjourné sur la côte
orientale de l'Afrique d'où il n'est revenu qu'en 1883.
Voyage en bateau le long de la rive occidenlale du Victoria
Nyanza, d'Uganda à Kageije, et exploration de Jordan's nul-
lah, par A. M. Mackay, avec croquis. Journal coramuni(iué
par la Church Missionary Society.
En terminant nous signalerons dans les Notes de cette
livraison les articles suivants : Dernières explorations de
M. Seloiis, avec carte. — Projet de dérivation de fOxus de
rAral à la Caspienne. — La mort du D' Pogge. — Le voyage
de M. Caries en Corée. — Les explorations de M. D. Lindsay
à travers la terre d'Arnheini.
A. Je M.
LISTE DES MEMBRES
DE LA
SO(;iÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE GENÈVE
C'est par erreur que le nom de xAI, Léon Metohnikufr
a été omis dans notre liste des membres effectifs, page 90.
ù'O»' <-> ^
OUVRAGES REÇUS
De janvier à mai 1884.
PÉRIODIQUES ET l'UBLlCATlONS DE SOCIÉTÉS
Petermann's Miltheilungen, 1884, N»= 1 à li. — Ergan-
zungslieft, N" 74.
Société royale de géographie de Londres. — Proceedings
and monlhly Record of Geography, 1884, N«^ 1 à 3.
Société de géographie de Paris. Compte rendu des séan-
ces, 1884, N°^ 1 à 9.
Société de géographie de Berlin. Zeitschrift, t. XVIII, 1883,
N"6; t. XIX, 1884, N° 1. — Verhandlungen, t. X, 1883,
N«9, 10; t. XI, 1884, N° 1.
Société de géographie de Vienne. Miltheilungen, t. XVI,
1883, No^ 11, 12; t. XVII, 1884, N° 1 à 4.
Société impériale de géographie de Russie, Bulletin, 1883,
t. XIX; Compte rendu, 1883, N»^ 4 à 5 ; t, XX, 1884, N" 1.
Société italienne de géographie. Rome. Bulletin, t. XVIII,
1884, N- 1 à 5.
Société de géographie de Madrid. Bulletin, t. XV, 1883,
N°^ 4 à 6, t. XVI, 1884, N°^ 1 à 2. — Congreso espanol de
geografia colonial y mercantil, Madrid, 1884, in-8", 419 p.
Société de géographie de Lisbonne. Bulletin, 1883, N»^
4 à 5.
Société néerlandaise de géographie. Amsterdam Tijdschrift,
Deel VII. N" 5 ; 2'»« série, N°^ 1 à 4. — Bijbladen, N° 12.
Société royale belge de géographie. Bruxelles. Bulletin,
1883, N" 6; 1884, NM.
Société royale de géographie d'Anvers. Bulletin, 1883,
Nos 4^ g_ _ Visite des membres du congrès de géographie
de Douai, 4 septembre 1883. Anvers, 1883, in-8", 8 p.
160 OUVRAGES REÇUS.
American geographical Society. Bulletin, 1883, N"' 3, 4.
Société de géographie commerciale de Paris. Bulletin,
l. VI, N»' 3 à 0.
Société de géographie commerciale de Bordeaux. Bulletin,
1884, N"-- 1 à 10.
Société de Géographie de Lyon. Bulletin, N" 26.
Société de géographie de Marseille. Bulletin, 1884, N"' 1,
2 et 3.
Société de géographie du Nord. Douai, Bulletin, 1884,
N»" 1, 2. .
Société de géographie de Lille. Bulletin, 1883, N°' 13 à 15;
1884, N- 1 à 3.
Société de géographie de Toulouse. Bulletin, 1883, N» 14;
188i, N- 1 à 4.
Société de géographie de l'Ain. Bourg. Bulletin, 1883,
N- 5, 6; 1884, N°= 1 et 2.
Société de géographie de la province d'Oran. Bulletin,
NM9.
Société de géographie de la province de Gonstantine. Bul-
letin, N° 1.
Société de géographie de Tours. Revue, 1. 1, N"' 1 et 2.
Société roumaine de géographie. Bucharesl. Bulletin,
1884, No 1.
Société khédiviale de géographie. Le Gaire. Notice par le
D^ F. Bonola. Le Caire, 1883, in-8", 51 p. —Bulletin, N" 5.
Institut égyptien, 1881, 1882.
Société normande de géographie de Rouen. Bulletin, 1883,
septembre-décembre, 1884, janvier-février.
Société de géographie de Rochefort. Bulletin, 1883, N»' 1
et 2.
Société de géographie de Montpellier, Bulletin, 1883,
No= 3, 4.
Société de géographie de TEst, Nancy. Bulletin, 1883,
N"^ 3, 4.
Société archéologique de l'Orléanais. Bulletin, N° 117.
Société archéologique de la Charente, Angouléme. Bulle-
lin, t. V, 1882.
Société de géographie de Saint-Yaléry-en-Caux. Bulletin,
1. 1, n" 1.
Société de géographie de Halle. Miltheilungen, 1883.
OUVRAC4ES REÇUS. 161
Sociélé de géographie de Brème. Deutsche geographische
Blâlter, t. VU, 1884, N<^ 1; VII Jahresberichl.
Société de géograpiiie de Hanovre, IV Jahresberichl, 1882-
1883.
Société de géographie de Thuringe. léna. Mittheilungen,
1883, N- 3, 4, 5.
Société de géographie de Lùbecii. Mittheilungen, N"' 2, 3.
Sociélé de géographie commerciale d'Oporto. Bulletin,
1884, N» 3, 4, 5.
Institut géographique de la République Argentine, Bue-
nos-Ayres. Bulletin, t. IV, 1883, N" 11; t. V, 1884, N«^ 1 à 4.
Écho des Alpes. Publication des sections romandes du club
alpin suisse, 1883, N" 4; 1884, N" 1.
Société d'anthropologie de Paris. Bulletin, t. VI, 1883,
N"" 3, 4.
Société d'anthropologie de Lyon. Bulletin, t. II.
Société d'anthropologie de Vienne. Mittheilungen, t. IV,
N° 1.
Société d'ethnographie. —Annuaire, 1884, Bulletin, N"' 52
à 54.
Journal asiatique. Paris, t. XXII, N" 1 à 3.
Société d'anthropologie de Vienne. Mittheilungen, 1883,
N°«3, 4; 1884, N" 1.
Afrikanische Gesellschaft in Deutschland. Mittheilungen,
t. IV, N^^ 1, 2.
Société d'histoire et d'archéologie de Liège. Exposé des
travaux de la Société, 1880-1882. Liège, 1882, in-S", 16 p.
Zeitschrift fur wissenschaftliche Géographie, t. IV, 1883.
No= 3 à 6.
Meleorological Society. Quarterly Journal, 1884, janvier.
— List of fellows of the R. M. S. 1^' march 1884.
Charter and by laws of the R. M. S., l'^januar 1884,
Report of the meleorological Council to the Royal Society
for the year ending 31"^ of march 1883.
Meleorological Office. Officiai 61. A barometer manual for
the use of Seamen. London, 1884, in-S", 41 p.
Revue maritime et coloniale, 1884, N° 1, 2, 3.
Revue de Géographie de L. Drapeyron, VII"^ année, N"^ 7
à 11.
Revue internationale de géographie. Paris, N"' 99 à 102.
162 orVRA(iKS RK(JU8.
Moniteur des consulats, N"' 230 à 2;)0.
Afrique explorée et civilisée, (. V, 1884, N"^ 1 à 0,
Revue savoisienne, 1883, N" 12; 1884, N"^ 1 à 3.
Exploialion, N»^ 363 à 383.
Esploratore. Milan, 1884, t. VIII, N"' 1 à 5.
Cosmos de Guido Cora, 1883, t. VII, N»^ 10 à 12: 1884,
t. VIII, NM.
Oeslerreichisclie Monatschrift fur den Orient, 1884,
No' 1 à 5.
Deutsche Kolonialzeitung, N»' 7 à 10. — Vortràge zur Fôr-
derung der Beslrebungen des deutschen Kolonial-Vereins,
N° 1. Ist die Welt vergeben? Vortrag von D'' A. Fick, aus
Richmond, Kapland. Frankfurt a/M. 1884, in-8", 12 p.
Observatoire impérial de Rio-de-Janeiro. Bulletin 1881,
N»3; 1883, N» 11 à J2.
Moniteur des colonies, N»' 1 à 20.
Institut Lombard des Sciences et Lettres. Rendi conti,
XV ; Memori, XV, Fasc. 1.
Bulletin de la Société vaudoise des Sciences naturelles.
Annales estadisticos de la Republica de Guatemala, t. I,
1884.
Publications of the U. S. Hydrographie Office, during the
(|uai'ler ending december 31^ 1883. Washington, 1884, in-8°,
11p. — Supplément to pilot chart of the norlh Atlantic for
januai-y, february, march, april, may, 1884. — Notice to mari-
neers; N"' 1 à 163. (Don du U. S. Hydrographie Office).
Revista de .secçao de Soc. geog. de Lisbo ano Brazil, t. II,
août à octobre.
Third Report of the U. S. Entomological Commission wilh
map and illustrations. Washington, 1883. (Don du déparle-
ment de l'agriculture des États-Unis.)
Le mouvement géographique, N"- 1 à 4. (Don de l'Institut
national belge de géographie).
Harper's Weekly, N° 1414.
Société américaine de France. Archives, t. II. — Liste des
publications de M. L. Rosny sur l'archéologie américaine.
Paris, 1883, 5 p. ^
OUVRAGES REÇUS. 163
DONS D AUTEURS ET AUTRES.
Elisée Reclus. Nouvelle géographie universelle, Liv. 501 à
528. (Don de l'auteur, M. E.)
Vivien de Saint-Martin. Nouveau dictionnaire de géogra-
phie universelle, Liv. 24. (Don de l'auteur, M. H.)
iM. Venukof. Aperçu sommaire de la partie méridionale de
la province littorale de Sibérie. Extrait de la revue de géo-
graphie. In-S", 7 p. et carte. (Don de l'auteur, M. G.)
M. Tliury, professeur. Le méridien initial et l'heure uni-
verselle. Genève, 1883, in-8'', 24 p. (Don de l'auteur.)
Sir Travers Twiss et le Congo, par un membre de la Société
royale de géographie d'Anvers. Bruxelles, 1884, in-8°, 44 p.
Hans Majestât Kong Oscar II. Reise i Nordland ag Finmar-
ken aar 1873, ved J. A, Friis professor. Kristiania, 1882,
in-S", 107 p., ill. (Don de l'Université de Christiania.)
Den Norske Turistforenings Artog for 1881. Kristiania,
222 p. illust. (Idem.)
Verney Lowelt Cameron. Notre future route de l'Inde.
Traduit de l'anglais, Paris, 1883, 269 p. illust. (Don de M. F.
de Morsier, M. E.)
Archibald, R. Golquhoun F. R. G. S. The truth about Ton-
quin. London, 1884, in-8°, 157 p. (Don de l'auteur.)
Ernesto do Canlo. Ov Corte-Reaes. Memoria historica
acompanhada de muilos documentos ineditos. Ponta Delgada,
1883, in-8°, 234 p. (Don de l'auteur.)
Yacoub Artin Bey. La propriété foncière en Egypte. Le
Caire, 1883, in-8°, 348 p. (Don de l'Institut égyptien.)
Arnold Guyot. Memoir of Louis Agassiz, 1807-1873. Prin-
ceton, N. J., 1883, in-8°, 49 p. (Don de C. Faure, M. E.)
Les langues modernes de l'Afrique, d'après M. Robert
Needham Cust. Extrait de l'Afrique explorée et civilisée.
(Idem.)
Compendium of the tenth census ofthe United States, 1880.
I et II Part. Washington, 1883, in-8", 1771- p. (Don de M. F. V.
Hayden, M. II.)
164 OUVRAGES RKÇUS.
CARTES
Vivien de Saint-Martin. Atlas universel de géographie,
4"'» Livraison.
E. Gtcbler. Atlas, 7"« Liv. (Don de l'auteur).
Carte du Koidofan, dressée par le major général G. H.
PrOUt, 1876, Veooooo-
Un lot d'atlas, cartes et plans de géographie ancienne.
(Don de M. Frédéric Necker.)
ALBUMS
Photographies de Kalmouks, de Peaux-Rouges et d'Atchi-
nois. (Don du prince Roland Bonaparte.)
^/v'A/VA/'va.-^
LE GLOBE
JOURNAL GÉOGRAPHIQUE
ona^A^DSTE:
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE GENÈVE
TOME VINGT-TROISIEME
Quatrième Série — Tome III
MEMOIRES
1884
GENÈVE
LIBRAIRIE R. BURKHARDT
SUCCESSEUR DE TH. MUELLER
2, place Molard, "2
1884
MÉMOIRE
VIE ET TRAVAUX D'ARNOLD GUYOT
Professeur à Neuchâtel et â Princeton, N. J.
ISOr- 1S48
Messieurs,
Si noire très regretté collègue, M, Elie Lecoullre, viv;iit
€ncoi-e, il aurait, je n'en doute pas, dès l'annonce du décès
de son ami. M. le professeur Guyot, saisi la première occa-
sion, pour vous parler de la perte qu'a faite la science géo-
graphique, par la mort de noire compatriote, le 8 février de
celle année, à Princeton. C'eût été à lui aussi que votre
Bureau se serait adressé, pour lui demander de vous parler
<le la vie et des travaux de celui avec lequel il s'était lié, dès
l'Université de Berlin, où ils s'étaient rencontrés aux cours
de Karl Ritter, d'une amitié que ni l'éloignemenlnile temps
n'avaient pu atïaiblir. Il eût été beaucoup mieux qualifié que
moi, pour vous présenter une image vivante de son ami, et
pour faire valoir auprès de vous les mérites du savant, dont
il pouvait, mieux que pei'sonne, apprécier les vues,la méthode
€t les nombreux travaux.
Appelé par votre Bureau à me charger de cette douce
tâche, je n'ai pu refuser de lemplir ce pieux devoir envers
le professeur auquel je dois le goût pour la science qui nous
réunit; je regrette seulement de me sentir si peu propre à
m'en acquitter, car, à mesure que j'ai mieux appris à le
€ornuiître, j'ai mieux senti aussi tout ce qui me manque,
pour vous le présenter d'une manière un peu digne de lui.
4 VIE ET TRAVAUX
J'élais bien Jeune encore lorsque j'eus le privilège de rece-
voir ses leçons, j'en ai joui trop peu de temps, et, quoique
honoré de son amitié, je n'ai pu entretenir avec lui une coi-
respondance régulière, qui m'eût permis d'être constamment
renseigné sur ses occupai ions et ses voyages, et de le suivre
dans les diverses pliases de son développement scientitlque
Mais sa veuve, iM""" Guyot, et son neveu, M. Ernest Sandoz,
son collaliorateur pour la partie cartographique de ses tra-
vaux, ont hien voulu m'envoyer des documents, qui me per-
mettront de suppléer à mon insuffisance.
M. le professeur L. Favre,directeui' du gymnase cantonal de
Neuchàlel, prépare une Notice pour la section de la Société
des sciences naturelles de ce canton, dont A. Guyot fut
secrétaire pendant les années où il enseigna a l'ancienne
Académie. Mais son travail ne peut me dispenser de vous
présenter le mien, qui, je le crois, ne fera pas double emploi
avec le sien. M. Favre fera hommage de son mémoire à
notie bibliothèque, et vous le savez. Messieurs, deux valent
mieux qu'un.
D'après les renseignements qui m'ont été fournis de Prin-
ceton, la famille Guyot émigra de France en Suisse au
XlV^siècle, et les villages de Boudevilliers et de la Jonchère,
au Val-de-Ruz, à quelques kilomètres de Neuchàtel, comp-
tent beaucoup de ses descendants. Dans un acte de Jean
d'Aarberg, comte de Valangin, du 3 novembre 138o, est
mentionnée la lettre de bourgeoisie des Guyot, d'après
laquelle, tandis que les sujets de Valangin étaient ta diables
et de main-morte, le comte les quittait « de toutes sei-viludes,
charrues, journées de travail, se réservant seulement leui's
attelages pour faire conduire ses meules , son vin et
d'autres charrois, comme aussi de vaquer aux corvées dans
les vignes qu'il possédait au vignoble de Neuchàtel, appe-
lées les Valangines.» Au XVI^ siècle, sous l'influence de la pré-
dication de Farel, les Guyot devinrent protestants. En outre,
une émigration postéi'ieure, qui eut lieu après la révocation
de l'édit de Nantes, amena dans la principauté de Neuchàtel
et Valangin une soixantaine de familles des vallées de Pra-
gela et de Queyraz, dans les hautes Alpes du Dauphiné; elles
furent admises à la bourgeoisie au commencement du
XVIH* siècle, et dans la liste des Archives se trouve men-
D ARNOLD GUYOT. 5
lionne le nom irÉlicnne Guyol, négociant, du village des
Granges.
Le grand-père d'Arnold Guyot, « l'ancien Joseph » comme
on l'appelait, était très considéré dans le village où il demeu-
rait. Son fils Uavid-Pierre, doué d'une intelligence piompte,
et d'une intégrité parfaite, épousa en 1798 M"* Constance
Favarger, de Neucliàtel, en qui étaient réunies une grande
beauté et une rare noblesse de caractère. Ils eurent douze
enfants, dont six moururent en bas âge. Arnold-Henri naquit
à Boudevilliers, le 28 septembre 1807, et reçut son nom en
souvenir du patriote Arnold de Winkelried, pour lequel son
père avait une gi-ande admiration. Un de ses plus anciens
souvenirs était celui de la comète de 1811, qu'il avait vue
s'élever au-dessus du Jura et remplir, lui semblait-il. la moitié
du ciel.
Son goût pour l'Iiistoire naturelle se manifesta de bonne
heure, par une vive passion pour les papillons et les insectes,
qu'il n'était jamais las de poursuivre dans les champs. Un
de ses amusements favoris était de construire de petites
ruches en terre et de prendre des bouixlons pour leur y faire
dépose!' leur miel.. Les plantes et les animaux Tintéressaient
aussi. A l'âge de six ans, il apporta un jour sur sa tête, à sa
mère étonnée, toute une famille de jeunes mulots, soigneuse-
ment arrangés dans sa casquette de feutre; il les caressait
affectueusement, et voulait que sa mère admirât aussi leur
beauté.A neuf ans, il reçut de son père, comme cadeau de
nouvel an, Robinson Crusoé, son premier livre, vrai trésoi*
pour lui; cette lecture le captiva tellement, qu'il avait peine à
attendre l'après-midi du samedi, où il avait vacance, pour se
dérober dans quelque coin, afin d'y dévorer ces pages sans
interruption.
Encorejeunegarçon,il fut envoyéàlaChaux-de-Fonds, pour
en fréquenter les écoles, tandis que sa famille s'établissait, vers
1818, à Haulerive, à quelques kilomètres de Neuchâtel, où sa
mère ouvrit un pensionnat déjeunes filles. Mais l'année sui-
vante déjà, une épidémie de fièvre typhoïde, qui sévit dans le
village, enleva le père, dispersa les élèves et frappa cinq autres
membres de la famille. M"" Guyot, devenue veuve, resta seule
chargée du soin des malades. L'éloignement du jeune Arnold
l'avait mis à l'abri de l'épidémie.
6 VIE ET TRAVAUX
En 1821, il entra dans la s"c()ncle classe da collège de
Neucliàlel, où il devint le camarade de Frédéric Godet, et
hienlôt, suivant l'expression de celui-ci^ son frère en ento-
mologie el en courses dans les bois de Chaumont, au Creux-
du-Yan, etc. Les études classiques (|u'il faisait alors n'étaient
cependant pas de nature à développer son goût pour les-
sciences naturelles.
« Avant 1829, » dit M. L. Favre, dans sa Notice sur Louis-
Agassiz, « les sciences naturelles n'étaient pas enseignées à
Neucliâtel; les études littéraires, le grec, le latin, occupaient
la place la plus importante, On n'avait pas d'autre ambition
tpie de préparer, en vue des universités où ils devaient con-
quérir leurs grades, les jeunes gens destinés à la carrière
d'avocats, de médecins et surtout de pasteurs. » Aussi les
études de Guyot à Neucbàtel, pendant quatre ans, portèrent-
elles essentiellement sur les lettres et sur la pbilosopliie. II
débuta même, à Tàge de 15 ans, dans la carrière de l'ensei-
gnement, par des leçons de grec.
Toutefois on ne peut se défendre de croire que celui qui
a tant aimé, étudié, observé la tei're et ses pbénomènes, qui
en a si bien saisi les rapports réciproques, reçut aussi, pen-
dant sa première jeunesse, une vive impression de la nature
variée des dilTérentes régions du pays de Neuchâlel. De la
maison de sa mère, à Hauterive, il voyait se dérouler devant
lai toute la cliaîne des Alpes, du mont Blanc au Titlis,
et il est difficile de ne pas voir un souvenir de celle' époque
dans les lignes suivantes, où, parlant d'Agassiz, né à Moliers
en YuUy quelques mois avant lui, il dit:
<' De sa demeure, il pouvait voir resplendir à ses yeux les
montagnes neigeuses de l'Oberland bernois : la Jungfrau,
avec sa robe d'un blanc immaculé; le Sclireckliorn el le
Finsteraarborn, avec leurs sombres pics ébréchés, trop
abrupts pour retenir la neige; les deux Eigers, avec leurs
arêtes fortement marquées, et quantité d'autres pics y com-
pris le mont Blanc. Si ces nobles hauteurs sont devenues
plus tard le thécàtre de ses célèbi-es recherches sur les gla-
ciers, est-ce un simple hasard? Cette coïncidence ne montre-
l-elle pas que, dans ce premier âge, Agassiz, possédait déjà
celle disposition d'esprit si indispensable au vrai natu-
raliste, qui le conduisit cà tirer sa connaissance de la na-
D ARNOLD GUYOT. /
lure, de la nature elle-même, et non pas des observations
d'aulnii ? »
Quoi qu'il en soit, ayant résolu de poursuivre plus tard ses
éludes dans les universités allemandes, il se rendit en 1825,
à Meizingen, en Wurtemberg, près de Stuttgardt, pour y
apprendre l'allemand. Comme il ne pouvait pas encore le
parler, et que le pasteur chez lequel il était ne comprenait
pas le français, ils durent d'abord communiquer en latin. Il
ne resta là que trois mois. Un accès de mal du pays l'engagea
à aller à Carlsruhe faire visite à sa sœur cadette, qui s'y trou-
vait dans la famille Braun. Il fut invité à y rester-, pour pro-
filer des ressources de récole polytechnique de cette ville,
et il en fréquenta les cours durant six mois.
Pendant ce séjour à Carlsruhe, son goût pour les sciences
naturelles reçut une vive impulsion de la rencontre de son
ami Louis Agassiz, avec lequel il s'était lié dans les réunions
de la Société de Zofingue, et dont il devait devenir plus tard
le compagnon d'œuvre à l'Académie de Neuchâtel, avant
d'être son compagnon d'exil au delà des mers. Agassiz
devenu, à l'université de Heidelbeig, l'amid'Alexandre Braun,
fut invité par celui-ci à venir passer ses vacances d'été à
Carlsruhe, en même temps que Karl Schimper et Imhof de
Bàle. Écoutons A. Guyot raconter lui-même * la vie de ces
amis pendant ces mois de vacances :
« Au bout de quelque temps consacré à faire connais-
sance, chacun se mil à l'œuvre. Acquérir des connaissances
était la règle du jour. Les plaisirs de la société, grands sans
doute, n'étaient cependant que le doux assaisonnement d'une
nourriture plus solide. Mes souvenirs de ces mois de travail
et de récréation altei'nant ensemble, suivis de progrès si
réels, sont parmi les plus délicieux de mes jeunes années.
« Tout dans cet intérieur était de nature à développer les
facultés des jeunes gens qui s'y rencontraient. Les membres
(le la famille étaient tous bien doués et cultivés; les aspira-
lions les plus nobles, le goût des arts et des sciences s'y com-
binaient de la manière la plus heureuse avec la simplicité
naturelle des mœurs si caractéristique de la société dans
l'Allemagne méridionale. M. Braun, le chef de la famille,
* Biographical Memoir of Louis Agassiz. Princeton, N. J., 1883.
8 VIE ET TRAVAUX
maître général des posles du grand-duché de Bade, avait
des goûts scientifiques prononcés, spécialement pour la miné-
ralogie; sa collection de minéraux était une des premières
du pays. iM"" Eraun, femme d'une intelligence supérieure et
d'une culture littéraire peu commune, dirigeait les jeunes
esprits placés sous sa surveillance, cherchant à développer
leurs facultés d'une manière harmonique. Ils avaient deux
fils, l'un, Alexandre, plus tard professeur de botani(jue et
directeur du jai'din botanique, à Berlin, l'autre, Maximilien,
minéralogiste comme son père, ingénieur des mines et
longtemps dii-ecteur des mines de zinc de la Vieille Mon-
tagne, les plus grandes de l'Europe, et deux filles, Cécile,
devenue deux ans plus tard la femme d'Agassiz, douée de
qualités morales exquises, et d'un talent de premier ordre
pour le dessin, et une sœur plus jeune déjà distinguée par
son goût et son habileté pour la musique. Autour de ce
cercle de famille, se groupaient quelques amis de choix,
professeurs, pasteurs, artistes, arrivant librement presque
chaque soir.
" Le lieu choisi par M. Braun pour sa résidence répondait
à ses goûts. Sa demeure était située vis-à-vis du grand parc
qui entoure presque le palais du grand-duc, et étale aux
regards ses belles plantations, peuplées d'innombrables
rossignols remplissant l'air des nuits de leurs douces mélo-
dies. Derrière ce rideau de verdure, presque en vue de la
maison, .se trouve le riche jardin botanique avec ses serres;
à quelques pas de là, une des principales portes de la ville
ouvre sur une forêt de grands chênes séculaires, la Harlwald,
qui s'étend presque jusqu'au Rhin. Attenant à la maison Braun
ets'étendant dans un jardin spacieux, loin du bruit de la rue,
s'élevait une aile de bâtiment, longue et contenant une file
de chambres : celles de l'étage supérieur destinées aux
hôtes de la maison, l'étage inférieur consacré à la science,
La première pièce au rez-de-chaussée était occupée par la
riche collection de minéraux du père; les autres, remplies de
plantes vivantes ou séchées, de conserves, de microscopes,
d'ouvrages de prix pour la consultation, étaient les labora-
toires de ses fils et de leurs amis. Là étaient déposés, compa-
rés et soumis à un examen sérieux, les trésors recueillis
chaque jour par la petite troupe dans la contrée voisine. Là
d'aexold guyot. 9
aussi élaient disculées, avec une ardeur et une audace juvé-
niles, les théories suggérées parles faits observés.
« Les mois s'écoulaient dans un commerce constant et
immédiat avec la nature, les sujets des recliei'clies changeant
à mesure que la saison avançait. La botanique et l'entomo-
logij eurent d'abord leur tour, les collections et l'élude des
coquilles de terre et d'eau douce marchant de pair avec elles.
Une charmante excursion à Baden-Baden et au cœur de la
forêt Noire augmenta beaucoup nos trésors; mais la collec-
tion dont le souvenir m'est demeuré le plus vivant, est une
collection de champignons, recueillie en automne, surtout
dans la forêt de Hartwald. Je n'avais jamais vu auparavant,
et je n'ai pas revu depuis, une telle variété de formes étran-
ges, de la plus massive à la plus délicate; tantôt des couleurs
éclatantes, tantôt des nuances très douces, en un mot une
profusion de beautés inattendue dans cet ordre d'êtres orga-
nisés. Nous placions sur du papier blanc les exemplaires
fraîchement cueillis et nous déterminions leurs cai'aclères
généraux et spécifiques. Les jours de pluie, nous revenions
aux investigations microscopiques, spécialement sur l'em-
bryogénie des cryptogames, sous la direction d'A. Braun...
Tout le plan du règne animal actuel, dans ses i-apports avec
les formes paléontologiques éteintes, formait le sujet de dis-
cussions animées...
« Il serait inutile d'essayer de déterminer la mesure du
profit mutuel relire par ces jeunes étudiants de la nature, de
leur réunion dans des circonstances si favorables. Certes il
était très grand, et la meilleure preuve de l'impulsion puis-
sante qu'ils en reçurent tous, se trouve dans l'ardeur nou-
velle avec laquelle chacun d'eux a poursuivi et accompli plus
lard l'œuvre de sa vocation.
« Les vacances finies, les universités rouvrirent leurs
portes, invitant la jeunesse studieuse à revenir au sanctuaire
de la science. Les hôtes reconnaissants quittèrent avec
regret l'heureuse demeure qui, pendant quelque lemps,élait
devenue la leur, pour retourner chacun à l'université de son
choix. »
Ces détails fournis par Arnold Guyol lui-même sur ce
qu'on peut appeler un épisode de sa vie d'éludés à Carlsruhe,
m'ont paru non seulement intéressants en eux-mêmes, car il
10 VIE ET TRAVAUX
fait Ixin voir des jeunes gens de 18 à 20 ans consacier leurs
loisirs de vacances à des travaux aussi féconds, mais encore
imporlaiils pai- rintluence (|u'eul certainement la période
de sa vie à Carlsruho sur sa carrière future.
Avant de le suivre à Stuttgardt et de revenir avec lui à
Neucliàtel, (|u'il me soit permis d'attriliuer aux relations
nouées par Alexandre Eraun avec Agassiz et Guyot, une
partie de la sympathie avec laquelle mes amis et moi, pen-
dant nos années d'université à Berlin, nous fûmes accueillis
[lar la famille Braun, dans laquelle nous retrouvâmes le même
esprit, le même charme, le même goût pour les sciences et
les aits qui avaient distingué la maison de son père.
A Stultgai-dt, où il alla en quittant Carlsruhe, il suivit
les cours du gymnase^ réputé dans toute l'Allemagne pour
l'excellence de ses études classiques, et se rendit si l)ien
maître de la langue allemande, que souvent on le prit pour
un Allemand.
Revenu à Neucliàtel en 1827, il entra en théologie, sans
avoir pour l'art oratoire aucun don particulier (|ui le fît
remai-quer, et se prépara avec sérieux à cette sainte vocation.
La piété traditionnelle, héritage de ses pères, se transforma
en lui en foi personnelle et vivante, sous l'influence de ses
professeurs et de la prédication du pasteur Samuel de Petit-
pierre, dont la parole simple mais puissante gagnait les
esprits et les cœurs, pour les conduire et les attacher à Celui
qui leur donne la vie éternelle. Gomme la plupart des
jeunes Neuchàlelois d'alors, Guyot en reçut une profonde
impression, qui s'étendit à toute sa vie intellectuelle et
morale. Peu à peu sa foi se changea en savoir, sans toutefois
que sa science perdît rien de sa contlance filiale en Celui
dont lescieux et la terre lui disaient la puissance, la sagesse
ei la bonté, et à la gloire duquel il consacra tous les dons de
l'espiii qu'il avait reçus, et tous les talents qu'un travail régu-
lier et persévérant lui permit d'acquérir.
L'intensité de sa vie religieuse ne diminua point, lorsque
plus tard il renonça aux éludes de théologie, que, dès 1829,
il alla poursuivre à Berlin, où il fréquenta pendant une année
les cours de Schleiermacher,deNeanderet de Hengstenberg.
Obligé de songer à décharger sa mère d'une partie des frais
de ses éludes, il accepta l'invitation de M. MûUei-, con.seiller
D ARNOLD GUYOT. 11
privé du roi Frédéric-Guillaume IH, à devenir son hôte, pour
f;iire profiler ses enfants, deux tils et deux filles, d'une con-
versation française. Les cinq années qu'il passa dans cette
maison, aux soirées musicales de laquelle se rencontrait
l'élite de la société de Berlin, lui permirent de nouer des
relations avecles personnes les plus haut placées dans lemonde,
et des amitiés qui durèrent toute sa vie. Par l'influence de
M. iMûlIer, il fut appelé a donner des leçons particulières de
français aux enfants du ministre de la guerre, M. de Rauch, à
la comtesse de Radowitz, à M. de Gerlach, et à d'autres
personnes de grandes familles. A côté de ces leçons et de
celles qu'il donnait aux enfants de M. MùUer, il continuait ses
éludes de théologie, tout en consacrant ses moments de
récréation aux recherches scientifiques commencées avec
Agas>iz à Carlsriihe. Il faisait des collections d'insectes et de
coquilles ; la botanique surtout semble avoir alors attiré son
attention. Une recommandation spéciale d'Alexandre de
Humholdl lui procura un libre accès au jardin botanique
l'oyal, et, comme il voulait apprendre à connaître la végéta-
lion des tropiques qui y était représentée, le jardinier lui
coupait chaque semaine une centaine de plantes exotiques
pour son herbier.
Outre les cours de théologie susmentionnés, il fréquen-
tait ceux de Hegel, de SlelTens et surtout ceux de Karl
Ritler, dont il était un des élèves favoris, et sous l'influence
duquel un nouveau champ d'études, plus en rapport avec
ses goûts et ses aptitudes, parut s'ouvrir devant lui. Aussi se
décida-t-il à renoncer à la théologie, non que celle-ci le
rebutât, mais parce que la délicatesse de conscience qui régla
toute sa vie, lui faisait craindre d'entrer dans le ministère
avec un cœur partagé.
Pour se préparer à la vocation nouvelle qu'il venait de
choisir, il suivit des cours sur presque toutes les branches de
riiisloire naturelle, sans rien négliger d'ailleurs des devoirs
que lui imposaient ses engagements envers la famille Mùller.
il est facile de se représenter combien ses heures étaient
remplies; aussi ses compatriotes et amis, parmi lesquels
était notre excellent collègue, M. Lecoultre, regrettaient-ils
dnle voir beaucoup trop peu.
De tous les professeurs dont il fréquentait les leçons, celui
12 VIK ET TRAVAUX
aïKiiR'l il s'ailaclia le plus fut, comme je l'ai dit, Karl Uiiter.
Il faut rentoiidre, dans le discours qu'il prononça, le 16 fé-
vrier 1860, à la Société américaine de géographie^ rendre
hommage à ce « grand maître dans la science du glohe, »
comme il l'appelle, pour comprendre tout ce qu'il lui devait
et combien il lui était alTectionné.
« Formé, » dit-il, « pendant mes années d'université, par
les leçons de cet ami vénérable et bien-aimé, à l'étude de sa
science favorite qui devint bientôt la mienne, j'ai été plus
tard guidé dans mes travaux par ses tendres et aflfeclueux
conseils, qu'il ne me refusa jamais. A chacune des étapes de
ma carrièi'e scientifique, il m'a soutenu et encouragé, par
l'expression spontanée d'une approbation qui m'était d'un
grand prix ; le dernier témoignage qu'il m'en a donné, quel-
ques jours avant que la froide main de la mort lui ùtàt la
plume de la main, a pour moi toute h valeur d'un testament
scientifique. Comblé de telles faveurs de sa part, je sens
qu'aucune considération personnelle ne pourrait m'excuser,
si je laissais échapper l'occasion qui m'est olTerte d'exprimer
les sentiments de profonde gratitude, et presque d'allection
filiale, qui me lient à ce grand homme, et de m'elTorcer
d'établir devant vous ses droits à la reconnaissance de l'hu-
manité tout entière. »
En énuraérant les voyages que fit Ritter, pour se perfec-
tionner dans la connaissance du globe, Guyot n'oublie pas le
séjour du maître à Genève, ni les relations d'intime amitié
qu'il y contracta avec H.-B. de Saussure, A. Pictet, P. de
CandoUe, relations qui, jointes aux beautés naturelles du pays,
firent de Genève, pour Ritter, un séjour sur lequel il aimait
toujours à reporter sa pensée.
Encore moins oublie-t-il la visite de Rilter à Pestalozzi, et
l'impression que celui-ci produisit sur le géographe, qui
comptait ne passer que quelques heures à Yverdon et qui y
resta quatre mois. Ces deux hommes s'étaient compris ; les
lettres de Ritter à Pestalozzi sont pleines d'impressions de
reconnaissance et d'admiration pour l'idée fondamentale sur
laquelle il basa sa méthode, et qui valut à celle-ci les succès
quelle remporta dans la réfoi'me de l'enseignement de la
géographie.
« Ayant eu, » dit Guyot, « le privilège de suivre pendant
d' ARNOLD GUYOT. 13
cinq ans (tie 1830 à 1835), à peu près tous ses cours, qu'il
me soit permis d'ajouter mon humble hommage à celui d'un
grand nombre de ses auditeurs, qui se rappellent son ensei-
gnement avec délices. Ritler en eflet, pendant sa carrière
universitaire de trente-sept ans, a joui, comme professeur,
d'un succès rarement égalé. Il arriva à Berlin à peu près
aussi inconnu des étudiants, que l'était la science elle-même
qu'il était appelé à enseigner. Quelques cours sufïïrent pour
augmenter le nombre de ses auditeurs jusqu'à remplir les
plus grandes salles de l'université. Ce n'était pas en dé-
ployant une haute éloquence de paroles et de gesles, qu'il
captivait leur attention^ mais en offrant à leurs yeux un
tableau substantiel et agréable des images vivantes et des
idées qui remplissaient son esprit. Son éloquence n'était pas
un impétueux torrent de montagne avec ses magnifiques
cascades, ses vapeurs et ses arcs-en-ciel éclatants; c'était un
fleuve majestueux, roulant tranquillement ses eaux puis-
.santes mais paisibles, tantôt à travers la forêt vierge, tantôt
au milieu de riches campagnes, de tapis diaprés, de popu-
leuses cités construites sur ses bords, ne détruisant jamais,
fertilisant toujours tout ce qu'il rencontrait sur son passage.
Le geste de [Ritter était digne, mais sans prétention, sobre,
simple, naturel. Le son de sa voix pleine et harmonieuse
exerçait un attrait tout particulier; ses paroles étaient tou-
jours instructives et fécondes. L'auditeur ne pouvait s'em-
pêcher d'être impressionné par la plénitude de connaissance
et par l'amour du professeur pour son sujet, en même temps
qu'il était charmé par l'heureux choix des faits exposés, qui
laissait devant son esprit, nettement dessinés, les traits les
plus essentiels du sujet. Tracés à la planche noire d'une main
habile et exercée, les dessins rendaient les descriptions du
professeur encore plus frappantes.»
Trente ans plus tard, le souvenir de ces différents cours
sur la géographie comparée, était aussi vivant chez notre
compatriote qu'aux premiers jours ; en particulier, celui
des cours sur l'Asie et l'Europe, les continents historiques
par excellence, et celui des cours pubhcs d'hiver sur les
pays classiques des régions historiques de notre globe, la
Grèce, l'Italie, la Palestine, auxquels affluaient les hommes
cultivés de toutes les classes de la société, théologiens, phi-
14 VIK KT TRAVAUX
lologuos, jurisconsultes, avides d'entendre de la lioiiche du
in;iîlrela desciiplion exacte, en même temps qu'animée, des
oeiilies géographiques de l'activité humaine.
I/inIluence de Rilter ne se hoinait pas à celle qu'il exer-
<;ait par son professoral, et le développement de la Sociélé
<le géographie de Berlin dont il était l'âme, et où Dove le
secondait admirahlement, ne l'empêchait pas de puhlier son
oeuvre principale: Erdknnde, ou la science du globe dans
ses rappoits avec la nature et avec l'histoire de l'humanité.
Il Pavait commencée en 1817, et le dix-neuvième et dernier
volume qui termine à peu près l'Asie, parut quelques semai-
nes avant sa mort en I8o9. « Quoique l'édifice soit inachevé,
Ton peut percevoir nettement l'idée fondamentale sur laquelle
il repose: la conviction profonde (jue notre globe, comme
tout l'ensemble de la création, y compris l'homme, est un
grand organisme; que les parties de ce tout, foi-mées et
arrangées en vue d'un certain but, sont dépendantes les unes
<lesaulres, et que par la volonté de leur Auteur, elles remplis-
sent,comme des organes, des fonctions spéciales, qui se com-
j)inent de manière à produire une vie commune. Personne,
avant Ritter, n'avait perçu aussi nettement les liens secrets,
mais pui.ssants, qui unissent mutuellement l'homme et la
nature, ni les relations fécondes entre l'homme et son lieu
d'habitation, entre un continent et ses habitants. Ritter posa
le principe de la science du globe vivant, de sa géographie
physiologique, et montra la voie qui seule peut conduire au
sanctuaire de la connaissance de la terre. »
C'est la voie dans laquelle Giiyot devait marcher lui-même,
en appliquant les principes dont il avait reconnu la vérité aux
études spéciales qu'il allait continuer quelques années encore
vivant de rentrer à Neuchàlel.
En 1835, en etTet, M. de Pourtalès-Gorgier l'appela à Paris,
pour lui confier l'inslruclion de ses fils. Guyot répondit à cet
appel; mais, avant de quitter Berlin, il tint à honneur de
recevoir de l'université dont les professeurs lui avaient
témoigné tant d'intérêt et d'amitié, le grade de docteur en
philosophie. Pour l'obtenir, il soutint une thèse sur la Division
naturelle des lacs, qu'il dédia à Alexandre de Humboldt et à
Karl Rilter. Je ne relève qu'une des thèses spéciales qui la
terminent, celle dans laquelle il exprime son opinion sur la
d'arnold guyot. 15
nécessité de l'union de la géographie et de l'hisloire: Hisloria
sine geograpliia nulla.
Les étiidianls de Tuniversilé ayant décidé d'offrir à Riller
son portrait, comme témoignage de leur respect et de leur
gratitude, nommèrent un comité à cet efTet, et Guyot fut
chargé de remettre le présent au professeur.
Pendant son long séjour à Beilin, il n'avait pu faire que
deux visites en Suisse ; à l'occasion de la seconde, en 1834,
il fit, accompagné d'un jeune Allemand, un voyage autour du
mont Blanc, par le Saint-Bernard, le Valais, le Simplon, les
lacs italiens, Milan, Véione, Venise, et rentra en AUemagne^
par les Alpes du ïyrol, Inspruck et Munich.
Après avoir subi son examen pour le doctorat au mois de
mai 1833, il arriva en juin à Paris, d'où il partit Inentôt,
avec la famille de Pourtalès, pour les Eaux-Bonnes, dans la
partie supérieure des Pyrénées centrales. Là, avec ses jeunes
élèves, il fit l'ascension de plusieurs des plus hauts sommets
de la chaîne, en explora les vallées, et fit des collections con-
sidérables des plantes de ces montagnes. Dans une de ses
excursions il passa en Espagne, par un des cols les plus
élevés, Port d'Espagne, pour avoir la vue du versant mé-
ridional de la chaîne. Il visita aussi la vallée sauvage et
pittoresque de Gavarnie, avec son magnifique amphithéâtre,
le cirque de Marbori et sa cascade d'une Hauteur de 370"",
la sombre vallée des Eaux-Blanches et plusieurs autres. Il
tenait beaucoup à pouvoir comparer la structure physique et
la flore de ces montagnes avec celles des Alpes. A la fin de
l'été, il revint à Paris, où ses élèves commencèrent à travail-
ler sérieusement. En acceptant les devoirs que lui imposait
leur éducation, il s'était cependant l'éservé des heures pour
la poursuite de son instruction personnelle.
Il songeait alors à traduire en français le chef-d'œuvre de
Ritter, la géographie de l'Asie. Alexandre de Humboldt l'y
encourageait, et lui fournit des lettres d'introduction pour
ses amis à Paris, Arago, Brongniart, Klaproth, Eyries, le
baron Walkenaer. Souvent invité chez Brongniart, Guyot
rencontrait là les meml)res les plus distingués de l'Académie
des sciences, qui s'y réunissaient une fois par semaine.
Dans l'automne de 1836, il fit, avec ses élèves, une excursion
en Belgique, en Hollande et au Rhin, pour étudier les traits
16 VIE ET TRAVAUX
physiques qui caraclérisent chacun de ces pays. L'année sui-
vanle, la sanlé de la comlesse de Poiirlalès léclamant le
climal lie Madèi'e, toute la famille se mit en route en automne;
mais l'étal de la malade obligea à faire un séjour prolongé
à Pise. Guyol en profita pour étudier les traits caraclérisli-
(|ues du pays, et faire, de la Tour penchée, des observations
barométi-iques. Il mesura le monte Pizano, et, de concert
avec le marquis Anlinori, détermina la iiauteur de l'obser-
vatoire de Florence au-dessus de Pise et de la Méditerranée.
Après des semaines de souffrance, iM"" de Pourlalès mourut,
mais auparavant elle avait exprimé le désir que ses fils
demeurassent sous la direction du maître qui avait gagné
leur confiance et leur afl'ection. Celui-ci accepta ce pieux
legs de la mère mourante, et revenu à Paris en janvier
1838, il demanda de pouvoir s'établir avec ses élèves au
quartier Latin, pour qu'ils pussent poursuivre leurs études
sans dérangement.
Ce fut là qu'Agassiz, la tête remplie de la question gla-
ciaire, sur laquelle il avait fait, l'été précédent, à la Société
helvétique des sciences naturelles réunie à Neuchàtel, son
célèbre discours, le revit au printemps de 1838 ; il le mit au
courant des vues de Charpentier sur les glaciers, y ajoutant
son idée spéciale sur une période glaciaire générale, et le
pressa de porter son attention sur ces phénomènes. Guyot
demanda de suspendre son jugement, jusqu'à ce que ses
propres observations lui permissent de donner son adhésion
à une théorie si séduisante, et promit de visiter les glaciers
dans l'été de cette même année. Il le fit, et une exploration
de six semaines dans les Alpes centrales, lui fournit des
résultats qui dépassèrent son attente. Le glacier de l'Aar, sur
lequel deux ans plus lard Agassiz commença ses observations
régulières, lui enseigna la loi des moraines; celui du Rhône
lui donna la loi de l'avancement plus rapide du centre du
glaciei', et celle de la formation des crevasses, soit transver-
sales soit longitudinales; celui de Gries lui révéla la structure
lamellaire ou rubanée du glacier, et la loi de l'avancement
plus rapide de la partie supérieure du glacier sur l'inférieure.
Sur le versant méridional du mont Blanc, le grand glacier
de la Brenva, avec ses deux rochers jumeaux s'élevant
comme deux yeux foncés du milieu de la glace — les mon-
d'arnold guyot. 17
tagnards les appellent les yeux du glacier, — lui fit com-
prendre que le mouvement du glacier s'opère par un
déplacement graduel de ses molécules, sous l'influence de la
pesanteur qui lui donne une sorte de plasticité, et non par
un glissement simultané de toute la masse comme le croyait
de Saussure. Toutes ces lois, déduites d'une première étude
attentive des phénomènes des glaciers, étaient alors, à
l'exception de celle des moraines, nouvelles pour la science.
Pendant que Guyot avait exploré les glaciers de TOber-
land bernois et du haut Valais, Agassiz avait visité ceux de
Chamounix. En septembre ils se rendirent ensemble à Por-
rentruy, à la réunion de la Société géologique de France,
qui avait choisi cette localité en l'honneur de Thurmann,
sous la direction duquel elle se proposait d'étudier le phéno-
mène des soulèvements jurassiques. Chacun d'eux fit une
communication sur les phénomènes glaciaires observés pen-
dant leurs courses d'été, et Guyot eut la satisfaction de voir
ses vues pleinement confirmées par les observations subsé-
quentes d'Agassiz et d'autres naturalistes.
La fondation de l'Académie le rappela à Neuchàtel en 1839;
il y accepta un poste de professeur d'histoire et de géogra-
phie physique, qu'il occupa jusqu'en 1848. Le terrain était
préparé pour recevoir l'enseignement de sa science de pré-
dilection. En elfet, depuis 1832 déjà, Frédéric de Rouge-
mont, revenu de BerUn, après y avoir entendu Humboldt,
Ritter et Steffens, avait été appelé aux fonctions de secrétaire
de la commission d'État pour l'instruction publique, et tra-
vaillait à introduire dans l'enseignement les méthodes de ces
maîtres de la science. Animé de l'ardeur de la jeunesse, il
les propageait dans les conférences auxquelles chaque année
les régents étaient appelés à Neuchàtel; il leur recomman-
dait d'enseigner la géographie avec cai'les et globe, en com-
mençant par la géographie du canton, pour passer ensuite à
celle delà Suisse, puis à celle des pays plus éloignés, avec les
traits généraux des continents. Ajoutant l'exemple à la recom-
mandation, il leur donnait lui-même des leçons d'après la
méthode naturelle ; puis il composait des manuels rédigés
d'après les principes de cette méthode, et publiait successi-
vement, en 1834, son Précis de géographie, en 1837, son Prê-
te GLOBE, T. xxni, 1884. 2
18 VIE ET TRAVAUX
mier Cours, renfernianl la Description de la surface de la
terre, bien vite adopté à Neucliàlel, au Locle et dans d'au-
tres écoles du canton, et en 1838, son Second Cours, compre-
nant la géograpliie politique et etlinograpliique.
A son arrivée à Neuchâtel, Guvot trouva donc des élèves
préparés à le compiendre. Il débuta dans l'enseignement
supérieur comme professeur d"liistoire et de géographie
physi(iue, à côté d'Agassiz, de DuBois de Montperreux, Matile,
H. Ladame, Petavel, Cli. Prince, etc. Peu disposé d'abord à
se charger de la chaire d'iiistoire, une fois qu'il l'eut accep-
tée, il y mit tout son cœur. Et cependant, comme il l'avouait
humblement seize ans plus tard à notre compatriote, M. Wil-
liam Rey, qui le visitait à Princeton, malgré un travail assidu,
il resta deux ans sans voir clair dans l'histoire universelle, ce
ne fut qu'alors qu'il commença à distinguer les grandes
périodes. « A mesure que je faisais ces découvertes, » dil-il,
« j'en éprouvais une si grande émotion que j'en fus malade.
Enfin j'arrivai à la profonde conviction que Dieu a un plan
dans l'histoire, dés l'origine des sociétés, qu'il le suit et l'exé-
cute en dépit de toutes les discordances par lesquelles les
passions des hommes semblent le bouleverser. Les hommes
font l'histoire, mais presque sans s'en douter ; Dieu leur
accorde assez de liberté dans un certain cercle pour créer en
eux la responsabilité, mais II ne leur permet pas de renver-
ser ses plans. » L'histoire était pour lui une éducation ; \e^
phases en étaient données d'en haut. Il ne la séparait jamais
de la géographie, dont il voyait le rapport intime avec le déve-
loppement des individus et des nations, et peu à peu il arriva
aux idées et aux conclusions philosophiques qui, plus lard,
devinrent la base de Earth and nian. il s'occupait aussi de
recherches sur le développement de l'histoire universelle,
qui devaient aboutir à un système de philosophie de l'histoire.
Intimement lié avec MM. Ch. Prince, F. Godet et F. de
Rougemont, il foima avec eux une petite société, qui se réu-
nissait une fois par semaine, en vue du développement intel-
lectuel de ses membres. Ils s'occupaient de philosophie, d'iiis-
toire et des sujets divers qui les intéressaient plus particuliè-
rement, chacun donnant les résultats de ses études spéciales.
Les neuf années de son enseignement à Neuchâtel furent
la période de sa plus grande activité intellectuelle; il y fournit
d'arnold guyot. 19
treize cours différents, se rattachanl tous à son enseignement
proprement dit. Au gymnase, composé des trois années de
Belles-Lettres et de Philosophie, il enseignait l'histoire
ancienne et moderne. Les cours de l'Académie portaient
essentiellement sur les importantes époques de tran.sition :
le développement de la culture grecque et l'hellénisation de
l'Orient depuis l'époque d'Alexandre le Grand; la grande
migration des peuples après la chute de l'empire romain, et
la formation du système féodal; Torigine des nations et des
langues de l'Eui-ope ; les Croisades ; l'époque de fleur du
moyen âge et le point culminant de la papauté; la Réforma-
tion, etc. Quant à la géographie physique, il avait des cours
généraux et des cours spéciaux : le Monde méditerranéen,
par exemple.
Dans l'hiver de 1839 à 1840, il (h)iina son premier cours
puhlic de géographie physique, et dès la première heure,
malgré l'appréhension qu'il éprouvait, il captiva son auditoire
par sa parole sympalliique, aisée, élégante, par la hauteur de
ses vues, l'abondance et l'heureux arrangement des faits.
Après cela, il eut chaque hiver la satisfaction de voir se pres-
ser dans la plus vaste des salles du collège d'alors, tout ce
que Neuchtàtel comptait d'hommes cultivés, de toutes les
classes, tous l'oreille attentive h sa voix, peu forte, faible
même, mais qui, comme celle d'Andrieux, grâce à la netteté,
à la précision, à la pureté de sa diction, savait se faire enten-
dre de partout, à force de se faire écouter.
Parlerai-je de ses cours ordinaires aux éludianls de Belles-
Lettres et de Philosophie, de l'empressement avec lequel
nous nous rendions à ses leçons, du silence qui se faisait
dans la salle dès qu'il entrait, de rinlérêl avec lequel nous
suivions Texposition de ses pensées, où la géographie et l'his-
toire marchaient toujours de consei've s'éclairanl mutuelle-
ment, du soin avec lequel nous recueillions toutes ses paroles,
pour nous réunir ensuite par groupes de quatre ou cinq étu-
diants, afin de compléter mutuellement nos rédactions et de
ne rien perdre de son enseignement? Quel zèle ilsavaitnous
inspirer! quelle ardeur au travail! Le feu dont il était rempli
passait en nous. C'était pour nous plus et mieux qu'un pro-
fesseur, c'était un ami dévoué, un conseiller sage, s'associant
à nos travaux et nous y encourageant; aussi ipielle n'était pas
20 VIE ET TRAVAUX
notre angoisse quand il était malade, et de quelle doulou-
reuse tristesse ne fûmes-nous pas saisis, quand nous apprî-
mes, le i3 juin 1848, que le Grand Conseil révolutionnaire
venait de supprimer l'Académie, pour le 30 du même mois,
sans indemnité pour ses professeurs! Nous pressentions que
celui que nous honorions comme un maître et que nous ché-
rissions comme un ami, devrait nous dire adieu, pour pren-
dre la route de Texil, et s'en aller au delà des mers demander
à la République américaine le pain de sa famille, en échange
de la nourriture spirituelle qu'il emporterait avec lui et dont
nous allions être privés.
Je n'ai rien dit des travaux d'Arnold Guyot à Neuchâtel, à
côté de son professorat : de la part qu'il prit au dévelop-
pement de la Section des sciences naturelles dont il était
secrétaire, et pour laquelle il rédigea plusieurs mémoires ; de
son activité dans le comité de météorologie, dont il était
membre avec d'Oslerwald et H. Ladame; dans toutes ses
courses, il avait le baromètre à la main et préluda par l'orga-
nisation des observations météorologiques dans notre pays,
aux opérations analogues, mais autrement plus vastes, dont
il fut chargé plus tard par l'Institution sraithsonienne.
Le désir d'étudier la variation annuelle de la température
dans les eaux des lacs de la Suisse Tamena à entreprendre,
dans ses heures de recréation pendant les mois d'enseigne-
ment, une série de sondages thermométriques dans le lac de
Neuchâtel. La partie S.-O. du lac étant trop éloignée de la
ville, il pria son ami M. Henri de Pourtalès de se charger
des sondages dans cette partie-là. Le résultat en fut la carte
du bassin des lacs de Neuchâtel et de Morat, basée sur plus
de liOO sondages, dessinée par M. de Pourtalès et publiée
en 1843. Le mémoire qui l'accompagne, rédigé par Guyot,
se trouve dans les mémoires de la Société des sciences natu-
relles de Neuchâtel publiés en 1845. C'était le premier essai
d'une topographie complète d'un lac suisse. A propos de ces
travaux, voici comment il s'exprimait bien des années plus
tard : « Il est très intéressant de remarquer la coïncidence
surprenante des principaux traits de ce petit bassin, avec ceux
des océans, tels que les ont fait connaître les sondages entre-
pris pour la pose des câbles télégraphiques. Une section
transversale de l'Atlantique, par exemple^ montre que les
d'arnold guyot. 21
!50 premiers kilom., environ, à partir de la côte, ne sont
qu'une plaine basse sous-marine, une prolongation du conti-
nent. Au delà commence une descente rapide, jusqu'à 300°',
qui marque la vraie limite du bassin de l'océan ; puis vient
une longue dépression de profondeur uniforme, avec un
large soulèvement au milieu, après quoi de nouveau une pente
rapide, pour remonter à une centaine de mètres de la surface,
où l'on retrouve la limite réelle du continent européen; enfin,
une vaste étendue de hauts fonds jusqu'à la côte d'Irlande.
En comparant cette section avec celle du milieu du lac,
il est facile de reconnaître l'analogie du haut blanc-fond,
limite vraie du bassin du lac, de la dépression uniforme, du
soulèvement central de la motte, et pour compléter la
ressemblance, du fin limon qui couvre le fond du lac et de
l'océan.»
Je ne peux entrer dans le détail des explorations qu'il fit,
sept étés de suite, de 1840 à 1847, pendant les longues vacan-
ces, pour étudier sur place la distribution des principaux
blocs erratiques et des anciennes moraines sur les deux ver-
sants des Alpes en Suisse, en Italie et en France. Le baromè-
tre à la main, il nota l'altitude de chacun d'eux, en fit le
relevé sur une surface de 500 kilom. de longueur et 300 de
largeur, recueillit des milliers d'échantillons de roches alpi-
nes, reconnut l'existence de douze grands bassins glaciaires
distincts et détermina les limites de chacun d'eux. En remon-
tant ces traînées de blocs épars, en comparant les échantil-
lons qu'il en détachait, il arriva jusqu'à leur origine, et
put en indiquer la provenance et la source. Dans les
vacances plus courtes^ il étudiait avec soin, dans un rayon
d'une journée à paitir de son domicile, les versants du Jura
devenus célèbres pour l'abondance de leurs blocs erratiques,
depuis les recherches de Léopold de Buch, pendant son
séjour à Neuchàtel, au commencement du siècle. Sa collec-
tion de 5000 échantillons, fruit de ses longues et patientes
recherches, se trouve, avec les cartes explicatives S au musée
' Je suppose qu'il s'agit de cartes manuscrites, et j'ignore si
elles ont été ou seront jamais publiées. D'autre part, M. le pro-
fesseur Alphonse Favre, de Genève, travaille depuis longtemps à
dresser une carte des bassins des glaciers du Ehin, de la Linth, de
la Reuss, de l'Aar, du Rhône et de l'Arve. Les moraines, le terrain
22 VIE ET TRAVAUX
géologique de Princeton. Il en a donné les doubles nu musée
de Neucliàtel.
Rappellerai-je encoi-e cet Hôtel des Neuchâtelois, dressé par
Agassiz et ses compagnons d'œuvre, dont Ouyot n'était pas
un des moins laborieux, sur le glacier de l'Aar, au cœur de
rOberland bernois, au pied de son pic le plus élevé, le Fins-
teraarliorn, que les deux amis avaient si souvent contemplé,
l'un de Motiers, l'autre de Hauterive. Vous vous souvenez
tous de ce grand bloc de la moraine médiane, au beau milieu
du glacier, non loin du confluent de ses deux principaux
bras, les glaciers de l'Ober-Aar et du Lauter-Aar, sous lequel
s'établissait la petite troupe, garantie par une couverture
contre l'air glacé de la nuit. De jour elle mesurait la tempé-
rature des profondeurs du glacier, au moyen de lliermomètres
enregistreurs descendus dans des trous de sonde et détermi-
nait chaque année la posilion de 18 des blocs les plus consi-
dérables, pour établir la movennedu mouvement de chacune
des parties du glacier aux différentes saisons de Tannée, cal-
culait la fonte annuelle el notait les phénomènes qui s'y
rattachent. Ou bien elle escaladait les pics environnants, la
Jungfrau, le Schreckhorn, le Finsleraarhorn, etc., dont la
plupart passaient alors pour inaccessibles; en un mot elle fai-
sait tout pour trouver et faire connaître d'une manière com-
plète les lois physiques des glaciers. Comme autrefois la
maison Braun à Carlsruhe, l'Hôtel des Neuchàtelois était le
lieu de rendez-vous, où les collaborateurs de ces études, —
dans lesquelles vous le savez. Messieurs, les Neuchàtelois ne
furent pas seuls à travailler, — venaient apporter le fruit de
leurs recherches dans le labeur commun.
Agassiz avait l'inteniion de l'assembler les résultats de ces
études combinées, dans une publication en trois volumes,
sous le litre : Le Système glaciaire, par Agassiz, Guyot et Desor.
Le premier volume, préparé par Agassiz, avant de partir
pour l'Amérique, où la lil)éralité du prince de Neuchàtel lui
glaciaire, les blocs erratiques y sont indiqués. La carte, à l'échelle
de V'25oooo, s'imprime actuellement chez MM. Wurster, Eandegger
et C% à Winterthur. Le soin apporté à la correction des épreuves
cause quelque retard à la publication ; mais on peut espérer que
le moment n'est pas éloigné, oîi tous ceux qu'intéresse la question
glaciaire pourront profiter des recherches de M. Favre.
D 'ARNOLD GUrOT. 23
permit de faire un voyage de deux ans, devait contenir les
glacieis. Le second, par Guyol, aurait Irailé des blocs erra-
tiques des Alpes, de la détermination des ditïérenls bassins
par leurs roches caractéristiques, de leurs frontières et de
leurs lignes de contact; il aurait ensuite montré leurs traî-
nées, des sommets des Alpes à travers la plaine suisse et les
vallées, la hauteur de leur limite le long des pentes dans
les bassins de l'Isère, de l'Arve, du Rhône, de l'Aar, de la
Reuss, de la Limmat et du Rhin, sur le versant septentrional
des Alpes; de l'Adda et du lac de Côme, de Lugano, du Tes-
sin et du lac iMajeur, et de la vallée d'Aosle sur leur vei'sant
méridional; entin il auiait étabU la distribution, dans chaque
bassin, des roches spéciales à chacun d'eux, et les lois de l'ar-
rangement des fragments erratiques, identiques avec les lois
des moi'aines. Le troisième volume par Desor, devait exposer
les phénomènes erratiques en dehors de la Suisse, en Europe
et en Améiique. Le premier volume seul a été publié à Paris,
en 1847, sous le titre de Nouvelles recherches sur les glaciers.
La suppression de l'Académie de Neuchàtel mit tin à ce
projet,
Agassiz resta en Amérique; E. Desor qui l'y avait accom-
pagné, y prolongea son séjour jusqu'en 1852; si Guyot eût
cédé à l'appel de ce dernier, il n'aurait pas attendu que la
nécessité le forçât de quitter son pays. « Venez, mon cher, »
lui écrivait Desor, en 1847, « venez en Amérique; venez
contempler la majesté des phénomènes glaciaires, et pour-
suivre sur les terrains erratiques les belles recherches que
vous avez faites sur les versants des Alpes. » iMais Guyot
aimait Neuchàtel et la jeunesse de son pays, au développe-
ment de laquelle il avait consaci'é neuf de ses plus belles
années. 11 ne céda qu'à la force.
Des citoyens neuchàtelois, espérant que les troubles pohli-
ques seraient de courte durée, lui proposèrent de lui fournir
le traitement qu'il recevait auparavant de l'Élat, s'il voulait
continuer à instruire leurs tils. De son côté, M. de Sydow,
ministre de Prusse en Suisse, insista pour qu'il se chargeât
de l'éducation d'un jeune Allemand, avec lequel il aurait
voyagé pendant deux ans, moyennant une forte rétiibution,
et tous frais payés. Guyot déclina ces propositions qui lui
paraissaient n'être que des mesures temporaires, ne pouvant
24 VIE ET TRAVAUX
aboutir à aucun établissement permanent. Il avait cbez lui sa
mère, sa sœur aînée, M™' Cliollet, les deux filles de celle-ci,
une sœur plus jeune, M"^ Sandoz, qui, après avoir été pen-
dant huit ans l'institutrice et la compagne de la princesse
Louise, fille de l'empereur d'Allemagne, était revenue à Neu-
chàtel en 184(3, et un neveu, M. Ernest Sandoz, actuellement
directeur de l'établissement caitograpbique de Princeton.
11 fallait pourvoir aux besoins de sa maison. Agassiz lui
écrivait lettres sur lettres pour lui exposer les avantages d'un
établissement en Amérique. Au premier abord Guyot jugeait
chimérique l'idée d'entreprendre un cliangement aussi radical
avec les faibles ressources à sa disposition, une famille aussi
nombreuse, et sans perspective assurée d'appui de l'autre
côté de l'Atlantique. Cependant la question s'imposait à lui ;
dans l'état de perplexité où il se trouvait, il la soumit à sa
mère qui, dans les moments difficiles par lesquels il avait
passé, s'était toujours montrée pour lui un conseiller judicieux.
Elle avait atteint l'âge de 70 ans, et c'était chose grave que
de l'arracher à son sol natal pour la transplanter dans une
sphère sociale toute nouvelle. Après un examen sérieux des
lettres d'Agassiz, elle engagea son fils à partir, en lui promet-
tant de le rejoindre au bout d'une année, s'il estimait que ce
fût le meilleur parti. La décision fut prise au mois de mai,
et les préparatifs de départ commencèrent aussitôt.
Doué de prudence, Guyot avait mis de côté une petite somme
d'argent pour les cas de nécessité ; jointe au produit de la
vente de son mobilier et de son ménage, elle lui permit de
pourvoir aux fortes dépenses du voyage et du premier éta-
blissement en Amérique. 11 venait de terminer l'emballage de
ses fragments de blocs erratiques, quand il reçut la visite de
sir Roderich Murchison, venu pour examiner les collections
de Guyot et s'entretenir avec lui des résultats de ses recher-
ches. Cette visite fut des plus opportunes, car l'éminent géo-
graphe de la Société de Londres, et sa femme lui remirent
des lettres d'introduction qui lui furent très utiles à son arri-
vée en Amérique. Le cœur déchiré il dit adieu à ses nom-
breux amis de Neuchâtel, nous laissant, nous ses étudiants,
navrés de ce départ qui nous privait de lui pour jamais.
d'arnold GuroT. 25
Messieurs et très lionorés Collègues ' !
Mesdames et Messieurs !
Dans notre réunion de l'année dei'uière, à Zurich, le
Vorort d'alors, la Société de Saint-Gall. m'autorisa à vous
entretenir de la part prise par un très grand nombre de nos
compatriotes à l'exploration et à la civilisation de l'Afrique.
Quoique moins grande que celle des autres nations, la part
de la Suisse, dans celte œuvre scientifique et humanitaire,
n'était pas sans gloire.
A cette heure, je voudrais vous conduire dans le Nouveau
Monde, pour vous montrer à l'œuvre, non pas beaucoup de
Suisses — notre savant collègue de Saint-Gall, M. le profes-
seur Amrein, s'est réservé celte tâche spéciale, — mais l'un
d'eux seulement, Arnold Guyot. Trop peu connu en Suisse,
il a néanmoins, à côté d'Agassiz, porté bien haut le nom
de notre patrie, dans cette Amérique du Nord qui semble
devoir héritei' de la science de l'Ancien Monde, pour l'éle-
ver à un degré de perfection rarement atteint en Europe.
Mais avant tout, permettez-moi de remercier sincèrement
notre Vorort actuel, la Société de Berne, de l'autorisation
qu'il m'a accordée, de rappeler, dans la ville fédérale, ce que
mon vénéré et bien-aimé maître a fait aux États-Unis, pen-
dant son professorat de 36 années, de 1848 à 1884.
Il n'est pas difficile de se représente!" quels devaient être
les sentiments qui remplissaient le cœur d'Arnold Guyot. au
moment où^ en août 1848, il montait, à Soulhampton, sur le
navire qui allait le transporter au delà des mers. Dire adieu
à la terre d'Europe^où il laissait une mère et des sœurs ten-
drement aimées, les amis de sa jeunesse et de son âge mûr,
' L'interruption, jusqu'en novembre, des séances de la Société
de géograpliie de Genève, n'ayant pas permis de lui donner commu-
nication de l'activité d'Arnold Guyot en Amérique, de 1848 à 1884,
cette partie de sa vie et de ses travaux a été lue dans la séance du
25 août 1884, de l'Association des Sociétés suisses de géographie
réunies à Berne.
LE GLOBE, T. XXIII, 1884. 3
26 VIK ET TRAVAUX
des étudianls (|iii le cliérissaiciil, les nombreux aiulileiirs de
ses cours publics, ses compagnons d'œuvre à Neucbâtel, en
France, en Italie, ses maîtres vénérés de Berlin et de Paris,
celte petile patrie enfin (piMl aimait profondément, dont les
beautés le lavissaient, à la jeune;;se de laquelle il avait con-
sacré ses meilleures années, et qui allait demeui'er dix-buit
ans pi'ivée d'enseignement supérieur ! Quel calice amer que
cet adieu-là !
Les tristes impressions du départ d'Europe, ne durent
guère se dissiper' pendant la traversée qui fut orageuse.
Cependant, pour un esprit comme le sien, ouvert à tout ce
qui est grand, noble, beau et vrai, la pensée de voir un
monde nouveau, une société, des institutions nouvelles
devait avoir un gi'and attrait. Poursuivre, comme lui avait
écrit Desor, sur les terrains eiTatiques américains les belles
lecherches qu'il avait faites de 1839 à 1848, sur les versants
des Alpes ; contempler là-bas la majesté des phénomènes
glaciaires; explorer en détails un continent dont beaucoup
de parties n'avaient encore été visitées par aucun géographe !
Il y aurait eu là de quoi l'enthousiasmer, si son but direct
avait été de continuer les éludes commencées à Berlin, à
Paris et en Suisse. Mais avant tout, il lui faudra travailler pour
acquérir les ressources nécessaires à son entretien et à celui
d'une famille nombreuse ; et les réalités pressantes de la vie
ne sont pas de nature à laisser lieaucoup de place à l'idéal et
à l'enthousiasme.
A mesure que le navire se rapproche du continent améri-
cain, le sentiment de ces réalités se développe de plus en
plus ; la nécessité du labeur dans des conditions nouvelles,
entièrement différentes de celles où il a travaillé jusqu'ici,
absorbe toutes les autres pensées. Arrive)- à 40 ans dans un
monde nouveau, au milieu duquel il ne rencontrera presque
pas un visage connu, et dont il ne parle pas la langue ! Ah !
pouvait-il dire avec Chateaubriand, par la bouche d'Atala, la
fille de l'exil : « Heureux ceux qui n'ont point vu la fumée
des fêtes de l'étranger, et qui ne se sont assis qu'aux festins
de leurs pères! » Dans la foule immense qui peuple les États
de la Nouvelle Angleterre et de l'Est américain, il n'aura
guère que quelques compatriotes: F. de Pourlalès, Matile. et
deux amis, Lesquereux et Agassiz ; mais, pour tout le reste, il
est inconnu.
d'arnold guyot. 27
A son ariivée en Amérique, en efl"et, Guyot, n'avait pas,
comme Agassiz, qui l'y avait précédé de deux ans, une répu-
tation universelle, acquise par de riches publications, célé-
brées par des hommes de renom. Quelque savant qu'il fût
lui-même, son activité s'était concentrée jusqu'alors sur les
devoirs de son enseignement, dont aucune partie n'avait été
publiée \ et sur ses travaux de vacances dont les résultats,
annoncés dans les Bulletins de la Société helvétique et de
la Section neuchàteloise des sciences naturelles, n'avaient
guèi'e franchi les limites de l'Europe, et encore! Ceux
qu'il avait communiqués en 1839, à la Société géologique de
France, réunie à Porreniruy, n'avaient pu, par suite d'une
maladie, être rédigés pour l'impression du Rapport de celte
session, en sorte que ce silence permit plus tard à M. Forbes
de s'attribuer des découvertes qui avaient précédé de plu-
sieurs années ses propres recherches ; de là une discussion
vive et fameuse entre Forbes et Agassiz, chez lequel les
droits de la vérité trouvèrent un éloquent défenseur, et les
devoirs de l'amitié un pratiquant sincère ^
A peine débarqué k New-York, en septembre, Guyot court
à Cambridge, chez cet ami, qui l'a appelé, qui l'attend, qui lui
aidera au début, et avec lequel il travaillera à doter les États-
Unis d'un enseignement et d'institutions que l'Europe pourra
leur envier. L'affection avec laquelle il est reçu est d'autant
plus cordiale, qu'elle s'adresse à un émigré, et qu'Agassiz se
trouve lui-même, par le fait de la suppression de l'Académie
de Neucljâtel, obligé de renoncei" au retour en Suisse, et de
se fixer définitivement dans ce Nouveau Monde, où il avait
cru d'abord ne faire qu'un séjour temporaire ^
' Il est regrettalile qu'aucune des parties de son enseignement à
Neuchâtel n'aient été publiées. Dans les derniers mois de sa maladie,
il parla d'un de ses cours sur la philosophie de l'histoire. « Quant aie
publier, il faudrait», dit-il, « le reviser plus que je ne puis le faire. » —
Il en avait promis une esquisse à son ami F. de Rougemont, l'auteur
des Deux Cités; La philosophie de Phistoire aux différents âges de
l'humanité ; mais ses nombreuses occupations , ses voyages et la
maladie ne lui ont pas permis de l'envoyer.
^ Observations sur les glaciers des Alpes, en 1838, par A. Guyot.
Neuchâtel, 1883, in-8o, 21 images.
^ Dans la séance d'ouverture des cours de l'Académie, le 18 no-
28 VIE ET TRAVAUX
Laissons un instant les deux amis à l'émotion du revoir en
terre étrangère, à l'examen de la position, a leui's plans pour
le présent et pour l'avenir, installation, projets de travaux, etc.
et prenons au vol connaissance de Camiiridge, un des poinls
lumineux de la Nouvelle Angleterre, la ville de la première
presse américaine, le berceau où les idées de liberté s'éveil-
lèrent bien avant l'affrancbissement des colonies. L'Univer-
sité Harvard en fait une vraie république littéraire, loin de
l'Amérique industrielle, et près de l'intellectuelle Boston :
ses collèges, sa bibliolbèque, les habitations des professeurs,
jolies petites maisons de bois semées au milieu des arltres,
landis que de grands bâtiments en briques abritent les étu-
diants, qui ont pour promenoir ces paisibles ombi'ages, for-
ment un tout agreste et paisible, où le charme de la nature
s'unit à la beauté architecturale de plusieurs des édifices.
C'est là que Longfellow, dans une habitation élégante, près
d'une femme aimable et belle, entouré de charmants enfants,
a écrit son Psalm of Life, si heui-eusemenl imité par M"'' de
Pressensé, et dont quelques strophes s'appliquent parfaite-
ment à la vie de Guyot :
La vie est un combat, la vie est une arène
Où le devoir grandit du triomphe obtenu ;
C'est le sentier qui monte et pas à pas nous mène
Aux sommets d'où la vue embrasse l'inconnu.
Marche ! et que chaque jour te trouve à son aurore
Plus près du but sacré, le flambeau dans la main.
Agis ! le temps est court, il se hâte et dévore
Ce qui n'est pas réel, immortel et divin.
Que ton pied sur le sol laisse une noble empreinte,
Et peut-être, suivant tes sentiers après toi.
Quelque esprit agité par le doute et la crainte
Retrouvera l'espoir, le courage et la foi.
C'est Ici qu'Agassiz prépare sa grande histoire naturelle
vembre 1847, le Recteur s'exprimait ainsi : v< Un seul de nos collè-
gues nous manque pour une absence qui nous sera profitable à son
retour. Il nous reviendra, non seulement avec de nouvelles richesses,
mais encore avec des collaborateurs formés et développés à son
école. »
D 'ARNOLD GUYOT. 29
américaine, et qu'il créera le musée le plus vaste et le plus
complet qui soit au monde. C'est là que Guyot aura bientôt sa
demeure où, pédagogue depuis l'âge de 20 ans, il recevra
(les élèves auxquels il donnera des leçons, comme il en don-
nera de particulières au dehors, tout en se préparant aux
cours publics qui lui seront demandés. Sans doute la puis-
sance et l'utilité deTinsIruction sont appréciées en Amérique
en général, et à Cambridge en particulier, comme à Boston,
sa voisine, autant et plus qu'en aucun pays d'Europe. La
proportion d'Américains de toutes les classes faisant tout ce
qu'ils peuvent pour s'instruire est très grande; tous ont une
bonne instruction pour base, et peuvent prétendre aux plus
hautes études et aux destinations auxquelles elles conduisent.
Guyot ne doit donc pas douter de rencontrer des auditeurs
intelligents et préparés à le comprendre. Il a de bonnes
l'ecommandalions ; mais, comme il le dit lui-même, « les
r-ecommandations sont tenues pour peu de chose par les
Américains ; ils vous jugent de visu et sur vos œuvres. »
Quelques jours après son arrivée à Cambridge, Agassiz le
conduisit à Philadelphie, à une réunion de l'Association des
sciences, qui venait d'être réorganisée sur les fondements de
l'ancienne Société géologique. Ce fut là qu'il rencontra pour
la première fois les professeurs Henry, Alexander, Baird et
d'autres dont il devait devenir bientôt l'intime ami. Désirant
prendre une idée des systèmes des montagnes de l'Amérique,
et impatient de les comparer avec celles de la Suisse, il réso-
lut de faii'e, au retour de Philadelphie, un voyage d'une
semaine à travers les AUeghanys, jusqu'à Bedfort et à Cum-
berland. Comme il pouvait à peine dire un mot d'anglais, il
s'assit à côté du cocher, et fit ainsi, chaque jour, sa première
étude pratique de cette langue nouvelle. Ayant une lettie
pour le D'' Ch. Hodge, il s'arrêta à Princeton, dans le New-
Jersey, enlre Philadelphie et New-York ; là il fut mis, par son
hôte, en rapport avec les professeurs qui devaient être plus
tard ses collègues.
En attendant il faut rentrer à Cambridge, où va lui êtie
adressée une demande d'un cours public. Mais comment se
présenter devant un auditoire dont on ne parle pas la lan-
gue, pour exposer, en français, des sujets scientifiques dans
esquels se rencontreront beaucoup d'idées et de faits nou-
30 VIE ET TRAVAUX
veaux pour les auditeurs ? N'y aura-t-il pas là une source
d'embarras pour plusieurs et pour le professeur lui-même?
Comme il le dira très bien, au début de sa première leçon :
« dans les i-elations d'esprit à esprit, dans l'écbange mutuel
des idées, la première condition, indispensable pour établir,
entre celui qui parle et ceux qui écoutent, la sympathique
harmonie qui en fait le charme, c'est que la parole atteigne
l'intelligence sans obstacle et sans effort. » Aussi ne se dissi-
mulait-il pas les difficultés qu'il aurait à surmonter, et sen-
lail-il que, si ses auditeurs faisaient eux-mêmes le sacrifice
de leur langue en venant l'entendre, lui, de son côté devrait
faire tout son possible pour que ce sacrifice ne leur fût pas
trop pénible.
Ce ne fut donc pas sans émotion, que, le 17 janvier 1849, il
ouvrit, dans le Lowell Institule, à Boston, son cours sur les
Rapports entre la géographie p/ujsique et l'histoire de l'huma-
nité. Le fondateur de cet établissement avait, en mourant,
consacré sa fortune à la création d'un ensemble de couis
destinés à montrer l'harmonie de la religion naturelle et de
la rehgion révélée. Agassiz y avait enseigné la géologie; une
des salles de l'Institut fut prêtée à son ami. De petite taille,
celui-ci n'a rien qui impose ; mais sa figure brune, excessive-
ment gracieuse et fine, a beaucoup de charme; son œil péné-
trant intimiderait ses auditeurs, si une bonté, qui a tout
transformé en lui, ne les rassurait contre ce regard qui visite
Tàme des autres chez eux, mais en ami. Il n'a que quelques
notes devant lui, mais il possède si bien son sujet, que c'est
vraiment de l'abondance de son cœur que sa bouche parle,
lorsque après avoir distingué la géographie telle qu'il la con-
çoit, de la science qui se borne à une simple description de
la terre, il montre que la vraie science doit comparer, intei'-
préter les phénomènes qu'elle décrit, remonter à leurs
causes et descendre à leurs conséquences. « Ce n'est pas
assez pour elle, » dit-il, « de faire froidement l'anatomie du
globe, en prenant connaissance de l'arrangement des difl'é-
rentes parties qui la constituent. Elle doit s'efforcer de saisir
l'action et la réaction incessantes des difiérentes parties de la
nature physique les unes sur les autres, de la nature inorga-
nique sur les êtres organisés, sur l'homme en particuher,
sur le développement successif des sociétés humaines, en un
D 'ARNOLD GUYOT. 31
mot étudier l'action réciproque de toutes ces forces, dont le
Jeu perpétuel constitue ce qu'on peut appeler la vie du globe,
elle doit en faire la physiologie. La concevoir autrement, c'est
priver la géographie de son principe vital, eu faire une col-
lection de faits partiels sans signification, lui imprimer à
jamais ce caractère de sécheresse qu'on lui a si souvent et
si justement reproché. Car qu'est-ce que la sécheresse dans
une science, sinon l'ahsence de ces principes, de ces idées,
de ces résultats généiaux dont sont nourris des esprits bien
constiluésf » Puis il justifie l'expression dont il s'est servi en
parlant de la vie du globe, de la physiologie des grandes for-
mes terrestres ; il fait sentir l'importance des formes de con-
tour et de relief des continents, et retrace à grands traits
l'histoire de la géojjraphie comparée, de Bacon à Humboldt
et à Ritter. Enfin il montre que les formes, l'arrangement et
la distribution des masses terrestres à la surface du globe,
accidentels en apparence, révèlent cependant un pian que
l'on peut comprendre en partie par les évolutions de l'his-
toire ; que les continents sont faits pour les sociétés humai-
nes, comme le corps est fait pour l'âme, et qu'en particulier,
chacun des continents septenti'ionaux est préparé, par sa
nature, à rempUr un rôle spécial qui correspond aux besoins
(le l'humanité dans une des grandes phases de son histoire;
en un mot que la nature et l'histoire, la terre et l'homme,
sont dans les rapports les plus intimes, et ne forment ensem-
ble qu'une gi'ande et magnifique harmonie. A la vraie science
incombe le devoir de chercher la loi générale qui préside à
celte harmonie.
Cette conception de la géographie était nouvelle en Amé-
rique; elle gagna bien vite au professeur neuchàtelois ses
nombreux auditeurs, et dès le lendemain de sa première
leçon, les éditeurs du Boston Daily Traceller vinrent lui de-
mander sa conférence pour leur journal, en même temps que
M. le professeur C. C. Felton, plus tard piésident de l' Uni-
versité Harvard, offrait ses bons offices pour traduire en an-
glais l'exposé que Guyot venait de faire. Il fallut que celui-ci
se mît à rédiger en fi'ançais sa conférence de la veille, pour
en fournir le texte à M. Felton, qui la fit passer en anglais au
journal de Boston, et dont l'amicale serviabilité ne se démen-
tit pas un instant jusqu'à la clôture du cours, le 2i février.
32 VIE ET TRAVAUX
C'est donc à lui (iiie les lecteurs de langue anglaise furent re-
devables de la première publication de l'œuvre de notre
compalriolo, bientôt connue sous le titre Earlh aiid Mau {la
Terre <'t l'homme).
Pour nous représenter l'effet produit par l'exposé des idées
qui y sont développées, écoutons un des témoins de ce mo-
ment si important dans la nouvelle carrière de l'émigi'é
suisse, M. le U*" Murray, devenu plus tard le collègue de
Guyot à l'Université de Princeton.
« A cette époque, j'étais dans ma dernière année d'études
à Harvai'd Collège; mais je me rappelle très bien l'enlbou-
siasme que les conférences de Guyot excitèrent parmi les
jeunes gens qui faisaient alors leur éducation et générale-
ment parmi les bommes cultivés. Cet entbousiasme ne se
borna pas à eux. Tout le monde des lecleuis s'en empara, les
discuta, et elles préparèrent certainement la voie à la réno-
vation dans l'étude de la géograpbie qui suivit bientôt et
dont nous sommes redevables au professeur Guyot. On ne
peut donner une meilleure idée de son œuvre intellectuelle
et spirituelle, de sa conception riche et noble de la vérité,
qu'en citant le passage qui termine ses leçons :
« Nous sommes arrivés au terme de notre course par un
chemin naturel et régulier. Avant de nous séparer, permet-
tez-moi d'ajouter quelques mots sur l'esprit et la méthode
qui ont dirigé nos études. Tout est vie pour celui qui est vi-
vant; tout est mort pour celui qui est mort; tout est esprit
pour celui qui est esprit, tout est matière, pour celui qui
n'est que matière. C'est avec notre vie et avec notre intelli-
gence tout entières que nous devions étudier l'œuvre de
Celui qui est lui-même vie et intelligence. Cette œuvre de l'In-
telligence suprême peut-elle être autrement qu'intelligente?
L'œuvre de celui qui est tout amour et vie, ne doit-elle pas
être vivante et pleine d'amour. Comment ne trouverions-
nous pas, dans notre terre elle-même, la réalisation d'une
pensée intelligente, d'une pensée d'amour pour l'homme,
qui est le terme et le but de toute la création, la fleur par-
faite et brillante de cette admirable organisation ? Certaine-
ment il en est ainsi. La foi nous l'enseigne, en nous inspirant
ce sentiment, vague encore et cependant profond. La science
nous en instruit par une étude patiente et prolongée, nous
D ARNOLD GUYOT. 33
réservant celte vue sublime comme la plus douce récom-
pense de notre labeur. La foi, éclairée et étendue par l'expé-
rience — l'union de la foi et de la science — est une con-
naissance vivante, harmonique, c'est une foi parfaite, car elle
est devenue vision.
« J'ai cherché à vous introduire dans la connaissance vi-
vante de notre globe, dans la mesure modeste où il m'a été
donné de le faire. 3Ialgré l'imperfection de cette connaissance,
dont je sens que je n'ai touché que les bords, si vous m'avez
suivi, votre expérience est devenue plus intelligente, et vous
admirez avec moi l'Auteur d'une si belle création. Si votre
cœur a senti les desseins bienveillants qui ont pi'ésidé à ces
arrangements, s'il est convaincu que tout, dans la nature et
dans rhistoire, est ordonné pour nous conduire au bonheur
en nous élevant jusqu'à Lui, alors il est reconnaissant et il
L'aime à son tour. Quand le cœur admire et aime, il adore ;
c'est là le seul culte digne d'un homme raisonnable, le seul
service que son Créateur demande et accepte de sa main. »
Bien vile on voulut réunir ces conféi'ences en un volume^
dont une première édition parul, au bout de six semaines,
tirée à 5000 exemplaires. La réputation de l'auteur franchit
les limites de la Nouvelle Angleterre et l'Atlantique. L'effet
produit dans la Grande Bretagne fut si grand, qu'une demi-
douzaine de maisons de Londres demandèrent à en publier
des édhions; l'Allemagne en eut deux traductions et la Suède
une ; seul, le public de langue française fut privé de cette
lecture.
Quand Cari Ritter eut reçu le volume Eartli and Man, il
écrivit à son ancien élève une lettre de félicitations sur cette
publication, et y traça en grandes lettres soulignées: Excellent!
Excellent! Excellent ! Dam toutes ses communications ulté-
lieures, il réitère à l'auteur ses remerciements pour ce que
ce petit ouvrage lui a appris; et, d'après le témoignage d'un
ami commun, il prit l'habitude de porter ce volume avec lui
partout où il allait, l'appelant son vade mecum.
En 18G3, M. Vivien de Saint-Martin écrivait, à l'occasion
de la sixième édition : » Nous ne saurions mettre trop haut
le livre intitulé Eartli and Man, livre qui, dans une suite de
discours, présente un exposé ti"ès bien fait des conditions gé-
nérales du globe et de leurs rapports avec l'homme. Les
34 VIE ET TRAVAUX
vues sont largement présentées, et dans une proportion bien
conçue; il n'y a de détails que ceux qui peuvent concourir à
la noiion d'ensemble. C'est, par sa conception c^énérale, un
livre de l'école de Riller et le meilleur résumé (|ui en ait
encore été fait *. »
Il est facile de comprendre que les éloges décernés à ce
volume par de si liantes autorités en géograpbie, indépen-
damment des souvenirs qui attacbaient les Neucbàtolois à
l'auteur, leur aient fait regretter de n'en point avoir d'édition
française. Le désir de leur en procurer une, et de leur rendre
quelque chose de l'enseignement dont ils étaient privés,
m'engagea à entreprendre la traduction du volume anglais.
et à en communiquer quelques parties à notre Société de
géographie de Genève. A cette occasion, j'écrivis en 1876 à
mon ancien professeur, pour lui demander l'autorisation de
faire paraître dans le Globe, les morceaux que J'aurais lus
aux séances, et le cas échéant, celle de publier celte traduc-
tion pour le public de langue française. Permettez-moi,
Mesdames et Messieui-s, de vous communiquer sa réponse :
« Je n'ai assurément aucune objection à ce que vous fas-
siez imprimer dans le Globe les morceaux que vous avez tra-
duits. J'estime au contraire que c'est un honneur que vous
faites à un petit livre que j'aurais bien aimé à compléter, si
mes loisirs me l'avaient permis. Je regrette seulement d'être
trop lard pour vous dire que l'ouvrage a été écrit en fran-
çais, et que le manuscrit original, que j*ai refusé maintes fois
* Dans son voyage en Amérique, J.-J. Ampère s'exprime ainsi :
« Dans son livre intitulé la Terre et VHomme, M. Guyot a tenté
d'expliquer 1 histoire par la géographie. Il voit dans la configura-
tion variée des contrées de l'Europe et de l'Asie, oîi la civilisation
a fleuri, la raison dp cette civilisation, et dans la simplicité, l'unité
géographique du continent américain, la condition d'un développe-
ment commun par le principe de l'association. L'Ancien Monde a
fait l'éducation du genre humain ; le Nouveau Monde est le théâtre
magnifique sur lequel doivent s'accomplir les destinées progressives
de l'humanité. Le remarquable ouvrage de M. Guyot est le produit
d'un cours fait à Boston. Un professeur de l'Université, M. Felton,
avec un zèle d'obligeance pour l'étranger et une abnégation person-
nelle qui méritent d'être cités, passait les nuits à traduire les leçons
de M. Guyot. »
D 'ARNOLD GUYOT. 35
(le laisser publier en France et en Suisse, dans Tidée où
j'étais que je pourrais le compléter, est d;ins mes cartons. Je
dois vous dire toutefois que j'en prépare une nouvelle édi-
tion revue, et augmentée de plusieurs sujets que le cadre
d'un cours de lectures comme le premier m'avait forcé d'éli-
miner. Il y aura aussi des illustrations et des cartes bien dé-
sirables dans un pareil ouvrage. Les idées fondamentales
toutefois seront les mêmes. Je n'ai aucune raison de changer
les vues que j'ai expiimées, et que des études plus prolon-
gées n'ont fait que confirmer dans mon esprit. Je serais heu-
reux qu'elles trouvassent dans l'Europe de langue française,
l'accueil qu'elles ont reçu en Amérique, en Angleterre et en
Allemagne. »
Malheureusement les lecteurs de langue française n'ont
pas encore pu en prendre connaissance. Les seuls morceaux
publiés dans le Globe sont : la loi de distribution des vents, la
loi de distribution des pluies, et quelques pages de Tiiistoire
de la géographie comparée, qui, certes, n'ont eu que peu de
lecteurs. Nous avons toujours attendu l'édition annoncée ;
Guyot ne la perdait pas de vue, et, jusqu'au bout, il espéra la
mener à bonne fin. En 1877, il écrivait à son ami, M. le pro-
fesseur Frédéric Godet : « Je n'arrive à rien finir. Cet hiver
était réservé pour la nouvelle édition illustrée de Eurth and
iWa»; je n'ai pas encore pu y mettre la main, et mon collège
va recommencer. » Et en 1882 : « Je comptais finir cet liivei'
la nouvelle édition de Earth and iWa/i,maisle pourrai-je?On
me demande mslamment mon explication du premier cha-
pitre de la Genèse. Il y a là la matière d'un petit volume,
qui, malgré tout ce qui a été écrit sur ce sujet, aurait, dit-on,
bonne chance de faire beaucoup de bien. » Enfin, dans une
dernière lettre du 17 juillet 1883. se sentant déjà malade :
« J'ai pensé faire ce travail en premier lieu, parce qu'il seia
le plus court et le plus facile pour moi. Earth and Man sui-
vra, si Dieu le permet, et les autres choses, si le temps et la
santé me sont accordés. »
La santé ne lui fut pas rendue; le temps lui manqua pour
Earlh and Man, et nous ne savons pas encore jusqu'à quel
point nous pouvons espérer voir publier, après 35 ans d'at-
tente, une édition française de ces vues de notre compa-
triote qui, me disait encore l'autre jour, un de ses collègues
36 VIE ET TRAVAUX
de Princeloii;, M. le {nofes^ieur Moffat, en passage à Genève,
ont transformé en Améritjue les conceptions sur la géogra-
phie physique et Thistoire. Madame Guyot m'a fait entrevoir
la possihililé d'une publication des matériaux laissés par son
mari. Ce serait certainement préférable à ma traduction faite
d'après une édition anglaise, moins complète que les éditions
américaines, comme j'ai pu m'en convaincre par l'examen
d'un exemplaire d'une de celles-ci, de 186;}. «Quelque ancien
que soit cet ouvrage, " dit une revue scientifique de Boston,
« et quoique la science ait révélé aujourd'hui beaucoup de
choses qui étaient inconnues en 1849, l'auteur y a montré com-
ment la terre est faite pour être In demeure delà race humaine,
avec une perception si profonde de la véiilé. il y a joint des
réflexions si fécondes et si originales, que ce petit volume est
demeui'é jusqu'à aujourd'hui l'une des meilleures introduc-
tions à la géographie physique que le lecteur puisse trouver
dans aucune langue.» Actuellement encore il y a grand profit
à suivre l'auteur dans l'étude du plan admirable qui se révèle
dans les grandes harmonies de la nature et de l'histoire, à
voir les destinées passées et futures des nations tracées en
caractères ineffaçables par le doigt de Celui qui gouverne le
monde. Ordre sublime de l'intelligence et de la bonté suprême
qui a organisé toutes choses, et les fait travailler à l'éducation
de l'homme et à la réaUsation de ses plans de miséricorde à
son égard.
Quoi qu'il en soit, les conférences du Lowell Instiiute fui'enl
Yœuvre que les Américains attendaient poui- se prononcer
en faveur de notre compatriote. Dès qu'elles eurent paiu, le
désir de s'attacher le professeur s'éveilla chez les direcleurs
de plusieurs institutions. Déjà alors l'administration du Col-
lège de Princeton y pensa, mais à cette époque ses ressour-
ces ne permettaient pas de créer la chaire qu'il devait y
occuper cinq ans plus tard. Ce fut le Bureau de l'instruction
publique pour les Écoles de l'État de Massachusetts qui, ap-
préciant la valeur de son enseignement, le chargea de don-
ner, dans les Écoles normales et dans les réunions d'institu-
teurs et d'institutrices de cet État, des cours sur la géogra-
phie et les méthodes d'enseignement de cette branche
d'étude.
d' ARNOLD GUYOT. 37
Disciple de Rilter, qui, vous vous le rappelez, Mesdames et
Messieurs, devait beaucoup à notre grand éducateur Pesta-
lozzi, Guyot avait compris que le succès auprès des élèves
dépend de la méthode, que pour conduire l'élève quelque
part, il faut d'abord le prendre où il est; que le vrai point de
départ n'est pas dans les livres, mais dans la nature ; qu'il
n'est pas dans les mots, mais dans les choses ; non pas dans
ce qui laisse l'enfant distrait, mais dans ce qui attire son
attention ; non pas dans ce qui lui est inditïérent, mais dans
ce qui l'intéresse ; non pas dans ce qui l'ennuie, mais dans
ce qui lui fait plaisir.
Pédagogue lui-même, il savait que la vraie méthode édu-
cative doit tenir compte de la nature de l'élève à instruire et
de celle de l'objet de l'enseignement; que la mémoire n'est
pas la seule faculté de l'enfant ni du jeune homme, et que,
pour leur apprendre à connaître la terre, il est nécessaire de
la mettre sous leurs yeux, de toutes les manières possibles:
globes, cartes, dessins, etc.; qu'en outre, il faut y procéder
avec ordre, graduellement, aller du simple au composé, du
facile au difficile, du connu à l'inconnu. Ces deux principes
sont à la base de son enseignement à ceux qui sont chargés
d'enseigner, ainsi qu'au fond de tous ses travaux, cartes et
manuels, pour l'enseignement de la géographie dans les
écoles des États-Unis.
Écoutons-le lui-même ' : « Notre esprit est ainsi fait, que
nous ne pouvons acquérir nos connaissances que graduelle-
ment. Or ce progrès comporte trois degrés principaux :
1° Nous acquérons une vue d'ensemble, une impression
générale de l'objet, par Vlntuition ;
2° Nous procédons, par V Analyse, h Tétude successive de
toutes ses parties ;
3° Nous lirons de cette analyse les moyens de nous élever
à la connaissance des lois et des principes qui régissent
l'ensemble, c'est la Synthèse.
De la combinaison de tous ces éléments résulte une orga-
nisation bien ordonnée de l'enseignement, de façon que la
dépendance mutuelle de toutes les parties et leur coopération
au but final ressortent clairement.
* Tu ieacJiers and friends of éducation.
38 VIE ET TRAVAUX
Le preiniei tlegré est préparatoire.
Le deuxième constitue la hase de l'étude.
Le troisième fournit la ('onnaissance scientifique et philo-
sophique.
Chacun de ces trois degrés réclame un enseignement dis-
tinct et un manuel spécial.
En elTel, les facultés de l'esprit qui sont surtout en Jeu à
chacun de ces degrés ne sont pas les mêmes, et il est néces-
saire de présenter les ohjets d'une manière différente aux
différents âges, selon que ce sont les sens, l'analyse ou la
faculté de généraliser qui dominent.
n faut en outre suivre l'ordre de la dépendance, faire
passer l'étude des formes de contour et du relief avant celle
des rivières; le climat, avant la distiùbulion des plantes et des
animaux; la géographie de la nature, avant celle de l'homme,
avant l'ethnographie, la politique el la statislicjue. En un mot,
chaque ordre de faits doit devenir une piei're d'attente pour
l'étude des faits suivants, d
Tels sont les principes qu'il chercha à inculquer aux insti-
tuteurs et aux institutrices des écoles noi'males et aux élèves
des instituts d'éducation de l'État du Massachusetts, auxquels,
pendant neuf années consécutives, il consacra son temps et
sa peine, sans se ménager, au point qu'il en fut comme
épuisé. Dans quantité de villes, les citoyens les plus cultivés
formaient des groupes d'élèves auxquels ils appelaient le pi'o-
fesseur à venir exposer sa méthode. Chaque année il eut à
enseigner ainsi, d'une manière itinérante, des foules de loUO
<à 1800 instituteurs des deux sexes, auxquels Agassiz de son
côté enseignait l'histoire naturelle. L'effet de ces leçons sur
l'éducation publique fut tel, que, d'après le témoignage des
comités scolaires, les villes qui jouissaient de cet avantage
étaient de dix ans en avance sur les autres pour l'excellence
de leurs méthodes.
Aux fatigues que lui imposaient ses courses continuelles
en chemin de fer et l'enseignement dans de grandes salles,
s'ajoutait celle de devoir enseigner dans une langue qui
lui était étrangère. En effet, il ne lui était plus po.ssible
d'exposer ses idées en français, comme il avait pu le faire au
Lowell Institute. Sans doute il parlait l'anglais; de l'aveu des
Suisses qui l'ont visité en Amérique, il le parlait très liien ;
D ARNOLD GUYOT. 39
mais nous pouvons comprendre ce qu'il dut lui en coûter de
devoir enseigner en anglais pendant ces premières années
de séjour à Cambridge, par ces lignes d'une lettre à son ami
M. F. Cioùel, écrite 34 ans plus tard (1882) : a Que ne don-
nerais-je pas pour avoir ta facilité d'écrire et de dicter! Mais
celte malheureuse langue qui n'est pas la mienne, est un
obstacle toujours renaissant. La phrase m'entrave et me
coûte dix fois plus que les idées. »
Le zèle déployé dans l'accomplissement de ses fonctions
lui donna une grande influence; il entra en rapport avec les
personnes les plus intelligentes du pays, et, grâce à la libé-
ralité de M. Daniel Price, de Newark, ville importante de
l'État de New-Jersey, les vœux du Collège de Princeton \
(le s'attacher notre compalriole, purent se réaliser. En 18oi.
M. Price s'engagea à fournir lui-même, pendant un certain
riombre d'années, le traitement du professeur, pour lequel
fut créée la chaire de géographie physique et de géologie au
Collège de New- Jersey, dont Guyot devint une des gloires et
r|u'il contribua à élever au premier rang parmi les Univer-
sités des États-Unis. M.W. Rey, qui lui fit visite à Cambridge,
en 18o5, disait de lui à cette époque : <! Le professeur Guyot a
réformé l'enseignement de la géographie, et a pris l'engage-
ment de publier une série d'ouvrages pour les écoles; ensuite
viendra l'histoire. La vie fatigante qu'il a menée, partagée
entre la parole dans les écoles de l'État, où les régents se
réunissent par milliers, et les courses sur les railways, l'a
tellement épuisé qu'il compte accepter l'appel dans un col-
lège de New-Jersey, où il aura le temps de rédiger divers
travaux. » Par dévouement à sa famille il ne s'était pas en-
core marié, et il venait de perdre successivement sa mère et
une de ses sœurs. M"" ChoUet. Le souvenir de ces êtres
chéris, reposant dans le cimetière de Mont-Auburn, si bien
' Déjà avant l'appel de A. G. à Princeton, on lui avait instam-
ment demandé de préparer une série de cartes et de manuels qui
permissent d'étudier et d'enseigner la géographie selon ses vues.
Une ou deux belles cartes murales furent publiées, mais l'exécution
d'une série de cartes sur un plan très étendu comportait des frais
dont les éditeurs de Boston ne voulurent pas courir le risque et
l'œuvre en resta là.
40 VIE ET TRAVAUX
décrit par W. Rey, Jetait désormais un voile de mélancolie
sur le séjour de Gnyot à Camijiid^e. « L'émigré, dit W. Rey,
s'attriste doublement de perdre des êtres dévoués qui ont
partagé son exil, ses fortunes divei'ses, et qui, par leur affec-
tion, l'ont fortifié à ses débuts d.-^ns le Nouveau Monde; des
dépouilles que l'on n'accorde pas sans gémir au sol natal, il
lui faut les donner à une terre avec laquelle il a fait à peine
connaissance \ »
Avant de suivre Guyot, de Cambridge à Princeton, et dans
les travaux de rédaction de cartes et de manuels réclamés
pour assurer la réforme de l'enseignement de la géographie,
qu'il me soit permis de transcrire encore une page de
W. Rey, sur les opinions de notre compatriote relativement
à la question de l'unité de la race humaine. C'était avant la
guerre de la sécession, qui a résolu pratiquement la question
dans le sens de l'unité d'origine. Vous savez que son ami
Agassiz s'était constitué aux États-Unis le champion de la
diversité des races; les nègres auraient été créés en Afrique;
les Papous, dans la Nouvelle Hollande; les races polaires,
dans leurs frimas ; les Peaux-Rouges, dans l'Amérique du
Nord; d'autres races, dans l'Amérique du Sud, chaque race
étant autochtone, c'est à dire ayant été placée là où on l'a
trouvée. D'après W. Rey, Guyol jugeait la question bien
différemment. « Tout ce que l'observation et l'expérience
accumulent contre l'unité d'origine de la race humaine, se
résume en ceci: c'est qu'on ne peut pas aujourd'hui fusion-
ner, reformer l'unité. Mais ce qui est, a-t-il toujours été ?
L'affirmer pour la race humaine, c'est faire une supposition
que la science de la natui-e démontre fausse dans des domai-
nes voisins, par exemple dans l'histoire de la terre. Il doit
y avoir eu des époques de l'humanité que j'appelle géolo-
giques, où se sont manifestées les différences de races et
de couleurs, visiljles aujoui'd'hui, et qui n'existaient point
auparavant. Dieu a développé ces différences dans la race
humaine, pour qu'elles subsistassent telles que nous les trou-
vons aujourd'hui. C'est de nos jours un fait, aussi éloigné
des petites diversités de race dont nous pouvons voir la
* L^ Amérique protestante, par William Rey. Paris, 1857. 2 vol.
in-12.
d'arxold guyot. 41
création s'opérer encoi-e sous nos yeux, que les grands bou-
leversements géologiques du passé diffèrent des petites révo-
lutions souterraines produites durant Téconomie paisible de
la période actuelle du globe. La prétention de connaître
toutes les forces que Dieu a déployées au sein d'une création
comme la race humaine, pour l'amener au point où elle est,
en n'enregistrant que celles de ces forces qu'on voit agii-
encore, est supertlcielle ou incomplète. Le domaine delà foi,
bien loin d'appauvrir la science, l'enrichit; il demande à
l'homme de ne pas tout l'enfermer dans le petit espace que
nous dévoile l'expérience du présent, mais d'étendre le
regard, en méditant avec les quelques lueurs fournies par la
révélation les profondeurs de cette immensité qu'on appelle
le passé. 11 semble qu'admettre une vingtaine de races hu-
maines autochtones, heurte contre l'unité fondamentale des
facultés et des besoins de l'âme chez toutes ; et aussi contre
cette mobilité, cette loi d'émigration, dont la puissance a été
bien plus développée aux origines de la race, lorsqu'elle
donna à ses forces physiques toutes fraîches une expansion
inouïe et prit une première possession du globe, son domaine.
Qu'on fouille les anciens documents sacrés ou profanes de la
race humaine, on y voit un fourmillement, un remuement
qui étonne. A l'origine, et en peu de temps, des éclaireurs
ont couvert le globe entier, et y ont établi des campements
temporaires; la plupart d'entre eux ont perdu le souvenir de
l'armée qui les suivait, et qui a mis des milliers d'années cà.
arriver sur certains points. L'homme est le trait d'union, le
lien mobile de toutes les diverses créations matérielles sur
le globe, et son unité d'origine a des analogies irrésistibles. »
Revenons à la i-éforme commencée de l'enseignement
de la géographie, mais auparavant, transportons-nous dans
ce Princeton où Guyot vient d'être appelé en 1854, et où il
professera pendant les trente dernières années de sa vie.
M. le professeur Pronier, qui l'y a visité en 1873, a fait de
cette localité une description charmante*, qui vous reposera
des longueurs de m on exposé jusqu'ici: «Princeton est idylli-
* Vie de César Pronier , par Louis Ruffet, professeur. Genève,
1875, in-12
LE GLOBE, T. XXIIl, 1884. 4
42 VIE ET TRAVAUX
que. Il est enseveli dans la vertlure. Les rues sont de sim-
ples roules bordées de beaux arbres. Chaque maison est
séparée de sa voisine par un large espace de terrain. Là est
un jardin, une pelouse, quebpies arbres. Jamais la maison
ne touche à la roule. Un jardin, quelquefois assez grand, Ten
sépai-e. Bâties en bois, sur un style passablement recherché,
les maisons sont vernies ordinairement en blanc, quelque-
fois couleur havane ou de teintes grises ou bleuâtres,
jolies, bien préférables, en tout cas, au brun foncé des
bâtiments de pierre. Ainsi chacun est chez soi, bien chez soi
et comme à la campagne. Ce n'est pas un pâté de maisons,
mais un vaste espace où se voient disposées de charmantes
villas. C'est joli, coquet même. Tel est l'aspect de Princeton,
rendu plus distingué encore par la présence de l'université,
et l'absence presque totale d'industries et de manufactures.
Presque point de commerce, aucune grande cheminée rem-
plissant l'air de fumée, pas de poussière. Tout est propre et
nef.
« Deux collines, ou plutôt deux renflements de terrain, pre-
miers mouvements des Alleghanys, portent, l'un, les bâti-
ments du Collège^ l'autre, ceux du Séminaire. Ces bâtiments
sont vastes, et ofïrenl à la population studieuse qui s'y réunit
les moyens les plus agréables de vaquer à ses travaux.
i\L Moffat me les fait voir du haut d'une tour qui domine
tout le paysage. Ici, c'est l'observatoire, là, la maison où ha-
bitent les étudiants, plus loin Nassau-Hall, construit en sou-
venir de Guillaume III, puis la bibUothèque, bâtiment nou-
vellement élevé où l'on vient de transporter des livres; enfin,
les maisons des professeurs, les salles où se réunissent les
sociétés d'étudiants. C'est toute une cité savante. Les étu-
diants sont au bénéfice de vastes maisons où ils peuvent avoir
une chambre meublée, parfaitement convenable, bien
aérée, bien chauffée. J'ai vu ces pièces, et peu de nos étudiants,
même huppés, sont mieux logés que ceux-là. Ils peuvent
d'ailleurs, s'ils le préfèrent, se mettre en pension dans quel-
que famille. Les pi'ofesseurs ont chacun une charmante mai-
.son, et forment une société cultivée, agréable et avec laquelle
il doit faire bon vivre. » Pendant les trente années de sa vie
à Princeton, Guyot a toujours habité la même maison^ qui
touche au Collège ; son jardin était pour lui une source de
d'arnold guyot. 43
plaisirs conslants, aussi bien que de santé. Il aimait beaucoup
à cultiver des fleurs, et le beau dans la nature, manifesté
dans la Heur la plus simple, excita toujours son admiration.
M. Pronier passa chez Guyot la journée du 26 septembre. Les
impressions que lui laissa « notre bon compatriote », comme
il l'appelle, consignées dans une de ses lettres, sont bonnes à
recueillir: ^ Que d'esprit, de grâce, de savoir! Le professeui'
me conduit pai'tout dans le Collège, et ne se lasse pas de
répondre à mes questions. Il me raconte sa vie, le progrès
de ses idées, ses succès, sa méthode. C'est toute une philo-
sophie, basée sur les faits, et embrassant depuis la géologie
jusqu'au christianisme. Connaissances positives, esprit géné-
ralisateur, penseur aimable et sans pédantisrae, le professeur
Guyot est l'un des hommes les plus agi'éables que j'aie ren-
contrés, sans compter l'instruction que nous donne sa con-
versation ! »
Les autres Suisses qui le visitèrent là en rapportèrent les
mêmes impressions. « H habitait, » écrit M. le professeur L.
Wuarin, « une charmante maison du type de celles que Ton
rencontre en Amérique, aussitôt que l'on a quitté les grandes
villes. Je revois d'ici celte gracieuse maison blanche entou-
rée de plantes grimpantes et dont la terrasse se prolongeait
en un petit jardin, où, au milieu des rosiers en fleurs, ve-
naient s'ébattre les petits oiseaux qui, là-bas comme chez
nous, connaissent ceux qui les aiment et ne donnent leui'
confiance qu'à bon escient. Je me rappelle que jM. Guyot
attii'a mon attention sur la coloration chaude et vive de ces
aimables hôtes, et me fît observer combien, à cet égard, ils
diflfèi-ent de leurs congénères de Suisse. Chaque fois que j'eus
le privilège de le rencontrer, il me parla de la Suisse en
Américain' qui n'avait pas oublié son pays d'origine. Sa figure
maigre, où il y avait tant de finesse, me disait que j'avais
affaire à un ressortissant de notre Jura. Il aimait à se rappe-
ler ses voyages scientifiques dans nos montagnes, quoiqu'il
en eût fait bien d'autres depuis et de bien plus considérables.
Tout ce qui se passait en Suisse l'intéressait ; il aimait à s'en-
tretenir de ses anciens amis de Neuchàtel. Je ne l'ai entendu
en public que dans une seule occasion, dans une allocution
' Il s'était fait naturaliser citoyen américain en 1860.
44 VIE ET TRAVAUX
prononcée aux conférences de l'Alliance évangélique à New-
York; je vois encore l'immense auditoire suspendu au
mince lîlet de voix qui s'échappait de ses lèvres, limpide
comme une source de montagne. »
C'est de sa modeste habitation de Piinceton, que sortirent
les cartes et les manuels que Guyol avait pris l'engagement
de rédiger pour les instituteurs elles élèves des Etals-Unis'.
La connaissance qu'il avait acquise de ces écoles lui avait
montré combien les cartes étaient pauvres, et les géogra-
phies sèches et peu naturelles, et, pendant neuf années, à
côté de son professorat, il s'efforça de remédier au mal, aidé
il'habiles coopérateurs parmi lesquels je signalerai spé-
cialement, pour les cartes, son neveu, M. Ernest Sandoz, mon
ami, et, pour les manuels, Miss Mary H. Smith.
Il commença par consacrer une grande pièce de sa maison
à un atelier cartographique. M. Sandoz, qui avait émigré
avec son oncle en 1848, et avait été son collaborateur dans
d'autres travaux dont nous aurons à pailer ci-après, s'était
préparé, pendant deux années, à Gotha, sous la direction du
D'' Pelermann, à la rédaction des cartes; il était devenu un
dessinateur habile et consciencieux, et, établi auprès de son
oncle, il lui prêta un précieux concours pour les nombreuses
cartes dressées en vue de l'enseignement.
La première chose à fournir aux instiluteui's, était les car-
tes muiales, sans lesquelles les meilleurs manuels eussent été
de peu de profit. Tenant compte de la nécessité imposée par
la grandeur des locaux, Guyot en prépara trois séries de dif-
' L'établissement de l'École normale du New-Jersey, fondée la
même année à Trenton, capitale de cet État, et dans laquelle
Guyot fut chargé d'enseigner sa science favorite, lui facilita l'accom-
plissement de ses engagements. Il fut en effet autorisé à pourvoir
l'école de toutes les cartes et dessins nécessaires à son enseigne-
ment. Ses rapports avec les éducateurs dans la Nouvelle-Angle-
terre et les États du centre, ses cours aux institutions, aux écoles
normales, aux collèges et dans les sociétés savantes, avaient pro-
voqué le besoin de moyens supérieurs à ceux que l'on possédait jus-
que-là. Aussi la maison Ch. Scribner et C° jugea-t-elle le moment
venu de faire avec Guyot un arrangement, qui a doté l'Amérique
de ressources d'instruction qui n'ont été surpassées chez aucune
autre nation du globe.
d' ARNOLD GUYOT. 45
férents formats : petit, moyen et grand ', pour les États-Unis,
les Hémisphères, l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud,
l'Asie, l'Afrique, l'Europe, la Terre d'après la projection de
Mercator, l'Océanie, et trois cartes classiques de la Grèce
ancienne, de l'Italie ancienne et de FEmpire romain.
Se proposant de peindre aux yeux des élèves les grands
traits caractéristiques de la structure des continents et leurs
rapports avec les divisions politiques des différents États, il
construisit des cartes tout à fait originales, pour lesquelles il
profita de tous les matériaux géographiques les meilleurs
parus jusqu'alors. Il eut le bonheur de rencontrer, dans la
maison de MM. Charles Scribner et C°, des éditeurs qui
ne désiraient qu'une chose, doter les écoles américaines
de cartes excellentes, sans tenir compte des frais, et, grâce
à ce concours précieux, il put fournir des cartes qui se dis-
tinguent par la correction, la clarté, la simplicité, l'impor-
tance donnée aux trails physiques. Il adopta un système de
couleurs qui lui permit d'exprimer, d'une manière très
nette, plaines, plateaux, montagnes, vallées, rivières, hau-
teurs, en un mot tous les traits physiques dé la surface de la
terre ; il eut soin d'accompagner chaque carte de profils, qui
permettent de voir d'un coup d'œil la structure de chaque
continent. En outre il publia, à l'usage des maîtres, une clef
pour ses cartes murales avec des diagrammes, ainsi que les
instructions pour le dessin des continents.
' Cartes physiques et politiques, dessinées sous la direction d' A.
Guyot, par E. Sandoz.
Pieda. Pieds. Pieds.
États-Unis, en sections — 4X5 6X8
Hémisphères 3X4 5X6 —
Amérique du Nord . . 2X3 4X5 5X6
Amérique du Sud 2X3 4X5 5X6
Asie 2X3 4X5 6V2X6'/2
Afrique 2X3 4X5 5X6
Europe 2X3 4X5 6X8
La terre (proj. Mercator) 2X3 — 10X6
Océanie 2X3 4X5 4X5
Cartes classiques.
Grèce ancienne (av. Athènes ancienne) 6X8
Italie (av. Rome ancienne) 6X8
Carte de l'Empire romain 6X8
46 VIE ET TRAVAUX
Les caries classiques du momie ancien rendent aussi de
grands services, non seulement aux instituteurs chargés plus
spécialement d'enseigner la géographie, mais encore aux
pi'ofesseurs des lettres, et même au professeur- d'histoire
ecclésiastique, pour l'enseignement duquel, m'a dit M. le
professeur Mofïat, celle de l'Empire romain lui est d'un grand
secours.
La méthode préconisée pai- Guyot, réclamant les cartes
comme base de tout enseignement géogi'aphique, c'était par
elles qu'il fallait commjencer, puisque sans elles cet enseigne-
ment était tout simplement impossible. Mais il ne perdait
pas de vue les manuels gradués que les maîtres lui avaient
demandés et qu'il s'était engagé à leur fournir, pourdonnei',
sur les diverses contrées du globe et sur leurs habitants, les
renseignements détaillés que les cartes ne peuvent procurer.
Toutefois, pendant que ses heures de loisir étaient employées
à la construction des cartes, il lui eût été impossible de rédiger
le texte des manuels. Une autre difficulté se présentait. Les
premiers manuels à fournir devaient être une Introduction
à l'étude de la géographie et une Géographie pour les écoles
publiques (Common Scliools), plus développée que l'ouvrage
précédent, et pour les élèves qui quittent l'école avant l'âge
de 14 ans. La gradation dans les écoles américaines étant loin
d'être uniforme, il fallait, outre le manuel élémentaire, en
rédiger un qui répondît aux besoins très divers de ces
écoles. Encore fallait-il le faire dans un anglais exempt
de toute incorrection, pour ne fournir aucun prétexte
de critique aux adversaires de la méthode qui substi-
tuait à la routine l'enseignement naturel et rationnel. Et
surtout il fallait que la forme du langage répondît parfaite-
ment aux besoins des esprits des élèves de ces degrés élémen-
taires. Accoutumé à parler à des étudiants, à des adultes, à
des instituteurs, comment trouver, pour ce degré de l'ensei-
gnement, le langage à travers lequel la pensée du maître
pourra atteindre, sans obscurité, ni équivoque, l'esprit du
jeune élève'? En cherchant à obvier cà ces difTicultés, Guyot
eut le bonheui' de rencontrer une personne tout à fait qua-
lifiée pour devenir son aide, et pour assurer le succès de la
méthode. Miss Mary H. Smith, que ses succès dans l'ensei-
d'arnold guyot. 47
gnement de la géographie à l'école normale d'Oswego
avaient signalée à l'attention d'un grand nombre d'amis de
l'éducation. Attachée aux principes de Pestalozzi, elle était
parfaitement préparée à entrer dans les vues de notre com-
patriote, dont elle consentit à devenir l'élève, et dans la de-
meure duquel elle passa plus de dix-huit mois, à recevoir ses
directions. La connaissance qu'elle avait de l'esprit et du
langage des enfants d'une part, et des habitudes et des be-
soins des salles d'école d'autre part^ engagèrent le maître à
lui céder la plume de la rédaction. Ensorte que ces deux
ouvrages, écrits sous les yeux de Guyot, et revus par lui, ont
acquis à Miss Mary Smith, outre la reconnaissance de l'au-
teur, celle de tout le public américain. Les éditeurs, MM. Ch.
Scribner et G", ne déployèrent pas moins de libéralité dans la
publication des deux volumes que dans celle des cartes mu-
rales, et n'épargnèrent ni peines ni argent pour en assurer
la parfaite exécution dans tous les détails.
Le but de Y Introduction à l'étude de la géographie, est de
remplir Tesprit des jeunes élèves de tableaux de la nature
des régions du globe qui peuvent être considérées comme
de grands types géographiques ; de leur fournir des notions
aussi correctes que possible des formes géographiques fon-
damentales de terre et d'eau, avec les termes sous lesquels
elles sont désignées, afin que, lorsqu'ils emploient ces ter-
mes, ils puissent toujours y attacher une idée distincte; de
leur donner une idée de la manière de représenter des por-
tions de la surface de la terre par des cartes, afin de les pré-
parer à faire, de la carte elle-même, un objet d'étude, comme
ils devront le faire dans le degré suivant; enfin d'éveiller le
désir d'études subséquentes, et en même temps de dévelop-
per les facultés de la perception et de l'imagination qui se-
ront constamment exercées dans cet enseignement. Sous la
forme de voyages, le maître présente successivement les
régions caractéristiques du globe, en s'efïorçant de placer,
autant que possible, l'élève dans la nature qu'il étudie, de
manière qu'il se sente comme au milieu d'elle, et que, dans
son esprit, il se forme une image de la réalité. Ce n'est qu'a-
près avoir fait connaissance avec la nature, qu'il étudiera les
signes conventionnels par lesquels elle est représentée sur
la carte.
48 VIE ET TRAVAUX
Ce premier ouvrage était préparé pour des enfants au-
dessous de 9 ans, et rédigé dans un langage assez simple
pour qu'aucun d'eux pût ne pas le comprendre. Nous n'avons
pas besoin de dire, qu'à cha<iue page, des illustrations bien
choisies, et d'une excellente exécution typogi-apbique, met-
tent devant l'esprit de l'enfant la nature danslaquellele maî-
tre s'efforce de le faire vivre, — sans paiier du papier ni de
l'impression qui ajoutent encoi-e à la beauté de l'ouvrage, —
et font de ce premier volume mis entre les mains des
élèves de 6 à 9 ans, pour l'élude préparatoire de la géogra-
phie, un objet d'envie de notre part, si nous lui comparons
ce qu'ont les nôtres au même degré d'étude, dans la plupail
de nos cantons suisses, en Allemagne, même en France et en
Angleterre.
La Géographie pour tes écoles publiques {Conwion Scliool
Geography) suivit de près V Introduction. Le but en est de
formerles élèves de neuf ans et au-dessus, à l'étude détail-
lée et précise des cartes des ditïérenls continents, afin de
leur fournir une base ferme pour toutes les connaissances
géographiques qu'ils pouri'ont acquérir plus tard, de leur
donner un résumé convenable des faits principaux que ré-
vèle cette étude des caries, et de leur inculquer ce qu'il y a
de plus important à apprendre dans la géographie des États
et des nations. En d'autres termes, la Common School Geo-
graphy se propose de donner aux élèves auxquels leurs cir-
constances permettent de recevoii-une instruction complète,
une base pour une étude supérieure de la géographie, et de
fouinir à ceux dont les années d'études doivent être limi-
tées, un noyau autour duquel les divers faits concernant les
parties principales de la terre et leurs populations qu'ils ap-
prendront à connaître par leurs lectures subséquentes, vien-
dront se ranger, de manière à enrichir constamment leur
esprit, et en définitive à leur procurer une connaissance
étendue et intelligente de la terre et de ses habitants.
De nomtireux exercices sont insérés dans ce volume, pour
cultiver chez l'élève la faculté de penser, en l'amenant, par
l'exercice de sa pi'opre intelligence, à découvrir, autant que
possible, les faits qu'il doit apprendre, au lieu de les confier
purement à sa mémoire d'une façon l'outinière, et en outre
pour le rendre capable de comprendre à fond ce qu'il doit
appr-endre, avant de le confier à sa mémoire.
U 'ARNOLD GUYOT. 49
Pour ceux des élèves qui ne pourronl pas continuer leurs
études au delà de l'âge de 13 ou 14 ans, ce volume renferme
une partie spéciale consacrée aux Étals-Unis, car il est désira-
ble qu'ils possèdent, de leur propre pays, une connaissance plus
détaillée que celle qu'on peut leur fournir dans une étude
générale des continents. Il y est joint aussi une partie sur la
géogi'aphie astronomique et mathématique.
Dans le corps même de l'ouvrage, l'étude de chaque con-
tinent est accompagnée de directions sur la construction de
sa carte et de questions propres à montrer comment il faut
l'interroger, afin d'en retirer tout le profit pour lequel elle a
été dressée, ainsi que de tableaux statistiques de la grandeur
relative des continents et des océans, de la longueur de la
ligne de côtes de chaque continent comparée à sa superficie,
des rapports entre le chiffre de la population et les princi-
paux États du monde, de la population des villes les plus
importantes du globe, de celle des États-Unis et des Terri-
toires d'après les recensements de 4870 et de 1880.
Le premier manuel: Introduction, était, à propi'ement
parler, un livre illusti'é, destiné à accompagner et à diriger
l'enseignement oral. L'expérience fit sentir le besoin d'un
ouvrage plus petit, qui ne contmt que ce qui devait être
imprimé dans la mémoire et quelques détails relatifs aux
cartes, surtout pour les écoles dans lesquelles, par le fait de
leur organisation, la méthode de l'enseignement oral n'est
pas possible; pour celles-ci fut rédigée la Géographie élémen-
taire. Dans le choix des matières, l'auteur se borna aux États-
Unis et aux contrées le plus en rapport avec eux, soit par le
commerce, soit par d'autres causes. Il fit cependant une
exception pour les pays qui fournissent des types de climats
spéciaux ; ainsi, pour l'Amérique anglaise centrale et septen-
trionale, type des climats d'un froid tempéré, et de la vie
végétale, animale et humaine qui leur est associée; de même,
pour le Brésil, type du climat tropical humide, et pour le
Sahara, type du climat tropical sec.
Notre compatriote ne considérait pas son oeuvre comme
achevée par la production des cartes et des trois manuels
sus-mentionnés. L'enseignement supérieur devait avoir les
.siens. Toutefois, avant de lui permettre de les rédiger, les
instituteurs lui en demandèrent un pour la grande masse
50 VIE ET TRAVAUX
d'élèves des degrés intermédiaires des écoles des villes amé-
ricaines qui précèdent l'instruction académique. Ces élèves
ont surtout liesoin de connaîtie la topographie, les relations
commerciales, l'importance industrielle et commerciale des
pays civilisés et des villes populeuses, et aussi les voies natu-
relles de commerce ouvertes par de gi-ands neuves, par des
lacs et des mers intérieures.
Appelé à répondre à ce besoin, Guyot rédigea la Géogra-
phie intermédiaire, dans la(|uelle, pour l'étude de la géogra-
phie commerciale et industrielle, se trouvent les données
relatives aux productions, à l'exportation, à l'étendue du
commerce de chaque pays; à la fin de l'étude de cliaque con-
tinent, il ajouta une classification de ses villes d'après la po-
pulation, un résumé de son commerce, l'indication de ses
pi'incipaux pays commerçants, le genre de produits qui en
sont expédiés par les voies générales du commerce, les con-
trées d'où ils proviennent et les ports où on les transporte.
Les manuels dont nous avons parlé jusqu'ici renfermaient,
pour la forme et le fond, un enseignement répondant au
premier degré du développement intellectuel des élèves, où
domine Vintuition. Les deux ouvrages subséquents, Grainmar
School et Physical Geography furent rédigés pour les degrés
supérieurs, où dominent rrt/ia///.se et Va synthèse. Dans le pre-
mier, Tauteur donne une descri[)tion générale des traits carac-
téristiques de chaque pays, après quoi,les faits statistiques sont
classés sous leurs difïérents rapports et d'après leur valeur re-
lative. L'étudiantpeut ainsi faire une comparaison intelligente
de la distribution de la richesse sociale et delà civilisation dans
les divers pays du monde. Il peut comprendre la raison de
la position, de la croissance, de l'infiuence politique, militaire
ou commerciale des villes ; et tous ces faits qui, présentés
isoléuient, sont secs et s'oublient vite, acquièrent pour lui un
sens qui s'imprime dans sa mémoire^ et fait d'eux une partie
du trésor de ses connaissances. A ce degré de l'enseigne-
ment, le nombre des cartes, déjà considérable dans les
manuels antérieurs, augmente encore*; leur nature change
aussi, car eUes doivent fournir aux étudiants toutes les don-
nées sur les points indiqués ci-dessus. A elles seules elles
' La Grammar School Geography renferme 36 cartes.
d'arnold guyot. 51
conslitueraienl un atlas; toutes sont des cartes originales,
dressées avec le plus grand soin, sans égard aux frais, d'après
les sources d'information les meilleures et les plus récentes.
Leur exécution témoigne également de la libéralité des édi-
teurs pour celte partie de l'ouvrage, dont l'impression et les
illustrations ne le cèdent point h celles des volumes anté-
rieurs.
Reste encore comme coui'onnement des ouvrages relatifs
à la réforme de l'enseignement de la géographie, la P/iysical
Geography, par laquelle notre compatriote a clos la série des
manuels qu'il s'était engagé à pi-éparer pour les écoles. Ici le
corps matériel de notre globe avec son atmosphère, les my-
riades de plantes et d'animaux qui le peuplent, et l'homme
lui-même, ne sont plus considérés en eux-mêmes, mais au
point de vue de leurs relations mutuelles, concourant vers un
but commun. Sui- la base solide des phénomènes obsei-vés,
l'homme veut parvenir h découvrir les lois qui les régissent.
La Phj/sicnl Geography ne se propose pas de les exposer
toutes ; la jeunesse des Académies ne possède pas encore les
connaissances nécessaires pour comprendre un traité com-
plet de géographie physique. Mais, à notre époque d'instruc-
tion universelle, ce serait une faute grave d'envoyei' dans la
vie active la multitude des jeunes gens qui sortent de l'en-
seignement secondaire, sans quelque connaissance des lois
de ces phénomènes au milieu desquels nous vivons et nous
nous mouvons. Le marin sur l'Océan orageux, l'agriculteur
dans son domaine, le commerçant qui embrasse le monde
dans ses enh-eprises, l'homme d'État prévoyant, tous onl un
intérêt direct à connaître le cours des vents, la loi de dislri-
bution de la chaleur et des pluies qui règle l'abondance ou
la pauvreté des récoltes, détermine la nature spéciale des
productions utiles dans chaque partie du globe habitable et,
en conséquence, les ressources et les échanges des nations
civilisées.
L'auteur se proposa donc de fournir aux élèves des degrés
supérieurs une esquisse générale de géographie physique,
qui, par sa simplicité et sa précision, leur fournît, dans le
temps limité qu'ils peuvent consacrer à celte étude, la somme
d'informations générales qu'ils doivent posséder. Il s'efforça
de rempUr sa tcàche sans sacrifier le caractère spécial de la
52 VIE ET TRAVAUX
science, en piésenlant toules les parties du sujel clans leurs
lelalions réelles; elles formenl un corps de faits fortement
unis par les liens d'une mutuelle dépendance, dont il est
facile de garder le souvenir, et en même temps elles posent
une base solide pour les progrès à venir.
Dans ctiacune des parties de l'ouvi'age, Guyot a maintenu
un point de vue strictement géographique. Il n'a emprunté
aux sciences sœurs, la géologie, la philosophie naturelle, la
météorologie, cjue les faits et les principes nécessaires à
rilluslration des phénomènes géograpliiqnes. Ici encore des
cartes spéciales, au nombre de 2U, ont été préparées avec
soin, pour présenter aux yeux des éludiants les résultats
acquis jusqu'à aujourd'hui dans celte partie de la science. Et,
comme toujours, les éditeurs n'ont rien épargné pour que
l'ouvrage répondît h son but, et pour que ceux auxquels il
était destiné pussent en retirei' tout le profit désii'able.
Ce volume représente le plus élevé des trois degrés
d'étude auxquels l'auteur a fait allusion plus haut. L'expé-
rience a prouvé que, dans les mains d'instituteurs bien pré-
parés, l'usage de ces divers manuels conduit les élèves au
but facilement, par degrés et d'un pas sûr. L'approbation
complète des meilleurs éducateurs dans les deux mondes est
acquise à la méthode sur laquelle ils reposent. C'était une
douce récompense pour notre compatriote, qui y avait con-
sacré les loisirs de son professorat pendant 18 années. Il eût
désiré préparer un volume d'un degré supérieur encore
pour le grand public scientifique. Mais la possibilité ne lui en
a pas été accordée.
Quoi qu'il en soif, par ses premières conférences, et surtout
par son enseignement aux instituteurs et par ses manuels à
t(ms les degrés, comme par ses cartes murales, — les caries
murales sont au nombre de 30, et les manuels en renferment
une centaine, sans compter les duplicata employés dans plus
d'un volume — Guyot a ti-ansformé l'enseignement de la
géographie dans le Nouveau Monde. Je laisse ici la parole à
M. W.xM.F. Phelps A. M., président de la première école nor-
male du Minnesota, qui écrivait en 1871 :
« En aucune bi-anche d'instruction, le progrès n"a été aussi
marqué, dans nos écoles américaines, pendant les 20 der-
nières années, que dans la géographie. Pour s'en couvain-
d'arnold guyot. 53
cre, il suffit de comparer les manuels et les caries d'alors,
avec les ouvrages que l'on trouve maintenant dans nos meil-
leures écoles. Ce fait constitue une des pages les plus glo-
rieuses dans l'histoire de l'éducation améiicaine. En échange
d'un enseignement sec, de faits puérils et sans accord, nous
avons vu la géographie fondée sur la hase solide d'une
science exacte. Au lieu d'une multitude de détails superfi-
ciels et de fragments détachés concernant les divisions natu-
relles et politiques de la terre, sans aucun rapport philoso-
phique les uns avec les autres, nous avons maintenant la
science du globe. Les enfants de nos écoles peuvent ahoi'der
l'étude de la terre comme celle d'un organisme, comme le
théâtre des sociétés humaines, adapté par les soins d'une
sage Providence aux besoins de l'homme, travaillant 3 ré-
soudre le problème du développement et du progrés pour
lequel il a été créé. Au lieu d'un effort fatigant et inutile de
la mémoire, l'étude est devenue une gymnastique ration-
nelle pour pi'esque toutes les facultés de l'esprit. Elle fortifie
rintelligence, stimule le sentiment en amenant l'élève à
adorer rintelligence intinie qui, à travers les longs siècles
du passé, a si sagement tout préparé pour le bien-être et le
bonheur de ses créatures, dans la formation et dans la déco-
ration de leur habitation terrestre. C'est au professeur Ar-
nold Guyot, de FAcadémie de Neuchâtel, en Suisse, que les
amis de l'éducation en Amérique sont redevables, pour cette
révolution dans renseignement, d'une gratitude dont ils
ne pourront jamais s'acquitter assez. Nous nous souvien-
drons toujours de l'inspiration nouvelle que nous a donnée
la lecture de son volume : Earth and Mail. Nous nous rap-
pelons les signes de mécontentement des partisans de l'an-
cien enseignement, au moment où il parut, précurseur de la
révolution qui a suivi son enseignement dans les écoles nor-
males et la publication de la série de ses manuels. Pour
ceux qui, sans préjugés et désintéressés, peuvent passer en
revue l'histoire de ce mouvement dès son début en 1849, le
changement est vraiment merveilleux. Quand je rêvais à ces
plans avec mon ami, il y a plus de 15 ans, j'osais à peine
espérer vivre assez longtemps pour voir ce que mes yeux
voient, et je crois, qu'en aucun autre pays, un change-
ment aussi considérable n'eût été possible. C'est Guyot qui a
54 VIE ET TRAVArX
élé le pionnier dans celte grande réforme. En outre, il a
suscité une légion de copistes et d'imitateurs. 11 a obligé
maints auteurs à reviser et à perfectionner leurs méthodes
antérieures. Mais, par ses elïorts pour élever le niveau de
l'éducation, comme par ses publications de cartes et de ma-
nuels répandus partout en Amérique, il est hors de pair
pai-mi les auteurs d'ouvrages scolaires dans cette branche
d'étude. »
Pai-mi les nombreux écrits auxquels le nouvel espi'it
apporté à cet enseignement a donné naissance, je n'en men-
tionnerai qu'un: le Geographical Reader and Primer, édité
par M.Sci'ibnei-, d'après [Introduction de Guyot. C'est un livre
de lecture des plus attrayants et des plus intéressants, et en
même temps une courte esquisse de géographie pour les
commençants. La forme en est telle, qu'elle rend impossible
la répétition pure et simple de mots sans qu'il s'y rattache
un exercice de pensée.
Les Américains ne furent pas seuls à reconnaître le mérite
des travaux de notre compatriote et à lui en témoignei- leur
gratitude. Lors de l'Exposition universelle de Vienne, en
1873, le Jury lui accorda la médaille de progrès pour ses
cartes et pour ses manuels, et, à l'Exposition de Paris, en
1878, ses travaux géographiques reçurent la médaille d'or,
la plus haute récompense décernée par le Jury, composé
des hommes les plus compétents en matière d'éducation.
En nous réjouissant pour lui et pour notre patrie, des
honneurs qui lui ont été décernés, il nous est impossible, de
ne pas regretter amèrement, pour nos enfants, que les écoles
de noire pays n'aient pas encore pu profiter des avantages
dont jouissent, depuis bientôt 20 ans, les enfants des écoles
américaines. Je ne veux pas dire que nos instituteurs et leurs
élèves n'aient pas de bonnes caiies, ni que les rédacteurs des
manuels d'enseignement en usage parmi nous, n'aient pas
cherché à adopter la méthode naturelle et rationnelle, con-
forme aux principes éducatifs de Pestalozzi. Dans nos précé-
dentes sessions à Genève, à Zurich, et ce matin même, nous
avons entendu de savants mémoires sur l'enseignement de
la géographie dans plusieurs de nos cantons soit de langue
allemande, soit de langue française,sur les principes de l'en-
D 'ARNOLD GUrOT. 55
seignement, sur la lecture des caries scolaires, etc. Cepen-
dant un simple coupd'œil comparatif jeté sur les instruments
mis entre les mains de nos élèves, et sur ceux que possèdent
les enfants des écoles américaines, suffll pour faire compren-
dre combien les nôtres sont moins favorisés. Pour ceux-là,
les manuels répondent réellement à ce que doit être un en-
seignement de la géographie intuitif, graduel, analytique et
synthétique. Pour les nôtres, avouons qu'ils voient dans les
leurs fort peu de la nature, et que l'enseignement qu'ils y
trouvent s'adresse, sous la même forme, à peu près toujours
à la même faculté, la mémoire.
Il y a longtemps que le sentiment de notre infériorité sous
ce rapport, et du préjudice qui en résulte pour nos enfants,
nous préoccupe. Déjà en 1839, dans un mémoire présenté à
la Société genevoise d'Utilité publique, M. F. M. L. Naville,
avait exprimé le vœu qu'on introduisît dans les classes du
Collège, un cours de géographie physique pittoresque, dans
lequel on offrirait aux élèves tout ce que la Suisse présente
de plus frappant, de plus intéressant pour eux, de manière à
donner à leur imagination, tout en la développant, une di-
rection profitable à l'amour du pays. Le P.Girard, à Fribourg,
aurait voulu que, par la géographie pittoresque on initiât de
bonne heure l'enfant à l'étude de la nature. Dès que nous
fûmes informés des travaux de notre compatriote pour les
écoles primaires des États-Unis, le Comité de l'école de
jeunes garçons de la rue des Chanoines, examina, avec le
concours de M. le professeur E. Naville, directeur honoraire
des études, les deux manuels Introduction et Common School
Geograpfuj, et étudia les moyens de doter les écoles de notre
pays, tout au moins celles de notre Suisse romande, d'ins-
truments analogues.
La première chose à faire était d'exprimer à M. Guyot no-
tre désir de pouvoir prendre ses ouvrages comme base d'en-
seignement, et de lui demander l'autorisation de nous en
servir, le cas échéant, pour faire rédiger des manuels d'après
les mêmes principes, si nous trouvions un géographe qua-
lifié pour cela. M. Eugène de Budé, alors vice-président du
Comité de l'École sus-mentionnée, écrivit à notre compatriote,
qui nous répondit par la lettre dont vous me permettrez de
vous donner lecture :
56 VIE ET TRAVAUX
Lac Tahoe, Californie.
Sommet de la Sierra-Nevada.
Monsieur, 28 mai 1871.
C'est du sommet des Alpes américaines que je réponds à
votre aimable lettre du 20 janvier, bien trop tard à mon gré,
mais un long temps s'est écoulé avant que j'aie pu la recevoir,,
et un voyage par monis et vaux, dans ce monde si neuf
encore, n'est pas favorable à la correspondance.
Permettez-moi avant tout de vous exprimer la satisfaction
que j'éprouve à voir la méthode d'enseignement géographi-
que que j'ai eu le plaisir d'inaugurer en Amérique, appré-
ciée par des juges aussi compétents, que vous-même,
M. E. Naville et les membres du Comité auxquels vous faites
allusion. Je vous en remercie sincèrement.
La publication des petites géographies qui constituent ma
série et celle des cartes murales, grandes et petites (j'en ai
publié 3 séries de diflférentes grandeurs, ensemble près de 30
cartes), a été entreprise à la prière d'un grand nombre des
membres du corps enseignant de ditférents États de l'Union.
La série n'est pas encore complète. Jusqu'à ce moment elle
se compose des petits volumes suivants: 1° Primary : modèle
d'enseignement oral pour l'enfance; 2° Eleme7itanj : livre
d'école du même degré pour les écoles comptant de nom-
breux élèves; 3" Intermediate : degré suivant ; 4'^' Comwoié
SchoolGeography, plus étendu, pour les écoles dont les élèves
(juiltent toute étude avant 14 ans.
Au printemps prochain paraîtra une Grammar SchoolGeo-
graphi/, pour les élèves plus avancés, puis une Géographie
phtisique (Physique du Globe) élémentaire. La série scolaire
se teiminera par un High School Book, dans lequel sera trai-
tée la Géographie en rapport avec l'histoire et la statistique.
Vous voyez que les besoins très divers des écoles améri-
caines, dont la gradation est loin d'être uniforme, demandent
une disposition spéciale des matières destinées à l'enseigne-
ment. Je me ferai un plaisir de vous envoyer un exemplaire
de chaque ouvrage, ainsi qu'un petit volume explicatif de la
méthode, et vous pourrez juger vous-même quel usage vous
pourrez en faire pour vos écoles.
En m'imposant la laborieuse tâche que j'ai commencée,
mon but a été le perfectionnement de la méthode d'ensei-
d'arnolu guyot. 57
gnement. C'est vous dire que je serai heureux de voir ce que
je considère comme la méthode naturelle en géographie,
adopté dans les écoles de ma chère patrie. Je suis donc tout
disposé à vous donner le droit de traduction, si vous vous
décidez à reproduire le tout ou partie de ma série en fran-
çais poui" l'usage de vos écoles. Quant aux droils d'auteur,
s'il y a lieu, je vous en laisserai absolument juges.
A mon relour à Princeton, dans quelques semaines, je
m'empresserai de vous expédier les volumes dont je vous
parle plus haut et, si vous le jugez convenable, une série de
mes cartes murales, ou du moins quelques spécimens.
Depuis le commencement de janvier, je suis dans celte re-
marquable Californie dont j'ai exploré une grande portion,
en invalide, il est vrai, pour me remettre d'une fatigue de tête
Irop prolongée, mais avec les yeux ouverts et un intérêtsans
cesse croissant. J'ai visité les chaînes côtières depuis Monte-
rey jusqu'au mont Saint-Hélène et la Sierra-Nevada, Yose-
mite Valley, les arbres géants et les vallées adjacentes. Je vais
retraverser lentement, une fois encore, le continent, m'arrê-
lant dans les Montagnes Rocheuses et dans les districts mi-
niers.
J'ai écrit à mes libraires pour les prier de vous faciliter
l'acquisition des clichés.
A. GuYOï.
Il n'était pas possible de nous encourager mieux dans la
réalisation de notre désir. Restait seulement à trouver un
géographe qui pût et vouliit bien préparer les manuels né-
cessaires.
Pendant que nous étudiions la question, M. Albert Petit-
pierre, attaché aux principes de Pestalozzi, enseignait la
géographie d'après une méthode analogue à celle de notre
compatriote, à FÉcole de jeunes filles de l'Athénée, à Genève.
11 plaidait dans VÉditcatear, Journal des Instituteurs de la
Suisse romande, pour une réforme de la méthode alors en
usage dans la plupart des écoles, et dans le sens d'un ensei-
gnement intuitif, pittoresque, gradué. Nous lui fîmes part de
nos vœux.
11 se mit à l'œuvre pour la partie d'Introduction, relative à
la géographie du territoire compris dans l'horizon de Genève,
LE GLOBE. T. XXIII, 1884. 5
58 VIE ET TRAVAUX
en même temps qu'il dressa la carte nécessaire à cet enseigne-
ment préparatoire. Des intérêts pailiculiers vinrent se met-
tre à la traverse de notre projet; M. Petitpierre dut publier,
par souscription, la carte murale du Pays de Genève et de son
bassin, et son manuscrit demeura inachevé, la maladie et la
mort l'ayant arrêté dans sa rédaction. Il ne reste donc de celte
tentative de réforme que sa carte au V5nûoo^ •Joft la librairie
JuUien à Genève a fait publier une réduction au Visoooo- ^^^^^
il n'était que juste d'en l'atlacher l'origine aux encourage-
ments que nous avait donnés celui qui aurait été si heureux
de voir sa méthode adoptée dans les écoles de sa chère pa-
trie^, et ses manuels servir de point de départ à ceux qui doi-
vent contribuera la réforme que nous appelons de nos vœux,
il n'est plus là, et nous ignorons les dispositions de ses édi-
teurs. Mais sa veuve, — j'ai omis de dire qu'en 1867 il avait
épousé la seconde fille de M. Haines, l'ancien gouverneur de
l'État de New-Jersey, avec laquelle il visita la Suisse, et qui
partagea dès lors tidèlement ses labeurs et ses fatigues, — sa
veuve, que j'ai consultée, se montre à cet égard aussi libérale
que l'était Guyot lui-même. « Je serais heureuse, » m'écrit-
elle, « de voir celte méthode d'enseignement adoptée en
Suisse, et d'apprendre que les vérités scientifiques qu'il dé-
fendait, se propagent en quelque mesure parmi ses compa-
triotes. »
En présence des progrès qu'il a réalisés en Amérique, en
présence aussi de ceux qu'ont faits les écoles de France ' et
d'Angleterre, nous ne pouvons pas continuer à tenir nos en-
fants dans une infériorité relative, également nuisible à leurs
connaissances et au développement de leurs facultés. Sans
doute les difficultés matérielles peuvent être grandes, mais
qu'il se trouve un géographe qui aime les enfants de nos
écoles comme Guyot apprit à aimer ceux des États-Unis, s'il
sait s'inspirer des principes rationnels, et travailler avec le
zèle consciencieux qu'a apporté à son œuvre notre compa-
' Parmi les manuels français les meilleurs, je citerai ceux d M.E.
Brouard, Leçons de géographie, en trois cours : élémentaire, moj'en
et supérieur, et ceux de MM. H. Lemonnier et Franz Schrader,
aussi en trois cours, édités par MM. Hachette et C'*, et dont je dois
la communication à M. Defodon, rédacteur en chef du Manuel géné-
ral de l'Instruction publique.
D ARNOLD GUYOT. 59
triote, les encouragements et les subsides ne lui feront pas
défaut, et un jour les instituteurs et les élèves de notre Suisse
béniront son nom, comme ceux des Étals-Unis bénissent la
mémoii'e du réfoimaleur de renseignement de la géogra-
phie dans le Nouveau xMonde.
Les travaux exécutés par notre compatriote en réponse aux
instances des Instituteurs n'étaient qu'une des occupations
des heures de loisir que lui laissaient ses fonctions de pro-
fesseur de géologie et de géographie physique, qu'il remplit
à Princeton, pendant trente ans, avec une scrupuleuse fidé-
lité. Il fut en outre chargé, dès 1861, et pendant cinq an-
nées, comme professeur extraordinaire au Séminaire théolo-
gique de Princeton, de cours sur les Rapports entre la reli-
gion révélée, la physique et l'ethnologie. Beaucoup de futurs
ecclésiastiques reçurent son enseignement, et plus tard, quan-
tité d'entre eux lui exprimèrent leurs remerciements pour
l'instruction solide qu'ils avaient reçues de lui; elle avait élargi
leurs vues, en même temps qu'elle leur avait permis d'être
plus utiles dans leur vocation. Il fut aussi appelé à donner des
cours à l'École normale de Ti-enlon, au Séminaire liiéologique
de New- York, à l'Institution Smithsonienne à Washington,
où il fît cinq conférences sur les Hai-monies de la nature et
de l'histoire, à l'École d'histoire naturelle d'Agassiz, fondée
par M. J. Anderson dans l'île de Penikese, où il enseignait la
géologie, et dans d'autres institutions encoi-e. Son ensei-
gnement, dans lequel il conduisait ses auditeurs, pas à pas, jus-
que sur les hauteurs d'où ils pouvaient en embrasser l'ensem-
ble, exerçait sur eux une vraie fascination. La culture étendue
qu'il avaitacquise parses éludes littéraires et scienlinques,lui
avait donné une puissance extraordinaii'e de généralisation, qui
stimulait ses étudiants en leur montrant les rapports d'un su-
jet quelconque, qu'il leur exposait, avec le domaine entier des
connaissances humaines. Il pouvait décrire les sciences dont
il pai'lait, dans une juste mesure, sans exagération, ni mutila-
tion, faculté qui malheureusement n'est pas très commune.
Devenus professeui's à leur tour, ses étudiants témoignent
des grands services que son enseignement leur a rendue.
« Dans la salle de classe, » dit l'un d'eux, M. Libbey, « le
professeur Guyot était loujoui's écouté avec respect et savait
60 VIE ET TRAVAUX
captiver l'allenlion. Les leçons étaient nourries, toujours
adaptées à la capacité de ses auditeurs. La simplicité de ses
manières n'était que le signe de la pureté et delà lucidité de
ses pensées, et ses explications des lois de la nature, qu'il
s'agît de la matière, de la force ou de la vie, nous satisfai-
saient, parce qu'elles semlilaienl mettre l'étudiant en commu-
nion intime avec la nature elle-même. Les souvenirs qu'il
m'a laissés comme maître, me font voir en lui le plus grand
généralisateur des temps modernes. «
Un autre de ses élèves, M. le professeur Osborne, dil de
lui : « C'est dans ma dernière année d'études que j'ai com-
mencé à suivre ses leçons, mais plus tard j'ai été placé sous
son induence comme ami et professeur. C'était une influence
stimulante; il encourageait beaucoup, sans rabaisser le niveau
du ti'avail scientifique exact et fidèle. Je ne connais pas une
seule règle direcli'ice pour une carrièi-e scientifique, qu'il
n'abordât pas; enthousiasme pour la recherche, sti'icte hon-
nêteté dans l'inlerprétalion des faits, soin à recueillir des
détails exacts avant d'arriver à des conclusions générales,
appréciation généreuse du travail des autres, tels sont les
traits qui caractérisaient son enseignement. Plus d'une fois
son sourire, accompagné de quelques mots encourageants,
nous rendil une nouvelle ardeur au travail, lorsque les résul-
tats semblaient devoii" nous manquer et qu'ils pai-aissaient
presque impossibles à atteindre. »
Un troisième enfin, M. le professeur Scott, écrit : « J'ai
commencé les cours de M. Guyot, non seulement avec indif-
férence, mais même avec une positive aversion pour les su-
jets qu'il traitait; quelques leçons excitèrent mon intéiêt à tel
point, qu'à mesure qu'il me faisait pénétrer plus avant dans le
sujet, j'en devins comme fasciné. Je puis dire avec certitude,
qu'aucun des pi'ofesseurs que j'aie jamais entendus, n'a
exercé une influence aussi grande sur ma carrière subsé-
quente, car l'enthousiasme que son enseignement m'inspira
me fit renoncer aux plans que je caressais depuis longtemps
pour ma carrière future et me décida à me vouer à la science.
J'estimerai toujours comme un des plus grands privilèges
dans mon éducation d'avoir été l'un de ses étudiants, et je
n'oublierai jamais l'ardeur qu'il apportait à la poursuite des
vérités scientifiques, source de celle que son enseignement et
son exemple éveillèrent en moi. »
D 'ARNOLD GUYOT. 61
Comme autrefois à Neuchâlel, dès que les cours élaienl
terminés, il s'envolail vers les montagnes, avec son neveu,
M. Sandoz, et quelques-uns de ses élèves, et pendant vingt
ans, il employa ainsi ses vacances à étudier avec eux la struc-
ture physique et la hauteur du système des Apalaches ou
monts AUeghanys, comprenant les White,Green,Adirondack,
Elue Ridge et les Black Mountains. Une partie des résultats
de ses observations sont consignés dans deux mémoires :
l'un, sur la structure physique du système des Apalaches, paru
en 1861 \ l'autre, sur celle des monts Catskills, entre la Dela-
ware et THudson, en 1880, tous les deux avec caries. Pen-
dant la guerre de la sécession, sa carte du district montagneux
de la Caroline du Nord et de la Géorgie, la première repré-
sentation vraie de ces montagnes, mesurées avec le ijaromè-
ire el le théodohte, fut reproduite parmi les cartes militaires
publiées par le Coasl Survey, et un extrait de son mémoire
sur le système des Apalaches fut envoyé à tous les officiers de
l'armée qui opérait dans ce voisinage. Nous avons déjà vu.
qu'en 1871, il avait, pour raison de santé, fait un voyage en
Californie ; les traits caractéristiques de ce pays nouveau l'in-
téressèrent beaucoup. Il prit un grand nombre de mesures
hypsométriques dans la chaîne côtière, et, dans le Colorado,
la hauteur du Gray's Peak, une des sommités les plus élevées
des montagnes Rocheuses. Il avait une telle habitude des as-
' Pendant les années 1857-1859, il passa une grande partie de
l'été dans les montagnes de la Caroline du Nord, et termina une
carte du système des Apalaches de cette région, avec une triangula-
tion de 240 kilom. de longueur ; il détermina par des observations
barométriques les altitudes de tous les pics les plus importants, et
constata que plusieurs d'entre eux dépassent eu hauteur le mont ^S'"as-
hington tenu alors pour le plus élevé. Dans son rapport à l'Institu-
tion Smithsonienne, il exprimait le regret de n'avoir pu, vu l'absence
de points déterminés astronomiquement avec une certitude suffisante,
donner à son lever sa place exacte sur la surface du globe, et le
vœu que le système de triangulation de la côte s'étendit à l'intérieur.
En 1862, Guyot exprimait le désir qu'on eût, pour la mensuration
des montagnes du Far-West, quelques points bien déterminés à leur
pied. Pour cela il demandait qu'on établit quelques stations baro-
métriques régulières à Denver, Colorado City, etc. Dans les .3200
kilom. de territoire à l'intérieur, on ne connaissait, à 100 ou 200 pieds
près, l'altitude vraie d'aucun point.
62 VIE ET TRAVAUX
censions de montagnes que, quoique âgé de 64 ans, il faisait
ces longues montées avec la plus grande facilité, tandis que
ses compagnons de voyage, jeunes encoce, qui paraissaient
pleins de force et de vigueur, renonçaient à pousser plus
haut, longtemps avant d'avoir atteint le sommet. Son dernier
travail de ce genre fut exécuté dans les monts Catskills en
1879, à 72 ans ; il les avait déjà explorés en 1862. Cette œu-
vre était rendue très difficile par l'absence de chemins dans
les forêts dont plusieurs des sommets sont couverts, et par
la nécessité, dans certauis cas, de monter au liaut des arbres
les plus élevés pour apercevoir les sommets voisins, en vue
de la li'iangulalion. Il exécuta ce lever avec une précision re-
marquable, découvrit des pics plus élevés que ceux qui pas-
saient alors pour les plus hauts, et donna une très belle et
bonne carte de cette région, dans laquelle il signala une ano-
malie du système des Apalaches généralement dirigés du S.-O.
au N.-E., tandis que les Catskills s'étendent du S.-E. au N.-O.
Loi'squ'il arriva en Amérique, en 1848, la météorologie y
méritait à peine le nom de science. Il prévit combien des
observations exactes faites sur de vastes territoires pourraient
jeter de lumière sur la loi des tempêtes. Mais il vit aussi qu'el-
les exigeraient de bons baromètres et de bons thermomètres.
A la demande des directeurs de l'Université de l'État de
New- York, cet État accorda l'autorisation de renouveler le
système des observations météorologiques, et de pourvoir
les stations d'instruments meilleurs que ceux qu'elles possé-
daient alors. Cette réforme fut exécutée sous la surveillance
du bureau des Directeurs et de l'Institution Smithsonienne.
Le professeur Henry proposa de la confier à notre compa-
triote, dont la vie répondait aux principes mis par Smithson
à la base de l'Institution : le progrès et la diffusion des con-
naissances parmi les hommes; les travaux météorologiques
de Guyot à Neuchàtel l'avaient préparé pour une œuvre de
cette nature. Les baromètres en usage dans les différentes
stations étaient très imparfaits; son premier soin fut de pro-
curer à l'Institution Smithsonienne des instruments réunis-
sant les qualités qu'il considérait comme désirables pour un
tel système météorologique. Rejetant toutes les foi'mes en
vogue, il introduisit en Amérique le baromètre à cuvette de
d'arnold guyot. 63
Forlin, perfectionné par Ernst, qui présente les conditions
nécessaires pour une lecture facile et précise. Mais le mode
d'ajustement du tujje de mercure exposait ces instruments à
être facilement brisés dans le transport. Il était très impor-
tant d'obvier à cet inconvénient, dans un pays où les distan-
ces sont si grandes, et où le mode de voyager était alors
encore très primitif. Après beaucoup d'essais, il réussit à faire
chacune des parties de ia cuvette de pièces séparées, ajusta-
bles au moyen de crampons. Le succès fut si grand que
beaucoup d'observateurs traversèrent et retraversèrent le
continent avec le même instrument sans accidents. Ces baro-
mètres, connus maintenant sous le nom de Baromètres
smithsoniens, ont été adoptés dans les stations militaires
aussi bien que dans le service des signaux et ils sont devenus
d'un usage universel.
Quant aux stations météorologiques, Guyot prépara un rap-
port dans lequel il exposait ses raisons pour le mode de leur
distribution sur la surface du territoire, et y joignit une
courte description topographique du pays ; il rédigea en
outre des instr.ictions pour les observations météorologiques,
à l'usage des observateurs, avec les tables de réduction.
Ce fui dans l'hiver de 1850 à 1851 que furent prises les
pi'emières mesures pour cette œuvre météorologique ; mais
ce ne fut pas sans beaucoup de peines et même de souffran-
ces, que notre compatriote put établir, dans différentes parties
de l'État de New- York, 50 stations barométriques, car c'était
avant l'établissement des voies rapides de communication
par chemin de fer ; il fut obligé de voyager, au fort de l'hi-
ver, d'un lieu à un autre, par des routes presque impratica-
bles, quelque fût le moyen de transport qu'il pût trouver.
Le volume intitulé Sinithsoniau Meteorological and Plnj-
sical Tables fut publié d'abord en 1851 ; il fui considéra-
blement augmenté en 1858 et en 1859, et dans sa troisième
édition il forme un volume de plus de 600 pages '. Cette pré-
' Ce volume contient :
Des tableaux therraométriques pour la conversion des échelles de
thermomètres différents ;
Des tableaux hygrométriques indiquant la force élastique de la
vapeur, l'humidité relative, etc. ;
Des tableaux barométriques pour la comparaison des différentes
64 VIE ET TRAVAUX
cieuse collection a été très employée soit en Amérique, soil
en Europe, soit dans d'autres parties du monde. L'al)on-
dance des demandes l'endit nécessaire la publication d'une
quatrième édition, pour laquelle l'extension prise par certai-
nes branches de la science lit désirer de nouveaux tableaux,
dont la préparation fut confiée àGuyot;elle est actuellement
sous presse. Sir John Herscliell, dans son Tiailé de météo-
rologie, a loué très fort ce laborieux travail.
Déjà au début de cette organisation du réseau météorolo-
gique américain, Guyol désirait pouvoir établir un système
d'observations à prendre simultanément dans tout le pays,
en rapport avec les stations télégraphiques, de manière que
l'on pût annoncer d'avance les tempêtes et noter d'autres
phénomènes météorologiques. Il plaça sur quantité de
points des baromètres à mercure et se donna beaucoup de
peine pour instruire des observateurs; mais les fonds ayant
manqué, l'Institution Smithsonienne dut abandonner cette
œuvre.
Ce plan, dont l'idée première est due à Guyol, a été dès
lors réalisé par le Bureau du service des signaux, qui est
devenu une institution très importante, et qui publie chaque
jour une carte météorologique, avec des indications très uti-
les au commerce reproduites dans les journaux quotidiens.
Nous ne pensons pas, lorsque nous lisons, dans le Bulletin
météorologique, les données sur les pressions atmosphéri-
ques, ou les indications sur tel ou tel phénomène météoro-
logique qui atteindra nos côtes d'Europe, que l'origine en
remonte à notre compatriote. Lui, ne nous oubliait jamais,
même dans ses travaux pour le service américain. En 1861,
chargé de venir représenter les Églises presbytériennes
échelles, la réduction des observations au point de congélation et
la correction pour l'action capillaire ;
Des tableaux hypsométriques pour calculer les altitudes au moyen
du baromètre, et au moyen de la différence du point d'ébullition;
Des tableaux des corrections météorologiques à appliquer aux
moyennes mensuelles pour obtenir la moyenne vraie ;
Des tableaux divers souvent nécessaires pour les recherches en
physique, etc.
L'Institution Smithsonienne les fit stéréotyper et distribuer aux
météorologistes et aux Institutions étrangères.
d'arnold guyot. 65
d'Amérique aux Conférences tle l'Alliance évangélique,il pi'o-
fita de ce voyage pour élaldir la relation des liaromètres éta-
lons, employés par l'Institution Smithsonienne, avec les baro-
mèlres des observatoires les plus importants de l'Europe,
ceux de Kew, dirigé alors par Stanley, de Bruxelles, par Qué-
telet, de Berlin, par Enke, de Genève, par Plantamoui-, qui
avait établi la relation de son baromètre avec ceux de Re-
gnault du Collège de France et de l'observatoire de Paris. A
son retour en Amérique, Guyot constata, d'après le baromè-
tre de rinst'tulion Smithsonienne, que les deux baromètres
qu'il avait employés en Europe, n'avaient pas varié. Il appré-
ciait beaucoup, pour ses propres travaux, ceux de Planla-
mour, en particulier ses moyennes du Saint-Berna(\l et de
Genève, et ses corrections relativement h l'influence de l'heure
dn jour où les mensurations barométriques sont faites.
Le temps ne me pei^met pas d'entrer dans des détails sur
d'autres travaux de notre compatriote; je ne puis qu'in-
diquer ses Mémoires, sur Alexandre de Humboldt, sur Karl
Ritter, sur L. Agassiz \ et celui sur Texistence, dans les
deux hémisphères, d'une zone sèche et sur ses causes. Je
ne puis non plus que mentionner une œuvre beaucoup
plus considérable à laquelle il contribua pour une large
part : VEiicycloiJéd/e nnirerselle de Johnson, vrai trésor
scientifique et populaire de connaissances utiles, en 4 vo-
lumes, contenant chacun plus de 1700 pages, impi^imé
en petit caractère, avec quantité d'illustrations, de cartes et
de gravures. L'idée en est due au fameux publiciste Horace
Greely qui, au milieu de ses travaux littéraires, éprouva le
besoin d'un ouvrage de consultation générale, adapté aux
nécessités des travailleurs actifs comme lui, et qui la suggéra
au célèbre éditeur Johnson l Celui-ci s'adressa aux auteurs
de mérite dans toutes les branches des lettres et des sciences
en Amérique et en Europe. En sa qualité d'un des éditeurs
en chef, avec M. Barnard, président du Collège de Columbia,
Guyot fut chargé d'un grand nombre des articles, quoique
' A. V. Humboldt, Commémoration, 1859. — On the life and services
to yeographical science of Karl Ritter, 1860. — Biographical Me-
moir of Louis Agassiz, 1877-78.
^ Guyot a aussi écrit un Traité de géographie physique pour le
Johnson's Family Atlas of tlie world.
66 VIE ET TRAVAUX
son département spécial fût la géographie physique avec les
hranches qui s'y rattachent, la terre, les climats, les courants
marins, les ireniblemenls de terre, les volcans, les océans,
les vents, etc. Pour rendre la consultation de cet ouvrage
plus facile, il en a élé publié une édition condensée en deux
volumes. Le travail nécessaire pour abréger les articles qu'il
avait fourni absorba une grande partie du temps de notre
compatriote pendant les hivers de 1881 et 1882 '.
Quoique cette revue de ses travaux soit déjcà bien longue,
vous me reprocheriez. Mesdames et Messieurs, de ne pas vous
pai'ler avec quelques détails d'une institution qui, en tant
que monument extérieur, fait le plus grand honneur à noire
compatriote, je veux parler du Musée de géologie et d'ar-
chéologie de Princeton, qui est, avec le musée de Cambridge,
dû à L. Agassiz, une des gloires des Étals-Unis. Permettez-
moi de réclamer, pour quelques instants encore, votre bien-
veillante attention.
A l'époque où Guyot prit possession, à Princeton, de sa
' Les ouvrages publiés de Guyot ne représentent qu'une faible
partie de ses travaux, si l'on pense à tous ses cours (non imprimés)
de Neucliâte], de Cambridge, de Princeton. Ce qui a été publié ne
peut que faire regretter amèrement qu'il n'ait jamais pu mettre par
écrit toutes ses pensées. Mais il était surchargé d'ouvrage et de
correspondance, et il y a lieu de s'étonner qu'il ait pu mener à
bonne fin des choses si différentes avec tant de sagesse. — Il re-
cherchait la vérité pour elle-même, sans songer à se servir de ses
découvertes pour se créer une position. C'est peut-être la raison
pour laquelle il n'a pas publié davantage de ses propres investiga-
tions, ce que dans la dernière année de sa vie, il regrettait de n'avoir
pas fait. — Et celui qui travaillait ainsi trouvait qu'il faisait peu :
'< Me repliant sur moi-même je rougis du peu que j'accomplis, -»
écrivait-il à M. F. Godet. « Quand je vois le peu que j'arrive à
faire, et que je compare ces pauvres résultats avec ceux que j'ad-
mire chez mes amis, je m'attriste presque et me décourage. La mul-
titude d'affaires de diverses natures, la correspondance, toujours
écrasante quoique toujours en retard, me tient toujours en haleme,
et quand je me demande à quoi bon après tout, il me prend un vif
désir de mettre tout de côté, et de prendre ma plume comme ma
seule occupation. Mais c'est en vain, c'est impossible, et mieux
vaut accepter le joug providentiel que de prendre conseil de ma
propre sagesse.
D 'ARNOLD GUYOT. 67
chaire de professeur, qui venait d'être créée, il n'y avait
encore aucun musée qui y fût attaché. Pour pourvoir aux
besoins urgents de la salle de cours, il rassembla graduelle-
ment une petite collection de fossiles américains. Puis il pro-
fita de son voyage en Europe en 1861, pour l'accroître, par
l'achat de spécimens européens des différentes époques géo-
logiques, spécialement des époques mésozoïques et tertiaires,
comprenant des squelettes des grands sauriens et des mam-
mifères.
Ayant appris que Guyot désirait beaucoup pouvoir déve-
lopper ces petits commencements et en former un musée
digne de l'Institution, un généreux patron du Collège, ami
de notre compatriote, offrit de fournir les fonds nécessaires ',
et une vaste salle, employée jusqu'alors comme bibliothèque,
fut consacrée en 1874 à un musée géologique. Elle fut res-
taurée et aménagée à cet effet, et elle contient encore la prin-
cipale collection destinée à l'enseignement. Guyot l'appelait
la salle synoptique, l'idée qui l'avait guidé dans l'arrange-
ment des fossiles étant que ceux-ci devaient apparaître aux
yeux comme un livre ouvert, dans lequel l'étudiant pût lire
d'un coup d'œil l'histoire de la création, depuis l'apparition
de la vie jusqu'à celle de l'homme. Cet arrangement a été
adopté dès loi-s par le professeur Owen pour l'extension du
musée de Kensington.
Une seconde grande salle fut adjointe à la première pour
recevoir une collection offerte par le State geological Sui'-
vey, des roches et fossiles les plus caractéristiques de l'État.
Enfin, dans une salle adjacente, Siiiss Room, fut placée la
coUection des fragments de blocs erratiques, recueillis par
Guyot de 1839 à 1848, au nombre de plus de 5000, tirés des
caisses où ils attendaient depuis plus de 25 ans, et qu'il
donna au Collège, ainsi que la carte qu'il avait dressée ^les
bassins erratiques et de la disti'ibution des blocs. L'étude de
ces fragments classés par le professeur, combinée avec l'exa-
men de la carte, fait comprendre d'un coup d'œil aux étu-
diants l'extension, l'épaisseur, et les limites des immenses
masses de glace qui couvraient le sol de la Suisse à l'époque
glaciaire.
' Le généreux Mécène, protecteur du Musée, a déjà donné
600,000 fr. pour l'Institution.
68 VIE ET TRAVAUX
L'intérêt que Guyot portait à Tarchéologie rengagea à
développer aussi dans ce sens le musée, qui lui doit une col-
lection d'objots de l'âge de la pierre et de l'âge du bronze
des habitations lacustres de la Suisse, ainsi ipi'un modèle à
grande échelle d'une de ces habitations. On y trouve en
outre une riche collection de poteries péruviennes et mexi-
caines, ainsi qu'une très belle série de modèles des ruines
des Falaises (Cliffs) du S. 0., formée sous la direction du D''
Hayden.
En 1878, une aile du Collège fut mise à part et aménagée
pour recevoir les collections destinées à des cours plus déve-
loppés de paléontologie, et pour servir de salles de cours et
de laboratoire. Les collections de cette nouvelle pièce sont
très complètes ; elles contiennent les fossiles vertébrés et
invertébrés les plus importants de l'Europe et de l'Amérique,
pour illustrer les grandes époques géologiques. Il y a aussi
une Ijelle collection de fossiles du Colorado et du Wyoming,
fournie par les diverses expéditions scientifiques du Collège.
L'influence du musée sur le développement du goût des
étudiants pour les études scientifiques a été très sensible.
Une première expédition scientifique organisée par le musée
géologicpie, d'accord avec le musée de l'école des sciences,
en 1877, fut suivie de deux autres formées par les étudiants
eux-mêmes, et quelques-uns des plus beaux spécimens rap-
portés à cette occasion, du Colorado, du Wyoming et du
Dakota, et déposés dans le musée, témoignent du zèle que
l'enseignement du professeur savait inspirer à ses élèves. Le
musée appartient au Collège, et son directeur actuel est un
jeune professeur que Guyot a formé pour être son succes-
seur dans cet office.
J'ai déjà fait allusion au petit volume dont il parlait dans
une des dernières lettres à son ami F. Godet: l'Explication
du récit biblique de la création, qui renferme le résultat des
recherches de sa longue carrière et que l'on a appelé son
testament scientifique. L'ouvrage est intitulé Création ; il a
été composé pendant sa dernière maladie, et l'auteur en cor-
rigea les épreuves, presque jusque sur son lit de mort, aidé
par sa pieuse et fidèle compagne, qui lui avait procuré 17 ans
d'une vie heureuse, et qui a droit à une part de la recon-
naissance que doivent à Guyot ceux qui apprécient la valeur
D ARNOLD GUYOT. 69
de ce dernier ouvrage sorti de sa plume. Gonnaissaut par ses
premièi'es études les difficultés que présente l'interprétation
du récit mosaïque, et possédant, par ses études postérieures,
la science qui lui permettait de voir dans les résultats fournis
par la géologie, l'harmonie qui existe entre les données
scientifiques et les grands traits tracés par Moïse sur la créa-
tion, il a cherché à montrer cette harmonie qui échappe au
plus grand nombi-e. Non pas qu'il voie dans la Bible un
manuel degéogonie ou de géologie.» Quelque modification,»
dit-il, « que de nouvelles découvertes puissent appoiter
dans nos vues sur le développement de l'univers, les traits
principaux de ce vaste tableau demeureront, et le récit de la
Genèse n'a voulu donner que ceux-là. Getle esquisse suffisait
pour le but moral du livi-e, à nous de chercher- patiemment
les détails scientifiques. » Pour lui, les jours de la création
sont des périodes dans lesquelles se développe progressive-
ment, et d'accord avec le récit des six jours de la Bible, sous
l'action créatrice du Dieu Tout-Puissant, l'organisation de ce
monde d'une manière harmonique et pleine de sagesse. A
l'aide de la science, Guyot fait voir que le livre de la révéla-
tion et le livre de la nature sont en parfaite harmonie, et
qu'ils rendent tous deux témoignage à la grandeur et à la
sagesse du Créateur.
Homme d'étude, il ne croyait pas qu'il pût y avoir conflit
entre la science et la religion. Pour lui, la natui'e était une
manifestation de Dieu, les lois naturelles, des lois divines. Il
ne pouvait pas y avoir d'antagonisme entre elles. Plus nous
apprenons à connaître l'câme humaine, le cours de l'histoire,
et la structure du monde, plus ils nous apparaissent comme
les parties d'un vaste plan admirablement ordonné. La foi de
l'auteur .soit dans la science, soit dans la religion, était si
ferme, que son influence a préservé beaucoup d'ecclésiastiques
d'étroitesse théologique, et beaucoup d'étudiants, d'athéisme.
Ils voyaient en lui un homme pour lequel l'étude de la science
et l'adoration de Dieu étaient également un devoir '.
' L'Allemagne aura sans doute très prochainement une traduc-
tion de « Création.» Je suis heureux de pouvoir annoncer qu'une
édition française est sous presse, et paraîtra vraisemblablement
avant la fin de l'année, chez Arthur Imer, éditeur à Lausanne.
70 VIE ET TRAVAUX
Je sens toul ce (jue cet exposé des travaux de mon ancien
maître a d'incomplet. Pour vous le présenter tel qu'il a été,
il aurait fallu n'être pas séparé de lui par TAtlantiijue et par
trente-six années d'éloignemenl. J'ai dû faire parler beau-
coup ceux qui ont eu le bonheur de le voir et de l'entendre
en Amérique. J'aurais voulu pouvoir vous le faire entendre
lui-même bien davantage dans sa correspondance avec ses
amis, pour faire appi'écier l'excellence de son caractère qui
ne ressort que très imparfaitement de ces pages. Sage, fidèle,
dévoué, exact, haliile dans ses recherches, capable d'ensei-
gner, inspii-ateur, il était également disposé à s'engager dans
des investigations longues et fatigantes, comme la mensura-
tion d'un groupe de sommets de montagnes et la préparation
de tableaux pour les météorologistes, ou à faire connaître les
résultats de ses études dans un cours populaire, ou devant
des instituteurs, ou dans une conversation ou dans une série
de livres scolaires. Jamais il ne paraissait penser à lui-même,
mais toujours à son sujet et à ses auditeurs. Il s'inquiétait peu
de la renommée, mais beaucoup de l'étude de la nature et
de l'éducation de l'homme.
Le D"" Murray a relevé « sa coui'toisie pleine de dignité, qui
donnait tant de grâce à ses manières avec tous, avec ses collè-
gues dans les sciences, avec ses inférieurs dans la société,
avec les enfants, qui instinctivement l'aimaient et se con-
fiaient en lui; sa gracieuse hospitalité, qui répandait son
charme doux el magnétique sur toutes les réunions de so-
ciété rassemblées sous son toit; sa vie de famile, dans
laquelle la nature filiale la plus dévouée avait apporté la
richesse et la grâce des affections domestiques ; cette délica-
tesse de sentiment qui, pénétrant ses études scientifiques,
projetait sur ses qualités solides une auréole comme celle
dont le soleil colore ses chères montagnes de la Suisse;
cette absolue sincérité de cœur, qui revêtait toute sa vie in-
tellectuelle et spirituelle d'une clarté semblable à celle du
soleil; sa modestie qui, sans oubUer jamais sa dignité person-
nelle, se rencontrait sur les hauts sommets de la science,
comme dans les devoirs quotidiens de la vie. »
On peut lui appUquerce qu'il disait lui-même du professeur
J.-H. Coffin, dans le Biograpincal Memoir, qu'il lut, en 1874,
devant l'Académie nationale des sciences: « L'intelligence,
ce puissant instrument pour acquérir des connaissances,
d'arnold GuroT. 71
pour lire la sagesse de Dieu dans le grand livre de l'univers^
n'est pas tout dans l'homme. Sa nature aspire plus haut que le
monde fini que les sens nous révèlent, et la mesure de son
excellence morale nous est donnée par le degré d'intimité
qu'il entretient avec la source céleste de toute perfection. »
Sa mort a été entourée par les survivants * de sa famille
demeurant auprès de lui à Princeton. Avant de rendre le
dernier soupir, ses yeux ohscurcis s'ouvrirent tout à coup
tout grands avec un regard d'admiration et de ravissement,
comme si une vision héatifique avait resplendi sur lui, et c'est
ainsi que son esprit passa dans ce royaume invisible, dont il
devait avoir un rayon lorsqu'il s'envola d'ici lias. Ses nom-
breux élèves, les institutions auxquelles il avait fourni un
piécieux concours, tout le public cultivé des Étals-Unis, se
sont associés au deuil de sa famille et du Collège de Princeton.
Avec Agassiz, il avait puissamment contribué au dévelop-
pement des études scientifiques en Amérique, aussi com-
prend-on que sa perte y ait été sentie, comme l'avait été
celle de son ami. Plus connu des Suisses, Agassiz a été plus
honoré de ceux-ci, qui lui ont érigé, dans le cimetière de
Mont-Auburn, à Canibiidge, comme monument, un bloc de
granit du glacier de l'Aar, qui rappelle ses brillantes décou-
vertes sur les glaciers. Nous ne demandons pas aux Suisses
qui aui'ont appris à connaître Guyot, d'envoyer à Princeton
un bloc erratique, pour le dresser sur sa tombe. Mais nous
espérons qu'ils lui conserveront, dans leur cœur, un souve-
nir respectueux ; mieux encore, nous espérons que, puisant
un exemple dans son intérêt pour l'éducation de la jeunesse,
ils voudront faiie quelque chose pour que les milliers d'élè-
ves de nos écoles, à tous les degrés, arrivent à posséder un
enseignement plus ou moins analogue au sien, s'inspirant du
même esprit et se propageant par des moyens analogues; ce
sera lui dresser, dans les cœurs des enfants de notre patrie,
un monument impérissal)le; l'amour est plus fort que la
mort, et la reconnaissance affectueuse n'est qu'un des rayons
lumineux de la charité qui dure éternellement!
' 11 avait perdu, en 18S1, les deux so?urs qui lui restaient :
]\Imes Grandpierre et Sandoz.
LE GLOBE
JOURNAL GÉOGRAPHIQUE
ORa^NE
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE GENÈVE
TOME VINGT-QUATRIÈME
Quatrième Série — Tome IV
BULLETIN
GENÈVE
LIBRAIRIE R. BURKHARDT
SUCCESSEUR DE TH. MUELLER
2, place Molard, -2
1885
IVo t.
BULLETIN
EXTRAIT
DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ
Session 1884-1885.
SÉANCE DU 14 NOVEMBRE 1884.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
M. le Président annonce que le cours de géographie sera
de nouveau donné par M. le prof. Rosier; il commencera en
janvier; le sujet en sera le bassin oriental de la Méditerranée.
— La Société de Berne, Vorort de l'Association des Sociétés
suisses de géographie, pour cette année, a fait, à la tin d'août,
à ses sœurs de Genève, Saint-Gall et Hérisau, une réception
amicale et gracieuse. MM. Lulhy, D-" Keller, D"" Pétri, Lan-
dolt, Faure, Rohner, Mulhaupt et Moser y ont donné des
communications utiles et intéressantes. Genève a été choisi
comme Vorort pour la prochaine session, qui aura lieu en
1886. Dès lors, une nouvelle Société de géographie s'est fon-
dée à Aarau. Le Président lui souhaite la hienvenue dans
l'Association. — Il paie un ti'il)ut de regrets bien mérités à la
mémoire de M. le D*" v. Hochstelter, M. H., et à celle de M. le
prof. Hornung, M. E.
M. Ed. Kunkler est admis comme membre etTectif.
M. Rocbette pré.senle le compte rendu tinancier; confor-
mément au rapport de MM. Ad. de Morsier et Edmond
4 BULLETIN.
iMassip, vérificateurs des comptes, il lui est donné ilécliar,i:e
de sa gestion avec renierciemenls.
M. Faure rapporte sur les volumes reçus par la bibliothè-
que, et sur les périodiques dont le nombre s'est élevé, dans
les dernières années, de 45 à 103.
Le Président présente un don de caries anciennes de
M.Victor Forel,de iMorges,el fait appel à des dons semblables.
Puis, prenant la parole pour .sa coihmunication annoncée,
M. de Beaumont attire d'abord l'attention de la Société sur
les événements de l'Indo-Cbine, et parle des établissements
français d'Obock et de Tadjoura, signalant le retour de
M. Soleillet, l'explorateur du Choa et du pays des Gallas.
M. de B. relève ensuite l'importance qu'a prise la décou-
verte de M. Savorgnan de Brazza, du cours de l'Alima,
rivière que, selon lui. Ton pourrait bien appeler la Savor-
gnan, en l'honneur du vaillant exploi'ateur. Il mentionne la
multiplication des stations, créées par Stanley, le long du
Congo. — A cette occasion, il exprime ses regrets pei'sonnels
d'avoir vu le plan de l'Association internationale africaine,
modifié à l'ouest par le Comité d'études du Congo, tandis
qu'à l'est, de Zanzibar au Tanganyika, l'Association poursuit
son œuvre en se tenant fidèlement attachée aux résolutions
de la Conférence de Bruxelles de 1877.
Il signale la prise de possession par l'Angleterre, de Zeïlali
et de Berbera, sur la côte des Somalis, dans le golfe d'Aden.
Dans l'Amérique du Sud, M. de Beaumont relève surtout
les travaux du D"" Thouar, à la recherche des restes de l'ex-
pédition du D' Crevaux, massacré par les Indiens Tobas. En
Asie, ceux de Prjewalsky et de notre compatriote, M. Moser.
— Il rappelle, à l'occasion du dépai't de Genève de M. de
Seylï, Tintéressante communication que celui-ci a faite à la
Société sur la catastrophe de Ki-akatau. Il mentionne les tra-
vaux de M.M. Oswald Heer, Nordenskiokl et Alphonse Favre,
sur les régions polaires et sur l'extension de l'époque
glaciaire, travaux qui permettent de supposer que le refroi-
dissement des terres boréales date de la période tertiaire. .A
l'hémisphère austral, les observations feraient croire à l'exis-
tence, dans l'océan Pacifique, d'un grand continent qui se
serait effondré, ne laissant de traces que dans les îles qui
peuplent cette mer immense.
PROCES-VERBAUX. 5
Passant à la géographie technique, M. de Beaumont rap-
pelle la solution donnée, à Washington, h la question du
méridien initial, à laquelle, depuis dix ans, il a voué le plus
vif intérêt. La France et le Brésil n'ont pas reconnu la com-
pétence du Congrès, auquel n'assistaient que des délégués
des gouvernements, et non pas, comme cela avait été résolu
à Venise, des savants pris dans toutes les branches des scien-
ces intéressées à la question. Il exprime la crainte que la
pression exercée en faveur du méridien de Greenwich
n'aboutisse au statu quo.
La Société remercie M. de Beaumont de cette revue géo-
graphique, dont ce qui précède n'est qu'un court résumé.
M. Faiire dit quelques mots des acquisitions allemandes
faites depuis la séance d'avril, cà la côte occidentale d'Afrique,
de l'embouchure du fleuve Orange jusqu'au cap Frio, sur
une ligne de côte de 1230 kilom. et une largeur de 100 kil.;
du territoire de Togno, dans le golfe de Guinée, entre les
deux districts des possessions anglaises de Cape Coast Castle
et de Lagos, ainsi que de celui du Cameroon, important au
point de vue du développement des relations commerciales
avec l'intérieur; les découvertes scientifiques dans la direction
des sources du Bénoué. d'où revient Robert Flegel, et du lac
Liba, connu seulement d'après les renseignements fournis
par des indigènes en profiteront aussi. — Plus importante
que ces acquisitions est la réunion de la Conférence qui
s'ouvre le lo courant à Berlin, et à laquelle seront repré-
sentés presque tous les États civilisés des deux mondes.
Depuis le Congrès de Vienne, en I8I0, on n'avait pas vu
une réunion semblable. C'est à Vienne^ que fut inscrite, pour
la première fois dans un traité international, l'abolition de la
traite des nègres, et quoiqu'elle ait dispai-u de la côte occi-
dentale d'Afrique, la Conférence de Berlin ne manquera pas
d'introduire dans ses décisions une clause relative à la sup-
pression de la traite à l'intérieur du continent. C'est à
Vienne aussi que fut posé le principe de la libre navigation
des fleuves qui se jettent dans les océans, comme continua-
tion des mers dans lesquelles la liberté de navigation venait
d'être reconnue ; la Conférence de Berlin proclamera, nous
l'espérons, le principe de la libre navigation du Congo. La
6 HULLETIN.
Suisse n'étant pas une puissance maritime, n'est pas repi'c-
senlée à celte grande asseml)lée; mais nous n'oublierons pas
que c'est à un Suisse, (îenevois, membre de la Société de
géographie, à M. G. Moynier, que revient l'honneur d'avoir
déposé, dans son mémoire sur Lu question du Congo, pré-
senté à l'Institut de droit international, le germe de l'arbre
dont la Conférence de Berlin assurera la croissance, et h
l'ombre duquel se développeront les relations pacifiques des
savants, des commerçants et des philanthropes avec les indi-
gènes, dans l'Afrique centrale équatoriale.
SÉANCE DU 28 NOVEMBRE 1884.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Le Président communique la démission de M. Bornand, et
présente MM. Hoffmann, pasteur, et Emile Chaix, qui sont
admis comme membres effectifs, à l'unanimité.
Il donne ensuite la parole cà M. le prof, Alphonse Favre, qui
a bien voulu faire une communication sur la Carte du phé-
nomène erratique du revers nord des Alpes suisses, dont il a
fait présent à la Société.
Cette carte à l'échelle du Vasnoon présente, sous des cou-
leurs différentes, sept bassins glaciaires : ceux de l'Isère, de
l'Arve, du Rhône, de l'Aar, de la Reuss, de la Linth et du
Rhin, ce dernier dépasse les limites de la carte en s'étendanl
au delcà du lac de Constance, il en est de même de celui du
Rhône qui ne s'est arrêté qu'à Lyon.
Le terrain glaciaire, argile avec blocs erratiques, est repré-
senté par des traits horizontaux. Les blocs erratiques eux-
mêmes sont marqués par des points rouges et les moraines
par des lignes de la même couleur.
En certains endroits, les dépôts de blocs erratiques sont
très considérables; c'est le cas à Monthey, à Morschach, etc.
Malheureusement ils ont été l'objet d'une exploitation qui en
a fait disparaître un grand nombre, comme par exemple à
l'entrée de la vallée de l'Areuse où il en existait naguère un
dépôt énorme.
PROCES-VERBAUX. 7
Pour arrêter celte disparition, MM. B. Studer, L. Soret et
A. Favre, adressèrent, en 1867^ un appel aux Suisses en
faveur de la conservation de ces blocs. Cet appel fut entendu
non seulement en Suisse, mais aussi à l'étranger, et MM. dian-
tre et Faisan publièrent leur i)el ouvrage sur les anciens gla-
ciers de la partie moyenne du bassin du Rhône.
Quant aux moraines, il en existe de très nombreuses et de
très puissantes, surtout dans les environs de Thoune et de
Berne, ainsi qu'en Argovie.
Il y a grand intérêt à rechercher les blocs déposés le plus
haut par les glaciers en mouvement; ils marquent la plus
grande extension d'un glacier, en même temps que sa plus
grande épaisseur. Ainsi^ dans la vallée de l'Arve, on en
trouve à 2000 mètres, sur le mont Lâchât, au-dessus du
pavillon de Bellevue; puis, à 1800 mètres, sur le mont Joly,
à une distance de 10 kilom., ce qui donne, pour le glacier,
une pente de 20 7ou ! ^ '^ Pointe d'Andey, ils sont à 1665 mè-
tres; la distance étant de 35 kilom., et la différence d'altitude
de 135 mètres, la pente était de 4 7oo seulement. Au mont
Salève les blocs sont à 1308 mètres, la distance de 20 kilom.
et la pente de 17 "/no-
Le glacier du Rhône a déposé des blocs sur le Salève
à 1308 mètres, au Chasseron à 1352 mètres, au Chasserai
à 1306 mètres, ce qui montre qu'il y avait entre le Salève et
le Chasserai-, sur une distance de 150 kilom., une immense
plaine de glace à pente presque insensible. On trouve des
blocs au Colombier sur Culoz. à 1200 mètres, el au Molard
de Don, au N.-O. de Belley. à 1100 mètres.
La masse de glace étant beaucoup plus considérable, les
glaciers d'alors cheminaient plus vile que ceux d'aujourd'hui.
Ceux du Groenland avancent de 19 m. en 24 h. La grandeur
et le nombre des moraines déposées par les anciens glaciers
peuvent donner une idée de la puissance de ceux-ci.
La différence entre les bassins glaciaires el les bassins
hydrographiques était très grande. Le glacier du Rhône,
par exemple, était si puissant qu'il arrêtait celui de l'Aar; il
avait envahi une partie de la vallée de la Grande-Emme,
dans laquelle on trouve des blocs provenant du Valais. 11
avaU^ pour affluents, des glaciers qui descendaient des mon-
b BULLETIN.
tagnes voisines du lac de Brienz. A l'ouesl, il traversait le
col de Jougne euraulres encore, et s'étendait dans le Jura
français, jusqu'à Ornans près de Besançon, où Ton rencontre
des blocs du Valais, déjà signalés par Deluc en 1782. Plus
tard on en a reconnu la présence jusque sur les bords du
Dessoubre. L'altitude du glacier était telle, qu'il passait par-
dessus les cols et recouvrait les plateaux du Jura, sauf dans
la partie S.-O. de la cbaine où les cols sont plus élevés. Le
Jura avait aussi ses glaciers qui descend «ient vers celui du
Rliône, portant des blocs jurassiens, tandis que le glacier du
Rhône apportait au Jura des blocs erratiques du Valais. Celui
du Rhin a emmené des blocs des Grisons jusque sur la rive
gauche du Danube.
Dans le tableau suivant sont réunies quelques observations
relatives à l'ancien glacier de la Reuss qui s'étendait du Saint-
Gothard au Rliin :
LOCALITÉS
Niveau
snpéricur
des traces
du glacier.
Niveau
de la vallée
voisine.
3_2
S S
"?. 61)
Mètres.
à
5
Différence II
de hauteur
des traces
glaciaires.
Mètres Mètres.
KlloiL.
Mètres.
Wyttenwasser- Stock '
Eeeberg '
3084
1360
1360
1080
900
800
525
500
2190
437
437
417
409
366
330
323
894
923
923
663
491
434
195
177
45
13
7
30
26
11
6
1724
0
280
180
100
275
25
38 "/oo
0
40
6
4
25
4
Gotthardli ^
Rossberg *
Lindenberg^
Làgern ®
Reinerberg '
Boltenberg *
' Les eaux de ce glacier passent à R
' Au-dessus de Fluelen.
éalp.
3 Sur la crête du Rigbi, en face de F
luelen.
■* A l'E. du sommet du Righi.
5 Au S.-E. du lac de Halhvyl.
6 A l'E. de Baden.
"• Au N. de Brugg.
8 A l'O. de Bottstein.
PROCÈS- VERBAUX. 9
Des applaudissements lémoignent à M.Favre du vif iolérôt
avec lequel la Société a suivi sa communication. Le prési-
dent l'en remercie et rappelle que c'est à des Suisses, Venetz,
de Charpentier, Agassiz, E. Desor, qu'est due l'étude du
transport des blocs erratiques.
M. Favre ajoute à ces noms celui d'Arnold Guyot qui, à
ce genre d'étude avait voué iieaucoup de sagacité et de
persévérance. La carte qu'il a tracée du phénomène errati-
que, déposée au Musée de Princeton (New-Jersey), et dont
une copie a été communiquée à M. Favre, présente des dif-
férences importantes avec celle de ce dernier. Les mémoires
remarquables présentés par A. Guyot, à la Société helvétique
des sciences naturelles, sont malheureusement trop peu
nombreux.
M. Favre signale encore l'intérêt qu'il y a cà bien connaître
la provenance des roches. Près de Soleure se trouve un bloc
de 61,000 pieds cubes d'arkésine du Valais, qui a fait un
voyage d'environ 200 kilomètres. Les porphyres rouges
épars dans le terrain amené par le glacier du Rhône, vien-
nent des assises de rochers qui dominent la cascade de Pis-
sevache. Dans une partie de l'Argovie, au contraire, les
porphyres viennent de la vallée de Maderan.
Plusieurs des assistants adressent à M. Favre des questions
auxquelles il répond avec beaucoup de bienveillance.
Le Président exprime le désir qu'une demande soit adres-
sée aux gouvernements cantonaux pour qu'ils fassent ins-
crire au cadastre les principaux blocs.
M. Favre répond qu'il a adressé une demande à M. le Co-
lonel Siegfried, chef de l'État-major fédéral, pour que les
blocs erratiques fussent inscrits sur les caries au Viooooo; ^u
Vsoooo 6t au Vîsooo- Quant à la conservation des blocs, il y a
des communes qui ont pris des mesures préservatrices, Bou-
dry par exemple, et Soleure, qui a dans son voisinage une
colline couverte de 230 blocs au moins. En Savoie, les pré-
fets et les sous-préfets n'ont pas d'autorité sur les communes
pour empêcher la destruction des blocs ; la loi projetée à
cet effet n'a pas été adoptée par le Sénat. Les blocs du Salève
ont été en partie exploités pour la construction du chemin
de fer ; cependant, sur le Petit Saléve, ils ont été respectés.
10 BULLETIN.
La question de deux périodes glaciaires n'est pas encore
résolue. On a cru trouver des traces de deux épocjnes, à la
Dranse, dans le fait qu'au-dessous des graviers, on voit de
l'argile avec des cailloux polis et striés. Mais dans le glacier
actuel de l'Allée Blanche, on trouve des moraines indiquant
un avancement du glacier, en 1817, puis un l'ctrail marqué
par des cailloux roulés ; si un nouvel avancement se pi-oduit,
il se formera une nouvelle moraine sur ceux-ci^ sans qu'on
puisse voir dans cet avancement une nouvelle époque gla-
ciaire. C'est surtout aux découvertes de Oswald Heer et de
Escher, à Wetzikon, qu'on a rattaché la distinction entre
deux époques glaciaires. En Angleterie et en Amérique on
en distingue encore davantage.
M. le missionnaire Creux, assistant à la séance, le Prési-
dent l'invite à dii'e quelques mots de la par-lie du Transvaal
septentrional, où travaille la mission romande.
M. Creux fait espérer à la Société qu'il pourra donner
prochainement une communication développée, comme
l'a fait, il y a trois ans, son collègue, M. Paul Berlhoud.
Pour aujourd'hui, et vu l'heure avancée de la séance, il se
borne à quelques noies sur les différents noms donnés aux
Goamba par leurs voisins, Basulo, Zoulous, etc., et sur les
noms (les mois de l'année en langue goamba ; en voici un
résumé :
1. Le nom de Goamba leur vient probablement des tii-
bus de Basuto, qui les ;ivoisinent, et qui, les entendant jurei-
par Goamba, le premier homme selon eux, leur en ont
donné le nom.
2 Celui de Thonga leur est donné par les Zoulous et signi-
lie les esclaves, les vaincus, en goamba, ma^/o/t^a, les nations
vaincues par les Zoulous. Ce sont les mêmes Batoka dont
Livingstone parle dans son ouvrage : Le Znmbèze et ses
(Clients, et qu'il loue beaucoup pour leur générosité. Les
noms que nous trouvons dans ce livre confirment cette
hypothèse.
3. Mahlengwe, au nord du Limpopo : Plus doux.
4. Miiidongwe, nom donné à une tribu par les Portugais,
les Tchopi.
o. Balickwana,VeiïU blancs; on les retrouve partout. ils se
PROCÈS-VERBAUX. 11
font passer pour Znulous, ils en parlent la langue, ils en
portent le costume, ils ont longtemps été leurs soldats.
D'après tout ce que j'ai vu, je puis donner mon assenti-
ment à ce que dit Erskine :
« Les Tonga sont une race qui peut se développer et qui
se développe. Ils considèrent la guerre comme un état anor-
mal qui doit êti-e évité ou terminé le plus tôt possible ; ils
dilTèrent en cela des Zoulous, plus sauvages, qui regardent
cet état comme une vocation et méprisent les arts de la paix.
« N'aimant pas la discipline militaire, préférant être gou-
vernés par de petits chefs qui se font obéir plus par influence
morale que par force, peu de tribus deviendraient plus
susceptibles d'être influencées par l'instruction des mission-
naires. »
Quant aux noms des mois en goamba :
Janvier, Nsnngnti : (Ko sungula) les rivières commencent
à se remplir.
Février j Mhandhe, perche ou poteau : Les gens ivres du
kanyi, sont obligés de s'appuyer contre les perches pour ne
pas tomber.
Mars, Nmibandlela : L'herbe cache les chemins que l'on a
faits pour aller cherchei* des kanyi, fruits dont on fait du
cidre.
Avril, AJodyetsihi : Que peut-on vous offrir? Tant il y a à
manger; c'est le mois de l'abondance : maïs vert, patates,
arachides, courges, pois lubeiciileux, etc.
Mai, Hukura : Signification inconnue.
Juin, Tsingembe: Froid. — Tchingembe: Mois de la froidure.
Juillet, Ko Maya bahlayi : Que ceux qui savent compter le
fassent ! Impossible de connaîlie exactement ce mois, tant il
i-essemble à la fin du précédent et au commencement du
suivant. A la fin de la discussion on dii'a : Ko hlaya bahlayi.
Août, Hlangula timbale : Il commence à faire assez chaud
\)0\iv essuyer les crevasses {Ww.) que le froid de l'hiver a ci-eu-
sées aux pieds et aux mains. Il est à noter que ce froid est très
rarement au-de.ssous de -f-8° à 10° centigrades.
Septembre, ^dhali, ou Ndhata. Je viens. Les gens, enten-
dant siffler le vent, croient qu'on les appelle et répondent :
Je viens.
12 BULLETIN.
Octobre : Sec et très chaml. Vent chaud cl lirnlant, pré-
(iiist'ur tle la pluie. Le vent dit : Woti, Won. — Maivaicana est
le nom de ce mois.
Norenibre, Xiiaiiyannana : Petits oiseaux. Moment où l'on
en voit un gi'and nomlire sortir du nid.
Décembre, Nyanyankulu:CiVi)> oiseaux. C'est le mois où les
petits aiglons et les éperviers se montrent et se font entendre.
SEANCE DU 12 DÉCEMBRE 1884.
Présidence de M. H. Eouthuxier de Beau.mont.
Le Président rapporte que le règlement revisé sera pré-
senté à la prochaine séance. Il rappelle que, dans Tassemhlée
générale de l'Association des Sociétés suisses de géograpliie,
tenue en août à Berne, Genève a été choisi comme Vorort
pour 1886. Il propose d'adjoindre au Bureau une commis-
sion pour s'occuper des affaires du Vorort. MM. Massip, Kun-
kler, Freundler, D*" Perrière et Raoul Gautier sont proposés
pour en faire partie, et des pleins pouvoirs sont donnés au
Président pour compléter la commission, en cas de refus de
la part des membres sus-mentionnés.
M. E. Martine est présenté comme membre etïeclif et
admis à l'unanimité.
La parole est donnée à M. F. de Morsier pour une com-
munication sur le voyage du /)■■ Oscar Lenz, à travers le
Maroc, l'Atlas et le Sahara, jusqu'à Timbouctou (voir p. 19}.
Le Président présente un ouvrage nouveau : Les habitants
de Surinam, don du prince Roland Bonaparte.
M. Alexis Demaffeij rapporte avoir rencontré, dans ses
explorations minières au Venezuela et au Barabouk deux
gisements analogues. Le filon aurifère de la mine du Callao
est extrêmement riche. Ce gisement de diorite décomposée
est formé d'une masse argileuse, onctueuse, mais la dureté
en augmente avec la profondeur. Dans deux plateaux de
même niveau, il a étudié deux couches aurifères, l'une prés
de la surface, l'autre à 4 et 10 mètres de profondeur. Au
Sénégal, une formation toute semblable, avec une disposi-
PROCES- VERBAUX. 13
lion analogue, s'est offerte à lui, à Keniéba; seulement la
seconde couche était à 8 ou 10 mètres.
MM. de Beaumont et Welter posent à M. Demaiïey quel-
ques questions relatives à la formation géologique qu'il vient
de mentionner; puis le Président le remercie de sa commu-
nication.
SEANCE DU 26 DECEMBRE 1884.
Présidence de M. H. Bouthillier de Beaumont.
Le Président rappelle le projet de règlement que le Bureau
a envoyé à tous les membres, pour qu'ils pussent l'examiner
avant la séance; lui-même en avait fait un, de son côté. 11
demande si la Société veut nommer une Commission pour
examiner les deux projets, ou discuter le projet du Bureau.
M. de Budé demande que les deux projets soient soumis à
une commission. M. Humbert estime que cette demande ne
mène à rien; la Société se retrouverait en présence du troi-
sième projet que pourrait rédiger une commission, dans la
position où elle est en présence du règlement préparé par
le Bureau; tous les membres ont eu ce dernier entre les
mains depuis 36 heures, temps plus que suffisant pour l'exa-
miner et se faire une opinion à son sujet.
M. Moynier explique que le Bureau a fait le travail que
pourrait faire une commission. La Société est régie de-
puis 1877 par un règlement qui a fait tomber en désuétude
celui de 1859. Depuis 1877, quelques adjonctions on dû être
faites pour répondre à de nouveaux besoins ; il s'agissait de
les coordonner avec les articles du règlement de 1877. Le
Bureau a examiné le travail de M. de Beaumont, dans lequel
celui-ci réintroduit beaucoup de dispositions du règlement
de 1859; quelque vénérables qu'elles fussent, le Bureau n'a
pas jugé qu'il y eût lieu de les faire revivre, la Société les
ayant déjà éliminées en 1877. Une Commission ne pourrait
faire un travail plus valable que celui du Bureau, que si elle
pouvait être composée de membres connaissant les besoins
de la Société, mieux que ceux auxquels l'administration a été
14 BULLETIN.
confiée, et dont quelques-uns font partie du Bureau depuis
plusieurs années.
Sur la proposition de M. Lesseré, la Société décide de dis-
cuter, article par article, le projet de règlement présenté par
le Bureau. Après délibération, il est adopté avec quelques
adjonctions portant, que l'admission des membres et l'élec-
tion du Bureau se font au scrutin secret, et que les membres
oui le droit d'introduire aux séances les personnes étranu^è-
res à la Société, en en prévenant le Président.
M. de Beaumont communique qu'il a composé la commis-
mission du Vororf, de MM. Massip, Kunkler, D"" Dufresne, et
MarcMicheli; MM. Raoul Gautier, D'" Perrière, et Freundler,
n'ayant pas accepté d'en faire partie.
La parole est ensuite donnée à M. F. de Morsier, pour la
suite de sa communication sur le voi/age du Z)' Lenz (voir
p. 19).
SÉANCE DU 9 JANVIER 1885.
Présidence de M. le D' Dufkesne, vice-présidenl.
Avant de faire procéder aux élections, M. Dufresne lit l'ar-
ticle du règlement qui s'y rapporte. Puis il donne communi-
cation d'une lettre de M. H. Boutbillier de Beaumont qui,
rappelant qu'il préside la Société depuis sa fondation, en
mars i8o8, soit depuis près de 27 ans, décline sa réélection
et demande que la Société appelle à la pi'ésidence un autre
de ses membres. Au reçu de cette lettre, M. Dufresne, devan-
çant les intentions de la Société, a fait une démarche offi-
cieuse auprès de M. de Beaumont, mais celui-ci lui a dit que
sa décision était définitive, et a exprimé nettement le désir
qu'il ne fût pas fait auprès de lui de nouvelles instances pour
l'en faii'e revenir.
M. Humbert comprend qu'après plus d'un quart de siècle
de travail pour la Société, M. de Beaumont désire être
déchargé de ses fonctions. Lois de la fondation de la Société,
plusieurs de ceux auxquels M. de B. proposa d'en faire par-
tie, lui firent de nombreuses objections, mais, avec une vue
nette des choses et des avantages qui pouvaient en résulter
PROCÈS- VERBAUX. 15
pour Genève el pour le pays, il persévéra dans son projet; il
a réussi, et tous ceux qui ont profilé de la Société lui en sont
reconnaissants. L'influence exercée par les séances, par le
Globe, par le cours donné sous les auspices de la Société,
s'est étendue. Dans ces conditions, il est du devoir de tous
les membies d'exprimer leur gratitude à M. de Beaumont
qui, il faut Tespérer, en renonçant cà ses fonctions de prési-
dent, demeurera néanmoins assidu aux séances, auxquelles il
continuei-a à apporter des communications. M. Humbert
propose que la Société décerne à M. de Beaumont le titre de
Président honoraire.
MM. F. de Morsier, Paul Ghaix, G. de CandoUe et d'autres
appuient cette proposition, en exprimant le désir que le
diplôme de Président honoraire rappelle que M. de Beau-
mont a été le fondateur de la Société.
La proposition, mise aux voix, est adoptée à l'unanimité
des membres présents. Un diplôme spécial sera rédigé par
les soins du Bureau, el accompagné d'une lettre, que les mem-
bres de la Société seront invités à signer avant qu'elle soit
remise à M. de Beaumont.
Les élections du Bureau ont lieu ensuite, au Scrutin secret.
Sont élus :
Président, M. le D"" Ed. Dufresne, ancien vice-président.
Vice-Président, M. le professeur Paul Ghaix.
Secrétaire général, M. A de Morsier.
et MM. G. RocHETTE.
G. MOYNIER.
R. Gautier.
Gh. Fauke.
M. Dufresne remercie de l'honneur que la Société lui fait
en l'appelant à la présidence; il y voit l'expression du désir
que la vice-présidence devienne comme un stage aux fonc-
tions de président désormais annuelles.
Le Bureau présente comme membre honoraii-e, M. le
prof. Alphonse Favre, qui est élu à l'unanimité.
Le Pi'ésident donne lecture d'une lettre de M. Emile Ghaix,
remerciant de son admission comme membre etTectif.
La fin de la communication de M. F. de Morsier, est, vu
l'heure avancée, ajournée à la prochaine séance.
16 BULLETIN.
SÉANCE DU 23 JANVIER 1885.
Présidence de M . le D' Dufresne .
Le Président donne lecture de la lettre suivante, rédigée
parle Bureau et signée parla plupart des membres de la
Société :
Monsieur Henry Bouthillier de Beaumont, président hono-
raire de la Société de géographie de Genève.
iMonsieur le Président,
Dans sa séance du 9 courant, après avoir entendu la lec-
ture de la lettre par laquelle vous déclinez votre réélec-
tion comme président etTectif, la Société de géographie de
Genève, prenant en considération les services importants
que vous lui avez rendus, comme fondateur d'abord, puis,
comme président pendant plus de 20 années, a décidé, à
l'unanimité des membres présents, de vous décerner le titre
de Président iionoraire.
Les soussignés, membres de la Société, désireux de vous
donner aussi, en leur nom personnel, un témoignage de leur
estime et de leur reconnaissance, saisissent l'occasion que
leur offre l'envoi de votre diplôme de Président honoraire,
pour y joindre l'expression de leur gratitude quant au passé,
le vœu que vous continuiez à la Société votre précieuse
sympathie, et l'assurance de leur considération très distin-
guée.
Genève, le 23 janvier 188o.
Il la remet à M. H. Bouthillier de Beaumont, ainsi que
le diplôme de président honoraire, voté dans la précédente
séance. M, de Beaumont remercie du diplôme et des expres-
sions affectueuses de la lettre ; puis il fait un résumé de
Thistoire de la Société, de ses débuts à l'époque actuelle ; il
donne l'assurance que son intérêt pour la Société ira en
grandissant, et offre aux membres actuels ses services auprès
de ses amis à l'étranger.
PROCES-VERBAUX. 17
M. Dufresne communique une leilre de M. le prof. Al-
phonse Favre, remerciant la Société du titre de membre
honoraire qu'elle lui a décerné.
Il est ensuite procédé à l'élection, au scrutin, de MM. Alexis
Lombard, L. Ferrière, pasteur, et Slreckeisen-Moultou qui
sont admis comme membres effectifs à l'unanimité.
Le Président fait part à la Société de son intention de
donner chaque fois, au début de la séance, les informations
géographiques venues à sa connaissance pendant la quin-
zaine, une Société de géographie lui paraissant devoir être
tenue au courant des faits qui se rattachent aux éludes qu'elle
poursuit. Il commence par un rapprochement entre les faits
sismiques du siècle passé, et ceux dont l'écorce terrestre est'
actuellement le théâtre. Au 18"^ siècle, pendant cinq mois,
se produisirent des secousses dont la plus forte causa la des-
truction de Lisbonne, et se fit sentir dans la plus grande
partie de l'Europe, et jusqu'en Amérique. Actuellement, les
secousses ont commencé il y a deux mois: Genève, Turin,
l'Andalousie, l'Angleterre ont été ébranlées, et le phénomène
n'est pas terminé. Il y a là, pour l'étude du travail qui se
produit dans les conditions géologiques du globe, des faits
que les sisraologisles doivent prendre en considération. —
M. de Parville, l'auteur du bulletin scientifique du Corres-
pondant et du Journal des Débats, a rapporté qu'un glaçon
fiottant a été trouvé dans la mer de Baffin, avec le cadavre
d'un des hommes de l'équipage de la Jeannette; le vêtement
portait le nom de Noros. Ce glaçon, d'après M. de Parville,
aurait, de l'embouchure de la Lena à la mer de Baffin, tra-
versé la mer libre du pôle. — M. A. de Morsier a extrait une
note sur les nouvelles explorations du nord de l'Alaska, des
numéros des 27, 28 et 29 octobre 1884 du San-Francisco
Daily Report; en voici le résumé : Le lieutenant Georges
M. Stoney, de la marine des États-Unis, accompagné de t'en-
seigne Purcell, d'un chirurgien et d'un équipage de huit
hommes seulement, est parti de San-Francisco, le 13 avril
dernier, dans le schoonerOM/<rt/rt67?a, deo4 tonneaux, et y est
revenu le 25 octobre. Dans ces quelques mois il a exploré
une contrée qui n'avait pas encore été visitée. Il aurait, en
effet, remonté, sur une longueur d'environ 400 milles, un
LE GLOBE, T. XXIII, 1885. 2
18 BULLETIN.
grand (leiive (jiiise jette d;ins le Uotham inlet, haie de Kotze-
bue, imiiiédiatenient au iioi-d du cercle arctique, fleuve qu'il
aurait nommé le Putnam, en mémoire de Putnam, mort à la
recherche de la Jeannette. Il aurait, d'après le journal cité,
reconnu deux lacs, trouvé une montagne de jade, minéral
fort rare, des gisements d'or et de houille. Le (leuve abonde
en saumons, le pays est bien boisé, le climat chaud et agréable
pendant les mois d'été. Il serait, paraît-il, possible d'établir
des communications par tei-re avec l'Océan Glacial, par la
voie du Yukong, du Putnam et de la rivière découverte par
le lieutenant Ray, qui se jette dans la mer arctique au cap
Barrow.
M. Dufresne mentionne ensuite l'expédition envoyée dans
le massif des montagnes du Minnesota, à la recherche des
sources du Mississipi, an lac Itaska, à lo78 pieds d'altitude.
Puis, les voyages des Scandinaves, des Espagnols et des Por-
tugais, avant el après Colomb, à Terre-Neuve, au cap Breton,
au Labrador, etc. Enfin, il présente à la Société des docu-
ments belges, mis obligeamment à sa disposition par M. G.
Moynier, et renfermant, outre l'exposé des travaux de l'As-
sociation internationale, au Congo, la première carte des
limites du bassin du Congo et de ses affluents, dans lequel
devra être établie la liberté de navigation et de commerce,
décidée par la Conférence africaine.
M. le D'' Lombard exprime à M. le Président les remercie-
ments de la Société pour ces informations.
M. Humbert ajoute à celles relatives à la nouvelle donnée
par M. de Parville, que, d'après le journal anglais, Nature, le
capitaine du navire qui a découvert le glaçon poilant les res-
tes de Noros, est arrivé à Philadelphie, où il a donné une
description détaillée de ce qu'il a trouvé, entre autres des
documents qui étaient auprès du cadavre.
La parole est ensuite donnée à M. F. de Morsier pour la
fm de sa communication sur le voyage du B' Lenz (voir
ci-après).
M. H. de Beaumont oppose à l'opinion de Lenz, sur le
mirage, ses souvenirs de la Russie méridionale^ où le phéno-
mène du mirage se présente fréquemment dans les endroits
où il y a une dépression du sol. Mais il faut distinguer entre
le phénomène de réflexion et celui de réfraction.
PROCES-VERBAUX. 19
M. G. Sarasin serait plutôt de l'avis du D''Lenz, d'après
l'expérience qu'il a faite, en 1856, dans la région des Cliotts.
Un matin, à 6 heures, il fui témoin d'un phénomène de
mirage très faible, qui ne pouvait être attribué à la chaleur
de l'atQiosphère, puisque la journée était trop peu avancée ;
quelques arbres seulement, au bord des Cholts, paraissaient
renversés sous un angle très petit.
M. Humberl estime qu'il ne faut pas appliquer à d'autres
parties du désert les observations faites par le D' Lenz, sur la
route qu'il a suivie de Tendouf àTimbouctou. D'une manière
générale^ il pense que, dans le mirage, il y a deux éléments
à distinguer, l'objectif et le subjectif, c'est-à-dire le mirage
réel, et celui qui est dû h l'état de l'individu qui, par suite de
l'effet du soleil, de l'éblouissemenl des yeux, etc., peut voir
dans le mirage plus qu'il n'y a réellement. Aussi est-il bon
de ne pas se bâter de conclure, et d'être réservé à l'égard de
ce que d'autres disent avoir vu. Ce principe peut s'appliquer
également aux effets du simoun, racontés par les voyageurs.
M. le prof. Chaix rappelle la description de voix d'appel,
de sons étranges, faite par un écrivain arabe du 11"^ siècle,
qui s'était rendu au Niger à travers le désert, avant la fonda-
tion de Timbouclou.
M. Weller cite les critiques faites de l'ouvrage de Lenz,
qui aurait causé une déception aux savants, surtout aux géo-
logues. Mais l'explorateur ayant profité de la fraîcheur des
nuits, pour traverser le Sahara, ne pouvait guère faire d'ob-
servations géologiques sur cette région.
Le foijage du D'' Oscar Lenz à Tinibouctou, à travers le Maroc,
l'Atlas et le Sahara.
On connaît le projet du grand voyageur de Humboldt
pour l'exploration du massif de l'Atlas, projet que les cir-
constances d'alors ne lui permirent pas d'exécuter.
Déjà avant, et bientôt après lui, des explorateurs plus heu-
reux, surtout anglais et allemands, y avaient dirigé leurs pas
aventureux. S'en étonnerait-on, quand on sait que ce massif
de l'Atlas présente, sur une surface dont on ne soupçonnait
pas encore, aloi's, toute l'étendue, des hauteurs inexplorées,
20 BULLETIN.
enveloppées de nuages, couvertes de neiges persistantes et,
peut-être même, de véritables glaciers^ tandis que sa hase
vient mirer ses forêts d'orangers et de dattiers dans les eaux
de la mer. Ajoutons-y les récits fabuleux sur les mœurs de
populations féroces, où se rencontre celte race d'hommes,
antéi'ieure à l'époque de l'invasion arahe, race signalée par
le D"" Lenz, sous le nom bien connu de berbères. Il passe
presque sous silence la dénomination si connue des Toua-
regs, généralement reconnus pour berbères; il semblera
pourtant les désigner dans ces peuplades farouches habitant
au sud de l'Atlas, chez lesquelles l'homme porte le visage
voilé, tandis que la femme, forte et fière, laisse voir le sien
à découvert.
Nous apprendrons avec notre voyageur, à démêler les
traits moraux de ces populations, en même temps que
ceux de leurs visages, et à rétablir à leur égard la vérité,
quand la tradition les aura peints trop en noir. Nous verrons
([ue le fanatisme et la haine du nom chrétien sont ici dans
leur terre de prédilection, avec des traits qui se retrouvent
pourtant ailleurs, chez les autres musulmans, tels que les
Wehabites en Arabie et les Turcomans du Bokara. Nous
passerons sous silence les villes, déjà visitées et décrites par
des voyageurs européens^ telles que Tanger, Téluan, Fez,
Sela, Rabat, Maroc ou Marakesch, ancienne capitale de l'em-
pire du Maroc.
Abordons, avec le voyageur allemand Oscar Lenz^les pre-
miers contreforts de l'Atlas, pour pénétrer ensuite au delà
d'une de ses nombreuses lignes de partage des eaux (12 à
1,300"" au-dessus de la mer), sur la ligne des oasis et mysté-
rieuses cités de Tamesloht, de Amsmiz, de Seksaua, et de
Tarudan; ici commence réellement le voyage dans l'inconnu,
avec toutes ses péripéties et aventures plus ou moins péril-
leuses. Nous pourrions diviser la matière de nos récits, et du
sujet qu'ils comportent, en les partageant en sections géogra-
phiques successives.
I. D'abord le revers nord des penles de l'Atlas où se trou-
vent encore des habitants plus ou moins façonnés à la vie de
populeuses cités.
II. Ensuite, arrivés à la ligne du partage des eaux, nous
PROCES-VERBAUX. 21
rencontrerons des populations plus clairsemées. L'élément
arabe y est refoulé par les Berbères (Kabyles), ceux-ci se
reconnaissant à leur vie, non sous la tente du nomade, mais
dans leur douair, leur maison d'argile. Toutefois si le kabyle
de l'Atlas est sédentaire comme habitant une maison, il est
encore nomade, en ce sens que celte maison précaire se
déplace continuellement. Ici commence l'usage du costume
de cotonnade bleue, d'origine anglaise, adopté par les deux
sexes. Ce pays, appartenant de droit à l'empire du Maroc,
mais en fait insoumis, est dans un état de soulèvements et de
contestations renaissants à tout propos.
III. Après vient le territoire berbère pur, non seulement
insoumis, mais libre et reconnu pour tel. C'est là que les
voyageurs, ne pouvant se réclamer d'aucune protection
reconnue, sont exposés aux extorsions et peuvent se trouver
victimes de partis qui les oppriment par simples représailles
envers ceux qui les auraient tolérés ou protégés. Ilerh en est
la première ville. Le souverain en est Sidi-Husseim, dit Sidi-
Hescham du Wad-Nun.
IV. Enfin vient, tout à fait au .sud, le vrai désert de sable,
VAreg, pays de la soif, terre des Touaregs purs, hommes voi-
lés, femmes sans voiles, mais il ne faut pas s'attendre à les
rencontrer dans la portion la plus occidentale du désert de
l'areg. Ici le costume d'élofïe bleue est de règle, mais, hélas,
l'importation anglaise fait disparaître l'ancien tissu originaire
du Soudan, tissé par des négresses. On ne peut, dit Leiiz,
rien voir de plus fin, et en même temps de plus solide, que ce
tissu indigène devenu une rareté. On peut dire en résumé
que, tandis que dans les premières parties de son voyage,
Lenz a rencontré des dilïicullés venant des hommes, dans
cette dernière, il s'est trouvé en face d'obstacles venant de
la nature du climat et du sol. Il est du reste difficile de trou-
ver, dans cette succession de régions, un guide plus sûr, plus
véiidique, plus modeste, plus instruit, plus consciencieux et
plus intrépide en même temps, que le D"" Lenz. Docteur! ce
titre n'est pas usurpé, car, dans l'Orient mahométan, tout
voyageur européen est nolciis, volens, consacré médecin, et
ce n'est souvent pas pour lui une sinécure.
Par exemple, Lenz ayant donné de la quinine au caïd de
22 BULLETIN.
Mesquin, indisposé, celui-ci le fit appeler le lendemain au
point du jour, ayant une de ses femmes gravement indispo-
sée et désirant le consulter pour elle. Quand on connaît dans
quel isolement absolu vivent les femmes au Maroc, principa-
lement celles d'une certaine position sociale, on doit com-
prendre combien cette requête du caïd dut surprendre Lenz;
il était en tout cas de la plus baute prudence d'y apporter le
sérieux et d'y affecter le désintéressement le plus absolu. Le
cérémonial de la consultation fut arrêté publiquement, la
veille au soir, dans un conseil de famille. En conséquence,
dit Lenz, quelques parents du caïd vinrent me chercher et,
accompagné de mon interprète, je fus introduit dans une des
cours de la Kasbab (citadelle), puis parut un vieil eunuque,
dont les yeux étaient soigneusement bandés; c'était le gar-
dien du harem qui nous introduisit alors, par une suite de
cours et de passages, devant un grand bâtiment dont la
porte, bardée de fer, était soigneusement vérouillée; après
qu'il en eût ouvert successivement toutes les serrui-es, il
nous fit entrer dans un vestibule où une esclave noire m'ap-
porta une vieille chaise en roseau à moitié disloquée, de
fabrique européenne, dont l'histoire, depuis son origine jus-
qu'au moment où elle est venue, d'aventures en aventures,
échouer ici, serait curieuse à connaître. L'entrée proprement
dite de Tapparlement- féminin me resta totalement inter-
dite. Bientôt apparut, accompagnée d'une esclave, une dame
marocaine d'âge moyen, lichement vêtue, le visage pas
entièrement voilé, mais portant simplement un mince ban-
deau blanc entourant sa bouche, bandeau qu'elle soulevait
un peu avec ses doigts chargés de riches bijoux, (juand elle
voulait parler ; elle se plaignit alors à moi de vives douleui's
au sein gauche, et ceci prenait une tournure sérieuse. Me
souvenant des instantes recommandations de mon interprèle
Hadj'Ali, de ne pas froisser la susceptibilité ombrageuse des
mahométans, je conseillai à la malade, sans me permettre
un examen de visu quelconque de la partie atïectée, des
frictions locales d'espiit campliré, remède que, dans les cas
embarrassants, je prescrivais contre tonte affection doulou-
reuse quelconque; la malade ne païut pas satisfaite ainsi, et
il fallait, pensait-elle, en venir à sonder, au moins par le tou-
PROCÈS-VERBAUX. 23
cher, la place, cause de si poiunanles douleurs; dans celle
intenlion, la malade s'empara de ma main et la posa sur la
partie douloureuse; prenant alors mon grand sérieux je pré-
sentai le cas comme des plus graves, mais assurai en môme
temps que le remède prescrit aurait raison du mal, tellement
son efficacité était reconnue et sanctionnée par mille exem-
ples heureux; ce n'était pas facile d'exprimer tout cela au
travers du truchement d'un intei'piète, mais la dame qui
épiait, dans une attente fiévreuse, l'expression de mon regard
et le sens des paroles sorties de ma bouche, parut enfin ras-
surée et promit d'exécuter ponctuellement mes oi-donnances.
Je fus bien content d'être sorti ainsi de cette situation un
peu critique. La dame disparut, accompagnée de sa suivante,
l'eunuque aux yeux bandés reparut, m'escorta hors de la
maison, referma soigneusement la porte bien gardée, d'au-
tres personnages s'emparèrent de nous et je regagnai finale-
ment ma tente.
Nous avons, prononcé tout à l'heure le nom d'un des
compagnons de voyage du D' Oscar Lenz, le Hadj'Ali-Bu-
laleb. Il faut, en raison de son rôle et de son importance, le
nommei' en têle de la compagnie de notre voyageur, telle
qu'elle se trouve composée au moment du départ de la ville
de Maroc. Api'ès lui, fier, comme nous le dirons plus loin, de
ses anciennes relations avec feu l'émir Abd-el-Kader, venait
Grislobal Bénilès, deuxième interprète, engagé dès Tanger.
Je lui avais, dit Lenz, au moment de partir de celle ville,
déclaré franchement les ri.sques et périls de l'enlreprise, ainsi
que ma ferme résolution de ne me laisser arrêter par rien,
et, une fois en roule, de pousser, coule (|ue coule, vers le
pays rêvé : Timbouclou; mais en même temps que je per-
sistais à tout risquer pour l'alleindre, j'étais bien décidé à
me mellie dors et déjà, par ma franchise, à l'abri des repro-
ches de mes associés, si l'affaire devait mal toui-ner. Bénilès
déclara qu'il agissait en pleine connaissance des dangers à
affronter, et qu'il ne me quitterait pas quoi quMl pût arriver.
Juif espagnole ce que je crois, il est connu au Maroc sons le
nom arabe de Mdallali, et comme il parle l'arabe maugrebin
en perfection, qu'il est parfaitement au courant des usages
et de la manière de vivre de ce pays, il passera sans difTicullé
24 lUTLLETIN.
pour ce (jii'il se donne, c'est-à-dire poui' un croyant malio-
métan. Un troisième compagnon s'est associé à nous, dit
Lenz, dés la ville de xMaroc: c'est un jeune scliérif, parent du
sultan régnant par son oncle Muley-Ali, il est natif de Tafila-
let et s'appelle Muley-Acliniid; le goût des voyages est l'uni-
que niolif pour lequel il s'est attaché à nous pour une bonne
partie du trajet. Comme il s'est montré, pendant notre séjour
à Mai'oc. un hrave et utile compagnon, et qu'en tant que
schérif, il peut m'ètre très utile, sa compagnie ne peut que
me faire grand plaisir; à nous quatre nous formons l'élément
notable ou la haute société de la caravane et nous mangeons
ensemble. Comme cuisinier, nous avons à notre solde Sidi
Mohamed Ben Dschilul, que j'ai engagé à Fez; il a montré
une grande ardeur au début du voyage et pi'omis de me
suivre partout où j'irais. Deux jeunes garçons Muhamed et
Anhamid Faraschi, l'accompagnent et sont chargés de la
manœuvre et du service des tentes ; Anhamid est un né-
grillon de 13 à 14 ans. Nous avons enfin, pour soigner nos
bêtes (deux chevaux, deux chameaux, un mulet et deux
ânes), Muley-Ali, Hadj'Muhamed et Kaddur. Nous veri'ons
successivement et alternativement s'accroître ou se réduire
ce personnel de la troupe, tant hommes que bêles, selon les
circonstances et les événements survenus. De toutes les per-
sonnes nommées ici, les deux interprètes Hadj'Ali-Butaleb
et Cristobal Bénites, puis Kaddur, ont seuls accompli le
voyage dans son enliei". Les voyageurs étaient tous bien
armés, mais, sauf le D"" Lenz, ils n'avaient que les armes à feu
du pays.
Durant la première partie du voyage et jusqu'à la ville
de Maroc, des gardes au nombre de deux ou en plus grand
nombre, se relevaient de poste en poste ou plutôt d'étapes
en étapes, en vertu du privilège du tirman, pour assurer la
sécurité du voyageur; avec les gardes était toujours attachée
comme conséquence, la ration journalière exigible pour
hommes et bêtes, et cette redevance était le plus souvent la
source d'affreuses oppressions opérées par ces gardes nom-
més magazini. mv les populations; impossible à elles d'y
échapper, la loi étant formelle, obligatoire et absolue en
faveur de tout voyageur étranger pourvu du firman. En
PROCES-VERBAUX. 25
vain^ poussé par la commisération, Lenz essayait-il de payer
sa dépense, l'impôt n'en n'était pas moins rigoureusement
prélevé et entrait alors dans la poche, sinon dans le gosier
des magazini. A dater du départ de Maroc, ce tribut obliga-
toire prenait fin, à la grande satisfaction de noire voyageur;
il se garda bien d'en réclamer la continuation qui, la plupart
du temps, lui aurait été octroyée en vertu des firmans particu-
lièrement flatteurs du sultan maugrebin. Un firman du grand
seigneur de la Sublime Porte ottomane dont^ si nous ne nous
trompons, s'était muni notre voyageui', était réservé pour
les grandes occasions, et son action semblait posséder une
autorité incontestée. C'est ici qu'il faudrait entrer avec le
D'" Oscar Lenz dans des considérations qui nous initieraient
à certains côtés encore tr-ès mal connus de la politique des
États musulmans. Je fis, la veille de mon départ, raconte-t-il,
une visite d'adieux au gouverneur de la ville de Maroc, je ne
pouvais rien lui dire de bien précis sur mes projets et plans
de voyage ultérieurs, ce qui l'eût alors obligé, en vertu de la
lettre firman du sultan, de me protéger et de se déclai"er
lesponsable de ma personne ; cela ne lui eût nullement con-
venu, et ainsi nous nous séparâmes également satisfaits l'un
et l'autre, lui, de me voir les talons, moi, que par un excès
de zèle officiel, il ne se soit pas mis en travei-s de mes plans
ultérieurs.
C'est ici, avons-nous dit, que commence proprement le
voyage avec toutes ses péripéties et tout son imprévu; il
faudra savoir, selon l'occasion, ou bien payer d'audace devant
une difficulté inattendue, ou bien filer doux. C'est en cela que
brille essentiellement notre voyageur ; ne vous attendez pas
à le voir parler haut et ferme à toute occasion et à tout pro-
pos; il connaît son monde et a appris, en fréquentant le
quartier des juifs dans les villes du Maugreb, à savoir revêtir
à propos la contenance soumise, humble quoique digne, qui
réussit souvent à dénouer pacifiquement les complications
les plus désespéi'ées.
Ces pauvres Israélites du Maroc sont dans une situation en
apparence des plus précaires et des plus difficiles ; très
influents quoique très méprisés dans les villes, mais réduits
à la condition la plus abjecte, hors de l'influence tutélaire du
26 BULLETIN.
pouvoir régiiliei' clans les oasis isolées de rinléiieuf. Lequar-
lier des Juifs, nommé MeUah,A\\ Maroc, est tantôt comme
à Rome, un vrai getlo, assujetti aux plus repoussantes humi-
liations, tantôt il l'enferme une confrérie puissante, habile
et rusée, exploitant, à son profil la place où elle a su se créer
(les amis et des protecteurs, altentive à ne pas adronter
l'opinion publique, toujours implacable en fait de pratique
religieuse. Le juif acceptera la dernière place dans la société
extéiieure et la soumission la plus abjecte au\ exigences de
la rue, jusqu'à y marcher pieds nus, selon l'ordonnance qui
lui interdit le port des chaussures, mais dans l'intérieur de
sa demeure, délabrée et sordide au dehors, il s'entourera de
tous les raffinements du luxe le plus immodéré, surtout chez
la partie féminine de la famille; mais, en dehors des villes,
sa situation est déplorable et intolérable. C'est parmi cette
nation tant décriée et si souvent persécutée, que Lenz réussit
à se créer des amis, et c'est chez elle qu'il pi'end, dans l'oc-
casion, des leçons de prudence et de patience. Mais il est une
autre clas.se de protecteurs dont Oscar Lenz utilise au besoin
largement le crédit, ce sont les Hadjis tant ré\évé^ en Orient,
et auxquels de longs voyages ont acquis une réputation non
seulement de sainteté mais aussi d'autorité.
Le territoire, au delà et au sud de la première chaîne de
l'Atlas, est partagé entre une ligne d'oasis, ou de villes et de
tribus, rivales d'intérêt et d'influence, mais qui, de sang ber-
bèi'e, en face des souverains régnants de sang aral>e, forment
dans l'occasion, une confédéralion momentanée, prête à
prendre les ai'mes clans un intérêt commun, à soutenir des
prétentions collectives, et à faire respecter les libertés locales
contre toute atteinte provoquée par Tambilion ou la jalousie
du souverain de nom. Il faut ici que l'autorité officielle mau-
grébine apprenne à compter avec une population enhardie
par la distance, et endurcie par l'usage d'une indépendance
réelle séculaire dont elle connaît les avantages et dont elle
sait exploiter les profits.
Ce sont généralement des terres arrosées pauvrement, un
.sol ingrat à ensemencer partiellement, à force de bras; des
troupeaux de vaches, brebis, chèvres, qu'il faut surveiller
contre les coups de main , constituent souvent la seule
PROCÈS-VERBAUX. 27
richesse de ce pays déshérilé. Ces tribus rivales vivent entre
elles de surprises et de rapines, pour l'acquisition de ces
troupeaux, mais vienne une réquisition brutale des gouver-
neurs pour le sultan, alors ces luttes intestines, d'oasis
à oasis, s'apaisent, et l'intérêt les unit un moment contre
l'ennemi commun; que, par exemple, le sultan de Maroc,
inquiété par les plaintes des ambassades étrangères, veuille
mettre ordre aux malversations, aux attaques et aux meur-
tres dont auront éié victimes quelques voyageurs d'Europe,
qu'il exige la livraison des coupables, qu'il envahisse la tribu
suspecte avec ses soldats, voilà la guerre allumée, et pour
longtemps, dans le pays, sans profits pour les voyageurs qui
n'en seront que plus délestés à Tavenir, sans profit non plus
pour les tribus envahies, aux dépens desquelles les soldats
exaspérés se payent en troupeaux, sans satisfaction effective,
enfin, pour le sultan plus ou moins victorieux, mais auquel
la victoire a coûté cher; l'indiscret voyageur européen, cause
de tout le mal, est maudit de tous.
Ce sont dans les petites villes ou cantons du revers de
l'Allas, où nous allons bientôt pénétrer, tels que Tamesloth,
]Vad-Nfys, Amsmiz, Seksana, Bibuan, Emnislah, Tarudan,
que le voyageur Lenz, tout en étudiant la géologie du pays,
devient un politique accompli pour conjurer tous les obsta-
cles qui, jour par jour, viennent s'opposer au progrès de sa
marche et à l'accomplissement de ses projets. Négociations,
souvent longues et scabreuses, pour l'octroi de la place et
du teriain où il puisse dresser ses lentes, ou bien pour l'en-
trée dans la kasbah d'une des villes, à l'abi'i des insultes de la
population, pour la permission d'en vi>iter les marchés*où il
devra s'approvisionner; telle est la vie de chaque jour; quel-
quefois l'esprit public de la petite cité ou de la tribu se pique
d'honneur, se paye de générosité, par jalousie pour la tribu
voisine, prend parti pour les voyageurs malmenés, maltraités
ou menacés ailleurs, jusqu'à leur offrir gratis provisions et
protection pendant leur séjour, cherchant à les retenir le
plus longtemps possible, à recueillir des nouvelles des pays
lointains et des événements politifjues à sensation; on pour-
rait parfois, en écoutant les réflexions pleines de sens des
naïfs quoicjue sauvages auditeurs, se croire dans la boutique
28 BULLETIN.
(rmi harbier d'Espagne, de Sancho-Pansa ou do Fi.garo. Les
récils concernant l'émir Ahd-el-Kader, suivant la couleur
politique des participants à Tentrelien, avaient surtout le
don d'exciter rinlérèl passionné des auditeurs. Iladj'Ali, en
effet, avait autrefois vécu dans la faveur et la confiance
intime de cet illustre partisan découronné; il en avait épousé
la cause et servi la politique et les intérêts religieux et parti-
culiers ; la sentence d'exil d'Algérie qui avait frappé l'ex-émir
pesait également encore aujourd'hui sur son ami Hadj'Ali,
qui accompagnait le D*" Oscar Lenz, et le prestige dont il était
entouré influait sur l'accueil que l'on faisait à la caravane.
Plus les voyageui's s'avancent au sud, sur le revers méri-
dional de l'Atlas, plus le caractère général de la scène, en ce
qui concerne hommes et choses, s'accuse avec des traits sai-
sissants et inaccoutumés aux regards des Européens. Arrivés
au delà de la petite ville de Tamesloth, nous y dressâmes
nos tentes, raconte le D"" Lenz; c'était un site abondant
en oliviers et en dattiers, dont la population était très clair-
semée; la chaleur était déjà forte, environ 28° cenligr. à
l'ombre à midi; mes compagnons furent saisis ici d'une
impression de malaise et d'anxiété à laquelle je cédai bientôt
moi-même, ensorte que, quand l'obscurité survint, nous
organisâmes d'un commun accord, comme commandés ins-
tinctivement, un service de garde; une moitié de la troupe
devait dormir pendant que l'autre moitié veillerait, les armes
chargées; quelques rôdeurs attirés peut-être parla simple
curiosité, ayant signalé leur présence, furent accueillis avec
des formalités d'un caractère tellement brusque, que je crai-
gnis i^uelque malheur, résultat d'une dispute, mais le schérif
de la localité, forcément averti par là de notre présence, se
piqua d'honneur et, bien disposé à notre égard, crut de son
devoir de nous honoi-er d'une diffa (souper d'hôtes); mais
nos gens, encore sous l'impression des alarmes précédentes,
demandèrent que les porteurs participassent avec eux aux
aliments offerts, dans la crainte que nous courussions le ris-
que d'être empoisonnés; ces précautions, peut-être injurieu-
ses, étaient toutefois justifiées par le fait que, récemment un
voyageur avait succombé ici au poison. Ce Tamesloth jouit
en effet, paraît-il, d'une fort mauvaise réputation. Je passai
PROCÈS-VERBAUX. 29
la nuil sans fermer l'œil; l'appel incessant des garde à vous
de nos sentinelles m'en empêchèrent, et à peine le sommeil
sembla-t-il enfin réclamer ses droits, qu'on vint m'appeler
pour mon tour de garde, et, jusqu'au matin je dus accomplir
mon service, le fusil sur l'épaule. Dès lors j'adoptai le cos-
tume mauresque et l'on ne me connut plus que sous le nom
de Hakim-Omar-ben Ali; Hakim est le litre en usage pour
désigner l'homme de science, et il est affecté tout particuliè-
rement aux médecins. J'étais, en effet, censé un employé au
service médical de Constantinople; on sait que les médecins,
employés dans l'armée régulière du sultan de Turquie, sont
un peu pris dans toutes les nations, etj'étais en conséquence
sous ce litre et sous ce costume aussi parfaitement en règle
que faire se pouvait.
Passons rapidement sur la description de la chaîne d'oasis
successives, trop souvent misérables d'apparence, quelquefois
riches, plantureuses et prospères, d'ailleurs tantôt hostiles ou
méfiantes, tantôt, au contraire, prévenantes et hospitalières;
tels sont Wad-NfyS; \is\[ée par Eooker, Amsmiz, Wad-el-Mel,
Darakimacht, Mzugi Seksaua à l'accueil hospitalier, Imint-
janut, riche vallée, puis, sui- le versant méridional de la
plaine, Ait-Musa, Bibuan, Emnislah, Tarudan. A Darakimacht
(600" au-dessus de la mer), la vue des hautes croupes nei-
geuses de l'Atlas est grandiose et lestaure l'âme du voyageur
épuisé d'une longue chevauchée, pour se trouver transporté
le soir devant sa tente confortalile, et pour y respirer, en face
de ce tat)leau sublime, la fraîcheur du soir. La tente, dans ces
conditions, offre une retraite nocturne qui tranche favorable-
ment avec les murs sordides d'une kasbah de petite ville,
fourmillant de vermine, où le voyageur est parfois très heu-
reux d'être admis et protégé contre les assauts d'une popu-
lation féroce et portée aux excès.
Bibuan, nommé tout à l'heure, nous avait été indiqué, dit
Lenz, comme plus propi-eà la traversée du col qui porte son
nom, qu'un passage plus direct, mais où nos bêtes chargées
de ballots n'auraient pu passer, et même le col, censé relati-
vement praticable, était loin d'être facile à franchir, il exi-
geait, au contraire, de fré(|uents arrêts et de fré(juents
remaniements des charges qui, mal équilibrées, dépassaient
30 BULLETIN.
très souvent l'espace laissé libre des deux côtés de rétroil
couloir. A celte occasion, je dus déplorer d'avoir, faute d'ex-
périence, suivi le conseil d'employer des chameaux pour le
li'ans[)orl partiel de mes bagages, au travers de l'Atlas;
j'eusse beaucoup mieux fait de les remplacer par des ânes
ou des mulets qui, ici, sont bien plus appréciés et pratiques.
Nous avions passé devant une vieille construction en ruine
portant le nom de Dar-es-Sultaii. Cette construction était
attribuée h un ci-devant sultan du Maroc, voulant se créer un
point fortifié comme garantie contre les attaques des féroces
Sclieluh, dont les razzia étaient fréquentes; une faible gar-
nison, logée dans ce château, suffisait pour la sécurité des
environs; il ne faut pas la confondre avec une autre construc-
tion se dressant un peu plus avant, et couronnant de sa
muraille d'argile rougeâtre une cime de rochers isolée; les
gens du pays nomment celte ruine Quasr-er-Rumi,pdirce que
son âge, déjà reculé, la fait attribuer aux Romains. Que les
Romains aient pénétré anciennement jusqu'ici, cela est incon-
testable, mais cela ne suffit pas pour établir le caractère
romain de la muraille en question ; quant, aux Portugais,
autrefois maîtres du Maroc, il est fort douteux qu'ils soient
jamais venus jusqu'ici. Une troupe de scheluh, bien mon-
tés et bien armés, avait été chargée de nous observer; l'un
des cavaliers était un scheich. Le bruit de notre voyage avait
déjà pénétré dans les vallées latérales. Nous fûmes conduits
par eux auprès d'une source dont l'eau fraîche et claire for-
mait sous un arganun aimable petit lac. Nous fîmes là notre
déjeuner, auquel les scheluh s'associèrent, bon signe pour
nous, car, quand on a rompu le pain avec quelqu'un, c'est
déjà l'indice d'un bon accord; ce n'est déjà plus un ennemi si
l'on ne peut pas encore l'appeler un ami. Cet endroit est
d'ailleurs signalé comme lieu de repos pour les caravanes en
passage et, effectivement, pendant que nous mangions un
morceau, une petite caravane apparut sur le chemin. Elle fit
alors route avec nous pour le passage de la montagne;
c'étaient des Berbères de la plaine, en route pour le Wad-Sus.
Nous formions ainsi un convoi bien armé et assez nombreux
pour se faire respecter; cette rencontre nous fit plaisir, et
ce n'était pas sans cause. Le scheich des scheluh, en prenant
PROCÈS- VERBAUX. 31
congé de nous, nous avertit que nous étions attendus à un
certain passage dangereux, par un autre parti de scheluh, qui
se proposaient de nous dévaliser, mais qu'il aviserait à ce qu'il
ne nous arrivât rien de fâcheux. Reconnaissants du bon pro-
cédé, nous prîmes alors congé du scheich bienveillant des
scheluh, qui disparut avec son escorte dans une vallée laté-
rale pendant que nous continuâmes notre rouleau sud. Pré-
voyant de nouvelles difficultés pour franchir les mauvais pas
sur notre route, je me décidai à louer deux mulets pour sou-
lager mes chameaux rendus, auxquels j'enlevais le plus
pesant du bagage, ne leur laissant à porter que les objets
moins lourds, tels que literie, batterie de cuisine, etc.; j'y
trouvais aussi l'avantage de l'assistance de deux combattants
de plus en cas d'attaque, chaque mulet réclamant un conduc-
teur, et les scheluh, possesseurs des mulets loués, n'étant
pas hommes à se les laisser voler sans les défendre. Un effet
de l'insécurité des grands chemins dans ces passages de
l'Atlas, c'est le fait fi'appant que les centres de population
doivent être cherchés dans les endroits les mieux cachés et
retirés des vallées latérales, c'est là une des causes qui con-
tribuent à la désolation appai'ente du pays aux yeux du voya-
geur inexpérimenté. Arrivés enfin au sommet du passage et
au partage des eaux de cette partie de la chaîne de l'Atlas,
haute d'environ 1200 mètres au-dessus de la mer, nous nous
trouvons, dit Lenz, dans une contrée en apparence absolu-
ment déserte ; des vestiges de villages, détruits ou abandon-
nés, se voyaient partout; la contrée était d'ailleurs d'une
grande beauté et la soirée splendide; on y respirait une
atmosphère bienfaisante, et l'on pouvait se croire transporté
dans un site des Alpes suisses; les plus hauts pics neigeux de
la chaîne glacée se montraient à l'est et se distinguaient net-
tement dans l'atmosphère diaphane qui les baignait; mais
quel contraste entre ce spectacle grandiose et la scène de
désolation qui nous environnait; partout des traces de rapine
et de pillage menaçant la sécurité des paisibles caravanes de
commerce.
C'était le 14 mars. Tel est ce passage de Bibuan qui exige
un détour du droit chemin. Le D"" Lenz n'est pas le pi-emier
qui l'ait franchi; d'autres Européens l'ont connu et pratiqué
32 BULLETIN.
plus anciennement, tels que le Danois H(ist, en 1781, l'An-
glais William Lemprière, en 1789. La descente au sud, beau-
coup plus raide que la pente nord, est encaissée entre de
vertigineux précipices; la conséquence en fut que les deux
chameaux durent rester en arrièrejusqu'au lendemain, sous la
garde de deux hommes. La scène, dit Lenz, était d'une grande
beauté, des champs cultivés alternant avec des forêts en for-
maient le premier plan sous le nom de Wad-Sus; dans le
fond, se présentait, sous forme d'une deuxième chaîne, une
muraille élevée qu'on pourrait appeler VAnti-Atlas. En des-
cendant, on ne pouvait refuser son admiration aux pauvres
animaux succombant sous leur charge, et se démènent avec
une adresse et une persévérance admirables au travers des
escarpements où ils devaient se frayer un passage ; en se
retournant du côté de la pente qu'on venait de descendre,
on pouvait en apprécier toutes les difficultés et s'applaudir
d'en avoir atteint l'extrémité sans avoir essuyé d'avarie; peu
• à peu les escarpements s'adoucirent devant nos pas, et la
petite ville d'Emnislah apparut. Peut-être dans quelques
dizaines d'années, des touristes engagés au travers des pas-
sages de l'Atlas les franchiront-ils avec le même sans-gêne
et la même facilité que nous les voyons, de nos jours déjà, se
lancer dans les sommités de l'Hymalaya et du Caucase;
alors la description que nous venons de faire des difficultés
de la traversée de l'Atlas ne soulèvera que le rire, mais ces
difficultés n'en sont pas moins réelles aujourd'hui et le seront
sans doute encore pour un certain temps.
Heureusement que les deux caravanes réunies formaient
lin ensemble respectable, car nos voyageurs se trouvaient de
nouveau engagés dans un pays en proie aux razzia fréquen-
tes. Nous rencontrons, raconte Lenz, un cavalier, dont l'ori-
gine noble se reconnaît à sa monture et à ses vêtements.
C'était le fils du scheich des Howara. 11 examina notre bande,
questionna quelques hommes de notre suite puis s'éloigna;
il reparut au bout d'une demi-heure, entama un nouvel
entretien puis disparut dans le bois. Que pouvaient signifier
ces démarches? Évidemment notre caravane était signalée,
et ce jeune scheich était envoyé en reconnaissance. Notre
train nombreux et bien armé lui en imposa-t-il ? La présence,
PROCÈS-VEKBAUX. 33
au milieu de nous, d'un schén'flui inspira-t-elle des scrupules?
bref il ne reparut plus. Nous commençâmes à respirer plus
librement à la vue, à peu de dislance, des premières maisons
de Tarudan, mais notre satisfaction était trop hâtive; rien de
plus perfide, rien de plus mal famé effectivement, que les
abords immédiats de Tarudan; ils sont la retraite de tout ce
qu'il y a de pillards et de brigands de grand chemin, de la
pire espèce; c'est un ramassis de vagabonds qui ne vivent
que de pillages et de coups de mains; malheur ici aux petites
caravanes isolées; aussi marchions-nous en convoi serré,
avec flanqueurs, sondant le terrain à droite et à gauche, fouil-
lant tout buisson suspect, et précédés d'avant et d'arrière-
gardes. Évidemment des yeux bien ouverts nous épiaient de
loin, étudiant toutes nos démarches ; un désordre ou une
négligence les eussent portés à nous attaquer; nous ne
fûmes entièrement rassurés qu'une fois dans les murs de la
cité, le 15 mars.
Toute cette portion de l'itinéraire d'Oscar Lenz n'est con-
sidérée par lui que comme une fuite en pays ennemi; impos-
sible de faire des observations scientifiques un peu précises,
tout instrument manié ou observé aurait fait naître la
défiance et provoqué les hostiUtés. Le bruit qu'un chrétien
faisait partie d'une caravane en route était^ en effet, accueilli
partout comme une insulte déguisée, c'était le son d'une
cloche d'alarme répandant, sur toute la ligne du passage des
voyageurs, son avertissement sinistre et croissant en intensité
de moment en moment; ces détails doivent excuser le voya-
geur, si ses renseignements scientifiques et géographiques
ne sont, à beaucoup d'égards, que superficiels et incomplets,
vu la diflîcullé de faire des observations et de prendre des
notes sans soulever des soupçons. Avec la pente sud de
l'Atlas nous voyons diminuer la présence des dépôts de grès
rouge, que viennent remplacer des schistes argileux, des
quartzites redressées, puis, ici et là, des filons métallifères de
nature diverse.
On s'est souvent demandé si l'Atlas renfermait de vérita-
bles glaciers; on répond généralement que non, et Oscar Lenz
n'en peut effectivement citer aucun exemple, non plus que
de véritables moraines, mais ce serait trop préciser que d'en
LE GLOBE, T. XXIII, 1885. 3
34 BULLETIN.
conclure que la chaîne centrale ne puisse renfermer de véri-
taliles glaciers. Il n'y a dans TAllas que peu de forêts com-
pactes, proprement dites ; les arbres y sont plutôt à l'état
clairsemé. Les maisons se construisent toujours en argile
battue. La mauvaise humeur des bouigeois de Tariidan,
chatouilleux à l'endroit de la religion, après avoir risqué de
soulever une émeute où le sang aurait coulé, la caravane de
Lenz étant bien décidée à vendre chèrement sa vie, fat heu-
reusement apaisée par l'intervention du caïd et du schérif de
la place, qui tlnii-ent par s'intéresser au sort des voyageurs.
Il se trouvait heureusement alors, en ville, un délégué du
sultan souverain, chargé d'y traiter une question concernant
l'administration du Wad-Sus; celui-ci, à la vue du firman
de son maître, comprit qu'il devait le faire respectera tout
prix, et le schérif Hadj'Aii, après en avoir conféré avec lui,
trouva que le plus court pour atténuer Teffet des soupçons,
était de confesser franchement la qualité de chrétien du doc-
teur, et TefTet désiré, dit celui-ci, fût obtenu, on convint
que, tout chrétien que j'étais, le fait d'avoir été médecin au
service du sultan de Constantinople, qui me déclarait tel,
celui d'être muni d'un firman du sultan de Maroc, que son
envoyé garantissait vrai, enfin que l'assistance prêtée par
un schérif tel que Hadj'Aii, méritaient une considération
particulière. Quelques scheich des Howara furent curieux de
voir Lenz et vinrent lui rendre visite, à cause de la notoriété
des rapports de son compagnon avec leur émir Abd-el-Kader;
d'autre part, l'émir ou Amil des Mtuga du nord de l'Atlas, et
ses gens, pour ne pas rester dans l'ombre et pour faire valoir
leur crédit, se vantaient de procurer, par leur influence^ une
escorte au voyageur, pour pénétrer au midi du pays de Sidi-
Hescham, très redouté et puissant personnage; cette escorte
serait une nombreuse caravane de commerce, devant visiter
prochainement un grand marché tenu chez Sidi-Hescham.
Tandis qu'on en attendait l'arrivée, toujours annoncée puis
difîérée, un schérif de Tafilalet se présenta comme en route
pour le Wad-Nun, offi'ant de voyager avec Lenz, en joignant
leurs deux escortes. Le conflit de ces prétentions rivales avait
l'avantage de rehausser l'importance du voyageur européen
et de lui créer des partisans dans cette entreprise périlleuse,
PROCÈS-VERBAUX. 35
d'où dépendait l'issue de tout le voyage. Les diverses tribus
qui se disputaient aussi l'honneur de le protéger se promet-
taient bien, sous le masque de cette protection, soit de mettre
à profit toute occasion d'exactions, soit, tout au moins, de
îe surveiller et de l'espionner. Tarudan, par sa position et'par
ies prétentions des intérêts rivaux, en cherche de prestige à
exercer et d'avantages cà conquéi-ir, se trouve ainsi jouir, à
certains égards, de prérogatives exceptionnelles. C'est aussi
un théâtre d'anarchie où plusieurs races mélangées permet-
tent difficilement au voyageur qui ne fait que passer, de
bien se reconnaître; c'est ici, qu'entre Maures, Arabes, Kaby-
les et Berbères, les analogies et les contrastes s'accusent ou
s'effacent alternativement aux yeux de l'observateur peu
exercé, mais ce que l'on peut avancer avec un peu plus de
certitude, c'est que ces mélanges donnent aussi naissance à
toute une classe d'hommes, dont le métier s'exerce le même
€ù qu'ils se transportent, à cette population errante vivant de
représentations théâtrales, et connus sous le nom de char-
meurs, de jongleurs, de saltimbanques, de montreurs de
singes, d'éléphants, de chameaux, de dromadaires, de rhino-
céros, de girafes, d'autruches, d'avaleurs de poignards, de
couteaux, de charbons ardents et de serpents venimeux, etc.
En définitive, dit Lenz, la honte de paraître au grand mar-
ché de Sidi-Hescham en compagnie d'un de ces abomina-
bles chréliens, fit avorter toutes les ouvertures de voyage en
commun et un chemin de traverse moins en vue, mais sous la
main du scheich desKabyles-Schtuga,Sidi-Ibrahïm déjà ren-
contré par nous au col de Bibuan, nous fut recommandé. Ce
territoire, grâce à des canaux soigneusement entretenus
aux dépens de la petite rivière, affluent du Wad-Sus, était
riant et fertile en orge et en olives; notre escorte com-
posée de brigands de grand chemin, armés jusqu'aux dents,
prêts à lout, et bien familiarisés avec tous les accidents de
terrain, propres à la surprise, nous servait de bouclier
contre toute mauvaise rencontre. L'escorte prétendit plus
tard nous avoir évité une attaque de cent brigands qui comp-
taient nous dévaliser, propos vrai, ou simulé pour nous arra-
cher un cadeau. Toute chance de danger disparue, elle nous
i-emit à deux hommes de la tribu des Ulad, Saïd et Rumla,
36 ^ BULLETIN.
qu'un accord avec notre ami, le calife de Tarudan, nous avait
préparés; là nous rejoignîmes la grande route et la caravane
de Tarudan, qui avait eu lionte de nous, et qui nous atten-
dait maintenant, qu'elle n'avait plus à rougir de nous devant
témoins; deux autres surprises nous y attendaient : la vue
éloignée de la mer se présentant à nos regards, puis une
végétation luxuriante et véritablement tropicale, grâce à
l'abondance des eaux du Wad-Raz. Nous dûmes passer le
soir même le tleuve qui, si nous avions renvoyé au lende-
main, aurait enflé par la pluie qui s'annonçait ; nous attei-
gnîmes le lendemain un pont atribué, selon toute apparence
avec raison, aux Romains.
Arrivons enfin dans les États de Sidi Hussein, succes-
seur des souverains Sidi Heschara, en dehors de la domi-
nation nominale marocaine; c'est ici que commence l'usage,
pour les deux sexes, de l'universelle cotonnade bleue, de
fabrique anglaise ou flamande; Lenz est le premier Euro-
péen ayant réussi à pénétrer dans la première ville de cet
état Ilelir. On peut bien dire que c'est au firman du sultan
du Maroc qu'il doit d'avoir pu s'y rendre et en sortir en
vie, mais que de peines et de cérémonies pour y assurer sa
sécurité pendant qu'il y séjourne et pour la permission d'en
partir; cadeaux exigés, envoyés, acceptés, puis refusés comme
trop mesquins, etc.; puis Sidi Hussein me demande, dit
Lenz, une déclaration par écrit, dans laquelle je reconnaissais
que, dans l'intérieur de ses États, j'avais joui de la plus
grande sûreté personnelle, et qu'il ne pouvait être respon-
sable de tout ce qu'il pourrait m'arriver en dehors de sa
sphère d'action. Je lui remis en conséquence la déclaration
demandée, mais il me la renvoya bientôt, désirant qu'elle fût
cachetée. J'avais un petit morceau de cire à cacheter, mais
point de cachet ; heureusement qu'un vieux bouton d'uni-
forme français, portant un aigle en effigie, se découvrit quel-
que part et fit l'office de cachet ; nous croyions être au bout,
quand de nouveau on me renvoie la lettre pour qu'elle soit
revêtue d'un autre cachet; la cire, en effet, n'est pas usitée
au Maroc; il fallut trouver une autre espèce de colle. Enfin
parut l'homme désigné comme notre guide; le moment de
notre départ coïncidant avec la présence d'un grand concours
PROCES-VERBAUX. ni
de marchands, attirés par le marché habituel, ne fut pas sans
importance pour nous, en ce qu'il soumettait le souvei-ain du
pays à une espèce de contrôle public, dont l'opinion ne lui per-
mettait pas d'exactions par trop noires auxquelles sa politique
douteuse semblait bien l'avoir disposé. Le voisinage de la
grande ligne de passage pour Timbouclou attirait aussi ici un
grand mouvement de bêles à louer, à vendre ou à acheter et
l'élève du chameau y amenait une industrie florissanle. Si la
principauté de Sidi Hussein est une des plus petites de la
chaîne d'oasis, son souverain y jouit d'une influence généra-
lement reconnue; il la doit partie à son caractère personnel,
partie à sa descendance d'une famille impériale qui régna
jadis au Maroc, sous le nom du grand saint vénéré de Sidi-
Muhanied-ben-Musa, dont le tombeau attire, de nos jours
encore, un grand concours de visiteurs dévots. Le Wad-Nun,
allié des Sidi-Hescham, est aujourd'hui indépendant de fait et
ne paye plus aucun tribut au sultan du Maroc. Les héritiers
de Sidi-Hescham s'estiment plus légitimes prétendants au
trône du Maroc que la branche actuellement régnante des
Mnley-Hassan. Le scheich du Wad-Nun a plus d'une fois retenu
des voyageurs européens comme prisonniers pendant de lon-
gues années, ou ne les a relâchés que contre payement
de forts 'buts, par exemple, W. Buttes, Anglais retenu pri-
sonnier pendant huit ans, de 1866 à 1874. Il fallut l'habileté
persévérante du consul espagnol de Mogador, Don José Alva-
rès Peréz, qui obtint sa délivrance contre 27,000 duros, payés
par l'Espagne au scheich du Wad-Nun, somme dont le sultan
du Maroc dut rembourser une bonne partie.
Il serait monotone d'entrer dans la narration de tous les
incidents, plus ou moins critiques, qui se répètent dans le
cours du voyage; nous n'en citerons, en conséquence, que
les traits principaux. La petite ville de Fum-el Hassan, aussi
appelée Tirgi, nous arrêtera, parce que, dans ses environs,
se retrouvent, en caractères plus marqués, des pierres pétro-
glyphiques, soit dessins de date incertaine, représentant des
animaux, et parce que le chef de ce pays possède une
notoriété spéciale, par son caractère et son influence; il se
nomme Scheich-Ali. Quoiqu'il en coûtât à Lenz de renoncer
au séjour préféré du bivouac, sous la tente, en rase campagne,
38 BULLETIN.
celte mesure lui élail imposée parla pruilence, et c'était dans
rintérieur de la ville, et dans une maison même du clief
Sclieicli-Ali,(iu'il était plus sûr pour lui de prendre logement.
Le chef était absent de sa personne, mais par respect pour
lui, la foule, rassemblée devant sa porte à la nouvelle de l'ar-
rivée d'un chrétien, n'osa pas la franchir. Un voyageur et
rabbin juif, du nom de Mardochée, s'était déjà acquis une
certaine renommée en envoyant à Paris des empreintes des
dessins pétroglyphiques deTirgi et d'ailleurs, reproduisant la
figure de rhinocéros, d'éléphants, de chacals, de chevaux,
d'autruches, de girafes, accompagnés d'ornements de fantai-
sie ; ceux de ces dessins, vus par Lenz, sont peu accusés, tra-
cés sur un calcaire bleuâtre, avec un instrument pointu,
plutôt en points successifs qu'en traits continus. On rencontre
encore ici, à Tirgi, sur une éminence de 500 mètres au-des-
sus de la mer, une ruine qu'on ne peut envisager que comme
un reste de construction romaine.
L'arrivée et la vue du fameux Scheich-Ali ne firent que
confirmer sa renommée d'homme considérable, autant par
l'expression des traits de sa figure, de son regard et de toute
sa démarche que par sa conduite à l'égard des voyageurs.
L'examen accoutumé des firmans et Tinterrogation préalable
de l'interprète de Lenz, eurent leur succès habituel auprès
de cet homme d'âge avancé et de conduite lûservée; c'était
un vrai patriarclie; il se montra sympathique aux plans du
docteur et, tout bien pesé, examiné et vérifié, il déclara le
voyage à Timbouctou praticable, natui'ellement avec la suppo-
sition préalable qu'il en réglerait les conditions et en assu-
rerait, par son intervention, la sécurité dans une certaine
limite et jusqu'à une certaine distance. Grand moment pour
Lenz qui voit enfin s'entr'ouvrir l'horizon qui cache encore
son rêve; mais, moment anxieux aussi, car le détail de tant
de précautions à prendre et de conflits à prévoir et à éviter,
inspire à bon nombre des compagnons du docteur, la pensée
et la résolution de se séparer de lui. En sorte, qu'en définitive,
Lenz reste seul avec ses deux interprèles, avec Kaddur et
avec le petit négrillon Faraschi. Comment se recruter à nou-
veau et compléter son personnel? Un certain Mohamed,
venu on ne sait d'où, et qui s'était ici montré diligent pour
PROCÈS- VERBAUX. 39
procurer au voyageur des moutons et autres provisions de
ménage, otlVait bien d'aller plus loin avec Lenz. Il s'était
sauvédu Maroc poui- échapper au service militaire, et sa vue
n'inspirait guère confiance, mais en fait il se montra diligent,
actif et entendu dans tout ce qui concernait les voyages, et
Scheich-Ali conseilla de l'emmener. Ce Scheich-Ali, dit Lenz,
me prenait-il sérieusement pour ce que j'étais censé être, un
médecin turc, j'en doute, mais, sans s'en préoccuper, il ne
s'attacha qu'à nous faciliter les préparatifs du voyage. Dans
les intervalles nous faisions connaissance avec sa maison,
nouvellement construite, et avec son joli et riche jardin. Si
notre confiance en cet homme ne nous trompe pas, nous
arriverons au but, et je ne puis croire que ce Scheich-Âli se
moque de nous. Bénites, qui dit se connaître en nommes et
surtout en arabes, assure aussi que c'est une bonne foi'-
lune pour nous d'avoir fait sa connaissance, mais jusqu'où
compte-t-il nous accompagner de sa personne, c'est ce qui
n'est pas encore clair à nos yeux et ce serait perdre son
temps que de le sonder sur ce point tant qu'il ne s'en expli-
que pas.
Le départ de Tirgi a lieu le matin du 17 avril; les voya-
geurs sont accompagnés d'Anamid (ou Anhamid), espèce
d'intendant et de ministre de la maison de Scheich-Ali, et en
même temps son neveu. On a derrière soi, à distance, la vue
de rAnli-Allas, et l'on se trouve, dès ici, en plein désert de
Sahara, sur la zone septentrionale de la Hamada. Le Wad-
Sémenet passé, nous amène au Wad-Draa. Le terrain est
couvert de petits cailloux, alternant avec des couches redres-
sées de quarzite, confinant au Wad-Draa. Le thermomètre
marque 30° cent, au milieu du jour. L'eau est un peu sau-
mâtre; des chèvres donnent un lait excellent, et foi-ment de
riches li'oupeaux aux mains des Kabyles de diverses tribus
qui ont souvent, entre eux, des noises pour la possession de
ces troupeaux et de leurs riches pâturages. Aussi la garde du
camp, la nuit, tient en éveil nos vedettes, et des coups de feu
d'alarme s'échangent ici et là de temps en temps. Scheich-
Ali est retenu de sa personne, occupé ailleurs à la moisson
de ses orges pendant le jour, mais regagnant notre camp
chaque nuit. Aussi ne manquons-nous ni de grains ni de
40 BULLETIN.
viande, dont il est généreux, ayant, il est vrai, vécu de notre
cuisine pendant que nous occupions sa maison, à Tirgi.
Nous en fimes autant le 19 avril, pour deux vauriens de ber-
bères kabyles de Ait-Tatta; ceux-ci reconnaissants de notre
accueil et de nos cadeaux de sucre, de Ihé et de bougies, nous
avouèrent qu'ils avaient eu des vues sur notre caravane, en
route pourTenduf, avec un scliérif et un chrétien, porteur, di-
sait-on, d'une quantité d'or, mais notre vue^ celle de notre pro-
tecteur Scheich-Ali leur inspii-aient de toutes autres pensées
et nous n'aurions rien cà craindre ni rien à soufTrir à leur
occasion, ni de leur fait. Toutefois les coups de fusils et les
signaux d'alarme allaient leur train chaque nuit, et elles
n'auraient pas été tolérables sans la présence de notre bonne
étoile, le Scheich-Ali. Sa société, ainsi que celle d'un pauvre
taleb, chargé de toutes ses écritures, nous procurèrent des
soirées relativement tranquilles. En attendant, ie même doute
plane toujours sur les projets du chef: tantôt il va, dit-on,
nous quitter et regagner ses pénates, tantôt il ne s'éloigne
avec ses chameaux que pour les ramener prochainement,
chargés de nouvelles marchandises.
La clialeur va croissant, les mouches sont très incommodes,
les alarmes continuelles, tout cela réuni affecte gravement la
santé des voyageurs et même des chameaux dont il faut abat-
tre l'un et dont la blessure de l'autre menace de s'aggraver.
Le 23 avril, la nouvelle se répandit, dit Lenz, que des lettres
étaient arrivées à Scheich-Ali de la part de Sidi-Husseim, le
chef et seigneur des Sidi-Hescham. Mon compagnon, Hadj'Ali,
dont l'indisposition avait tout à coup augmenté, me raconta
que Sidi-Husseim avait insinué ou donné Tordre à notre
ami et protecteur Scheicii-Ali de nous escorter un certain
espace de pays du désert, puis de s'y défaire de nous, et que
les dépouilles sei'aient alors partagées. Je me refusai, au pre-
mier moment, à ajouter foi à celte nouvelle que je considé-
rai comme une simple manoeuvre du timide Hadj'AU qui,
depuis un certain temps, n'était plus l'homme sûr et déter-
miné du commencement, et qui voulait par là ébranler ma
résolution et me faii'e renoncer à mes projets. Cependant, le
jour suivant, Scheich-Ali lui-même confirma la réalité de
l'envoi d'un pareil écrit, mais se hâta d'ajouter qu'il ne pou-
PROCES- VERBAUX. 41
vait même se décider à répondre à une pareille offre hon-
teuse, et qu'il se bornerait à renvoyer les messagers. Quant
à moi, ajoute Lenz, je demeurai fermement convaincu qu'aussi
loin que s'étendrait l'influence de Scheich-Ali rien de fâcheux
n'arriverait ni aux miens, ni à moi-même; cependant Sidi-
Husseim, muni de ma déclaration par écrit qu'il m'avait pro-
tégé pendant tout le parcours sur son territoire, pouvait vis-
à-vis du sultan du Maroc repousser loin de lui toute respon-
sabilité. Je suis fermement persuadé qu'il nous avait fait suivre
secrètement pour se débarrasser de nous, au delà des limites
de son territoire, et que la circonstance seule de notre ren-
contre providentielle des gens de Scheich-Ali fut la cause à
laquelle nous dûmes de lui avoir échappé. Ce Sidi-Husseim
revient aujourd'hui à la charge pour tâcher d'accomplir son
premier projet avec l'aide de Scheich-Ali. Celui-ci s'est con-
duit en homme d'honneur; son intérêt était de se prêter aux
insinuations de Sidi-Husseim, leurs rapports politiques et
commerciaux, de voisinage et d'affaires, le mettant plus ou
moins sous sa dépendance ; néanmoins rien ne put ébranler
la loyale détermination de Scheich-Ali ; il renvoya les mes-
sagers sans réponse et déclara qu'aussitôt ses moissons ren-
trées, il m'accompagnerait de sa personne jusqu'à Tenduf, et
arrivés là, il y aviserait pour me trouver le moyen de pour-
suivre ma route. Ma confiance en lui était telle que je ne me
laissai en rien troubler par les terreurs et les angoisses de
mes gens.
On attend bientôt la grande caravane annuelle, Kaffa-el-
Kébir, à son retour de Timbouctou à Tenduf. Elle avait été
pillée les années précédentes à plusieurs reprises. Scheich-
Ali y a des intérêts engagés et, selon les nouvelles qu'il en
recevra de son parent et associé là-bas^ il décidera de se ren-
dre en pei'sonne à Timbouctou ou non. Le 27, les premiers
avant-coureurs de la grande caravane apportent la bonne
nouvelle qu'elle a passé le désert sans dommages. C'est à
Tenduf que les divers membres et détachements de la cara-
vane se séparent, chacun regagnant sa destination particu-
lière, pour s'y reformer l'année suivante. Mes gens, dit
Lenz, et à leur tête l'indécis Hadj'Ali se résolvent mainte-
nant à leur destinée inévitable ; ils voient que rien ne me
42 BULLETIN.
fera l'enoncor à mon plan ; d'ailleurs, le moment du retour
en arrière es! passé, il esi trop tard et la saison ti'op chaude
pour aiïroritcr les déserts. En roule donc pour sortir enfin
du Wad-Draa. J'ai remonté mes équipages, et mon train est
aujourd'hui en état d'aller plus loin. — Les trous creusés dans
le sable, demeures provisoires des bergers, méritent à peine
le nom de maisons, mais on y soutîi'e pourtant moins de la
chaleur qu'à ciel ouvert.
Cependant on nous apprend, de source sûre, que des émis-
saires de l'exécrable Sidi-Hiisseim nous attendent du côté de
Tekna, pour nous arrêter; ce mot de Tekna, prononcé à
llerh devant des témoins, n'est pas tombé à terre et ramène
la meule sur nous. Vu la réputation des gens de Tekna, les
complices à un coup de main n'y manqueraient pas; il ne
faut donc pas mépriser cet avis. Pauvre Hadj'Ali, le voilà
retombé dans toutes ses transes.
Le groupe d'oasis du Wad-Draa a une population serrée
et on porte le nombre de ses ressortissants au delà de 200,000
âmes; ils sont en rapports commerciaux avec le Soudan et
Timbouctou et ce commerce est de conséquence; en outre,
leur sol produit des dattes et des cultures maraîchères. Les
dattes de ^^'ad-Draa passent au Maroc immédiatement après
celles de Tafilalet et y donnent lieu à une forte exportation.
Mais la culture des grains ne suffit pas à la consommation
locale et on doit en importer dans les oasis. Il faut nous ap-
provisionner d'eau à un puits du Wad-Merkala, car d'ici jus-
qu'à Tendu f nous n'en trouverons plus. Nous passons les
bizarres conformations de terrain et de rochers de ce Wad-
Merkala qui y forment un dépôt à peu près horizontal. A ces
terrains succèdent les déserts pierreux désignés au Sahara
sous le nom de Hamada; ici cependant, on y rencontre en
masse de ces jolis petits cailloux quartzeux qui tiennent de
Tagate; entre eux croissent quelques tiges de gazon, des
fleurs, des acacias et autres espèces épineuses, dont les cha-
meaux se régalent faute de mieux. On trouve quelques espè-
ces de baies bonnes à manger et un bois que les habitants
mâchent pour se nettoyer les dents. Il ne manque que l'eau
pour converlii- cette longue plaine en oasis plantureuses. Quant
aux gazelles,, elles la hantent, mais hors de la portée des ar-
PROCÈS-VERBAUX. 43
mes à feu. Les gens du pays y surprennent les chacals dans
leurs trous et s'en nourrissent; celle viande assaisonnée
avec du beurre se laisse manger. Des lézards d'une longueur
prodigieuse el des serpents, donl quelques-uns passent pour
venimeux, habitent aussi la Hamada ; on y trouve quelques
fossiles.
S mai. Arrivée à Tenduf; son oasis, entourée de plantureux
dattiers, brille de loin au milieu de l'interminable Hamada,
si longue à traverser pour nous autres Européens. L'Arabe,
pour lequel le temps n'a aucune valeur, aime au contraire
celte marche monotone mesurée à l'allure tranquille et lente
des chameaux ; son flegme s'accommode parfaitement de
celte existence sans distractions excitantes, il plaint au con-
traire le genre de vie tendu et toujours en mouvement de
l'Européen qui, à ses yeux, est une infirmité ; il en résulte
un manque de sympathie entre le voyageur et l'habitant du
pays. Lenz était le pi^emier Européen qui fut jamais arrivé à
Tenduf ; aussi avec quelle orgueilleuse satisfaction en étu-
diail-il la forme des maisons et leurs habitants. La compagnie
de Scheich-Âli, qui avait pris les devants pour lui préparer
un accueil favorable, lui valut une part dans les acclamations
de bienvenue qui saluaient ce chef bien-aimé. En vain le cri
de El-Kafiru (le mécréant), retentissait-il parfois au milieu
de la jubilation générale, il était bien vite étoufTé. Mon inter-
prète, Hadj'Ali, a le bonheur, raconte Lenz, de trouver ici
un confrère distingué, un scbérif arabe de grande renommée,
avec lequel il a un long conciliabule ; il s'agissait d'établir
d'une manière irréfutable (ju'Hadj'Ali était réellement un pa-
l'ent d'Abd-el-Kader dont le nom est, ici aussi, en grande
considération ; comme le dit schérif avait autrefois connu
personnellement l'émir, il lui était facile de s'assurer de la
véracité des assertions de Hadj'Ali. Celui-ci se trouvait
avoir en sa possession un vieux document qui le désignait
comme initié à une confréi'ie sacrée, les Abd-et-Kader-Dchi-
lali. Il en avait usé à Tarudan pour recruter une quantité de
membres à la secte, entre autres le schérif de la ville qui,
dans son zèle, aurait voulu engager mon interprèle à s'éta-
blir à Tarudan el lui avait même proposé sa sœur en ma-
riage. Le même succès attendait Hadj'Ali ici à Tenduf; non
44 BULLETIN.
seulement le schérif, mais encore plusieurs des membres les
plus considérés de la ville furent persuadés qu'il était un
personnage de haute importance et inlluence. Je dirai ici, en
passant, que bien que Hadj'Ali invoquât à tout propos son
privilège de schérif, la famille d'Ahd-el-Kader n'est pas Sclm-
rafa, le titre de Marabout est personnel à Abd-el-Kader seul;
on sait que les familles de Schurafa descendent de Mahomed
et forment ainsi, en quelque sorte, une noblesse religieuse
héréditaire, tandis qu'au contraire le litre de Marabout dési-
gne un personnage distingué par sa science religieuse.
Tout n'est pas contre les pauvres voyageurs de la troupe
d'Oscar Lenz. A côté des tablatures il y a aussi les caresses
du destin, disons plutôt les secours de la divine Providence.
Non seulement les succès de l'interprète Hadj'Ali et son in-
lluence tournent au profit des voyageurs si éprouvés, mais
ils font d'autres heureuses rencontres. Ils trouvent parfois
quelque génie tutélaire sous une forme et un extérieur où
on ne l'aurait pas deviné; encore ici à Tenduf, Lenz tombe
sur un de ces personnages de bon secours, propre à tout,
qui ne doute de rien et qui, par de petits travaux et de pe-
tites industries, sait toujours se tirer d'affaire et rendre de
petits services dans la maison ; de même qu'à Tirgi s'était
présenté l'ex-déserteur Sidi-Mohamed comme domestique
momentané, ici à Tenduf c'est un Tunisien du nom de Hadj-
Hassan qui a su se rendre indispensable; cet homme, aven-
turier par caractère, avait couru par tout le monde; les mes-
sageries maritimes françaises l'avaient une fois emmené jus-
qu'au cap de Bonne-Espérance, puis devenu bachi-bosouk
dans l'armée turque, pendant la guerre avec la Russie, il avait
tenu garnison en Arménie ; licencié à Tunis il avait entrepris
des voyages pour son propre compte et il se trouvait ainsi
arrivé ici à Tenduf, après être tombé entre les mains de gens
d'Ail-Tata qui l'avaient dévalisé au Wad-Draa. Quoique Has-
san, outre l'arabe et le turc, parlât encore un peu italien, an-
glais et français, celui-ci très couramment, qu'il eût vécu
avec beaucoup d'Européens durant son aventureuse carrière,
j'ai rarement rencontré dans ma vie, dit Lenz, un Arabe aussi
foncièrement et rigoureusement fanatique que cet homme,
et qui accomplit avec une conscience aussi scrupuleuse, ses
PROCÈS- VERBAUX. 45
prières et dévotions journalières. Il m'offrit de me suivre
dans tout mon voyage, retour de Timbouctou par le Sénégal
compris. Là, pensait-il, il se fixerait soit comme soldat au
service de la France, soit comme négociant ; c'est un homme
serviable, propre à tout, excellent cuisinier en particulier,
mais d'une violence ou vivacité rare.
Comme il paraît que ni Scheich-Ali, ni aucun de ses
parents ne fera route avec nous (quoique le premier et le
schérif de la ville prennent grande part à nos projets de
voyage), ils nous ont amené un vieux personnage comme un
guide éprouvé et expérimenté, le meilleur qu'ils puissent
nous recommander pour le trajet de Tendu f à Arouan ; il au-
rait déjà visité Timbouctou une f)0* de fois, quelquefois tout
seul chargé de lettres ; quelles que fussent nos hésitations de
confier notre sort à un seul homme âgé qui pouvait mourir
en chemin et qui demandait un prix considérable, il n'y avait
pas d'autre parti à prendre et nous l'engageâmes ; une partie
du prix devait lui être payé d'avance, le reste à l'arrvée à
Arouan où nous aurions à nous pourvoir d'un autre guide
pour Timbouctou. Tendîtf e9<t une ville moderne et ouverte
qui ne date que d'une trentaine d'années, composée de 100 à
ISO maisons d'argile, petites, à un seul étage et formant un
carré. C'est une des grandes lignes de communication pour
Timbouctou ; la population est en majorité berbère ; grand
commerce de dattes, poudre, tabac, coton, résine, qu'on y im-
porte contre marchandises du Soudan, esclaves noirs, plumes
d'autruche, or, ivoire, etc. Nous avons déjà dit que c'était
ici que se rassemblait la grande caravane Kaffa-el-Kébir,
composée de quelques milliers de chameaux et quelques
centaines de conducteurs. Elle a été plusieurs fois détroussée
pendant ces dernières années; elle part deTenduf d'ordinaire
en décembre ou janvier, pour revenir en mai ou juin. La va-
leur de ses marchandises dépasse, dit-on, sept cent cinquante
mille francs. Cette évaluation est un peu trop haute aujour-
d'hui attendu que le commerce avec Timbouctou a déchu
ces dernières années. Mon projet, quand je partis de Maroc,
était de m'adjoindre à une caravane pour accomplir le grand
voyage de Timbouctou; l'idée de faire ce trajet seul avec quel-
ques hommes me paraissait alors trop hasardeux. Mais j'eusse
46 nULLETIX.
été réduit à attendie la prochaine caravane Imita neuf mois,
éventualité qui m'était proposée sérieusement par Scheicli-
Ali, si je ne voulais tenter le voyage isolément. Celui-ci me
facilita les mesures à prendre pour le voyage. Elles com-
prennent d'abord les sacs et ballots de charge, la manière de
les attacher pour éviter que le chameau se blesse par le frot-
tement des cordes, et que, faute de place suffisante, le cava-
lier ne souffre trop d'une position forcée; elles comprennent
ensuite l'approvisionnement d'eau pendant la traversée du
désert et les précautions à prendre pour que les seaux la
conservent à l'abri de l'évaporation et de la corruption, il
faut surveiller le goudronnage des vases destinés à transpor-
ter cette eau si précieuse. Enfin, on doit se procurer les vê-
tements convenables pour cette portion du trajet pendant
lequel il faut surtout bien proléger les ouvertures du visage
contre les infiltrations des sables du désert si nuisibles aux
organes des hommes et des animaux.
Des précautions contre toute distribution et emploi abusif
d'eau sont nécessairement exigées; Lenz n'osait s'en servir,
que pres(|ue en cachette, pour sa propreté pei'sonnelle, il
devait ménager la susceptibilité de ses gens qui jugeaient ces
soins une luxueuse fantaisie; dans sa conviction, les berbères
Touaregs ne se lavent jamais au désert, ce qui contribue aux
maladies des yeux si fréquentes et si souvent incurables.
Lenz traite de fable l'histoire d'un second estomac dont se-
raient doués les chameaux et où ils conserveraient une pro-
vision d'eau pour s'en servir quand l'eau naturelle vient à
manquer. C'est un conte de fée qui donne une couleur fan-
taisiste aux récits de voyages au désert et par lequel tant de
récits palpitants ont abusé de la créduHté du lecteur. Il ne
faut pas compter sur les produits de la chasse au désert; du
gibier s'y rencontre bien à l'occasion, mais hors de portée,
et le temps d'ailleurs est trop précieux pour le consacrer à la
chasse. La viande séchée au soleil, les conserves et surtout
le thé et le café sont des ressources qu'on ne saurait trop
apprécier. Dans ce voyage périlleux de 30 jours, de Tenduf
à Arouan, Lenz ne rencontra qu'un seul vivant. Nous en
relèverons successivement quelques incidents. Le caractère
général du sol commence à revêtir ici sa forme spécifique,
PROCÈS-VERBAUX. 47
les dunes ; la dune associée à la hamada a un caractère so-
lennel et présente un spectacle grandiose, pas un être vivant
en vue, point d'oiseaux, point de serpents, point de gazelles,
pas même d'insectes ; solitude absolue. Quant aux hommes,
dit Lenz, leur vue n'est pas désirable, et notre guide, auquel
Scbeich-Ali avait fait la leçon, ne nous permit pas pendant
les premières marcbes de dresser notre tente de jour, sa
couleur blanche, visible de loin, aurait pu donner l'éveil à la
cupidité des rôdeurs du désert. Le 12 mai, nous arrivons au
point où se réunissent les deux routes des caravanes venant
de Tenduf et de Tafilalet; Heu suspect et dangereux entre tous
à cause des détrousseurs de caravanes qui s'y donnent ren-
dez-vous en certains moments. Les mesures de prudence
sont de rigueur.
Toujours les dunes avec accompagnement de fossiles (cri-
noïdes et coraux), puis de gypse, plus loin, en descendant un
peu, le sable est pur et tendre, nos montui"es y enfoncent
jusqu'au genou. Nous approchons d'un puits nommé Bin-
bel-Ahbas, bien connu des caravanes, auquel nous trouve-
rions enfin de l'eau pour renouveler le contenu de nos outres.
Mais notre guide, désireux avant tout d'éviter toute rencontre
accidentelle, préfère nous faire faire un détour pour l'éviter;
sa connaissance parfaite des lieux lui signale, dans un endroit
écarté et enfoncé, un lieu où nous trouvons de l'eau en sufiB-
sance pour renouveler notre provision et étancber la soif de
nos chameaux.
C'est à Igidi que le singulier phénomène des sables sonores
s'est présenté à nous. Figurez-vous les accords d'une trom-
petle souterraine sonnant par intervalles. Ce bruit sourd en-
tendu dans la solitude ne laisse pas que de troubler celui qui
le perçoit et qui n'est point, comme on pourrait le supposer,
le jouet d'une illusion. Le phénomène bien connu de la sta-
tue de Memnon en Egypte, visitée par de Humboldt, a été
quelquefois cité à l'appui de la réalité du sable sonore. Le
D' Lenz s'attache à analyser ces phénomènes de l'action du
mouvement de l'air dans les cavités de certains sables
quarizeux, rendues sonores dans un certain état de chaleur
et faisant l'office de tuyeaux d'orgue. Ce sont, tour à tour,
des grognements, des ronflements, des soupirs, des gémis.se-
48 BULLETIN.
ments, enfin le roulement du tonnerre qui s'en échappent.
L'ébranlement artificiel, produit dans ces masses de sable par
le passage d'une caravane, en modifie les conditions et est
une des causes agissantes du phénomène ; la rupture d'équi-
libre des couches de sable, la sécheresse du climat, la qualité
dominante du quartz pur, en sont d'autres ; cependant tout
n'est pas explicable par là ; pourquoi Igidi a-t-il le privilège
des sables sonores, tandis que tant d'autres locahlés qui, par
leurs caractères et leur situation y auraient en apparence les
mêmes droits, n'en ont pas ?
Nous passâmes encore, dit Lenz, la nuit du 15 mai au
milieu de ces dunes ; le matin suivant nous poussâmes plus
loin pour nous sortir aussi vite que possible de ces masses
de sable, et etîectivement nous les eûmes bientôt mises der-
rière nous. La scène changea du tout au tout; le sol, haut de
370" au-dessus de la mer, se couvre de grains feldspathi-
ques, bientôt s'y ajoutent des galets de granit et de por-
phyre et, dans le lointain, s'aperçoivent les montagnes d'où
ils proviennent; elles surgissent à droite et à gauche, isolées,
hautes de 300 à 400"°; leur présence inattendue, au beau
milieu du Sahara, ne laisse pas que de surprendre. Nous
avions devant nous, au sud, faisant suite à Igidi, le pays nommé
El-Églab ; ici nous changeons de direction vers l'est. Bientôt
l'alarme se répand parmi nos hommes, causée par la vue
éloignée de chameaux en marche et qui pis est, par des tra-
ces fraîches de pas de chevaux. De là à y voir une bande de
brigands il n'y avait pas loin, notre guide Mohamed nous
cacha derrière des rochers pour se porter seul en avant à la
découverte ; malgré sa vue extraordinairement perçante, il
ne put rien découvrir de suspect, ni voir les cavaliers qui
devaient avoir croisé notre route à peu d'intervalle, peut-
être la veille. Quant aux chameaux entrevus ils devaient
avoir passé le matin même à courte dislance de nous, ce que
nous donnait à connaître l'agitation évidente des nôtres qui
s'arrêtaient de paître et flairaient l'air toujours dans la même
direction. Il fallait entendre discuter parmi nos gens toutes
les éventualités possibles et toutes les combinaisons les plus
ingénieuses. Quelle pouvait être la tribu des cavaliers?
Étaient-ils des Tekna ou bien des Ait-Tatta ? Combien
PEOCÈS-VERBAUX. 49
étaient-ils? Quand avaient-ils passé? Quel chemin avaient-ils
pris, etc., etc.? C'est surprenant de voir avec quelle perspica-
cité exercée, ces natures vierges savent déduire, des incidents
les plus simples, les inductions les plus Ingénieuses. Le plus
préoccupé de tous était notre guide Mohamed qui répondait
de notre sûreté devant son maître le Scheich-Ali.
La crainte persistante de mauvaises rencontres compli-
quait la marche de nos voyageurs. Dans l'areg l'eau ne man-
que pas et la formation géologique du sol se prête à la pré-
sence de puits servant de ligne de marche aux voyageurs
dans ce désert; mais la faiblesse de la petite caravane du
D" Lenz, le peu d'hommes en état de se défendre qui la com-
posait, obligeait à beaucoup de détours pour éviter ces puits
où les détrousseurs de caravanes pouvaient se rencontrer.
Cette marche, en traçant des courbes, ajoutait à la fatigue;
hommes et chameaux y succombant, on s'arrêta toute la jour-
née du 22 mai aux puits de Tarmanant, Bin-Tar manant. On
convint alors de ne plus marcher que de nuit; le guide
se dirigeait, disait-il, d'après une étoile qui conduisait im-
manquablement à Arouan dont elle marquait la direction,
mais ce moyen seul ne suffisait pas, il savait s'aider d'une
foule de petits signes indicateurs dont sa mémoire gardait le
souvenir.
Pour supporter la marche de nuit prolongée sur cette lon-
gue chaîne de stations à travers Tareg, il faut dormir de
jour, ce à quoi le D"" Lenz ne pouvait s'accoutumer ; les gens
du pays dorment sur leurs chameaux. Ceux-ci marchent sur
une ligne, les uns attachés à la suite des autres, et il suffit
que l'homme de tête veille. La visite des salines de Taudeni
m'aurait intéressé, dit Lenz, à cause du commerce de sel qui
motive de fréquentes caravanes entre cette ville et Arouan,
de là ce sel se transporte jusqu\à Timbouctou ; mais la crainte
des mauvais coquins qu'attirent toujours le passage de ces
caravanes fit un devoir à noli-e guide Mohamed de nous
faire éviter ce site où l'on trouve aussi d'anciens petits us-
tensiles en pierre polie de formes diverses, datant évidem-
ment de l'âge de la pierre. Le soir du 29 mai nous quittâmes
la région des puits duWad-Teli pour marcher en droite ligne
sur Arouan. Pendant la nuit notre excellent serviteur Hadj'-
LE GLOBE, T. XXIII, 1885. 4
50 BULLETIN.
Hassan disparaît d'une manière inexplicable. Esl-il, en dor-
mant, tombé de sa monture, s'est-il tué en tombant, ou a-t-il
perdu nos traces, aurait-il succombé à une vengeance de
Mobamed qui ne l'aimait pas? Nous l'attendons pendant
vingt beures, tirons des coups de fusils ; tout est inutile. C'est
une grande perte pour moi, car je pouvais m'entretenir avec
lui. Le 3 juin, jour important, marquant par la rencontre
d'un bomme, le seul aperça depuis 26 jours, savoir depuis
notre départ de ïenduf. C'était aux puits de l'areg Unan ; il
faisait partie de nomades qui y faisaient paître leurs cha-
meaux. La chaleur est forte et le séjour sous la tente intolé-
rable de jour. Le 5 juin l'areg se couvre {ïalfa, mauvais
fourrage pour les chameaux; 6 juin, soHtude absolue, absence
de tout objet pouvant attirer le regard sur celte plaine inter-
minable d'alfa, 200" au-dessus de la mer (42° C); presque
pas de mirage proprement dit; la satisfaction de savoir
Arouan près de nous se lit sur tous nos visages, mais sur-
tout sur celui du guide Mohamed qui triomplie d'avoir su
nous conduire sains et saufs jusqu'ici, au travers des mille
dangers que présente le désert depuis Tenduf; le 9 juin, jour
de repos; 10 juin, nous espérons atteindre Arouan aujour-
d'hui, d'autant plus que notre provision d'eau tire à sa fin;
il faut envoyer un homme à celte ville pour nous en appor-
ter. Arouan se compose de 100 h 150 maisons disséminées
sans ordre, Mohamed nous y précède, porteur de lettres de
recommandations pour le schérif, principal personnage de
l'endroit, puis à son retour, nous y faisons notre entrée.
Nous ne saurions assez louer l'habilelé de Mohamed
comme guide, c'est à lui, après Scheich-Ali, que nous
devons la vie ; nous n'avons point fait de mauvaises ren-
contres; tous les domestiques ont été fidèles, servia blés et
empressés ; nous avons toujours eu de l'eau potable, du four-
rage passable et souvent abondant, ce qui fait qu'aucun de
nos neuf chameaux n'a succombé, malgi'é les blessures de
plusieurs ; en un mot, sauf l'incident tragique et regrettable
concernant Hadj' Hassam, on peut dire que le voyage a élé
admirablement bien combiné et exceptionnellement heu-
reux et favorisé. Quant aux illusions de la Fata Morgana,
tant souvent citée, avec ses apparitions illusoires de lacs, vil-
PROCÈS- VERBAUX. 51
les, châteaux, vaisseaux, jardins, etc., fermant l'horizon ou
suspendus dans les nuages, à peine en pouvons-nous parler
ou citer quelques rares exemples appi-ochant de ces descrip-
tions; on peut, en grande partie, les renvoyer à leurs auteurs,
les conteurs arabes, imbus des rêves fantastiques de l'Orient.
Tout ce que je peux dire avoir vu sous ce rapport, sont quel-
ques apparitions d'arbres suspendus en l'air et quelques fla-
ques d'eaux imaginaires autour ou au-dessus de l'horizon.
En fait, celui qui saura opposer aux effets de la chaleur, sans
aucun doute sensible et oppressante, du courage, du sang-
froid et de l'empire sur son imagination surexcitée, sera peu
ou point accessible à ces tableaux et apparences imaginaires,
dont les récits exagérés ont tellement rempli la tête des voya-
geurs. Comme preuve qu'il sut toujours conserver sa tête
en possession d'elle-même, Lenz cite que, souvent, après les
devoirs et travaux prescrits accomplis, il a pu jouer, dans sa
tente surchauffée, des parties d'échecs avec Hadj' AU et Béni-
tes. Si, dit-il, d'un côté, mon voyage, un peu trop retardé,
avait donné le temps à la saison chaude de nous atteindre,
circonstance défavorable pour un voyage au désert, d'autre
part ce relard avait l'avantage que les bandes de détrous-
seurs de grand chemin qui assiègent et infectent le voisinage
des puits, à l'époque régulière du passage des caravanes,
avaient regagné leurs domiciles.
La vie animale, sans faire défaut, ne procura pas au voya-
geur, amateur d'histoire naturelle, tout le charme qu'il
s'était promis d'un voyage en plein désert; les troupeaux de
bœufs sauvages, de gazelles et d'antilopes, entre autres, tout
en s'olTrant à la vue, ne permettent guère l'exercice et le
plaisir de la chasse; mais l'air qu'on respire dans le désert
est si exceptionnellement salubre qu'on n'y connaît à peu
près point de maladies, sauf les maux d'yeux, dont l'absence
de propreté est la principale cause. On ne saurait trop
recommander aussi, comme précaution hygiénique, l'usage
des bains de sable surchautTé des dunes ; c'est une vraie
volupté et un véritable délice de se plonger dans ce sable
quarlzeux si pur et si propre. Le désert est beau, très beau,
en dépit de la chaleur et des dunes; rien que sa solitude a
quelque chose de grandiose et de sublime, comme l'insonda-
52 BULLETIN.
Me océan. Un lever de soleil, en plein désert, ou un doux
clair de lune, présentent un charme inexprimable, une incom-
parable beauté, et font naître des sensations inimaginables.
Pour acheter de telles jouissances privilégiées, l'homme sen-
sible au grand et au l)eau, ne reculera pas devant quehjues
dangers incontestables, et conservera, sa vie durant, le sou-
venir des jours passés en plein Sahara, comme des temps
les plus heureux pour son corps et son âme. Il semblerait
que nous dussions arrêter ici la relation du voyage d'Oscar
Lenz par celte explosion d'enthousiasme, échappé de sa
bouche en l'honneur de la majesté du désert de Sahara.
Cependant le lecteur a droit à une terminaison plus effective
de cette partie du moins de l'expédition dont le but était
l'arrivée, tant désirée, à Timbouctou. Nous céderons donc, en
prolongeant le récit jusqn'<à cet épisode marquant, au désir
supposé du lecteur.
La vue, l'existence et le séjour d'Arouan composent tout
ce qu'il y a en même temps de plus triste et de plus impor-
tant; important, comme siège d'un grand entrepôt commer-
cial et d'un moyen de communication indispensable, entre les
populations du désert de Sahara au nord, et les tribus du
riche et fortuné Soudan, au midi; triste par sa situation en
plein désert, sans distractions d'aucune sorte pour les yeux
ou pour l'esprit, sans arbres, sans eau visible, sans montagnes
et sans jardins; si l'areg est le pays de la soif, Arouan est la
métropole du sable. Terrain, dunes, murs de maisons, tout est
jaune, couleur du sable, qui colore même l'air desséché qu'on
y respire; quand j'ai ditsaiw mw, j'ai eu soin d'ajouter appa-
rente à la vue, car Araouan est la ville la plus riche en eau du
Sahara occidental ; on ne peut cependant lui donner le nom
d'oasis car cette eau ne s'y révèle par aucun signe quelcon-
que de végétation où puisse mordre la dent du chameau.
L'eau si abondante y est, en effet, partout enfouie et cachée
dans les profondeurs du sol, creusé de mille puits bien four-
nis et alimentés. Quant aux maisons, rien de plus monotone
que leur forme identique ; ce sont de grands cubes de terre,
sans ouvertures au dehors, à l'exception d'une porte. A l'in-
térieur il y a une cour vaste, carrée aussi, et sur laquelle
donnent les appartements; on corrige ce triste aspect des
PROCÈS-VEEBAUX. 53
murs par des ornements faits de la même argile hleuàlre-
L'obscurité des maisons est le seul remède contre d'innom-
brables mouches.
Le schérif d'Arouan, Sidi Anhamid-bel-Arib, vieillard de
quatre-vingt-deux ans, qui partage l'influence avecleScheich
des Kabyles-Bérabich, nous fit assigner une maison; il logea
aussi nos hétes et leur donna la nourriture et des gardiens.
J'ai parlé de mouches innombrables ; le terme n'est pas exa-
géré, elles existent ici par milliards de milliers et font,
d'Arouan et de son séjour, un véritable enfer. Sa position
sans jardins, sans aucune production agricole quelconque,
rend Arouan absolument tributaire de Timbouctou distant de
200 kilom. En fait de viande on y trouve quelques miséra-
l)les volailles et une race de moutons du Soudan sans toison.
L'honnête Schérif voulant, dit Lenz, me traitei* le soir de
mon arrivée, ne pût trouver qu'un peu de riz et de la viande
de chevreau séchée. Son accueil n'en fut pas moins fort ami-
cal bien qu'il ne se fit aucune illusion sur ma qualité de chré-
tien. La population de Kabyles-Bérabich, auxquels se mêlent
quelques tribus nègres, était aussi bien disposée à mon
égard. Les Touaregs, qui ne se trouvent pas bien éloignés,
vivent en mauvaise intelligence avec elle ; ce sont eux dont
la rencontre peut inquiéter les voyages pour Timbouctou.
C'est ici que, il y a une 30^ d'années, le malheureux et intré-
pide voyageur major Laing, fut assassiné ; cet événement a
laissé, ici comme à Timbouctou, des souvenirs très vivants
encore.
On ne sera pas surpris qu'Arouan, la métropole dessables,
comme nous l'avons désignée, soit exposé aux ouragans re-
doutables du désert, désignés ailleurs sous le nom de -St-
moitn, et appelés ici Dschaui. Le 15 juin on en ressentit un
de toute violence ; il s'annonça par des maux de tête, une
irritabilité extrême et des rêves agités et angoissés ; enfin, il
arriva, chassant le sable en flots épais, qui bientôt couvrirent
tous les objets , comme une forte chute de neige ; le sable
pénètre partout, jusque dessous les verres des montres; le
nez, les yeux, la bouche et les oreilles en sont remplis. Le
vent dura une demi-heure à peine; malheur à ceux qui sont
surpris en plein air par le Dschaui, hommes et chameaux
54 BULLETIN.
n'ont autre chose à faire qu'à se coucher le visage contre
terre tournant le dos à sa direction ; heureusement, sa durée
moyenne ne dépasse guère une dizaine de minutes. Quant
aux récifs de caravanes entières ensevelies sous le sable, c'est
une fable que tout contredit. Sans doute, il peut en résulter
la perle d'une caravane, si, perdant son chemin, elle ne
retrouve pas de puits, elle est exposée à périr de soif, car le
sable a bien vite pénétré les outres et anéanti leur contenu.
Quelquefois aussi l'ouragan ensevelit un puits sous une
couche de sable. C'est là ce qui peut arriver de pire.
De petites pierres d'origine animale, qui se trouvent dans
le corps d'une espèce d'antilope, se vendent très cher, dès
ici et dans tout l'Orient, comme contre-poison.
Le désir de déloger de cet horrible Arouan rend Lenz fa-
cile dans ses marchés pour remonter sa caravane avec des
chameaux frais ; tout le reste de son avoir ; passe avec les
cadeaux qu'on ne peut refuser, surtout en sucre, thé et café.
Le brave guide Mohamed les avait bien gagnés; c'est par lui
que la première nouvelle de l'arrivée de Lenz à Timbouctou
est parvenue en Europe, cet honnête Mohamed ayant attendu
à Arouan, jusqu'au retour de Timbouctou des hommes qui y
avaient escorté Lenz et dont ils rapportaient un témoignage
écrit de son heureuse arrivée. Lenz est le second Européen
qui ait visité Arouan. Le départ eut lieu le 2.5 juin. La tradi-
tion de déserts hantés par les lions n'est guère plus exacte
que celle sur les effets du mirage et du simoun. Rien de
plus rare actuellement que le lion du Sahara méridional.
C'est seulement à une joui-née de Timbouctou, à El-Assouad,
que Lenz en reconnaît une trace distincte et évidente ; mais
les aigles, vautours et autres carnassiers y abondent ; une es-
pèce soulage les chameaux des vers qui les tourmentent en
s'établissanl sur leur croupe où ils leur donnent la ciiasse.
La date du 1" juillet 1880 restera inoubliée chez Lenz comme
marquantlejonrdeson arrivée au but rèwéTinibouctou.Ce&l
sous l'escorte d'un jeune scheich El-Bakay, neveu du célèbre
schérif El-Bakay, de Barth, que Lenz accomplit les dernières
étapes du voyage. Une foule composée en général de cu-
rieux bien disposés envei's lui, se porte à sa rencontre et
l'escorte avec des signes de jubilation dans la ville célèbre
BIBLIOGRAPHIE. 00
OÙ n'étaient parvenus avant lui que les Européens Paul Im-
bert, major Laing, Caillé et Barlli.
Puisque le Maroc a fait le sujet principal du début du
voyage de Lenz, arrêtons-nous y encore un instant, en ter-
minant, car c'est un monde que le Maroc étudié dans son
histoire et dans son rôle politique bien déchu aujourd'hui.
Le temps de sa splendeur brille encore aux yeux de l'archéo-
logue; il retrouve, avec Lenz, son influence s'étendant bien
au delà de ses limites actuelles, car ce sont ses frontières
du passé qui ont fait sa grandeur; on devra en rechercher
les traces, bien au sud du Maroc moderne, jusqu'cà Timbouc-
tou où le mot de Maure se prononçait encore naguère. —
Sang mauresque, usages mauresques, style mauresque, meu-
bles et armes mauresques ; vous les retrouvez partout. Le
Maure est la race aristocratique par excellence, il a le teint
plus clair, la taille mieux dessinée, l'esprit plus prompt que
les autres races qui lui disputent encore le sol du nord de
l'Afrique. Est-il réellement sorti du mélange de l'Arabe avec
le vrai nègre aux cheveux crépus, aux joues saillantes, au
nez aplati ?
Quant aux anciens maîtres du sol, le berbère confondu ici,
distinct là, du Kabyle, mais dont le Targi, le Touareg féroce et
fier, se réclame, Lenz ne s'occupe pas de l'étude de leur
histoire, étude difficile et compliquée que nous ne nous sen-
tons pas nous-mêmes de force à entreprendre. F. de M.
BIBLIOGRAPHIE
Carte des voies de communications de l'empire d'Allemagne,
destinée à donner une vue d'ensemble de toutes les voies fer-
rées, des principales routes, et des lignes de paquebots, par
Edouard GiEBLER. (Eduard Gœbler's Verkehrskarte des
Deutschen Reichs.)
La Société a reçu de M. E. Gtebler une carte de l'empii-e
d'Allemagne, d'environ 70 centimètres sur 60, dressée par
lui et éditée par l'Institut géographique de Leipzig. Le but
de cette carte est pratique, elle est destinée aux voyageuis et
56 BIBLIOGRAPHIE.
commerçants; c'est donc à ce point de vue qu'elle doit être
considérée.
L'auteur a distingué par des traits de forces difTérenles les
lignes importantes, sui" lesquelles on trouve des communica-
tions régulières et rapides, et les lignes secondaires. Cela ne
se fait pas en général, et M. Giebler a eu raison de le faire.
Bien souvent un voyageur, croyant abréger une distance,
s'engage sans le savoir dans un labyrinthe de lignes secon-
daires où les trains sont lents, où les iioraires ne concordent
pas, si bien qu'il arrive une demi-journée après le train qui,
tout en faisant un détour, a suivi une ligne importante. Un
autre avantage pratique de celte cai'te, c'est qu'en indiquant
tous les points de jonction des lignes, quelque insignifiants
qu'ils puissent être sous tous autres rapports, l'auteur facilite
beaucoup au voyageur la consultation des guides et surtout
de ces publications volumineuses dans le genre du Hent-
schel's Telegraph. La même chose est à remarquer en ce qui
concerne les roules, quoique cela ait moins d'importance
pour des étrangers.
Les détails topographiques, et surtout les montagnes, dis-
paraissent un peu trop sous la grande quantité des noms et
sous l'enluminure. Il est aussi à regretter que l'auteur, qui a
trouvé le moyen de rendre si clairement cet énorme réseau
d'environ 37,000 kilomètres de voies ferrées, n'ait pas indi-
qué d'une manière particulière et visible, le réseau de navi-
gation intérieure. Il y a plus de 13,000 kilomètres de rivières
navigables et de canaux en Allemagne; il n'y a même aucun
pays qui possède un système de navigation intérieure plus
complet que la Prusse, et cela avec 10 canaux seulement,
dont la longueur totale n'est que de .385 kilomètres. La carte
ne le laisse malheureusement pas soupçonner.
L'auteur indique les lignes de paquebots parlant des ports
principaux, Bremen, Hambourg, Lùbeck, Stettin et Danzig,
ou, plus exactement, de Bremerhafen, de Kuxhaven, de Tra-
vemûnde, de Swinemûnde et de Neufahrwasser, car la
dimension toujours croissante des vaisseaux, a obligé toutes
ces villes commeiçantes à se créer des ports auxiliaires plus
facilement abordables. Quelques chitîres de durée des trajets
sont intéressants; ainsi l'on se rend de Kuxhaven à Londres
BIBLIOGRAPHIE. 57
en 33 ou 36 heures, de Bremerhafen à New-York en 10 ou
12 jours, et à la Nouvelle-Orléans en 24 jours, de Kuxhaven
à Rio-Janeiro en 26 jours, de Breraen à Sidney en 4S jours.
Le prix de la carte de M. Gaebler est de 3 marks, c'est-à-
dire de 3 fr. 75 centimes. Emile Chaix.
Proceedings of the Royal Geographical Society (de Londres).
]\° de «Juin 1884. Notes sur la géographie physique et
historique de l'Asie Mineure, prises pendant des voyages de
1879 à 1882, par le colonel sir Charles W. Wilson, avec car-
tes. — En mars 1879, le gouvei-nement anglais établit en
Asie Mineure des consuls militaires, pour surveiller l'intro-
duction des réformes, d'après la convention anglo-turque.
M. Wilson, consul général, nous donne ici le résultat de leurs
travaux au point de vue géographique.
Marche avec chameaux de Berber à Korosko, en 1863, pai-
le lieutenant-colonel J.-A. Grant, avec carte. — Ces notes du
compagnon de Speke out encore deraclualilé, car le pays et
la manière d'y voyager, n'ont pas changé depuis 22 ans.
Juillet. Revue annuelle des progrès de la Géographie, par
le right hon. Lord Aberdare, pr-ésident de la Société.
Voyages dans le nord-ouest de l'Arabie et le Nedj, par Char-
les M. Doughty, avec carte. Récit de périlleux voyages effec-
tués de 1876 à 1878. M. Doughty, en ne cachant pas sa dou-
ble qualité d'anglais et de chrétien, a souvent couru de
grands dangers parm.i des populations musulmanes fanati-
ques. — Il a rapporté de précieux renseignements.
Août. Voyage et ascensions dans l'Himalaya,i^diV W. W.Gra-
ham. — Ce voyageur a eu pour compagnons trois de nos
compatriotes, Joseph Imboden d'abord, puis Emile Boss et
Ulrich Kautîmann. M. Boss, de Grindehvald, s'est tout parti-
culièrement distingué et a reçu de la Société le Back prize.
M. Graham et lui sont parvenus jusqu'à une altitude plus éle-
vée de 1,700 pieds qu'aucune ascension antérieure.
Un voyage dans l'intérieur de l'Ashanti, par le capitaine
Brandon Kirby, avec carte. — Nous y relevons, entre autres,
le fait intéressant que l'usage des sacrifices humains aurait
cessé à Coomassie, grâce à l'influence anglaise.
58 «IliLIOGRAPHIE.
Explorations dans le voisinage des monts Roraima et Kitke-
nam dans la Guyane anglaise, par Henri Whitely, avec carie
et cro(iiiis.
Septembre. Les régions du haut Oxus, par Robert W\-
chell. — Celte communication, les notes qui l'accompagnent,
et la discussion qui l'a suivie, sont intéressantes, car elles
nous parlent d'une partie de l'Asie qui, jusqu'à ces dernières
années, était encore inexplorée et fort peu connue.
Sept années de voyages dans la région à l'est du lac Nyassa,
par le rev. W. P. Johnson, aveccai'te. — On y trouvera beau-
coup de détails sur le pays et ses habitants.
Octobre. Un voyage de Mombasa aux monts Nolara et
Kasigao, par le commandant C. E. Gissing R. N., vice-consul
à Mombasa, Afrique-Orientale, avec carte. — Description in-
téressante de l'aspect du pays, de son sol, de ses productions
et des mœurs et coutumes des diverses tribus indigènes. Il
est malheureux que les incursions des Masai qui ont dépeu-
plé certains districts, y rendent l'élève des l)estiaux et tout
essai de culture, impossibles.
Les dernières explorations de M. C. Winnecke dans le ter-
ritoire nord de l'Australie du sud, avec carte. — Parti de
l'Australie du sud, M. Winnecke est parvenu aux Goyder's
Pillars, centre du continent australien. Le pays a une certaine
analogie avec l'Arabie, il faut se servir de chameaux pour
traverser ses espaces déserts, sablonneux, et sans eau douce.
Les observations hydrographiques faites par Pcxpédition de
Nordenskiold au Groenland en 188S, par Alfred Hamberg. —
Procès-verbaux de la section de géographie de la British As-
sociation, réunie à Montréal en 1884^ !'■' partie.
IVoA'embre. La division territoriale du littoral africain,
par Sir Rawson W. Rawson, avec cartes. — Article ti'ès in-
structif de géographie politique. En résumé, le littoral afri-
cain présente une longueur totale de 16,718 milles dont
10,057 appartiennent encore aux natifs et 6601 sont occupés
par les Européens, savoir : Angleterre, 2017, France 2339,
Portugal, 1960, Espagne, 35, Allemagne, 270ntaHe, 40? Les
BIBLIOGRAPHIE. 59
points (Fin terroga lion qui accompagnent ces deux derniers
chiffres, s'expliquent par les circonstances actuelles.
Voyage de Mozaîubique aux lacs Shirica et Amaramba, par
H. E. O'Neill, l''^ partie.
L'Expédition du Capitaine Elliot, de l'Association interna-
tionale du Congo, à la Vallée du Kwilu-Niadi, ou Quilou-
Niari, d'après l'orthographe française.
Les travaux du D" Giissfeldt dans les Andes.
Procès-verbaux de la section géographique de la British
association, réunie à Montréal en 1884, suite et fin. Nous y
relevons : Expériences arctiques au cap Barroïc, nord de
l'Alaska, par le lieutenant P. H. Ray, de la marine des États-
Unis, avec carte, et Découvertes récentes dans le nord du
Groenland et dans la terre de Grinnell, par le lieutenant
A. W. Greely, de la marine des État-Unis, avec carte.
Décembre. Discours d'ouverture de la session de 1884-
188d, par le right hon. Lord Aberdare.
A travers le pays des Masai jusqu'au Victoria Nyanza, par
Joseph Thomson, avec carte. — On lira avec intérêt le récit
de celte périlleuse expédition dans le pays des redoutables
Masai; par son sang-froid et son savoir-faire, M. Thomson a
pu la mener à bonne fin, malgré mille difficultés et de grands
dangers, sans perdre un seul homme de sa petite troupe,
sans tuer un seul indigène.
Voyage de Mozambique aux lacs Shirwa et Amaramba, par
Henry E. O'Neill avec croquis et carte ; 2"^ et G"" parties. —
Ce voyage, quoique moins palpitant que le précédent, a une
grande importance géographique; il décrit une contrée qui
restait encore inexplorée, quoique la côte soit occupée parles
Portugais depuis bientôt quatre siècles.
Nous voyons dans les Notes que M. O'Neill, qui est consul
anglais à Mozambique, est de retour d'un voyage à Blanlyre,
par la voie du Zambèze et du Shiré; il est revenu à Quilli-
mane par une route en partie nouvelle.
«Fanvier 1HS5. Notes sur un voyage par terre, à travers
la partie sud de Formose, de\Takow au cap sud, en 1873, par
M.Beazeley, avec carte. — Kécit d'une expédition entreprise
GO OUVRAGES REÇUS.
en vue de la construction du phare du cap sud. Il est précédé
d'une description sommaire de fîle. L'attention est, en ce
moment, tournée surtout vei's le nord, sur Tamsui etKelung,
mais les détails et renseignements que donnent ces notes
n'en sont pas moins utiles et intéressants.
Découverte de la vraie source du Mississipi, par le capitaine
Willard Glazier, avec plan.
Une recherche des anciennes colonies de Northmen et de
Portugais dans P Amérique du Nord, par R. G. Haliburton,
avec carte. Article de géographie historique d'un grand inté-
rêt; nous \ voyons, entre autres, que les Northmen navigant
d'Islande au Groenland, puis de là au Labrador, Skraellings-
land, en croyant suivre toujours les rivages d'Europe, et sans
se douter qu'ils découvraient un nouveau continent, abordè-
rent, dès l'an 994, sur la côte ouest de Terre-Neuve, où ils
trouvèrent de la vigne sauvage et qu'ils appelèrent Vinland.
Notes géographiques de la Commission de délimitation des
frontières de l'Afghan, par le major S. H. Holdich. Description
du nord-est du Beluchistan entre Quetta et Nushki.
A. de M.
OUVRAGES REÇUS
De juin à décembre 1884.
PERIODIQUES ET PUBLICATIONS DE SOCIETES
Petermann's Mittheilungen, 1884, N»" 6àl2. — Ergànzungs-
hefte, N°^ 75, 76.
Société royale de géographie de Londres. Proceedings
and monlhly Record of Geography, 1884, N°" 6 à 12.
Société de géographie de Paris. Compte-rendu des séan-
ces, 1884, N»^ 10 à 19. — Bulletin, N<« 1 à 4.
Société de géographie de Berlin. Zeitschrift, t. XIX, 1884,
N" ± — Yerhandlungen, t. XI, 1884, N»^ 2 à o.
OUVRAGES REÇUS. 61
Société de géographie de Vienne. Mittheilungen, t. XVII,
J884, N*>^ 5 à 12.
Société impériale de géographie de Russie. Bulletin, 1884,
t. XX. N"^ 2 à 5.
Société itaHenne de géographie. Rome. Bulletin, t. XXVIII,
1884,N»'6àl2.— Terzo congresso geografico internazionale,
tenuto a Venezia, Roma, 1884, gr. in-8'', 665 pages.
Société de géographie de Madrid. Bulletin^ t. XVI, 1884,
N"^ 3 à 6, t. XVII, 1884, N»^ 1 à 5.— Congreso espanol de
geografia colonial y mercanlil. Madrid, 1884, in-8°, t. II,
371 pages.
Société de géographie de Lisbonne. Bulletin, 1884, N°= 6
à 9. — Expediçao scientifica a Serra da Estrell'a era 1881.
Lisboa, 1883, in-4", 3 fasc. — C. Magelhaes, Le Zaïre et les
contrats de l'Association internationale, in-8°, 32 pages.
Société néerlandaise de géographie. Amsterdam. Tijd-
schrift, 2""' série, N°^ 5 à 10; Afdaling 2.
Société de géographie de Berne. Jahresbericht 1883-1884.
Société de géographie de la Suisse orientale. Saint-Gall.
Mittheilungen, 1884, N"^ 2 et 3.
Société royale belge de géographie. Bruxelles. Bulle-
tin, 1884, N''^ 2 à 5.
Société royale de géographie d'Anvers. Bulletin, 1883,
N° 6; 1884, N"« 1 à 3. Mémoires, t. II, Anvers, 1883, in-S»,
245 pages.
American geograpliical Society. Bulletin, 1883, N°^ 5 et 6;
1884, N"^ 1 et 2.
Smithsonian Institution. Annual Report for the year 1881.
Société de géographie commerciale de Paris. Bulletin, t. VI,
N»' 7 à 9.
Société de géographie commerciale de Bordeaux. Bulle-
lin, 1884, N°=ll à 24.
Société de géographie de Lyon. Bulletin, 1884, N"^ 1 à 6.
Société de géographie de Marseille. Bulletin, 1884^ N°^ 4
à 12.
Société de géographie du Nord. Douai. Bulletin, 1883,
N°' 38 à 40; 1884, N"^ 3 à 5.
Société de géographie de Lille. Bulletin, 1884, N»" 6 à 12.
Société de géographie de Toulouse. Bulletin,1884, N^'S à 12.
62 OUVRAGES REÇUS.
Société (le géographie de l'Ain. Bourg, Bulletin, 1884,
No" 3 à 5.
Société languedocienne de géographie. Montpellier, Bulle-
tin, 1884, N" 1.
Société normande de géographie. Rouen. Bulletin, 1884,
mars à juin.
Société de géographie de l'Est. Nancy. Bulletin, 1884,
N"^ 1, 2, 4.
Société de géographie de Rochefort. Bulletin, 1884, N°' 3
et 4.
Société de géographie de la province d'Oran. Bulletin,
N"^ 20 et 21.
Société de géographie delà province de Gonstantine. Bul-
letin, 1884, N»" 2 et 3.
Société de géographie de Tours. Revue, 1884, N"^ 3 à iO.
Société de géographie commerciale du Havre. Bulletin,
1884, N" 1.
Institut égyptien. Bulletin, N» 4, 1883.
Société archéologique de l'Orléanais. Bulletin, N"' 118
à 120. Mémoires, t. XVIII et Atlas.
Société de géographie de Leipzig. Mittheilungen, 1*^ und
2*« Abtheilungen.
Société de géographie de Halle a/S. Mittheilungen, 1884.
Société de géographie de Munich. Jahresbericht, 1882-
1883.
Société de géographie de Brème. Deutsche geographische
Blâtter, t. VII, 1884, N»^ 3 et 4.
Catalogue de l'exposition argentine, avec carte. Brème,
1884, in-8°, 79 pages.
Société de géographie de Thuringe. lena. Mittheilungen,
1884, N»^ 1 à 3.
Société de géographie de Francfort s/M. Beitrâge zur Sta-
listik. Vierter Band, 3*'"' Hefl.
Société d'histoire et d'archéologie de Stettin. Baltische
Studien, N"^ 1 à 4.
Société physico -économique de Kônigsberg. Schriften,
24"^ année, 1883, l'' et 2'°« parties.
Société des sciences naturelles d'Elberfeld. VI*'' Jahres-
bericht.
OUVRAGES REÇUS. G3
Société géographique roumaine. Bucliarest. Bulletin, 1884.
N"^ 1 et 2.
Société de géographie commerciale d'Opporto. Bulletin,
1884, N°^ 6 à 8.
Institut géographique de la République Argentine. Buenos-
Ayres. Bulletin, N°^o à 7, 9 à M.
Société de géographie de Québec. Bulletin, N° 3.
Institut canadien. Toronto. Proceedings, N"^ 1 et 2.
Société d'anthropologie de Paris. Bulletin, 1884, N°2et 3.
Société d'ethnographie. Paris, Actes, 1884, N° 1. Bulletin,
N° 53.
Société asiatique. Paris. Journal, 1884, N"^ 1 et 2.
Société d'anthropologie de Vienne. Mittheilungen, 1884,
N°« 2 et 3.
Société américaine d'anthropologie. Washington. 1884,
Constitution, in-8o, 15 pages. Transactions, vol. II. in-8°,
211 pages.
Observatoire impérial de Rio-de-Janeiro. Bulletin, 1883;
Annales, t. II, 1882. Rio-de-Janeiro, 1883, in-4».
Meteorological Society. Quarterly Journal, avril à octobre.
iMeteorological Office. Officiai, 61. A barometer manual for
the use of the Seamen. London, 1884, 41 pages.
Institut vénitien des sciences, lettres et arts. Alti. T. I,
G"» série, liv. 4 à 12 ; t. II, liv. 1 et 2.
Institut historico-géographique et ethnographique du Bré-
sil. Revista irimensal, t, XL VII, 1" et 2'°* parties. Rio-de-Ja-
neiro. 1883, in-S", 674 pages.
Section genevoise du Club Alpin suisse. Écho des Alpes^
1884, N- 2 et 3.
Société franco-hispano-portugaise. Bulletin, 1884, N" 1.
Statuts et règlement.
Zeitschrift fur wissenschaftliche Géographie, t. V, 1884,
N»« 1 et 2.
Bureau topographique de Saint-Pétersbourg. Mémoires,
XXXIX.
Revue maritime et coloniale. Paris. 1884, N"^ 4, 6, 8, 9, 12.
Revue de géographie de L. Drapeyron, VU"* année, N" 12;
VIII"'^ année, N°^ 1 à 6.
Revue internationale de géographie. Paris. N°^ 103 à 110.
64 OUVRAGES REÇUS.
Moniteur des consulats, N°' 250 à 282.
Moniteur des colonies, N"" 21 à 52.
Afrique explorée et civilisée, 1884, N"' 7 à 12.
Revue savoisienne, 1884, N"** 4 à 1 2.
Exploration, N»^ 384 à 414.
Esploratore. Milan. 1884, t. VIII, N"" 6 à 12.
Cosmos de Guido Gora. 1884, t. VIII, N<" 2 à 4.
Oesterreichische Monatschrift fur den Orient. 1884. N°= 6
à 12.
Deutsche Kolonial-Zeitung, N"' Ma 24.
Mouvement géographique, N"' 5 à 21.
Notice to marineers, N^' 164-497.
Société vaudoise des sciences naturelles, N" 90.
Société des études indo-chinoises de Saigon. Bulletin, 1883,
N»" 3 et 4.
Indisch Aardrijkskundig Genootschap. Tidjschrift. N" 4.
Société de géographie et d'ethnographie de Turin. Girco-
lare e statuto provvisorio. Torino. 1884, in-4«, 7 pages.
Deutsche Rundschau fur Géographie und Statistik. VII""^ an-
née, N" 1.
Académie nationale des sciences de Gordoba. Bulletin.
T. VI, N°^ 2 et 3.
Riebeck'sche Niger Expédition. Mittheilungen. N°^ 1 et 2.
Statistisches Handbuch der K. Hauptstadt Prag fur das
Jahr 1882.
DONS d'auteurs ET AUTRES
Elisée Reclus. Nouvelle géographie universelle. Liv. 529
à 560. (Don de l'auteur M. E.)
Vivien de Saint-Martin. Nouveau dictionnaire de géogra-
phie universelle. Liv. 25. (Don de Fauteur M. H.)
José Ricart Giralt. El porvenir de Espana en El Sahara.
Barcelona. 1884, in-8, 26 p. et carte.
Arthur de Glarapède. Quatre semaines sur la côte de Ghine.
Genève, 1884, in-12, 100 pages. (Don de Fauteur.)
(La suite au prochain tiuméro.)
Mo ».
BULLETIN
' EXTRAIT ^
DES PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ
Session 1884-1885.
SÉANCE DU 13 FEVRIER 1885.
Présidence de M . le D'' Dufresne .
A l'occasion de la mort du colonel Roudaire, le Président
rappelle la notoriété que cet officier s'est acquise, d'abord
par ses travaux géodésiques dans le sud de l'Algérie, puis
par l'exploration des Cliotts, et par le projet d'y faire péné-
trer les eaux de la Méditerranée en ouvrant le seuil de
l'isthme de Gabès. Combattu à divers points de vue, ce pro-
jet allait néanmoins recevoir un commencement d'exécution
par la création d'un port à Gabès, amorce du futur canal
destiné à relier la Méditerranée aux Chotts, lorsque la mort
est venue surprendre son promoteur. Toutefois M. Ferdi-
nand de Lesseps a annoncé que l'idée de Roudaire n'est
point abandonnée; un officier, M. Landas, partisan du projet,
a demandé et obtenu de pouvoir suivre aux travaux du port
de Gabès. Le ministre de la guerre le lui a accordé.
Le projet de l'isthme de Gabès amène M. Dufresne à faire
une courte revue des nombreux percements d'isthmes pro-
posés ou déjà entrepris : de l'isthme de Corinthe, de celui de
Panama, du canal de Nicaragua, de l'isthme de Krah, et
LE GLOBE, T. XXIV, 1885. 5
66 BULLETIN.
surtout du canal de la Floride ; autour de cette presqu'île la
navigation est très dangereuse, les primes d'assurance sont
fort élevées, et, en creusant un canal de 220 kilom. pour
230,000,000 de francs, la distance serait abrégée de 1100 ki-
lomètres.
D'après une lettre de Constantinople, communiquée à
M. Dufresne, cette ville vient d'être pourvue d'eaux prises
aux sources de Derkos, à 50 kilom., au moyen d'un canal
qui en amène chaque jour 20,000 mètres cubes; plus tard
cette quantité pourra être portée au double.
Les sources du fleuve Jaune viennent d'être découvertes
par Prjewalski qui publiera sans doute les résultats de son
voyage.
Les Proceedings de la Société de géographie de Londres
renferment, dans leur dernier numéro, un rapport sur un
voyage de quatre années à travers le haut Thibet, l'Himalaya
et les montagnes de l'Inde, que M. Dufresne signale à l'atten-
tion de la Société.
Il présente la publication de M. Dutreuil, de Rhins : le
Congo français, qui rend compte des travaux de Savorgnan
de Brazza pour mettre en communication l'Atlantique et le
Congo moyen par l'Ogôoué et l'Alima. Stanley préconise la
création d'un chemin de ferle long des cataractes du Congo;
mais les terrasses qui supportent le plateau central africain
opposent à ce projet de sérieux obstacles.
La bibliothèque a reçu deux volumes sur la Chine méri-
dionale, traduction de Across Chryse, de Colquhoun, et les
Voyages dans l'Yémen, de M. Renzo Manzoni ^ Passionné
pour les voyages, le neveu du grand romancier, après avoir
visité le Maroc et formé le projet d'aller à Timbouctou, se
rendit à Aden et traversa quatre fois l'Arabie heureuse, qu'il
explora avec soin. Son volume imprimé avec luxe est accom-
pagné d'illustrations, de plans et de cartes.
Lecture est donnée d'une lettre de M. le missionnaire
Paul Berthoud, membre correspondant de la Société.
M. le professeur Chaix fait ensuite une communication sur
' El Yémen, tre anni uell' Arabia felice, Roma tipografia Eredi
Botta 1884.
PROCES- VERBAUX. 67
l'Archipel de la Nouvelle Guinée, de la Nouvelle Bretagne et de
la Nouvelle Irlande, où les Allemands vont établir des colo-
nies.
La Nouvelle Guinée fut découverte en 1528 par Alvaro de
Saavedra qui, lui trouvant une certaine ressemblance avec la
Guinée africaine, lui donna le nom qu'elle porte aujourd'hui.
Les premiers noms attribués à ces parages sont espagnols, ce
qui ne doit pas nous étonner, les Espagnols ayant colonisé
les Philippines. C'est à eux entre autres que nous devons le
nom de détroit de Torrès. Dampier toucha à la Nouvelle
Guinée en 1700; Cook en 1770, Dumont d'UrvilIe en 1827.
Dès lors les colons australiens de Queensland en ont fait une
exploration plus complète pour demeurer maîtres du détroit
de Torrès. Celui-ci est large sans doute; néanmoins il est rendu
dangereux par les écueils madréporiques qui y causent de
fréquents naufrages. Les huîtres perlières y abondent, aussi
la pêche des perles et de la nacre de perle y est-elle devenue
importante.
La partie S.-E. de la Nouvelle Guinée (dont i\I. Chaix a
dressé une carte embrassant la Nouvelle Bretagne et la Nou-
velle Irlande) a été explorée par Owen-Slanley, qui v a trouvé
une chaîne de montagnes de 12,000 à 14^000 pieds. De son
côté, le capitaine Moresby a découvert, entre la Nouvelle
Guinée et les îles D'Entrecasteaux, un passage important qu'il
a nommé China Strail, qui présente beaucoup plus de sécu-
rité que celui de Torrès et, à ce titre, est d'une importance
majeure pour les relations de l'Australie orientale avec la
€hine et le Japon. Moresby a continué l'exploration de la
partie orientale de la Nouvelle Guinée.
Quant à la Nouvelle Bretagne, découverte pai- Dampier en
1699, ce sont des explorateurs allemands qui nous l'ont faii
connaître. Cette île égale la Suisse en étendue, et la supeifi-
cie de'la Nouvelle Irlande dépasse un peu celle de la Savoie.
Ensemble elles ont de 2500 à 2600 lieues carrées. La situa-
lion en est, il est vrai, équatoriale, mais le climat en étant
maritime et les vents alizés y régnant régulièrement, les
colons européens n'y seraient pas exposés à l'influence dépri-
mante des climats tropicaux continentaux. Les ports y sont
nombreux; les forêts superbes; les eucalyptus, les palmiers y
abondent; le sol est fertile. Les montagnes n'y dépassent
68 BULLETIN.
guère 4000 pieds; elles sont d'oiigine volcanique; des diffé-
rents cônes, les uns sont éteints, les autres encore en acti-
vité. En 1878, un volcan surgit dans un îlot et vomit une
telle quantité de pierres ponces, que toute la partie S -E du
détroit en fut obstruée. Deux des volcans sus-mentionnés
portent les noms de Mère et de Père (tlie Molher and the
Father); le premier h 3000 pieds, le second 4000 p.; auprès
d'eux s'en trouvent d'autres aussi en activité.
Revenant à la Nouvelle Guinée, M. Chaix rappelle que la
partie N.-O. appartient à la Hollande qui, toutefois, n'y a pas
encore établi de colonies. L'île entière a 40,000 lieues car-
rées, c'est-à-dire une superficie égale à celle de la France et
de l'Angleterre réunies. Les premières colonies anglaises,
fondées surtout pour garantir celles de Queensland, ont été
créées dans une partie de Tîle complètement plate, où les
rivières charrient une quantité considérable de limon, où le
rivage est changeant, malsain, et où, de plus, les indigènes
sont mal disposés. Pour s'assurer le passage du China Strait,
les Anglais ont pris possession de la partie S.-E. de l'île.
M. le prof, de CandoUe rapporte que, d'après le Bulletin de
la Société nationale d'agriculture de France, la Nouvelle Gal-
les du Sud a souffert récemment d'une extrême sécheresse,
qui a eu pour conséquence des pertes énormes en bestiaux;
les squelettes d'animaux domestiques et sauvages se rencon-
traient en maints endroits; la ville de Sydney a passé trois
jours sans une goutte d'eau potable.
M. Faure offre à la Société une copie de la Carte des bas-
sins erratiques, dressée par x\rnold Guyot, pour le musée de
Princeton, et indique ce en quoi elle se distingue de celles de
MM. Alphonse Favre, Faisan et Chantre. La provenance des
moraines et la nature des roches qui les caractérisent y sont
marquées. Il annonce aussi la constitution, à Neuchâtel, d'une
Société de géographie, d'une centaine de membres, qu'il
espère voir bientôt admise dans l'Association des Sociétés
suisses de géographie. Il communique une lettre de M. Paul
Berthoud relative à la mort d'Oumzila et aux conséquences
qui peuvent en résulter pour la mission des Ma-Goamba.
L'heure est trop avancée pour donner encore lecture d'une
lettre de M. Jeanmairet, compagnon de M. Coillard dans
l'expédition du Zambèze. D'après cette lettre, on peut espé-
PROCÈS-VEEBAUX. 69
rer que le bruit apporté à Genève de la mort de la nièce de
M. Coillard n'est pas fondée. Le roi de Lialui a été détrôné
par ses sujets, qui lui ont donné un successeur; celui-ci
paraît favorable aux missionnaires. A la date du 28 octobre,
M. Coillard se disposait à passer le Zambèze pour le remon-
ter avec des bateaux envoyés par le nouveau roi.
SEANCE DU 27 FÉVRIER 1885.
Pi'ésidence de M. le D"" Dufeesne.
M. Barthélémy Chadebec, présenté par le Bureau, est élu
membre effectif à l'unanimité.
Le Président donne lecture d'une lettre de la Société de
géographie de Manchester qui demande à entrer en rapport
d'échange avec la nôtre. Adopté.
Il paie un juste tribut de regrets à la mémoire de M. Dupuy
de Lôme, inventeur des vaisseaux à hélice, qui ont acquis leur
réputation dès la guerre de Crimée, et des ballons à hélice,
dirigeables dans un air calme. Si un jour, à Taide des aéros-
tats, on réussit à atteindre le pôle nord, une partie de la
gloire lui en reviendra.
Le lieutenant Rogozinski vient de faire l'ascension du
mont Cameroun. Burton y était monté en 1860, et Comber
en 1878. Parti de la côte le 8 décembre 1884, Rogozinski a
atteint le sommet en cinq jours, en passant par des tempéra-
tures très diverses. A Bota, le thermomètre indiquait 38° à
10 heures du matin; au sommet (14,000 pieds), il marquait
4°, et l'explorateur trouva des oiseaux gelés, ce qui indique
un froid plus grand pendant la nuit.
M. Dufresne revient sur le voyage de quatre années à tra-
vers.le grand Thibet par un explorateur indigène pour le
gouvernement de l'Inde. Il rappelle les voyages de Marco
Polo, de Hue et de Gabet, du métropolitain Chrysanthu.s, en
1712, à travers l'Asie centrale jusqu'à Lhassa, où il eut la
bonne fortune d'être traité en hôte par le Dalaï Lama qui le
combla de présents et le renvoya aux Indes avec une bril-
lante escorte, Prjewalski, dans un premier voyage, a pénétré
dans quelques localités du Thibet. Actuellement, il .se dispose
70 BULLETIN.
à rentrer dans ce pays par la Mongolie. Le Pandit, au service
(lu gouvernemenl anglais, reçut l'ordre de traverser le Thi-
bet par Lhassa. Il partit de Dar.jilling, sanatorium des méde-
cins de Calcutta, en avril 1878 et arriva en septembre à Lhassa,
où il fut retenu pendant une année. S'adjoignant comme
marchand à une caravane de Mongols, il pénétra jusqu'à
Sachy, en Mongolie, puis revint sur ses pas jusqu'à Dar-
chembo, mais sans pouvoir rentrer directement dans l'Inde
anglaise. Il dut retourner à Lhassa et traverser des passages
très élevés (12,000 à 15,000 pieds). A Darchembo, ville fron-
tière de la Chine, du Thibet et de l'Inde anglaise, il fut reçu
par la mission catholique qui fit parvenir de ses nouvelles aux
Indes. Obligé de remonter sur les hauts plateaux de l'Hima-
laya, il eut l'occasion de traverser les sources des grands
fleuves Irawaddi et Brahmapoutra. Au bout de quatre années
de voyage, il rentrait à Darjilling ayant fait 2800 milles de
marche, et confirmé les renseignements fournis par Hue,
Gabet et Prjewalski.
M. le prof. Chaix fait ressortir les résultats importants de
ce voyage à une altitude moyenne de lo,000 pieds. La posi-
tion des sources du fleuve Bleu devra être modifiée; il y en a
deux, l'une à l'est, l'autre à l'ouest. Le Pandit a traversé trois
rivières considérables formant le Kin-sha-Kiang. D'après ses
indications, les sources de celui-ci, qui n'est que le cours supé-
rieur du Yang-tsé-Kyang, sont notablement à l'ouest, dans
une région pleine de petits lacs et à la latitude du lac Lob.
Prjewalski, qui a suivi le même itinéraire, a obtenu pour
Suit-tschou, un résultat presque identique. Le Pandit a
séjourné dans une ville monacale où^ sur 4.300 habitants, il y
a 2o00 lamas. L'abbé David, y a vu de la neige en juin. Dans
la région parcourue par le Pandit sont les sources du Mé-
kong, de la Salouen et de l'Irawaddi. Ce dernier ne vient pas
du Thibet; la masse de ses eaux provient de ce que, dans
tout son cours, il appartient au régime des pluies tropicales;
le Brahmapoutra. dont le Tsambo forme le cours supérieur,
ne reçoit pas non plus, du Thibet sec et froid, la quantité
d'eau qu'il roule, il la doit surtout à la mousson du S.-O.,
dont il subit l'influence dès son arrivée aux frontières de
rinde.
La parole est donnée à M. Aloïs Humbert pour une com-
PROCES-VERBAUX. 71
rnunication sur l'Archipel des Maldives, remarquable par
l'étonnante régularité de ses récifs annulaires, composés eux-
mêmes d'autres atolls qui se subdivisent en écueils de la
même forme, dépassant à peine le flot de leurs roches
brisées. Le premier voyageur qui en ait parlé, Ibn Batouta,
les visita en 1340 et y épousa la fille d'un des visirs du sultan.
Les Portugais les redécouvrirent en 1506, mais ne fournirent
que de maigres renseignements. En 1601 François Pyrard,
de Laval, y séjourna, et ses observations furent publiées en
1611. Horsburgh etOwen s'y rendirent en 1832, et après eux
le commandant Moresby et le lieutenant Powell les explorè-
rent avec soin et publièrent une carte dont M. Humbert a
exposé un exemplaire dont il fait présent à la Société. Des
extraits du rapport de Moresby ont paru dans le journal de
la Société royale de géographie de Londres. L'article Ma(-
dive Islands, dans Hunter, Impérial Gazetter of India, con-
tient des données exactes sur la structure des atolls, et dans
Structure and distribution of coral reefs, de Darwin, on
trouve des documents originaux qui lui ont été communi-
(|ués par Moresby.
M. Humbert décrit ensuite cet Arcbipel aux milliers d'îles,
leur structure généralement ovale ou circulaire, avec un
pourtour de coraux. En dehors, la pente est abrupte, à
l'intérieur la profondeur est uniformément de 30 à 35 bras-
ses; en quelques endroits même de 25 à 30 brasses seule-
ment. Cependant Darwin a remarqué que les atolls du sud
ont des lagunes plus profondes que ceux du nord. Les Cha-
gos sont noyées, ce qui confirmerait l'hypothèse de Darwin,
d'un affaissement des terres de la partie méridionale de
cette l'égion.
M. Humbert passe rapidement en revue le climat, la végé-
tation, la faune dans laquelle il signale spécialement l'abon-
dance, de rats, contre lesquels les habitants ne peuvent
garantir leurs denrées qu'au moyen de constructions sur
pilotis; les ressources des indigènes dans la pêche et dans le
commerce des cauris expédiés à Ceylan et en Angleterre,
d'où ils sont envoyés à la côte de Guinée où ils servent de
monnaie. Le nombre des îles babitées est de 175; celui des
habitants de l'Archipel n'est pas bien connu; les estimations
varient entre 20,000 et 200,000.
72 BULLETIN.
M. Humbert fournit encore des renseignements sur le gou-
vernement, la religion, la langue, le commerce, et mentionne
en terminant un article du journal de la Société de géogra-
phie de Londres de 1872, sur les Laquedives, et la constriic-
lion d'un piiare sur Minicoy, entre les Laquedives et les
Maldives.
Le Pi'ésident remercie M. Humbert de son intéressante
communication et du don de la carte de l'Archipel des Mal-
dives.
M. Welter fait remarquer que la flore des Maldives ne
diffère pas beaucoup de celle de l'île Keeling. Il présente une
carte d'Afrique de 1706, dont le centre est couvert de noms,
et où sont indiqués les établissements des Dieppois à la côte
de Guinée, avant les explorations des Portugais.
SÉANCE DU 13 MARS 188o.
Présidence de M. le D'" Dufresne.
Le Président rapporte que le cours donné pai" M. le prof.
Rosier vient de se terminer. Le succès de cet enseignement
s'est maintenu, et l'on peut espérer qu'il sera repris l'au-
tomne prochain.
Le Bureau a pris en main les affaires du Vorort, et de-
mandé au Conseil fédéral le subside de 1000 francs accordé
par les Chambres à l'Association des sociétés suisses de
géographie. Dès qu'il l'aui-a reçu il en informera la Société
de Berne, demeurée chargée de la question du manuel d'en-
seignement pour la géographie, et qui ouvi-ira un concours à
cet effet.
M. Dufresne présente deux cartes nouvelles de l'Afrique
équatoriale, dressées depuis la Conférence de Berlin. L'œu-
vre de celle-ci permet d'espérer d'heureux résultats pour la
science et la civilisation de cette partie de l'Afrique. Les dif-
ficultés relatives à la délimitation des territoii'es de la France,
du Portugal et de l'État libre du Congo, ont pu être résolues
à l'amiable. La carte de Kiepert, à grande échelle, indique
ces limites d'une manière plus précise que celle donnée par
le Mouvement géographique de Bruxelles; en revanche, celle-
PROCÈS-VERBAUX. 73
ci, s'étendant d'un océan à l'autre, a permis d'y marquer la
nouvelle possession que l'Allemagne vient d'acquérir à l'ouesi
de Zanzibar, avec Condoa pour centre.
L'expédition de J. Thompson, de Mombas au Victoria-
Nyanza, par le pays des Masaï, a bien réussi malgi'é les ob-
stacles suscités par les Masaï, par le relief du sol dans la
région du Kénia, et par l'insalubrité de certaines parties du
pays traversé.
Le séjour de Jobnston à différentes altitudes du Kilimand-
jaro, lui a permis de faire une étude assez complète de la
météorologie, de la flore et de la faune de ce massif volcani-
que dont les deux cônes^ le Kibo et le Kimaouenzi, ont, l'un
18,800 pieds, et l'autre 16,250.
Il s'est formé h Yokohama une société d'études composée
de savants et d'élèves revenus d'Europe, qui se proposent de
substituer, dans l'écriture, les caractères latins aux caractè-
res japonais. Il y a aussi au Japon un mouvement prononcé
contre l'introduction de lettres chinoises dans l'écriture japo-
naise; il procède de l'antagonisme toujours plus marqué
entre le Japon et la Chine.
M. le D"" H. Lombard senior fait une communication sur le
climat des États-Unis d'après la carte du D" Denison \
La climatologie des Étals-Unis de l'Amérique du Nord a
fait l'objet de nomhreuses recherches. Déjà en 1837 M. Lobin
Blodget a publié un gros volume accompagné de nombreuses
cartes météorologiques sur la distribution de la température
et de la pluie pour chaque saison ainsi que pour l'année
entière. Ce travail a été continué dans les rapports du dixième
recensement opéré en 1880. L'on y trouve une série com-
plète de cartes météorologiques construites par M. Henry
Ganett. Enfin le travail que je mets sous vos yeux a été publié
en 1884 par le D"" Charles Denison de Deuver dans l'État du
Colorado; auteur de plusieurs ouvrages de climatologie médi-
cale, et en particulier quant à l'influence thérapeutique des
altitudes sur les malades atteints de phtisie pulmonaire.
Les cartes du D'' Denison sont au nombre de cinq. La pre-
r ' D'' Charles Denison's seasonal climatic map of the United
States. Folio. Chicago, 1884
74 BULLETIN.
mière donne la répartition annuelle de la nébulosité, de la
température, de la pluie et de la direction des vents.
Il y en a quatre autres qui montrent la répartition trimes-
trielle de la température et de la nébulosité pour les quatre
saisons. Ces caries sont déduites des observations du Bureau
central dans 136 stations météorologiques.
Le premier objet qui frappe les regards dans la carte prin-
cipale : c'est la coloration d'un rouge plus ou moins foncé qui
correspond à la nébulosité; celle-ci est exprimée par des
chiffres rouges qui correspondent à la clarté du ciel et à l'in-
tensité des nuages.
Les courbes qui traversent la carte dans tous les sens font
connaître la répartition de la température et constituent les
isothermes.
Les lignes poinlilléeis désignent la quantité annuelle des
pluies.
Des flèches de diverses formes font connaître la direction
des courants aériens; ainsi que leur degré de sécheresse ou
l'humidité.
L'hypsométrie a aussi trouvé place dans cette pléiade de
documents météorologiques qui complètent l'immense travail
du D"' Denison, et comprend encore le résumé des observa-
lions qui ont été faites dans les 136 stations établies par le
gouvernement fédéral.
Essayons maintenant de résumer les faits contenus dans
les cartes du savant climatologiste. Mais auparavant nous
devons faire une remarque préliminaire ; c'est que le climat
des États-Unis est plus froid, à latitude égale, que celui de
l'Europe. C'est ainsi qu'à New-York avec une latitude de
40° 42' l'on n'a qu'une température annuelle d'à peine 11°
(10°,56); tandis qu'à Naples dont la latitude nord est à peu
près la même (40°50') la moyenne annuelle est de 16°,33. A
Boston, sous une latitude de 42° 21' la température moyenne
ne dépasse pas 9°, 39; tandis qu'à Marseille qui est d'un degré
plus au nord que Boston, c'est-à-dire 43° 18', la moyenne
annuelle est de 14°, 61.
Ce n'est pas seulement sur les côtes orientales que le climat
est plus froid qu'en Europe; mais aussi dans l'intérieur du
continent. C'est ainsi que dans le Wisconsin et le Minnesota
la température moyenne ne dépasse pas 7°, tandis qu'à lati-
PROCÈS- VERBAUX. 75
tude à peu près égale, elle est à Turin et à Milan de 11°, 7 et
de 12°, 8.
Cela dit, examinons la carte du D"" Denison et signalons
tout d'abord la forte nébulosité qui occupe le nord-ouest,
principalement dans la région des lacs; on observe, en outre,
un ciel moins nébuleux sur toute la côte orientale et dans la
partie septentrionale de la côte occidentale. Mais presque
partout ailleurs, c'est-à-dire dans les régions centrales, le ciel
est presque toujours serein et sans nuages. En sorte qu'on
peut diviser les États-Unis en deux zones à peu près égales:
l'une, située à Test, est plus ou moins nébuleuse; l'autre, qui
comprend tout le centre et les régions occidentales, jouit d'un
ciel habituellement dépourvu de nuages. La seule exception
est le nord-ouest dans les États de l'Orégon et de Washington.
En ce qui regarde la température, les courbes isothermes
forment un contraste parfait entre le nord et le midi. En effet
tandis que la courbe de 4°, 44 traverse tout le continent au
nord, celle de 21°, il se rencontre en Californie et sur toutes
les côtes du golfe mexicain; l'on trouve même en Floride une
température moyenne de 23°,89.
Dans les régions moyennes et centrales, les courbes iso-
thermes sont très accidentées, elles oscillent entre 10° et
12°, 78.
La quantité des pluies suit à peu près la même marche que
la nébulosité. Dans le nord-est, elle atteint 1101""°; dans le
nord-ouest elle dépasse 1323""". Dans les régions méridionales,
où la nébulosité est peu prononcée, les pluies sont néanmoins
très abondantes et atteignent la proportion de 1630™".
Mais les parties centrales avec leur ciel clair n'ont que des
pluies rares qui dans certaines localités ne dépassent pas
^54°'°'.
Ainsi donc, l'on observe tous les extrêmes d'humidité et
de sécheresse dans les différentes régions du continent nord-
américain; exactement comme nous l'avons signalé pour la
température.
Si nous quittons maintenant la carte où sont réunis les
documents annuels et que nous consultions celles des quatre
saisons^ nous ferons les remarques suivantes :
1° L'hiver est très nébuleux dans tout le nord et l'est du
continent, ainsi que dans le nord-ouest; l'atmosphère y est
76 ^ BULLETIN.
claire dans les régions centrales. Le froid y est très rigou-
reux dans le nord, puisqu'on y trouve les courbes de — 9°,44
et de — 6°,67. Les premières dans le Dakota et le Minnesota,
les secondes traversent le Maine, Michigan, Dakota et arri-
vent à l'État de Washington sur la côte nord-ouest. Les iso-
thermes de — 1°,11 et de 1°,67 occupent les États du nord
et une partie de ceux du sud. Celles de 4°, 44 traversent la
Caroline du nord et le Tennessee et remontent ensuite vers
le nord jusqu'à l'Orégon.
Les isotiiermes de 7°,22, de 10°,00 et de 12°,78 sont spé-
ciales aux États du centre et du sud, tandis que celles de
15°, oO et de 21°, 11 traversent la Floride; mais ne dépassent
pas le milieu et l'extrémité de cette presqu'île.
Comme on le voit, l'hiver est très froid dans le nord et le
centre des États-Unis; il est tempéré et même chaud dans les
régions méridionales. Le ciel est nébuleux au nord et à l'est;
il est clair dans le centre du continent où la pluie est très
peu abondante.
20 L'efe est très chaud, puisqu'il n'y a point d'isotherme au-
dessous de lo°,.56 et que celles de 23°,89 et même de 27°,22
se rencontrent à l'est et au midi. Le ciel est remarquable-
ment clair, et la sécheresse extrême dans les régions centrales
et occidentales, où l'on ne compte que 127°"° de pluie dans
toute l'année. Il n'en est pas de même pour les côtes méridio-
nales, où les pluies estivales sont fréquentes et où la quan-
tité annuelle atteint 1523°"".
3° Le printemps est assez tempéré et le ciel peu nébuleux,
surtout dans les régions centrales; toutes les côtes sont hu-
mides.
40 Vautomne est déjà froid dans le nord, puisque l'iso-
therme descend jusqu'à — 3°,89 et 1°,11. Mais au midi, la
température reste assez élevée avec des isothermes de 15°,54
et même de 20°, 11. L'atmosphère est très nébuleuse dans le
nord, surtout dans la région des lacs; tandis que, au centre et
à l'ouest, le ciel est presque toujours clair, sauf dans l'extrême
nord-ouest. Ce n'est pas sans raison que l'automne est con-
sidéré comme la saison la plus favorable. L'on y trouve des
périodes souvent assez longues marquées par une douce
température et par un ciel clair; aussi sont-elles désignées
comme un été indien (indian summer). Les pluies sont rares.
PROCÈS- VERBAUX. 77
surtout au centre, tandis qu'au nord il en tombe une assez
forte proportion.
Résumé. Les détails qui précèdent sont venus confirmer-
notre appréciation de climat extrême, aussi bien pour le froid
et la chaleur que pour la nébulosité et la sécheresse ; la pre-
mière ayant son maximum au nord el à l'est ; la seconde dans
les régions centrales où il ne tombe presque pas de pluie,
tandis qu'elle est abondante au nord et au midi.
Nous avons vu que les côtes du golfe mexicain et surtout
celles de la Floride avaient un climat fort agréable pendant
l'hiver; ce qui les a fait rechercher comme très favorables
aux personnes atteintes d'anémie, de névralgie et de phtisie
pulmonaire.
En outre, les régions montueuses du centre sont mainte-
nant fréquentées par de nombreux malades qui viennent res-
pirer un air dilaté, sec et froid.
C'est à Denver, le Davos américain, dans le Colorado et à
l'altitude de 2033 mètres que le D-" Denison à institué un
sanatorium pour les phtisiques. Il a obtenu par ce séjour
hivernal un grand nombre de guérisons ou tout au moins
d'amélioration durable.
Le climat extrême des États-Unis exerce une influence très
prononcée sur la constitution de ses habitants d'origine euro-
péenne, qui ne tardent pas à perdre leur embonpoint, leurs
cheveux bouclés et le coloris du visage de leur pays natal;
remplacés par le teint mat qui fait reconnaître, à première
vue, le Yankee, quoiqu'il descende d'un anglo-saxon ou d'un
Scandinave. Ses cheveux lisses et son long cou contribuent
encore à cette transformation qui n'est pas bornée aux carac-
tères physiques et qui s'étend également aux quahtés morales
et développe chez ces colons du nouveau monde une acti-
vité dévorante et une impressionabilité presque maladive,
qu'il est permis d'attribuer, en partie du moins, à l'influence
d'un climat extrême avec des alternatives de froid ou de
chaleur accompagnées d'une grande sécheresse.
Il n'est pas dès lors difficile de comprendre pourquoi la
Providence a permis qu'une population énergique et déjà
civilisée vînt remplacer des premiers habitants de ce vasie
contingent où tout se développe sur une échelle grandiose :
Où l'on voit surgir des villes immenses là où en 1830 il n'y
78 BULLETIN.
avait que 70 habitants, remplacés maintenant par plus de
riOO.OOO.
Où l'on voit l'une des plus grandes rivières du monde, le
Père des Eaux comme l'appellent les Indiens.
Où l'on trouve une cascade plus grande qu'aucune autre
sur la surface du globe.
Où il existe de vastes cavernes sur un parcours de plu-
sieurs lieues avec des rivièi-es et des lacs peuplés de poissons
aveugles.
Où l'on voit les plus gros et les plus vieux arbres du monde
entier, puisqu'ils atteignent et dépassent même une centaine
de mètres.
Où surgissent au centre d'un parc immense les plus hauts
geysers et de nombreuses sources d'eau bouillante.
On comprend dès lors que les habitants d'un pays qui
compte autant de merveilles, dont la population s'accroît si
rapidement, puissent s'écrier je suis citoyen de la grande
république américaine, avec le même orgueil qui animait les
citoyens de cette autre république lorsqu'ils disaient : civis
romanus sum.
Le Président remercie M. Lombard de ce travail intéres-
sant qui résume d'énormes volumes; il applique les obser-
vations présentées, au tempérament des Américains du nord
et du sud, et à l'influence que le climat exerce sur leurs habi-
tudes sociales.
M. Alexandre Lombard demande si les cultures aux États-
Unis n'ont pas modifié le climat comme c'a été le cas au
Canada ?
M. le D'" Lombard répond que, d'après les recensements,
certaines maladies, les fièvres d'accès, par exemple, disparais-
sent avec des cultures bien établies. Mais il est difficile de
dire si le climat a été changé. Les résultats ne portent pas
sur une période assez longue.
M. Aloïs Humbert se rappelle avoir vu, dans le journal
Nature, que dans l'ouest des États-Unis, dans la Nevada
entre autres, le climat a été modifié.
M. le prof Chaix présente une communication sur l'ou-
vrage de M. Edouard Na ville : The store-citij of Pithom and
the route of the Exodus, publication de VEgypt Exploration
Fund, avec 13 planches et 2 cartes.
PROCÈS-VERBAUX. 79
Dans ce volume sont résumés les résultats des fouilles et
découvertes les plus récentes de notre compatriote sur l'em-
placement de la ville des Juifs de Pithom. Il est écrit dans un
anglais irréprochable et accompagné de planches et d'hiéro-
glyphes dont l'honneur revient à M"^ Naville. Des deux car-
tes adjointes à l'ouvrage, celle du Wadi-Tumilat est due à
M. Chaix.
En 1798 et 1799, M. Lepère, ingénieur français, explora
l'ancien canal du Nil à Suez; il fit un nivellement le long
duquel il trouva des traces oblitérées de ce travail. Des mon-
ticules indiquaient l'emplacement d'antiques cités ; Heroopo-
lis, Pithom, Serapeum, Clusma, port sur la mer Rouge. Vers
le N.-E., M. Naville distingua un de ces monticules, le Tell el
Maskutah, colline de la statue, où il trouva un monolithe
présentant trois têtes réunies, un roi entre deux divinités. La
construction du canal d'eau douce, conjointement aux tra-
vaux destinés à mettre en communication les deux mers, fit
découvrir d'autres débris, entre autres un second monolithe,
puis deux sphinx ; il n'était pas difficile de supposer qu'il
pouvait y avoir eu là une avenue. Les monuments avaient
été enlevés et placés au musée d'Ismaïlia. Néanmoins l'idée
de M. Naville d'explorer l'emplacement de Tell el Maskutah
fut une heureuse inspiration.
Une carte représente le plan des fouilles. Une muraille de
briques crues de 8"° d'épaisseur, entoure une vaste enceinte
carrée. A deux mètres fut trouvé un nouveau monolithe
avec une inscription, un cartouche du roi Nectanébo, d'une
dynastie égyptienne ; puis un temple avec des inscriptions et
des statues, des bas-reliefs; plus loin encore, quantité de
chambres toutes semblables entre elles, sans portes ni fenê-
tres, des magasins ou greniers, mais comblés de débris
comme si l'on avait voulu faire disparaître ces cavités.
M. Naville en a exploré un petit nombre et y a trouvé des
fragments d'inscriptions, de sculptures; on pourrait y décou-
vrir encore d'autres statues. Les inscriptions étant impar-
faitement exécutées et oblitérées, il a été difficile de les
déchiffrer; celles des tombes étaient dédicatoires ou votives;
l'une, entre autres, à un personnage en office, un gardien du
temple de Thom et conservateur des magasins. Au reste le
nom de Thom se retrouvait dans toutes, ce qui indiquait à
80 BULLETIN.
M. Naville qu'il était bien sur l'emplacement de Pilhom, dans
le nome de Thoumat. Au temps des Ptolémées elle porta le
nom de Heroopolis, mais le nom de Hero a précédé l'usage
de la langue grecque. A la fin du volume sont deux inscrip-
tions en latin, nommant Maximien et Septime Sévère. L'in-
scription la plus importante n'a pas moins de 28 lignes; elle
loue Ptolémée Philadelphe et Arsinoé. Le roi venait de faire
ouvrir une branche du canal; il avait fondé, une ville du nom
d'Arsinoé, à peu près vers le milieu de l'isthme et, plus au
sud, sur la côte éthiopienne de la mer Rouge, une ville de
Ptolémaïs Tfiérôn dont les colous devaient chasser en Ethio-
pie les éléphants de guerre des haras royaux. Une route con-
duisait par deux embranchements vers la mer Rouge d'une
part, et vers Péluse de l'autre. Les données géologiques sur
l'extension de la mer Rouge , sont d'accord avec la géogra-
phie historique telle qu'elle ressort des indications fournies
par Ptolémée et l'itinéraire d'Antonin.
Le Président adresse h M. Chaix les remerciements de la
Société et le prie de vouloir bien ultérieurement entretenir
celle-ci de l'ouvrage de M. Naville sur le Livre des morts, en
cours de publication.
M. Dufresne présente à la Société M. Fritz MûUhaupt, de
Berne, auteur d'une proposition sur la formation d'une orga-
nisation centrale chargée de relier entre elles les sociétés de
géographie et de propager les résolutions prises dans les
congrès internationaux. M. Mùllhaupt en offre quelques
exemplaires à la Société.
La parole est donnée à M. Faure pour lire son Rapport
sur la session de l'Association des sociétés stnsses de géogra-
phie à Berne, eu 1884 :
Appelé par le Bureau à faire rapport sur la session de
l'Association des sociétés suisses, à Berne, en août de l'année
dernière, sans avoir d'ailleurs eu le mandat d'y représenter
notre Société, je devrais commencer, par égard pour l'an-
cien Vorort et pour les sociétés suisses représentées à
Berne, par des excuses sur le long délai apporté à la présen-
tation de ce rapport. Il n'a pas tenu à nous que votre Société
fût nantie, dès le commencement de novembre passé, soit
(les travaux accomplis par l'Association, soit des questions
renvoyées à notre examen comme nouveau Vorort, soit
PROCÈS- VERBAUX. 81
enfin delà réception fnilernelle que nous avait préparée nos
amis de Berne, et des agi-éments qu'ils nous ont procurés à
la fin de chacune des journées de travaux. Quelque étrange
que puisse leur paraître le fait de la présentation tardive de
ce rapport, ils comprendront que ce délai n'a eu pour cause
ni un manque d'intérêt de votre part poui' les affaires de
l'Association, ni, de la part du rapporteur, un oubli de leurs
bons procédés.
Qu'il me soit permis de relever, dès le début, l'empresse-
ment du précédent Vorort à prendre en mains les affaires qui
lui avaient été transmises par la session tenue à Zurich en
août 1883. En efl'et, dès le 18 octobre de la même année, son
Bureau prenait connaissance des travaux de Zurich et des
questions qui lui incombaient désormais, et il en préparait la
solution. Je signalerai en particulier les démarches à faire
pour obtenir, de la part de la Confédération, une subvention
en faveur de l'Association des .sociétés suisses de géographie,
mandat dont il s'est acquitté de la manière la plus sage, et
aussi la plus heureuse, puisqu'à la suite du mémoii-e qu'il a
présenté au Conseil fédéral, à l'appui de cette demande,
l'Assemblée fédérale a accordé à notre Association une sub-
vention de 1000 francs. — Je mentionnerai encore l'étude de
la question de la composition d'un ouvrage de géographie à
Cusage des écoles et des familles de la Suisse, et celle de la
confection de bonnes cartes et de reliefs, à un prix modique
pour les élèves des écoles, sur lesquelles j'aurai à revenir,
et qui, comme la première, furent abordées sans délai par le
Vorort, et confiées cà quelques-uns des membres de la Société
de Berne, pour être élaborées en vue de l'assemblée géné-
rale que celle-ci devait recevoir. Bon exemple pour nous,
qui avons à racheter le temps pour l'étude des questions que
nous a léguées la session de Tannée dernière. Nous pourrons
profiter aussi de l'exemple de Berne quant à la préparation
du programme de l'Assemblée générale que nous aurons à
noire tour l'année prochaine.
Dans la session de 1882, à Genève, le programme était
extrêmement chargé, tellement que, dès 8 heures du matin
jusqu'à 6 et même 7 heures du soir, les travaux absorbaient
toutes les heures de chaque journée, et qu'il n'était pas pos-
LE GLOBE, T. XXIV, 1885. 6
82 BULLETIX.
silile de se cécréer. La nuil seule nous était accoi'dée pour
recouvrer ôe^ forces en vue des labeurs du lendemain.
Plus sages que nous ne l'avions été, nos amis de I3ei"ne
avaient préparé leur programme de manière à ce (\ne les
travaux du malin et ceux de l'après-midi fussent coupés par
3 heures de repos, et aucune des séances ne dépassait 2 V2 h-î
celles du matin duraient de 9 h. V2 ^ niidi; celles de l'après-
midi ne reprenaient (ju'à 3 heures, pour se terminer à o h.;
encore ces dernièi-es, par leur nature même, étaient-elles
destinées à i-eposer des labeurs de la matinée. Les sujets de
l'exploration de Madagascar par M. le D' Keller de Zurich,
la vie et les travaux d'A. G. en Amérique par votre rappor-
teur, le voyage de M. H. Moser dans l'Asie centrale, et l'explo-
ration du Léman par M. Messerly ne devaient pas provoquer
de discussion. Et après 5 heui'es, il restait de longues heures
pour la promenade et le délassement sur la terrasse du Casino
ou au Musée, où le Vorort nous avait ménagé la jouissance
d'excellents concerts de la Société de l'orchestre de la ville
de JBerne. Gomme vous le voyez le programme promettait
l'agréable en même temps que l'utile, et la réalité a répondu
à ces promesses.
N'étant allé à Berne que comme simple membre de notre
Société, je n'ai naturellement pas assisté aux séances admi-
nistratives des délégués chargés d'un mandat spécial; je ne
peux donc vous rapporter ce qui s'est fait dans les séances
administratives que d'après les procès-verbaux ; encore ne
relèverai-je de ceux-ci que: l^le l'apport rédigé par le secré-
taire général, M. Reymond-le-Brun. sur l'activité du Yorort
depuis la session de Zurich (voy. V*" Jahresbericht, p. 2 1 3-22 i) ;
2° l'approbation donnée à la marche suivie par le Vorort dans
la question d'un ouvrage de géographie à l'usage des écoles
suisses; 3" la proposition de Saint-Gall d'ajourner a deux ans
les Assemblées générales jusqu'alors annuelles ; 4° le choix de
Genève comme nouveau Vorort pour une période de deux
ans; oMa décision d'après laquelle le Vorort doit présenter à
l'Assemblée générale un rapport sur son activité pendant la
dui'ée de ses fonctions ; et Vf celle en vei'tu de laquelle, le
procès-verbal renfermant les propositions et les résolutions
des Assemblées administratives et généi'ales doit être vérifié
et signé pendant la durée de la session, par le pi'ésident, par
PROCÈS-VERBAUX. 83
deux délégués appartenant à d'autres Sociétés que le Vorort,
et par le secrétaire.
Ces résolulions ont nécessité quelques adjonctions aux sta-
tuts et l'èglements de l'Association.
Dans la première séance de travaux proprement dits, le
Président, M. le D' Th. Sluder, professeur, exposa l'état actuel
des connaissances géographiques et les questions à traiter par
l'Association. Les résolutions adoptées la veille parla réunion
des délégués furent approuvées. Puis M. Lûthy, directeur de
l'exposition scolaire fédérale, auquel avait été confié le soin
d'étudier la question de la confection de cartes et de reliefs
pour les écoles, lut un mémoire détaillé, témoignant d'une
connaissance exacte des besoins de nos écoles, d'une grande
expérience de l'enseignement, et de vues justes sur lesmoyens
à employer pour répondre aux desiderata signalés. Après
une discussion approfondie du sujet, une commission fut
chargée de coordonner les observations présentées, et, du
travail de celle-ci, ressortit la résolution de demander:
1° Que la Confédération fa.sse confectionner des reliefs de
district au '/,,,,^, et subsidiairement au '/,,,,,;
2" Que la Confédération fasse éditer de petites cai-tes d'écoles
dans le genre des cartes reliefs de Leuzinger et des cartes
Wurster-Randegger ;
;j" Que la Confédération vende ces cartes et ces reliefs au
prix coûtant;
4° Que la Confédération veille à ce que, dans les écoles de
recrues d'instituteurs, ceux-ci soient préparés à l'étude de la
carte topogi-aphique et à la to|)ographie, de manière à ce
qu'ils puissent confectionner eux-mêmes des cartes et des
reliefs pour leur enseignement de la géographie suisse.
Le mémoire de M. Lùthy nous a été envoyé pour que nous
pussions, comme Vorort, suivre aux résolutions prises à
Eerne. Malheureusement le laps de temps pendant lequel les
affaires du Yoroit ont été suspendues a amené M. Luthy à
réclamer son travail. Je crois cependant qu'il suffirait d'une
demande de notre part à l'auteur pour en obtenir une copie.
Nous en avons besoin pour l'accomplissement de notre man-
dat auprès du Conseil fédéral.
Vint ensuite la question du livre de géographie pour l'école
et la famille, transmise à Berne par la session de Zurich.
84 BULLETIN.
Le Vororl avait cliai'gé de celle étude une commission com-
posée de M. le D"" Pétri, prof, à l'Université et de M. l'inspec-
teur Landoll; leurs vues étaient résumées en (pielques pages
impi'imées et remises aux assistants. Celles de M. le D"" Pétri
fuient développées avec talent par l'auteur présenta la séance,
et fournirent matière à une discussion nouri-ie. M. F^andoll
n'ayant pas pu y assister, son exposé demeure à titre de docu-
ment entre les mains de la Société de Berne, qui reste char-
gée de la poursuite des éludes à ce sujet. Elle se propose
d'ouvrir à cet elTet un concours, entre les géographes des
deux parties de la Suisse. Le manuscrit le meilleur sera cou-
ronné par le jury; s'il est en allemand on le fera traduire en
français à l'usage des écoles de la Suisse romande, si au con-
traire c'est un manuscrit français qui remporte le prix, il sera
traduit en allemand pour les écoles des cantons de langue
allemande. Qu'il me soit permis d'ajouter que, dans la séance
de raprès-midi où je fus appelé à exposer la méthode par
laquelle notre compatriote A. Guyot a renouvelé l'enseigne-
ment de la géographie aux États-Unis, la vue des manuels
publiés par Guyot a pleinement satisfait les membres qui
avaient pris pai't à la discussion du matin, et que M. le Pré-
sident voulut bien exprimer la pensée que si la Commission
du Vorort avait eu ces ouvrages sous les yeux, ils auraient
certainement facilité son Iravail, et l'espoir que l'Association
et ses membres s'etïorceraient de faire connaître le système
de Guyot et d'en faciliter l'application à l'enseignement dans
les écoles de notie patrie. Les éditeurs de New-Yoï'k ont eu
l'amabilité de donner à la Société de géographie de Berne et
au Département de l'instruction publique, dont le président^
M. Gobât, pi'end un grand intérêt à la réforme de Tenseigne-
merit de la géographie, la série complète des manuels de
Guyot depuis V Introduction insqa'â la Physical Geographij, en
sorte que nous pouvons espérer voir prochainement nos
écoles dotées d'un manuel qui bénéficiera des avantages
offerts par ceux "que notre compatriote a composés pour les
élèves des écoles des États-Unis.
Parmi les travaux des séances du matin je mentionnerai
encore le mémoire de M. Rohner, de Hérisau, sur l'établisse-
ment de Collections géographiques pour les écoles, soit pi"i-
maires, soit secondaires et supérieures, étude très solide,
PROCÈS-VERBAUX. 85
basée sur le système intuitif, qui réclame pour renseigne-
ment, non seulement des caries, des reliefs, des globes, mais
encore les objets du règne minéral, de la flore, de la faune,
des produits de l'industrie, et pour les classes supérieures,
des tableaux géograpbiques el etbnographiques, des produits
de la nature et de l'art, des appareils pour la géographie
mathématique, etc.
La discussion cà laquelle donna lieu le ti-avail de M. Rohner
fil comprendre que la question n'était pas suffisamment mûre
poui' qu'il fût possible de prendre une décision immédiate,
el l'Assemblée chargea le nouveau Vorort de nommer une
commission qui aura à <■ examiner le mémoire de M. Roliner
dans son ensemble et dans ses détails, pour préparer la solu-
tion de la question dans une prochaine session. »
Le rapport de iM. Frilz Mûllhaupt sur la formation d'une
organisation centrale chargée de relier entre elles les Sociétés
de géographie el de propager les résolutions faites dans les
Congrès internationaux, fut aussi, après discussion, transmis
au nouveau Yorort pour étude ultérieure plus approfondie.
Enfin le mémoire de M. Messerly sur l'exploration scienti-
fique du Léman dont l'auteur n'était malheureusement pas
à la réunion de Berne, fut également l'envoyé à notre Vor-
ort, pour renseignements plus détaillés à demandera M. Mes-
serly en vue d'une session ultéi'ieure.
Le projet d'exploration à Maihigascar de .M. le D"" Relier,
privat-docent à Zurich, lui fournil l'occasion de présenter une
élude très complète des connaissances actuelles de celte île,
et de ce qu'il reste à y explorer au point de vue de la faune,
de l'ethnographie et de ranthropologie, ainsi que sous le
rapport colonial et commercial. M. Relier exposa en outre les
voies et moyens qu'il compte adoi»ler pour la réalisation de
son projet, el exprima l'espoir que l'Association des Sociétés
suisses de géographie lui prêtera son appui moral auprès des
autorités fédérales, s'il doit s'adresser à elles pour exécuter
son dessein.
Une maladie de M. H. Moser l'a malheureusement empêché
de venir exposer lui-même à Berne ses voyages dans l'Asie
centrale; l'Association n'a cependant pas été complètement
privée de la communication qu'elle espérait entendre. Un ami
de .M. Moser, M. le D*- Nuesch, de Schafl'house, voulut bien
86 BULLETIN,
venir lums lire le l'écil rédigé par le voyageur. Je n'appren-
drai i-ieii aux lecteurs dei^ lettresdu Turkeslan publiées parle
Journal de Genève, en leur disant i|iie cette lecture fut une des
productions les plus intéressantes de nos séances Vous poiu-
rez d'ailleurs, je l'espère, vous procurer la satisfaction délire
l'ouvrage entier de M. Moser, qui, si Je suis bien informé,
est en cours de publication à Paiis.
Ce rapport est déjà bien long et cependant je dois men-
tionner encore l'espoir donné à Berne, et réalisé depuis notre
session, de voir se créer à Aarau une Société de géographie.
Notre Société a été informée de cette fondation, et le Vorort
fera le nécessaire pour l'attacber à l'Association ce nouveau
membre. — Pas n'est besoin de revenir sur la grâce parfaite
de l'accueil de nos amis de Berne. Je n'en relèverai plus
qu'un trait; notre seconde soirée, après la clôture de la ses-
sion, fui lrout)lée parla pluie; pas moyen de la passer, comme
la veille, sur la terrasse du Casino, a causer amicalement avec
accompagnement de la musique de l'orchestre. Mais, pendant
le souper, voici venir une invilation du dii-ecteur de celui-ci
à nous rendre au Musée, où nous lermintàmes notre soirée
aux accords harmonieux des morceaux les mieux choisis,
parmi lesquels je ne signalerai que celui du Tour du monde
en musi(jue, aimable à-propos pour les membres des Sociétés
de géographie. Vous pensez bien que nous ne lui refusâmes
pas nos chaleureux applaudissements. Ce futsous l'impression
d'une vive reconnaissance pour nos amis, qui nous avaient
procuré des jours si utiles parle travail accompli, et si agréa-
bles par les délassements don! ils avaient enti-emélé nos la-
beurs, que nous leur dîmes adieu, en leur donnant rendez-
vous ici pour 1886.
Je devrais peut-être demander un iiill d'indemnité à notre
Société pour avoir, en l'absence de son délégué, accepté pour
elle la charge de Vorort en vue delà prochaine session. Mais,
outre que ce choix était dicté pas le règlement, puisque Saint-
Gai! et Bernei ayant reçu l'Assemblée générale en 1883 et
iSS'i-, c'était à notre tour de la recevoir en 1886, je croirais
faire injure à vos sentiments pour les membres des Sociétés
sœurs de la nôtre, en doutant de votre empressement à leur
préparer une session aussi féconde en travaux utiles à l'avan-
cement de la science que nous cultivons, en même temps
PROCÈS-VERBAUX. 87
qu'agréable par les délasseinenls que vous saurez leur mé-
nager. (Approbation.)
M. le Président, au nom de la Société, remercie iM. Faure.
SÉANCE DU 27 MARS 1885
Présidence de M. le D"" Dufresne.
Le président présente trois ouvrages donnés à la Bihlio-
tlièque par M. G. Moynier : la nouvelle édition allemande de
la Géographie universelle de baWi, mise à jour et illustrée,
du D'' J. Cliavanne; rOA'«e/^f.de Scinveiger-Lerchenfeld,el un
volume de statistique de Euenos-Ayres ; puis une carte de
Chine en russe, don de M. Venukof (M C), qui a bien voulu
l'accompagner de renseignements sur les auteurs. M. Emile
Chaix aura la bonté de l'examiner el d'en faire un compte
rendu.
M. Dufresne communique des nouvelles de l'expédition
de Serpa Pinto, de l'océan Indien vers la partie de l'Afrique
comprise entre la colonie de Mozambi(iue el le lac B;in-
gouéolo; el de celle de Victor Giraud, arrivé récemment à
Paris, où la Société de géographie lui a fait un bienveillant
accueil. Le Bulletin de Marseille donne un compte rendu de
la séance de la Société de géographie de cette ville où
M. Giraud a raconté son exploration, et une lettre de Zanzi-
bar exposant les vicissitudes éprouvées par le voyageur
depuis son arrivée à Karéma ; M; Dufresne en donne lecture.
M. le professeur Chaix fait rapport sur une carte, de Mada-
gascar publiée par les Missions catholiques, et due à M. Gran-
didier. Le premier document cartographique que nous ayons
de Madagascar est du comraodore Owen, qui en releva la
côte occidentale avec lieaucoup de soin et siynala la l'ichesse
qu'elle oll're par une série de bons ports, à l'embonchure de
rivières abondantes en eau. La côte orientale ne fui explorée
que plus lard, les ports n'y abondent pas. Quant aux travaux
à l'intérieur, autres que ceux de M. Grandidier, ils se tirent
sans grand apparat sous les auspices des Sociétés missionnai-
res des Pères jésuites et de l'Angleterre, qui fournirent des
»0 RITLLETIN.
reconnaissances du plus haut inlérêl. L'orographie de la
carie fait voir que les chaînes ne sont pas disposées symé-
triquement; il y en a plusieurs parallèles à la côte; la plus
orientale est heaucoup plus près de la côte que du centre de
l'île. M. Chaix attire particulièrement Tattenlion sur la pro-
vince des Betsiléos soumis par les Hovas, mais seulement
après des années de guerre dans lesquelles leurs montagnes,
forteresses naturelles aux escarpements abrupts, leur permi-
rent de prolonger la résistance et de soutenir des sièges qui
coûtèrent beaucoup de sang aux assaillants. La carte a de
grands mérites de clarté, d'exécution, d'élégance; peut-être
est-elle un peu trop remplie, vu l'ignorance où l'on est
encore sur certaines pai'ties de l'île inexplorées jusqu'ici.
M. Humbert ajoute que M. Grandidier a décrit, dans de
magnifiques volumes, la faune vivante de Madagascai- et
aussi la faune éteinte; il a trouvé en particulier un liippopo-
tarae fossile, trouvaille très importante au point de vue de
l'histoire zoologique de cette île où l'hippopotame ne se ren-
contre plus. Il a donné aussi, dans une livraison spécialement
géographique, une étude de cartographie comparée expo-
sant les progrès faits à cet égard,
M. Faiire fait une communication sur les explorations dans
le district de Kimberley, dans la partie N-.O. de l'Australie.
La fondation de deux Sociétés de géographie en Australie,
à Sydney et à Melbourne, prouve le besoin que les colons
ont de concentrer les données géographiques qu'ils possè-
dent déjà sur leur continent et sui' les îles et archipels dont il
est le centre, afin de se rendre compte de ce qui est déjà
connu, et de ce qu'il reste à faire dans le champ de l'explo-
ration. A cet égard nous leur serons bientôt redevables de
renseignements nouveaux sur la Nouvelle-Guinée, où ils
enverront prochainement des expéditions. Nous leui' devons
déjà des détails précieux sur les ti'avaux de leurs voyageurs
dans le continent australien pendant les dernières années,
preuve en soit les extraits d'un mémoire présenté par
J\I. J.-A. Pantonsur le district de Kimberley, dans la séance
d'ouverture de la Société australasienne de géographie de
Melbourne. Le N.-O. de l'Australie fut probablement la
première partie découverte par les navigateurs européens,
mais pendant des siècles elle resta une terra incognita, jus-
PROCÈS- VERBAUX. 89
qu'au moment où, il y a 80 ans, commencèrent les explora-
tions de Freycinet, Baudin, King, Wickham et Stokes.
En 18o5 le gouvernement envoya une expédition bien
équipée, sous la direction de Gregory, avec le baron de Mul-
1er, botaniste, le D"" Wilson, naturaliste et géologue, et le D'"
Elsey, médecin. Le résultat de cette exploration fut la décou-
verte des Plaines de Roe, et de la magnifique région de pâ-
turages de la Victoria supérieure ; puis, plus au sud, des
plaines abondantes en fourrage le long de la rive occidentale
de Slurt Creek, que Gregory nomma les Plaines de Denison.
En 1865 quelques jeunes colons entreprenants, de Vic-
toria, résolurent de s'y établir; ils équipèrent deux vaisseaux,
y embarquèrent 4000 moutons, et se dirigèrent vers la nou-
velle colonie. Malheureusement ils avaient compté l'atteindre
du N.-O. et débarquèrent au havre de Cambden, d'où il leur
fut impossible de pénétrer à l'intérieur. Des montagnes
abruptes leur l)arraientle chemin de tous côtés; un de leurs
vaisseaux échoua sur les rochers; après avoir réembarqué
ce qu'il restait de leurs moutons, ils revinrent à Victoria,
sauf quel(iue.s-uns qui s'établirent à Nichol Bay, où ils pros-
pérèrent comme éleveurs de moulons. Mais l'insuccès de
l'expédition de Cambden Harbour détourna l'attention de ce
point, et ceux qui s'y seraient rendus peut-être, se portèrent
comme pionniers vers le Queensland.
En 1877, Alexandre Forrest, parti de la baie de Roebuck,
suivit, par terre, la côte jusqu'à Beagle Bay, traversa ensuite
jusqu'à la rivière Fitzroy qu'il longea jusqu'à la chaîne des
monts Léopold, et en essayant de les franchir, il atteignit le
bord de la mer. Il dut revenir à la rivière Fitzroy et décou-
vrit un de ses tributaires, la Marguerite; continuant sa mar-
che vers l'est il alteignit l'Ord, qu'il suivit jusqu'à son con-
fluent avec le Negri, puis, tournant au N.-E., il rejoignit
l'itinéraire de Gregory au confluent de la Victoria et du
Wickham. Sur son rapport, le gouvernement comprit la
valeur de ce district qu'il nomma district de Kiuiberley, et
prit des mesui'es pour l'occupation du pays.
En 1882, M. Michel Durack, avec M. Pentacost, conduisit
une expédition qui débarijua sur la côte nonl du golfe de
Cambiidge; il se dirigea vers l'ouest sur une longueur d'une
vingtaine de kilomètres, puis au sud, jusqu'à ce qu'il rencon-
90 BULLETIN.
Ira une rivière venant du nord qu'il nomma la Durack. Il la
remonta sur un parcours de 8 kilomètres, et la traversa, pour
prendre ensuite une direction S.-E. Jusqu'à la i-ivière ipii se
jette dans le golfe, et qu'il nomma la Pentacoste. Il la suivit
à travers un pays très rocailleux, alleignit les contrefoi'ls
du mont Cockhurn, et à 20 kilomètres environ de celui-ci,
arriva au bord d'une grande rivière (|u'il nomma la Denham.
Il la longea sur une longueur de 50 kilomètres, entra dans
une région coUineuse, couverte de pien-es, et herbeuse en
certains endroits, puis il rencontra une autre grande rivière
qu'il nomma le Bow.
Une autre expédition dirigée par O'Donnell suivit l'Ord, du
continent du Negri jusqu'au bras oriental du golfe de Cam-
bridge, revint à l'est du mont Cockhurn jusqu'à l'Ord, au-
dessous du confluent du Bow ; mais, chose bizarre, O'Oon-
nell ne vit pas la rivière Denham que Durack avait décou-
verte.
Il explora alors le Bow, qu'il nomma le Fraser, jusqu'à sa
source, traversa une vaste région de pcàturages, arrosée de
rivières et de l'uisseaux, parmi lesquelles, la rivière Wilson,
et les cours d'eau qu'il suppose être les sources de la Mar-
guerite et de la Fitzroy.
Que ressort-il des nombreux l'enseignements fournis par
les divers explorateurs susnommés, sur cette partie de
l'Australie occidentale? La côte N.-O. présente une ligne
découpée, avec de nombreuses îles et des bas-fonds à une
assez grande distance du bord. L'intérieur parait être mon-
tagneux, et, quoiqu'il y ail de t)elles vallées et de riches
plateaux basaltiques, il semble plus propie aux plantations
qu'à l'élève du bétad, car le sol est excellent pour la culture
de la canne à sucre et des autres végétaux des tropiques;
Grey en compare la végétation à celle de l'île de France. Le
mont Cockhurn, à la tête du golfe de Cambridge, est un
plateau isolé, olTrant l'apparence d'une immense fortification
avec de nombreux bastions.
C'est dans cette région montagneuse (|ue prennent leurs
sources les principales rivières du district de Kimherley. le
Fitzroy, le Linnard, la Marguerite, l'Ord, et les deux grands
cours d'eau découverts par Durack, la Denham et le Bow.
Au nord de celui-ci s'étendent les monts Stephen qui forment
PROCÈS- VERBAUX. 91
la ligne de partage des eaux de la Glenelg, du Roe, et d'au-
tres l'ivières se versant dans la mer, sur la côteN.-O. et dans
le golfe de Cambridge. Grey estime à 1000™ l'altitude des
monts Sleplien,
Outre les teri-ains propres à la culture, le district de Kim-
berley renferme aussi des parties propres au pâturage,, des
plaines, des collines, avec une herbe analogue aux meilleurs
fourrages du Qiieensland. Entre Beagle Bay et le Filzroy, les
paccages sont excellents. De la baie de Roebuck vers l'Inté-
rieur le pays est presque plat, pauvre par places, mais géné-
ralement boisé, et ari'osé par des sources naturelles, et par
de nombreux puits creusés par les natifs. Forrest estime
qu'à 5" de profondeur on peut trouver de Teau potable, et
que le fourrage convient paifaitement pour les bestiaux et
les moulons. Le long des rivièi-es Linnard, Méda, May et Filz-
roy s'étendent des plaines couvertes d'un berbe succulente,
et à la limite de ces plaines est un plateau boisé nommé le
Pindan, qui n^est pas encore' occupé par les colons, à cause
de la difficulté à élever des moutons dans cette contrée, mais
qui fournira de très bons pâturages quand on y aura créé
des enclos.
Forrest et Durack font des bords de la rivière Marguerite
des descriptions qui rappellent celle des pâturages de la
Filzroy. Forrest rapporte qu'il traversa le 20 juillet, dans une
direction E.-N,-E., un pays magnifique, bien a!-rosé,(le pelits
ruisseaux coupant son itinéraire presque à chaque kilomètre.
Bientôt ils arrivèrent à une grande rivière au bord de
laquelle il campa le reste du jour. Du haut d'une colline il
aperçut devant lui, au S.-S.-E. et au S.-O., la plus belle plaine
herbeuse (|u'il eût jamais vue. D'après ses calculs, cette
plaine, de formation granitique, comprend un million d'acres,
et pourrait nourrir un nombre égal de moulons. C'est à son
avis la plus belle partie de l'Australie occidentale. « Le 28
juillet,» dit-il, • nous suivîmes l'Ord, sur une longuein- de
lo kilomètres. Nous campâmes dans un pâturage splendide.
Bien arrosée et d'un sol fertile, cette partie du district nour-
rira une quantité démoulons; elle ne paraît pas exposée
aux inondations périodiques des parties inférieures de la
rivière Fitzroy.» Ces plaines ont peu d'arbres, excepté le long
des cours d'eau (lui les traversent dans toutes les directions.
92 BULLETIN.
M. Panloii fait remarquer que les rivières susmentionnées ne
sont pas des fleuves morts comme on en rencontre tant clans
les cartes de l'Australie, mais des eaux courantes, profondes,
navigables sur un «pai'cours considérable dans la saison des
pluies. « La Glenelg, « dit Grey, « a des îles verdoyantes, j'ai
vu beaucoup de rivières en Australie, mais aucune qui égale
celle-ci en grandeur ou en beauté. » Durack, O'Donnel et
Carr Boyd ont trouvé sur les bords de l'Ord, en amont de
sa jonction avec le Negri, des sources salées, avec de grands
dépôts d'un sel pur, lion pour l'usage domestique.
Quant aux ports et bavres que présente la côte, le premier
qui ail quelque importance est la baie de Roebuck, où l'on a
découvert récemment un bon mouillage, on y a marqué
remplacement d'une ville, et fait les levers nécessaires en
vue de la colonisation.
A 110 kilomètres plus au nord est Beagle Bay, qui offre
un bon abri en temps ordinaire, mais n'est pas sûr dans
la saison des cyclones.
Vient ensuite l'île de Marie dans le golfe de King, vis-à-vis
de l'emplacement de la ville de Derby. Au dekà, la côte pré-
sente une succession de baies piofondes : Secure Harbour,
Doubtful Bay, George Water, Hanover Bay, Cambden Har-
bour, etc., mais un coup d'œil jeté sur une carte fait voir que
les abords de cette pai'tie de la côte sont semés de rocbers,
de bancs de sable, et d'iles.
Sur la côte N.-E., le golfe de Cambridge pénètre à 140 kil.
à l'intérieur, on peut y naviguer jusqu'au goulot où Durack
débarqua en 1882. L'avantage de ce bavre est que le golfe
est exempt de danger jusqu'à Port Darwin au N.-E. 11 y a
dans l'intérieur du golfe de bons mouillages, abrités contre
tous les temps. Le bras oi'iental a été exploré et s'étend à
plusieurs kilomètres au delà de Tîle Adolpbe. où les sonda-
ges indiquent 7 brasses d'eau. L'Ord déboucbe dans ce bras.
Une escouade de fonctionnaires du gouvernement a dû faire
le i-elevé de la partie oiientale du district de Kimberley et
l'Ord sera remonté; on y choisira un emplacement pour une
ville, le golfe de Cambridge devant devenir le débouché des
districts de l'Ord supérieur et de la Victoria.
Les voyageurs s'accordent à dire que le climat de cette
partie de l'Australie est très bon. Grey en parle comme du
PROCÈS-VERBAUX. 93
plus beau climat du monde ; le D' Elsey, compagnon de
Gregory, le dit plus régulie?- que celui d'aucune des parties
exlralropicales'de l'AusIralie. L'expédition d'O'Donnel sur
les plateaux souffrit de nuits 1res froides en septembre; trois
nuits de suite l'eau gela. Un auti'e voyageur parcourut celte
partie de l'Australie en é!é et en automne, et en trouva le
climat excellent, en sorte qu'on peut admettre que sous ce
rapport, le district de Kimberley égale celui des autres par-
ties de l'Australie et qu'il l'emporte sur la plupart des autres
régions tropicales.
Jusqu'à présent, dit M. Panton, on n'y a introduit qu'une
petite (juantité de bestiaux, mais on doit en conduire du
Queensland quelques milliers vers les pâturages de l'Ord.
On a déjà importé plus de 30.000 moutons dans le bassin de
la Filzroy ; il paraissent prospérer. Quelques troupeaux ont
souffert d'une espèce d'oplitalmie; mais, d'après le rapport
d'un intendant de la station de Delamare, au bout de quatre
ans on n'a pu remarquer aucune détérioration dans la qua-
lité de la laine.
Le long des rivières le sol est extrêmement riche, et
propre à la culture des plantes des tropiques. Pi'ès de Hano-
ver Bay, et au bord de la Glenelg, le terrain basaltique serait
aussi bon que celui de Maurice pour la plantation de la canne
à sucre. Les riches savanes de TOrd, de la Fitzroy et de la
Meda^ produiraient du colon qui est indigène, et dans les
terrains au niveau des rivières, le riz pourrait être cultivé
avec profit. Grey planta près de Hanover Bay des noix de
coco; quand il partit, les jeunes plantes poussaient déjà. Les
fruits indigènes sont nombreux et supérieurs à ceux de TAus-
tralie méridionale; il y a deux variétés de raisins, quatre de
figues, des orangers indigènes, des pruniers, etc. ; les fruits
du baobab sont employés efficacement contre le scorbut.
La géologie du district est encore peu connue. Grey a
trouvé des parties du pays de formation basaltique et des
grès. Ceux-ci, qu'il a nommés grès anciens, sont déposés en
couches presque liorizontales, probablement mésozoïques.
Forrest mentionne du grès dans les monts Léopold, et du
granit au N. et au N.-O. des plaines Nicholson ; Durack, des
schistes avec des veines de quartz, à l'ouest du goulot dans
le golfe de Cambridge, puis entre la Denliam et le Bow, et
94 BULLETIN.
sur rOrd su(3érieur au S.-E. de Black Peak, des couches de
granil et des schistes avec des veines de quartz. Saunders
dit avoir trouvé des traces d'or sur^une longueur de plu-
sieurs kilomètres le long de l'Ord supérieur. O'Donnel a vu
des couches de granit schisteux et dès veines de quartz dans
les monts Osmands à Pouest du conduent du Negri. M. Pan-
ton croit que le district de Kiniberley renferme de Tor, de
l'antimoine, de l'argent, du cuivre et peut-être de l'étain.
On connaît peu jnsiju'ici les bois de ce pays. On dit cepen-
dant que les plus beaux que l'on ait découverts sont dans les
vallées du N.-O., le long de la Glenelg, où Grey a trouvé des
arbres d'une grandeur gigantesque. Des sapins, bons pour la
construction et pour des mâts de vaisseau, croissent sur les
plateaux. Le rotang abonde à l'intérieur du district; ilya
aussi plusieurs espèces d'acacias, et un arbre à feuilles larges,
ombreux, ressemblant au châtaignier. O'Donnel n'a trouvé
le pays bien boisé que sur les bords de quelques-uns des
cours d'eau. Il a vu des arbres de bois de campêche de
grande taille; quelques troncs avaient 2"" de circonférence.
Depuis un certain nombre d'années, l'Australie a fait de
riches récoltes dans la pèche des huîtres à perles sur la
côte, du cap N.-O. au golfe de King. Pendant la saison, la
baie de Roebuck reçoit beaucoup de petits navires qui se
livrent à cette pêche. Cussak, le port de celte haie, est leur
quartier-général. D'après M. Panton, l'huître à perles se
trouve tout le long de la côte du district de Kimberley.
Autrefois c'étaient les Malais de Macassar que Ton employait
comme plongeurs, maintenant on préfère les natifs d'Aus-
tralie. Les plongeurs travaillent pendant les mois d'été,
après quoi ils retournent aux stations de moulons où ils
rejoignent leurs tribus, ou sont employés comme pâtres,
tondeurs, etc., L'hollolhurie Irepang, ou bêche de mer,
abonde sur les bancs et les écueils de la côte ; on y trouve
aussi des toi'lues, du blanc de baleine, etc.
En l'ésuraé, le district de Kimberley offre aux colons un
champ d'exploitation aussi fécond que les autres colonies
australiennes, et d'après M. Panton, quand il sera relié avec
le réseau transcontinental des chemins de fer, il pourra être
appelé la Pei-le des antipodes.
M. le prof. Chaix, dont une carte d'Australie était exposée,
PROCES- VERBAUX. 95
avec rindicalion des itinéraires des explorations Jusqu'en
1877, a été heureux de voir que le district de Kiniberley,
par sa position dans la région des pluies tropicales^ par son
relief montagneux, et pai- la nature de son sol est propre à
une industrie agricole un peu dilïérenle de l'élève des mou-
tons qui caractérise les colonies de l'est du continent. Quant
aux rivières qui ne tarissent pas, il est bon de s'assurer que
les explorations ont été f;iiies en toutes saisons. Car le fait
qu'O'Donnel ii'a pas vu la rivière découverte par Durack
pourrait faire supposer que celui-ci l'avait vue dans la saison
des pluies. Il i-appelle à ce sujet la déception d'un explora-
teur qui, parti d'Adélaïde et arrivé dans la région du lac
Eyre, n'y trouva qu'une immense plaine couverte d'un sable
blanc. Les colons de l'Austi'alie occidentale auxquels sont
dues les explorations du N.-O. ont fait preuve de beaucoup
de persévérance. La colonie dont Peith est le centre n'a pas
eu des débuts faciles. La rivière des Cygnes avait cliai-mé les
premiers arrivants. De nombreux émigrants écossais allèrent
s'y fixer, mais ils eurent de grandes déceptions, et ne durent
leur prospérité actuelle qu'à de grands sacrifices. Parmi eux
les trois Gregory et les deux Forj-est ont, par leurs relevés,
rendu des services inappréciables.
M. Humbert mentionne l'ouvrage de lady Baker sur l'Aus-
tralie, ouvrage qui inspire la confiance, cai- il est écrit sans
parti pris. L'Australie occidentale semble appelée à un peu-
plement lapide, le courant de l'émigration de la Gr-ande-
Brelagne paraissant se détourner un peu de l'Amérique,
pour se porter vers le continent australien. M. Humbert fait
^encore remai-quer la marche différente du mouvement colo-
nial en Australie et en Nouvelle-Zélande. Dans la première,
lieu de dépoi'tation d'al)ord, on a vu s'organiser successive-
ment des colonies plus ou moins indépendantes, avec leurs
deux Chambres, le gouverneur seul étant nommé par la
reine; elles ont vécu en état d'hostilité au point de vue des
taiifs, puis le désir de se fédérer s'est produit, et, tout en
conlinuanl à former chacune une colonie spéciale, elles ont
trouvé qu'il leur était bon d'avoir un lien commun. Dans la
Nouvelle-Zélande, qui élait d'abord une colonie d'essai, on
est parti de funité de gouvernement; le pays a été divisé en
comtés; chacun de ceux-ci a l)ienlôt tenu à avoir ses corps
96 BULLETIN.
adminislralifs et politiques ; aujourcriuii il y a autant de par-
lements que de comtés; toutefois il y a un parlement natio-
nal dans lequel tous les parlements sont représentés.
SEANCE DU 10 AVRIL 1885.
Piésidence de M. le D"" Dufresne.
Le Président paye un juste tribut de regrets cà la mémoire
de M. Francis Bf^rton (M. G.), qui, de San-Francisco, a sou-
vent envoyé à la Société des communications pour le Globe.
Il rappelle la réception de M. Giraud cà la Société de Paris,
dans une séance à laquelle a assisté M. de Traz, qui a bien
voulu en envoyer un compte rendu à la Société. — Lecture
est donnée de la lettre de M. de Traz et d'une partie du
compte rendu du journal.
M. Faure présente les deux éditions de l'Atlas de poche
de Justus Perthès. La première, du commencement de cette
année, a bien vite été suivie d'une seconde dans laquelle
sont déjà indiquées les délimitations des possessions françai-
ses et portugaises, ainsi que celles de l'État libre du Congo,
telles que les ont fixées les traités de la France et du Portu-
gal avec l'Association internationale, et les limites du terri-
toire auquel s'étendront les stipulations de l'Acte général de
la Conférence africaine de Berlin.
M. le Président Dufresne fait ensuite une communication
sur V Atlantide à l'occasion du poème traduit du catalan de
Jacinto Vedraguer.
I
Parmi les légendes géographiques, il en est peu de plus
célèbre et dont la durée soit plus persistante que celle de
l'Atlantide. Son crédit traditionnel était grand dans l'anti-
quité, et l'on sait quelle renommée lui a valu la mention que
lui accorde Platon dans le Timée. Le seul fait de ce passage
qui lui est consacré dans le célèbre dialogue atteste la place
considérable que tenait la légende dans l'histoire des ori-
gines du monde.
PROCES-VERBAUX. 97
Souvenirs du paradis terrestre et de la ciuite originelle,
souvenirs du déluge et des grandes catastrophes, jusqu'à
celui de la tour de Babel; il y a des traces de toutes ces tra-
ditions dans ce l'écit où la mythologie et ses fables cosmogo-
niques interviennent aussi.
Il est dit dans le Tiinée qu'un peuple, celui des Atlantes,
avait régné sur une île immense qui s'étendait au loin dans
l'océan, au delà des colonnes d'Hercule. Les Atlantes avaient
conquis l'Egypte jusqu'à la Lybie, l'Europe méridionale jus-
qu'à la mer tyrrliénienne. Les peuples en deçà de ces limites
s'unirent pour leur résister. Les Athéniens devinrent les chefs
de la coalition et, après une longue lutte, ils demeurèrent
vainqueurs. Les forfaits des Atlantes provoquèrent le cour-
roux céleste. L'éruption d'un volcan et un tremblement de
terre détruisirent leurs demeures, puis un déluge, tel que les
hommes n'en virent jamais, engloutit celte terre de l'Atlan-
tide. Pour nous, modernes, les Canaries, les Açores, Madère
et les îles du Cap-Vert seraient comme les débris et les
muets témoins du continent disparu.
Platon tenait ce récit de Socrate. Critias, dont le grand-
père était contemporain de Solon, l'avait raconté à Socrate.
Quant à Solon, il avait recueilli ces souvenirs auprès des
prêtres de Sais, pendant son voyage en Egypte.
Aristote parle d'une grande île qu'il a nommée Anthylla,
située à plusieurs journées de navigation du continent. Les
Carthaginois qui l'avaient découverte dissimulaient avec
soin son existence; chez eux il y avait peine de mort pour
qui aurait trahi ce secret.
L'antiquité livrerait encore d'autres témoignages. Le
moyen âge de même. Mais c'est en Espagne et dans la pénin-
sule ibérique que les souvenirs de l'Atlantide s'affirment avec
le plus de persévérance; nous en trouvons une preuve bien
remarquable dans un poème récemment publié en langue
catalane. L'auteur, M. l'abbé Vedraguer, est né dans un vil-
lage proche de cette ville de Vich, située dans la région
montueuse de la Catalogne, qui fut au début de ce siècle la
patrie du célèbre philosophe Balmès. C'est en l'année 1877
que M. Vedraguer présenta son œuvre aux Jeux floraux où
elle fit sensation. Ce poème est en dix cbanls. 11 compte au-
LE GLOBE, T. XXIV, 1885. 7
98 BULLETIN.
jourd'hui plusieurs éditions et des traductions en diverses
langues. La traduction française a été faite par M. Albert Sa-
vine.
L'objet spécial de nos travaux ne me permet pas l'étude
littéraire approfondie que mériterait l'œuvre de M. Vedra-
guer. Il y aurait à apprécier ici un mouvement de renaissance
de la langue et de la littérature catalanes, connexe de celui
qui s'est manifesté il y a quelque trente ans en Provence, où
nous le voyons, dans une langue sœur de celle employée par
M. Vedraguer, produire la touchante histoire de Mireille.
Ce poème catalan qui chante l'Atlantide est après tout une
glorification patriotique de l'Espagne. L'auteur suppose que
deux vaisseaux, l'un vénitien, l'autre génois, s'abordent en
mer et se livrent bataille. Une tempête se lève, les deux na-
vires sont engloutis. Seul, un jeune marin génois, qui n'est
autre que Christophe Colomb, échappe au naufrage; il est
recueilli sur la rive espagnole par un vieillard qui lui raconte
les destinées de la mer et lui fait l'histoire de l'Atlantide.
Hercule, il fallait s'y attendre, est le héros de l'Atlantide.
Le poète fait arriver le géant de la Fable en Espagne par les
Pyrénées incendiées. Le roc de Calpé tombe sous les coups
de sa massue. Gibraltar est ouvert. Les eaux de la Méditer-
ranée se précipitent sur le continent atlantique et le submer-
gent. On assiste à la dernière heure de ce monde mystérieux
dont la souveraine, la reine Hesperis, est transpoi'lée par
Hercule en Espagne. En touchant la terre de la péninsule, le
héros y plante le rameau d'or qu'il a ravi au jardin desHespé-
rides. Ce rameau devient un arbre et l'emblème des splen-
deurs futures de la presqu'île lusitanienne.
Au terme du récit Colomb reparaît. En écoutant le solitaire
il pressent un nouveau monde. Agité par le génie des décou-
vertes, il s'adresse aux États maritimes de l'Europe, sollicitant
aide et subsides pour atteindre son but. Gênes, sa patrie, ne
veut rien entendre, pas plus que Venise et le Portugal. En
Espagne, le roi Ferdinand refuse aussi. Seule, la reine Isa-
belle est propice. A la suite d'un rêve qui i-emplit son âme
des sentiments les plus favorables, Isabelle vend ses bijoux.
Muni de cet or, Colomb part pour le Nouveau 3Ionde, à la
découverte des pays qui doivent porter si haut la puissance
et la renommée de l'Espagne.
PROCÈS-VERBAUX. 99
En présence des traditions imposantes, illustrées par ce
poème, il est permis de se demander, et ici nous rentrons
dans le domaine de la géographie, si la science actuelle au-
torise à croire que la terre de l'Atlantide a existé, et s'il est
possible d'interpréter les circonstances qui ont pu détermi-
ner sa disparition.
Les modernes ont proposé une foule de solutions. Il y a à
faire état de celle du P. jésuite Kircher, le fondateur du célè-
bre musée archéologique du Collège romain. Dans un Hvre
paru vers 1660, et qui a pour titre Le monde souterrain, ce
savant religieux émet l'idée que ce continent fameux était
une grande étendue de terrains, dont les Açores et les
Canaries faisaient probablement partie.
Buffon pensait à peu près de même. Bory de Saint-Vincent,
naturaliste, qui eut son moment de célébrité, il y a cinquante
ans, s'est approprié le sujet de l'Atlantide. Il développe la
théorie du P. Kircher, et par une foule de détails lui commu-
nique une grande force de probabilité; il s'empare d'un récit
de Diodore de Sicile pour faire intervenir dans le cataclysme
les eaux de la mer intérieure du Sahara ou mer Tritonide.
Cette masse d'eau sous l'impulsion d'un tremblement de terre
aurait rompu ses digues et contribué à la submersion de
l'Atlantide en se précipitant dans l'océan.
Il est inutile de s'attarder à présenter ici toutes les hypo-
thèses proposée.s. Ces prémisses rappelées, essayons de con-
stater si l'ethnographie actuelle permet de confirmer ces
théories ou tout au moins d'en accroître la probabilité.
II
Rien de moins contesté que les phénomènes continus
d'émergement et d'afîaissement qui modifient si profondé-
ment les contours et Félendue des terres et des mers. Si la
science n'en peut encore pénétrer les causes multiples, l'his-
toii-e du globe les constate à cliaque pas. Certains terrains
s'aflaissent, d'autres s'élèvent. Des îles surgissent du sein des
flots, d'autres se relient à la terre ferme, d'autres dispa-
raissent.
Pour ne citer que quelques faits : en Italie, à l'entrée du
golfe de Naples, dans l'île de Capri, un des palais de Tibère
100 BULLETIN.
est actuellement sous l'eau. Le temple de Jupiter Serapis, coii-
struitvers le commencement de notre ère, s'est tour à lour
aiïaissé et relevé. A Gaële, le sol s'est affaissé de 9 mètres. A
Gihrallar, l'ancien temple d'Hercule est recouvert par la
mer. A Menton, au contraire, mouvement d'exhaussement
considérable.
En Afrique, les célèbres ports de Carthage, d'Ulique, de ,
Bizerte ont disparu, tandis que sur les bords de la mer Rouge
et du golfe de Guinée, on constate un cordon continu d'ex-
hanssements. A l'extrême sud de l'Afrique, le soulèvement
graduel du sol amène des modifications dans le régime des
eaux, telles que certaines rivières se dessèchent graduelle-
ment, au point de menacer de stérilisation certaines parties
de la colonie du Cap.
En France, à Saint-Jean de Luz, des maisons qui furent
témoins du mariage de Louis XIV, sont aujourd'hui submer-
gées, La célèbre abbaye du Mont Saint-Michel a été bâtie
en 709, à dix lieues de la mer, au milieu d'une forêt qui
s'étendait jusque vers les îles de Jersey et Guernesey.
Aujourd'hui le rocher du Mont Saint-Michel est de toutes
parts battu par les flots. Vous voyez une infinité de phéno-
mènes analogues sur les côtes de Bretagne.
En Suède, il y a un siècle que l'on constate l'exhaussement
graduel des côtes de la Baltique. Il a été calculé que les sou-
lèvements depuis les débuts de l'époque historique sont envi-
ron de dix mètres par siècle.
En Sibérie, phénomènes analogues encore plus prononcés.
Là, des terrains qui étaient des îles se trouvent peu à peu réu-
nis au continent.
Le marquis de Nadaillac, dans son savant ouvrage sur
l'Amérique préhistorique, constate des faits d'exhaussement
extraordinaires. Sur les bords de la baie d'Hudson, il y a re-
lèvement progressif du sol ; on ne peut plu^ aborder avec de
grandes embarcations les postes construits, il y a un siècle,
par la Compagnie, à l'embouchure des rivières.
Fait bien curieux, le D' Forster, dans une réunion récente
de l'Association américaine pour l'avancement des sciences,
démontrait que les terrasses successives qui bordent les
grands neuves et les grands lacs américains ne sont pas for-
mées par l'effort des eaux brisant des obstacles, mais bien par
PROCÈS- VERBAUX. 101
l'émergement progressif du continent, tantôt ln'usrjue et vio-
lent, tantôt assez tranquille pour que les alluvions soient dé-
posées sur ces rives. A Chicago, l'abaissement du niveau du
lac et de son émissaire a exigé l'exhaussement des maisons;
on a procédé par exhaussement mécanique.
Darwin nous apprend que, depuis 220 ans, Valparaiso s'est
élevé de 19 pieds et que, depuis un temps que l'on ne peut
supputer, l'exhaussement de Lima n'a pas été moindre de
80 à 90 pieds.
Le même Darwin a écrit des pages bien curieuses sur l'ac-
tion des vers de terre dans les mouvements du sol. Les puis-
santes assises de la craie sont exclusivement formées de cara-
paces de rhizopodes infimes dans les infiniment petits. Un des
membres de cette Société ne nous a-t-il pas démontré la for-
mation de groupes d'îles par l'action végétative d'organismes
vivants au fond de la mer, les madrépores des îles Maldives?
Inutile d'ajouter que Taclion des volcans a sa grande pari
dans la formation du relief terrestre, par conséquent dans ces
oscillations du terrain.
III
Jusqu'à présent, nous n'avons parlé que des faits contem-
porains et des temps historiques. Nous avons déjà constaté
un mouvement d'oscillation de l'écorce terrestre qui autorise
bien des théories et bien des interprétations. Mais à coup sûr,
tous ces phénomènes d'affaissement et de soulèvement pro-
voqués par les éruptions volcaniques ont eu une importance
bien autrement grande dans les époques préhistoriques, en
particulier à l'époque quaternaire.
A ce moment de la vie primitive du globe, les géologues
nous montrent une période de soulèvement et d'aggrégation.
C'est alors que la France, la Scandinavie, l'Angleterre, for-
ment un vaste continent que parcourent librementles grands
pachydermes. La Manclie, la mer du Nuiil, le canal Saint-
George n'existent pas.
A celte période succède une période d'atîaissement et
d'expansion glaciaire. La Belgique, la Hollande, une grande
partie de la Scandinavie, .sont sul)mergées. Les géologues
fournissent des preuves de ces révolutions, puis un mouve-
102 BULLETIN.
ment contraire ramène le continent à sa forme primitive avec
une force d'émergement plus considérable encore; enfin,
après des séries d'oscillations, l'Europe peu à peu revêt la
forme actuelle.
Les diverses branches des sciences naturelles, interrogées
chacune à son tour, apportent des témoignages de ces aller-
natives de l'évolution de notre globe avant sa constitution
définitive, si tant est que l'on puisse appeler définitif un état
capable de présenter, même en pleine période historique,
des oscillations telles que celles dont nous parlions tout à
l'heure.
Nous aimons à rappeler ici, à propos de la période gla-
ciaire la mémoire du savant botaniste dont la Suisse déplore
la perte récente, je veux parler d'Oswald Heer. Sur des ques-
tions encore si obscures, si litigieuses, il a eu le mérite de
donner à la science des résultats qui sont d'une importance
majeure, des jalons précieux qui permettront aux investiga-
teurs futurs plus d'assurance et de confiance dans leur marche
en avant.
Ces recherches du botaniste zurichois sui' les migrations
des plantes à la faveur des mouvements des glaciers, ne sont
certes pas pour décourager les géographes qui s'appliquent à
la recherche des continents disparus.
IV
Passons à un autre ordre de preuves. Les oscillations delà
terre et les révolutions cosmiques dont nous venons de par-
ler, autorisent assurément l'hypothèse de rAllanlide; nous
allons invoquer maintenant des faits ethnographiques et his-
toriques dont l'explication est bien difficile, si l'on n'admet
pas son existence.
Si nous cherchons les traces des premières migrations des
Aryas, nous voyons ces hommes, partis du fond de l'Asie, enva-
hir l'Inde, la Perse, les ditTérentes régions de l'Europe. Mais
des peuples entiers restent étrangers aux Aryas ainsi qu'aux
filiations que l'on a prétendu en faire sortir. L'origine des
Égyptiens n'est pas tranchée. Ils s'affirmaient autochtones ;
s'ils avaient été d'origine asiatique, comment le cheval qui
ne parait chez eux que sous la dix-huitième dynastie, com-
PKOCÈS-VERBAUX. 103
ment le chameau importé sur le Nil vers le quatrième siècle
seulement avant notre ère, leur seraient-ils restés si longtemps
inconnus ?
D'où pouvait sortir cette population de plusieurs milliers
d'habitants isolés dans la vallée du Nil, sans lien avec les po-
pulations voisines? Même question pour les Berbères, les
Guanches, les Ibères, les Étrusques, également étrangers à la
souche aryenne, et dont l'anthropologie relève chaque jour
les caractères communs. Dans toute la région atlantique, dit le
D"" Lagneau, dans les Canaries, en Mauritanie, si différents zoo-
logiquement du reste de l'Afrique dont la séparait la mer du
Sahara, il se trouve une race identique. A cette race, quel-
ques savants rattachent les Kabyles, les Corses, certains Bas-
ques espagnols, les Troglodytes, dont les ossements ont été
recueillis à Gibraltar. Tous ces peuples ne sortent-ils pas
peut-êlre d'une soucbe commune, et ne doit-on pas chercher
leur berceau chez les Allantes?
On sait les grandes ditïérences qui existent entre la faune
américaine, la flore américaine et les animaux et les plantes
de l'ancien continent; il n'en avait pas toujours été ainsi;
l'examen des fossiles de l'époque quaternaire conclut, d'après
M. J. Gaudry, à l'existence de communications entre l'Amé-
rique et l'ancien continent. Tous ces faits ont été l'objet d'in-
vestigations minutieuses.
Si l'on étudie, dit le marquis de Nadaillac, que nous suivons
pas à pas dans cette étude, la carte géologique d'Espagne de
M. Colombet de Verneuil, on acquiert la preuve de l'existence
préhistorique de fleuves énormes. Ces fleuves n'ont pu être ali-
mentés que par des continents disparus dont l'étendue devait
correspondre au volume des eaux dont l'on signale le passage.
Autre ordre d'idées. Quand les Espagnols arrivèrent en
Amérique, ils trouvèrent certaines populations très incultes,
très sauvages, mais aussi beaucoup d'autres organisées en
sociétés très civilisées. D'où venaient ces peuples si divers qui
souvent ne se connaissaient pas ? Les Incas de la haute
vallée du Pérou, paraît-il, n'avaient jamais eu de relations
avec les Aztèques du Mexique.
Il n'y a que deux manières de l'expliquer. — Les centres
de créations différents où les émigrations d'hommes parties
des anciens continents.
104 BULLETIN.
Examinons ces deux hypollièses.
Très célébrée il y a quelques trente ou cinquante ans^ la
théorie des races humaines autochtones est singulièrement
infirmée aujourd'hui. — Les travaux d'Agassiz conservent
assurément une grande valeur, mais il faut reconnaîti'e que
la doctrine' de la pluralité des races humaines n'a pas tenu
devant les recherches plus récentes de M. de Nadaillac et
surtout devant les ingénieuses et patientes analyses compa-
ratives de M. de Quatrefages.
Pour admettre la théorie autochtone en Amérique, il fau-
drait que la race américaine fût une, et qu'elle présentent un
même type du Canada et de l'Alaska aux Pampas de la Plata
et aux déserts de la Patagonie.
Or c'est justement le contraire qui a lieu; nulle part
l'espèce humaine ne manifeste plus de variétés distinctes.
Le naturaliste d'Orbigny affirme qu'à ses yeux, il y a plus de
différences entre le Patagon et le Péruvien qu'entre un Grec
et un Éthiopien. L'anatomiste Vircjiow dont on ne suspec-
tera pas l'autorité, établissait naguère la pluraUté des races
du nouveau monde; ses convictions ont été ébranlées. Des
études plus approfondies, des collections de crânes assemblés
par Morton, ce partisan si résolu de la pluralité, ont tourné
contre leur auteur.
En définitive dans les deux Amériques, dans des conditions
biologiques et climalériques bien différentes de celles de
l'ancien monde, avec une flore différente, avec une faune
différente, l'homme est en fin de compte parfaitement sem-
blable à l'homme de l'Europe et de l'Asie, par ses détails
anatomiques et physiologiques, par ses instincts, par son
intelligence, par son génie créateur, perfectible et par ce
caractère progressif qui le dislingue des autres races animales
d'une manièi'e si éminente.
On invoquera l'exemple des animaux. Il est certain que
malgré les analogies et les types identiques signalés dans les
fossiles quaternaires dont nous parlions tout à l'Iieure, il
existe des différences sensibles entre les animaux de l'Ancien
Monde et ceux du Nouveau, ditïérences jusqu'à présent irré-
ductibles pour la science. Mais pour le moment nous ne trai-
tons que de l'homme et comme nous le faisions ressortir il y
a un instant, ces différences dans la forme ne sont que pour
PROCÈS- VERBAUX. 105'
manifester avec plus d'évidence l'unité de l'espèce humaine
et sa permanence.
De quels pays seraient donc les colons qui ont peuplé
l'Amérique? Les émigrants -n'ont pu partir que de l'Asie ou
de l'Afrique. Les invasions des Asiatiques par le détroit de
Behring" sont dès longtemps connues. Les travaux récents
de P. Petilol sur la langue des Esquimaux ont confirmé
bien des inductions antérieures.
La Chine antique a connu l'Amérique. Les savants mo-
dernes ont discerné ces relations par l'élude des langues,
par celles des cosmogonies, par les hiéroglyphes ins^'its sur
les monuments. Chez tous les peuples de l'Amérique, le ca-
lendrier était semhlable et le moyen dont ces peuples se
servaient pour indiquer le jour et l'année est identique avec
celui des Indous, des Thibétains, des Chinois et des Japo-
nais. Mais comment ces Asiatiques n'avaient-ils pas emmenés
leurs chevaux dont pour eux l'importance était incalculable
et s'ils l'a-vaient fait comment le souvenir du noble animal
s'était-il si complètement effacé de l'esprit de leurs descen-
dants qu'à la vue des chevaux débarqués par Colomb et par
Certes ils furent frappés de terreur?
Rien de plus facile à accepter que l'existence d'un élément
polynésien chez les peuples américains, mais si les Polyné-
siens ont pu contribuei'^au peuplement de l'Amérique, leur
civilisation si inférieure ne saurait avoir été l'origine de celle
que les Espagnols conquistadores ont rencontrée au Mexique
et au Pérou, de celle dont les ruines importantes du Chiapas
et du Yucatan proclament l'éclat.
Acceptons l'arrivée des Asiatiques et celle des Polynésiens
dans le Nouveau Monde, ne contestons pas l'influence des
Asiatiques sur le développement, les progrès, les concep-
tions religieuses, des nations les plus civilisées de l'Améri-
que; mais par la seule venue des Asiatiques, nous ne pou-
vons expliquer une foule de rapports que. l'on démontre
avoir existé entre les Égyptiens, les Phéniciens, les Carthagi-
nois et les premiers Américains.
Je voudrais avoir le temps de citer ici avec abondance de
norabi-eux fragments de l'ouvrage du marquis de Nadaillac
sur l'Amérique préliistorique et sur la période qui a précédé
la conquête.
106 BULLETIN.
Nous les verrions établir, avec l'aide de M. de Charencey,
des rapports entre la langue des anciens Basques et les di-
vers idiomes américains, à commencer par ceux du Canada.
Des ressemblances entre les noms de personnes et de lieux
aux Canaries et à Haïti ne sauraient être absolument fortui-
tes. Les légendes qui concernent Bouddha, Odin ou Yatan
présentent des analogies. Ressemblances constatées dans
les usages funéraires. La coutume de momifier les cadavres
se trouve au Mexique et au Pérou comme en Egypte et aux
Canaries.
Partout Ton voit dans ces contrées, déposées auprès du
mort, ses armes de combat avec des vivres pour l'aider dans
son passage à la vie nouvelle que ces hommes si divers d'ori-
gine attendent avec la même confiance.
Dans la bouche des momies des cimetières des Incas au
Pérou on voit la même pièce de métal que les Égyptiens
plaçaient sur la langue de leurs défunts.
Des fouilles dans le New-Jersey ont révélé un marteau en
pierre portant le Stcartika ; commenl ce signe mystérieux des
Aryas se trouve-t-il aux États-Unis? Plusieurs anciens monu-
ments de r Amérique portent des trompes d'éléphants; où
ces hommes avaient-ils connu l'éléphant qui, depuis l'époque
quaternaire, n'avait pas vécu sur le continent américain?
Il est évident que ni les Égyptiens, ni les Ibères, ni les
Guanches, n'ont traversé tout le confinent asiatique pour ga-
gner le détroit de Behring et passer de là dans l'Amérique.
Il faut donc qu'une autre roule ait été possible, nous ne
voyons que rAtlanlide qui puisse justifier cette hypothèse et
ce seraient les Atlantes qui auraient été les premiers occu-
pants du sol américain.
Les Atlantes ont fourni des rejetons nombreux. Ce que
les Ibères et les Étrusques ont accompli en Europe, d'au-
tres rameaux de cette race féconde ont pu le faire dans le
Nouveau Monde. Ni les uns ni les autres ne connaissaient les
animaux domestiques. Les Aryas, leurs successeurs et peut-
être leurs vainqueurs, les ont amenés en Europe du fond de
l'Asie. Ces animaux sont restés inconnus en Amérique, où
les peuples issus des Atlantes ont élé plus lentement et
moins profondément modifiés par le contact de la civilisalion
aryenne.
PKOCÈS-VERBAUX. 107
En résumé les oscillations du globe permettent d'accepter
l'hypothèse d'un continent disparu. Les faits géologiques et
zoologiques l'autorisent. Les traditions historiques de peu-
ples nombreux la révèlent et il n'est guère possible d'expli-
quer autrement, avec tous les indices que la science a re-
cueillis, le peuplement de l'Amérique.
Nous devons reconnaître cependant que l'existence de
l'Atlantide n'est encore que probable. Les découvertes ulté-
rieures de la science permettront peut-être de pénétrer des
secrets gardés encore. Nos descendants verront-ils l'Atlantide,
par un relèvement semblable à son affaissement, reparaître à
la lumière pour justifier les pressentiments de leurs ancêtres?
En donnant pour quelques instants le droit à l'existence à
l'île mystérieuse, nous avons usé de l'hypothèse comme pro-
cédé scientifique, tout en nous défendant de solutions aliso-
laes, que l'état actuel de la science ne permet à personne.
Nous osons croire que l'hypothèse de l'Atlantide, en éclairant
d'une manière particulière certaines calégorJes de faits,
permet de leur donner une interprétation plus raisonnable
et plus féconde en résultats.
J'avoue cependant qu'en préparant cette étude, il est un
préjugé de mon intelligence que je n'ai pas fait taire en moi.
Je veux parler de mon adhésion très résolue à la doctrine
de l'unité de l'espèce humaine. C'est de ma part une question
de dignité. Je ne renoncerais pas aisément à la place préémi-
nente si visiblement attribuée à l'homme au milieu des mil-
liers d'êtres qui peuplent noire planète. Je nesuispas davan-
tage disposé à décliner la part de responsabilité qui résulte
pour lui de cette position privilégiée.
Dans le cours de cette dissertation il devait se produire un
conflit entre quelques vérités affirmées et un plus grnnd
nombre de points demeurés ofjscurs. Le conflit était inévita-
ble, c'est le propre de la science de ne jamais marcher autre-
ment, mais j'ose croire qu'en dernière analyse la doctrine
de l'unité de la race liumaine en sort intacte et fortifiée.
M. H. Bouthillier de Beaumont estime qu'il n'est pas facile
de se former une opinion exacte sur les continents disparus,
soit dans le Pacifi(]iie, soit dans l'Atlantique. Les eaux et les
courants marins peuvent avoir amené de trèsgrands change-
108 BULLETIN.
menls dans la configuration soil ilii fond des océans, soil des
îles (|ui émergent dii sein des flots, soit des continents encore
existants. Mais les changements peuvent provenir d'oscilla-
tions, ou de mouvements d'eau très considéi'ahles dus aux
marées ou à la rotation de la terre. — Quant à la ques-
tion ethnographique, sans doute les légendes qui s'y rappor-
tent sont intéressantes; cependant c'est par le nord que, de
bonne heure, les Occidentaux sont arrivés en Amérique.
M. de Beaumont croit se rappeler que la question a été tr-ai-
tée au Congrès des Amér-icanistes à Madrid. Quoi qu'il en
soil, il remercie M. Dufresne de l'avoir posée.
M. Alexandre Lomijard rappelle les communications qu'il
a faites à la Société sur les relations anciennes qui ont existé
entre l'ancien continent et le Nouveau Monde par l'Atlantide
dont les Açores seraient un des restes.
M. le professeur Chaix reconnaît la difficulté de trouver
une liaison géographique avec une tradition poétique. Les
travaux des Jésuites sur la question du peuplement du conti-
nent américain n'ont pas fait faire un pas vers la solution du
problème posé depuis Colomb. Une tradition du moyen âge
avait poussé celui-ci vers un pays où devaient se trouver de
brillantes cités. Les cartes espagnoles de l'Amérique du Sud
font mention d'un saint irlandais, Brandon, parti à la recher-
che de peuples nouveaux. Et, dans la correspondance de
Colomb avec un savant milanais, Angliiera, chargé parla reine
Isabelle de l'éducation de Don Juan, on trouve une lettre dans
laquelle cet ami, apprenant la découverte de Haïti, est per-
suadé qu'il s'agit de l'île d'Anlila, mentionnée dans les tradi-
tions du moyen âge. — Quant à l'hypothèse de l'unité de la
race humaine, tous les faits découverts depuis trente ans
sont venus la corroborer.
M. Emile Chaix a bien voulu examiner la carte de Chine,
en russe, envoyée par M. Venukof. La consultation en est
difficile, vu la différence dans la prononciation des noms
russes et allemands. Dans certaines finales le g disparaît,
dans le corps de certains noms le k est remplacé par un :;,
ou bien le ho final devient hé. La carte contient une quantité
de noms, beaucoup de détails et l'indication des stations
pour caravanes.
Le Président fait part à la Société de la présence à la séance
PROCÈS-VERBAUX. 109
de M. ProsI, revenu de longs voyages, et de l'espoir de l'en-
tendre prochainement faire une communication sur la cara-
vane de La Mecque.
M. Moynier remet à la Société un exemplaire du tirage à
part qu'il a fait faire des articles sur la Conférence africaine
parus dans les numéi'os l, 3 el 4 de V Afrique explorée et
civilisée, avec une carte de M. le professeur Rosier. — Puis
il présente une carte à très grande échelle de la partie de la
Côte d'Or comprise entre le Prah et le Volta, publiée par la
Société des missions de Bcàle. Des cartons, à plus petite
échelle, donnent le continent africain, la côle de Guinée, et
le cours du Volta jusqu'à Salaga.
SÉANCE DU 24 AVRIL 1885.
Présidence de M. le D"" Dufresne.
Le Président communique une lettre de M. le professeur
Chaix relative à la mort du général baron de Sonklar:
Le major général Karl de Sonklar est mort à Innsbruck,
le 10 janvier passé dans sa 69* année. Né à Weisskirch, dans le
Banat de Temesvar, élevé à l'école militaire, il entra en 1839
dans l'armée autrichienne. Il montra d'abord ses aptitudes
littéraires dans quelques brochures sur des sujets militaires.
En 1845, son régiment fut transféré de Gratz à Innsbruck,
séjour qui le mit aux prises avec la nature alpestre. Le comte
Coronini, en prenant le commandement du régiment, fut
bientôt si frappé des aptitudes du jeune lieutenant, qu'il ob-
tint de l'empereur dont il avait éié le gouverneur, que l'in-
struction de l'archiduc Ludwig Victor fût en partie confiée à
Sonklar, qui conserva ce poste de 1848 à 1857. Il devint
alors, et pour de longues années, professeur de géographie
à l'école militaire de Vienne (Neustadt). Il y cultiva en lil)erté
sa passion pour la topographie, passant ses vacances dans les
Alpes du Tyrol où son nom était populaire pour l'excellence
et pour le nombre des caries qu'il produisit.
On lui dut, ainsi qu'à Payer, des notions exactes sur les
glaciers de celle région, sur la position des neiges éternelles,
sur tous les accidents lopogiaphiques des cols, sui- l'hypso-
mélrie. En 1855, Sonklar ouvrit la série de ses publications
1 10 BULLETIN.
sur les Alpes autrichiennes par une description du Gross
Glockner. En 1861, suivit une carte et une description des
glaciers (Ferner) de l'Oetztlial, en 18f36 une description de la
chaîne des Tauern et, en 1872, une description des glaciers
du Zillerthal. Ne se hornantpas à des monographies Sonklar
a favorisé renseignement de la géographie par la publication
de livres employés dans toutes les écoles sur l'orographie.
En 1879, le club alpin allemand publia un volume de lui sur
les observations scientifiques liées aux voyages alpestres, sur
l'hydrographie, l'orographie et l'action glaciaire des Alpes.
Puis M. Dufresne fait ressortir, à l'occasion de l'exploration
de Victor Giraud, le fait que son étude principale a porté sur
la région comprise entre les quatre lacs Nyassa, Tanganyika,
Bangouéolo et Moero.
Une nouvelle éruption volcanique est signalée dans l'île
de Java, où les plantations de café ont beaucoup soufîert;
l'on craint que le nombre des victimes ne soit considérable.
Sur la ligne des chemins de fer du Canada au Pacifique,
les travaux ont été i-epris en avril 188i, à 2,000 mètres dans
les Montagnes Rocheuses, et ont été continués sur le versant
occidental jusqu'à la rivière Colombia. Le travail a été très
actif de Winnipeg à Port Arthur qui se trouve au centre du
continent, à égale distance de l'est et de l'ouest, de la mer
Glaciale et du golfe du Mexique. Dans quelques mois on ira
de Montréal à Winnipeg. Le point d'arrivée sur le Pacifique,
vis-à-vis de Vancouver, voit déjà des édifices s'élever, des
rues se dessiner ; la ville qui se crée là acquerra une grande
importance, par le vaste gisement houiller qui s'y trouve, et
oùvient s'approvisionner San Francisco qui n'a rien de pareil.
La Société de géographie de Québec a dirigé une expé-
dition vers le nord du Dominion, et fait explorer la baie
d'Hudson, au point de vue du mouvement des glaces dans
celte mer intérieure. Une autre expédition qui durera de
quatre-vingts à cent jours doit se rendre à la terre de Ru-
pert pour en étudier les montagnes.
Depuis 187o, chaque année, le Danemark envoie dans les
régions polaires une expédition. Celle de 1883 a pour mis-
sion d'étudier, au Groenland, les terres que la glace n'occupe
pas. L'expédition de 1883 qui devait explorer la côte, va
revenir après deux ans et demi d'absence.
PROCÈS-VERBAUX. 111
Les États-Unis portent surtout leur attention sur l'Alaska.
Dans une lettre datée de Sydney du 24 juin 1885, le
D' Ledenfeld donne le récit d'une ascension du pic qui pas-
sait jusqu'ici pour le plus haut des Alpes australiennes, le
Kosciusko (7171 pieds), et annonce qu'il en a découvert un
plus élevé le mont Clarke (7256 pieds). Il a trouvé la limite
de la végétation arborescente à 5900 pieds, tandis que la
limite des neiges permanentes est à 6500 pieds.
Le Président communique encore une lettre de M. Gus-
tave Le Bon sur le Népaul, publiée par la Gazette géogra-
phique.
Il annonce que M. Prost, dont une communication sur la
caravane de La Mecque était à l'ordre du jour, est empêché
par la maladie de venir la faire.
La parole est donnée à M. le professeur Chaix qui désire
entretenir la Société de la question à l'ordre du jour :
Les Frontières de l'Afghanistan,
L'année dernière M. Chaix a parlé des frontières de la
Perse d'après les voyageurs anglais. Aujourd'hui il restrein-
dra le sujet pour pouvoir le traiter plus à fond.
La Perse ou l'Iran a une superficie égale à cinq fois celle
de la France; c'est un corps compact, dont la frontière est
bien définie; d'un côté, la mer; d'un autre, des chaînes de
montagnes en nombre triple et quadruple, et formant une
forteresse en apparence inexpugnable. Mais la monarchie
perse n'a existé, à proprement parler, qu'à certains mo-
ments sur la totalité de ce territoire.
Au centre de la masse du plateau se trouvent des déserts
couverts d'une couche salée, qui sont une cause d'isolement,
d'où il résulte que la Perse est scindée, et que Hérat et Ispa-
han ont deux souverains distincts; l'est du plateau appartient
aux Afghans et aux populations du Beloudchistan, l'ouest
au shah de Perse.
La frontière septentrionale entre l'Afghanistan et le Tur-
kestan, est formée, d'une manière générale, par des monta-
gnes dont la hauteur varie, de l'est à l'ouest jusqu'à la mer
Caspienne. Au centre se trouve Hérat, à l'ouest de laquelle
la limite forme une courbe convexe, tandis qu'à Test la
112 BULLETIN.
ligne fronlière forme une courbe concave. D'après la carie
dressée par M. Chaix, certaines parties sont encore inexplo-
rées.
Dans riiistoire ancienne, le Khorassan portait le nom de
Parlhie; celle contrée est montagneuse, couverte d'épaisses
forêts. Des monls Paropamisus descendaient les rivières qui
donnèrent leur nom aux provinces de l'Ariane et de la Mar-
giane. Strabon signale les Masdorani entre la Margiane et la
Parthie, et au.jourd'bui on en retrouve la trace dans le fort
persan de Masdoran, Le Heri-Roud, rivière de Hérat, est
l'ancien Arius; le Mourgab actuel est le Margus des anciens,
il perd ses eaux dans le désert après avoir fertilisé l'oasis de
Merw. Antiochus bâtit l'Antiochia Margiana, décrite par
Strabon comme admirable, c'était un vrai paradis, de 23
lieues de tour.
Du côté de l'est, la ligne de défense est formée par six
chaînes de montagnes d'une altitude de plus de 10,000 pieds,
avec des cols de 3800 à 4000 pieds, et des villes à une hau-
teur de 3200 à 3300 pieds; l'élévation moyenne du plateau
est de 4000 pieds. Dans le Kafiristan, les montagnes sont
inaccessibles (de 14,000 à 17,000 pieds). Une armée d'inva-
sion pénétrant par l'est mettrait un temps considérable
pour atteindre le plateau. Timour, parti de Balk, avec une
armée énorme, mit cinq mois jusqu'au bord de l'Indus; il
fallut un temps aussi long à Nadir.
De Kaboul à Hérat on compte huit cols accessibles, mais
pas très faciles, dont plusieurs ont été franchis par Gengiskan
et Timour. Les cols à l'ouest de Hérat sont plus accessibles,
toutefois c'est par Hérat que le Turkestan peut être envahi.
— Au moyen âge, Aboul Feda rédigea les annales des expé-
ditions des différents souverains de cette région; d'après lui,
les Gasnévides, dans leurs luttes contre les Turcs Seldjou-
cides au delà de l'Oxus, infligèrent sans succès des massacres
épouvantables aux envahisseurs.
L'état des x\fghans doit son origine à un épisode de l'in-
vasion de Nadir en Inde; Delhi fut pillée, son trésor emmené
à Khiva où Nadir fui assassiné en 1747. Le général de la ca-
valerie, Achmed, s'empara de la caisse; maître de l'ai'gent, il
le fut bientôt des soldats, et se retira à Kandahar et devint le
fondateur de la monarchie de l'Afghanistan. En 1807, la
PROCÈS-VERBAUX. 113
dynastie déchue tomba dans la dépendance des Anglais; le
pouvoir des Afghans s'étendait au sud, sur le Beloudchistan,
et au nord, jusqu'à l'Oxus, sur un territoire habité par des
races toutes difTérentes.
Quant aux relations de la Russie avec l'Afghanistan, elles
sont commerciales, militaires et diplomatiques. Le commerce
se fait par caravanes de Samarkand, et Taschkend à Oren-
bourg; il est très important, et la Russie en favorise de
toutes manières le développement. Les rapports diplomati-
ques remontent à l'année 1832 où le baron de Meyendorf
fut envoyé à Bokhara, comme premier ambassadeur chargé
de négocier un mode de vivre entre les deux peuples. Enfin,
quant aux relations militaires, déjà en 1715, sous Pierre-le-
Grand, une expédition fut conduite par un chef circassien à
l'est de la mer Caspienne, mais elle fut massacrée avant
d'arriver à Khiva. Un siècle plus tard, le gouverneur d'Oren-
bourg, général MouraviefT fit une tentative centre celte loca-
lité, marché d'esclaves persans enlevés au Khorassan et
russes pris dans le bassin de la mer Caspienne. Un hiver
rigoureux causa la perte de l'armée russe. Dès lors, la Russie
a étendu sa conquête du lac Aral jusqu'à Merw.
Le territoire au sud de Pendjdé a été enlevé par les
Afghans à un peuple de race persane, c'est un pays de
plaine, et non point une contrée importante au point de vue
mihtaire. Les positions militaires sont au sud, aux mains des
Afghans. L'Angleterre veut, dit-elle, arrêtei" l'approche des
Russes, sauver l'Inde du danger qui la menace! C'est une
visée qui, portée sur la frontière entre la Bactriane et l'Af-
ghanistan, est d'une grande difficulté militaire, et qui peut
conduire à des catastrophes. En 1838, sous Dost Mohamed,
favorable d'ailleurs aux Anglais, une armée s'empara de
Ghasna et de Caboul. Dost Mohamed fut emmené prisonnier
aux Indes; sous son successeur, le shah Soudja, d'un carac-
tère faible, et jouet des Anglais, les Afghans se soulevè-
rent, Alexandre Bruce fut massacré à Caboul; dans la retraite
conduite par des chefs incapables, tous les Anglais périrent à
l'exception d'un seul. Cliir Ali fui traité par les Anglais
comme l'avait été Dost Mohamed. M. Chaix estime que l'idée
de se servir de la faiblesse d'un chef afghan est malheu-
LE GLOBE, T. XXIV, 1885. 8
114 UULLETIN.
reuse, et qu'en général il vaut mieux ne pas aller chez les
gens les défendre malgré enx. Les Afghans sont assez forts
pour se défendre contre les Russes et contre les Anglais.
A quoi ne serait pas exposée une armée pour traverser ce
pays, plaine à perte de vue sans une goutte d'eau; ce n'est
qu'à 200 ou 1300 pieds au-dessous de la surface du sol qu'on
en rencontre. Si, dans la guerre d'Espagne si fatale à Napo-
léon, des officiers anglais ont pu trouver un hon accueil au
milieu même des districts où sévissait la guerre de guérillas,
en Afghanistan, on ne trouvera que des gens fanatiques et
prêts à tuer Anglais aussi bien que Russes parce qu'ils détes-
tent les chrétiens. (Applaudissements).
M. Dragomanof ajoute à l'exposé de M. le professeur
Chaix que le premier mouvement d'expansion de l'influence
russe vers le Turkestan, ne provint pas de l'État, mais de la
colonisation et d'expéditions spontanées d'émigrants russes.
L'État chet'cha à empêcher l'établissement de colonies dans
ces terres lointaines, mais il fut impuissant, et un jour, un
général fut très surpris de trouver sur un plateau, un village
russe, de paysans grands-russiens qui lui dirent : nous som-
mes ici depuis longtemps, nous nous gouvernons nous-
mêmes, et nous payons l'impôt au sultan turc qui nous a
permis de nous installer ici. Ils avaient cherché un pays où il
y eût plus de terre et moins d'autorités.
M. Emile Chaix fait ensuite un compte rendu d'articles
publiés dans les derniers numéros du Bulletin de la Société
de géographie de Saint-Pétersbourg, sur l'exploration de
Lessar entre le Mourgab et le Heri-Roud. Les cartes anglaises
indiquent là des montagnes beaucoup plus hautes que Lessar
ne les a trouvées. D'après lui, le pays n'est pas afghan, mais
tu'rcoman. La chaîne de montagnes ne dépasse pas de 4 à
5000 pieds au-dessus de la mer; elle a un grand nombre de
passages faciles du col Ardévan au Karouan Achan, la pente
n'est que de 2 7o) et la route est carrossable. Plus au nord,
une autre chaîne, l'Elbirin-Kyr, est d'un accès si facile que
le voyageur y a fait 30 kilom. en un jour.
L'Elbirin-Kyr forme une ligne de démarcation pour le
climat et la végétation. Au nord, il y a de l'herbe et des
broussailles; au sud, seulement la grande herbe des steppes.
Au nord, les pâturages peuvent nourrir les bêtes de somme
C0ERE8P0NDAXCE. 115
d'une armée en passage. Entre Pende, Serakhs et Merw, la
carte Lessar indique un désert sablonneux; toutefois, ce n'est
pas un désert comme le Sahara ; le sable mélangé d'argile
est ferme et couvert de broussailles. Le bord des rivières est
un peu cultivé; on y trouve des traces de civilisation ancienne
plus avancée que l'état de choses actuel; aussi le pays n'est-il
pas difficile à traverser; les rivières ont de Teau; ailleurs,
des puits permettent d'en lencontrer à 10 ou lo mètres,
et en conservent toute l'année à une profondeur de 4 mètres.
Quant à la population elle se compose de deux tribus turco-
manes, les Sariks et les Salors, l'une riche vivant de brigan-
dage, l'autre, pauvre.
L^ccupation de Merw a été réclamée par les habitants
eux-mêmes. A l'arrivée de Lessar à Pende, le notable qui
le i-eçut chez lui, et qui se plaignait beaucoup des briganda-
ges des Afghans, fut stupéfait de l'indifférence témoignée
par le voyageur; habitués à être recherchées anciennement
par les souverains voisins, ces populations s'étonnent qu'on
ne les prévienne pas; les gens qui ont quelque chose à
perdre, désirent qu'il y ait moins de brigandage, et qu'on
puisse faire du commerce. Dès que les Russes occupèrent
Merw et Tol-Otan on vit apparaître sur les routes les cara-
vanes commerciales, et dans les pâturages les troupeaux de
bétail, grâce à la sécurité que la présence des Russes inspire
aux habitants.
Le Président exprime à MM. Chaix les remerciements de
la Société, et déclarant close la session de 1884-1885, il
donne rendez-vous aux membres de la Société à la reprise
des séances le second vendredi de novembre.
CORRESPO^NDANCE
Monsieur H. Bouthillier de Beau-mont,
Président de la Société de Géographie de Genève.
Cher Monsieur,
Vous n'attendez pas que je vous raconte les événements
qui serviront bientôt à faire l'histoire du Transvaal. Le
116 CORRESPONDANCE .
moindre essai clans ce genre serait frappé d'insuccès; car
ici, sous le 23« parallèle sud, nous vivons très loin de la civi-
lisation, et la barbarie qui sert de milieu à noire existence
actuelle, nous met bien en retard de vous, même quand aux
nouvelles de nos proches voisins. Par le télégraphe en effet,
vous êtes plus près que nous de Pretoria, notre capitale.
Pour venir dans les Spelonken, le district le plus septen-
trional du Transvaal, nous avons dû, mes compagnons de
route et moi, suivre la voie qui est encore la plus praticable
aujourd'hui; c'est-à-dire que, partis de l'Angleterre sur un
navire qui toucha Lisbonne et Le Cap, puis vint nous débar-
quer à Durban (Port-Natal), nous remontâmes la Natalie avec
les chariots à bœufs, et traversâmes tout le Transvaal, en
passant par Pretoria. C'est un trajet immense; aussi notre
voyage entier, de la Suisse aux Spelonken, nous a-t-il pris
quatre mois. Nous soupirons après le moment où une voie
de communication sera ouverte par Lorenzo-Marquès, le
port de mer le plus rapproché de nous.
La physionomie du Transvaal a, dans un sens, beaucoup
changé, durant les quatre ans démon absence. En avril 1880,
le pays était en bonne voie de progrès; l'agriculture et le
commerce prenaient un nouvel essor; l'immigration euro-
péenne augmentait rapidement; l'argent, circulant avec plus
d'abondance, facilitait d'autant les transactions; et tous les
colons voyaient l'avenir sous de- couleurs réjouissantes. On
commençait à mettre en application une loi nouvelle sur les
écoles, laquelle promettait de porter une instruction élémen-
taire, mais solide, jusque dans les fermes les plus reculées.
Tout cela était dû au régime nouveau d'alors^ le régime bri-
tannique, qui, malgré des fautes de divers genres, faisait un
bien incontestable, dont le pays avait un besoin ui-gent.
Maintenant, hélas ! tout cela a disparu, et le Transvaal est
retombé dans son ancienne barbarie, depuis que l'Angleterre
l'a rétrocédé au gouvernement des Bœrs. En Europe, on se
fait des illusions généreuses à l'égard de ceux-ci; mais les
personnes qui visitent le Transvaal sont promptement désen-
chantées. Témoin le vénérable directeur de la Société des
Mi.-sions de Berlin, que j'ai eu dernièrement l'avantage de
recevoir à ma table. Il avait eu à Berlin, il y a peu de mois,
la visite du président de la république, et avait été réjoui de
CORRESPONDANCE. 117
ses dispositions charitables. Passant à Pretoria il y a quatre
ou cinq semaines, il rendit à notre magistrat sa visite d'Eu-
rope; mais ce fut pour être désappointé, en constatant la
différence que le retour en Afrique avait produite dan? l'atti-
tude du président.
Un autre symptôme fâcheux, c'est que nous voici plus loin
que jamais de voir un chemin de fer unir le Transvaal à un
port de mer. En effet, on n'a pas pu mettre à flot l'emprunt
que le président était allé émettre en Europe en vue de la
construction d'une voie ferrée du côté de la Baie Delagoa;
et le comité d'initiative vient de se dissoudre en Hollande.
Les Hollandais et les Anglais connaissent trop bien le genre
de notre administration pour y mettre leur confiance. Nous
payons encore un fort impôt pour servir aux Hollandais les
intérêts de l'emprunt fait en 1875, dont l'argent a été entière-
ment dilapidé. Et maintenant le pays s'endette, parce que le
gouvernement est incapable d'obtenir le payement régulier
des impôts. Il est vrai que rien n'est plus difficile à gouverner
que les Boers du Transvaal. Le Boer n'aime pas la loi, a en
hoi-reur de payer les impôts, et montre les dents si on les lui
réclame. Les employés nommés par lui n'osent pas le mo-
lester. Quelques chiffres vous rendront la chose évidente, en
comparant, d'après les documents officiels, le budget des re-
cettes pour {883 et les receltes réalisées dans la même année.
1883. Budget. Réalisé.
Impôt foncier courant. . . Liv. st. 15,038 Liv. st. 5,381
Id. arriéré... . 38,09 i . 0,358
Railway-tax, courant » 14,460 » 5,285
Id. arriéré.... . 28,197 » 5,928
Droits d'entrée . 40,000 . 3(3,039
Droits de mutation » 30,000 » 20,011
Impôt sur les nègres . 75,000 » 25,671
Liv. st. 240,789 Liv. st. 104,673
Il y a dans ces^chiffres officiels un manque d'équilibre fort
grave, qu'aucun peuple en Euiope ne saurait supporter. Le
budget comptait sur une recette de 240 mille livres stei'ling
(sans parler des sources moins importantes de revenu) ; et
le gouvernement n'a pu obtenir que les deux cinquièmes de
118 CORRESPONDANCE.
celle soiiime, déjà insuffisante en elle-même pour couvrir les
frais de TÉlal. D'où vienl donc cel énorme déficil ?
Les coramerçanls et les agents d'atfaires ont payé dûment
leur part de contrihutions à l'Étal, puisque les droits d'en-
trée et les droits de mutation sont les seuls objets dont le
chiffre de recette ascende presque à la somme budgétaire.
Fait curieux pour un pays agricole, celte source de revenus
est estimée par le budget à une somme quadruple de celle
qu'on attend de l'impôt foncier annuel. Mais pour qui a vécu
dans ce pays, la chose est très aisée à compi-endre. Le Boer,
propriétaire fonciei',Tait les lois, et comme il n'aime pas à
débourser, il impose d'autant plus les commerçants et agents
qui, pour la plupart, sont venus de l'étranger. On en voit de
toutes les nations; des Hollandais, des Allemands, des Arabes,
des Portugais, beaucoup de Juifs, mais surtout des Anglais.
Toutefois, le Boer oublie que le marchand est obligé de
renchérir sa marchandise pour se récupérei-.
Le déficil de l'impôt foncier est surtout instructif. D'abord
il y a de l'arriéré pour une somme énorme, égale à deux
fois et demie la valeur annuelle de l'impôt lui-même. En-
suite il est évident que les deux tiers des propriétaires ter-
riens ont négligé leur devoir, puisque un tiers seulement du
montant de l'impôt annuel est entré dans les coffres de
l'État. Voilà qui prouve trop bien que le Boer du Transvaal
méprise la loi quand elle l'atleinl.
Les recettes de l'année ont diminué l'arriéré d'un sixième
seulement ; et comme aux cinq sixièmes restants vienl s'ajou-
ter l'impôt non payé dans l'année, soit les deux tiers de
l'impôt dû annuellement, cet arriéré s'augmente dans une
proportion énorme, et il atteint le chiffre de Liv, st. 41,400.
Sous ce chef donc, le nouveau budget a dû inscrire une
somme huit fois plus forte que la dernière recette de l'impôt
foncier.
Il me semble qu'un tel désordre touche de bien près à
l'anarchie, et pourtant nous n'avons pas scruté les détails, et
nous n'avons parlé que d'un seul des domaines où le gou-
vernement doive étendre son administration. Si j'en avais le
temps, je serais obligé de vous montrer que dans d'autres
domaines c'est pis encore. Il faut en convenir, notre gouver-
nement est en tout cas impuissant, et peut-être incapable;
CORRESPONDANCE. 119
dans le Transvaal, le gouvernement boer s'est toujours mon-
tré tel.
Le produit de la capitation sur les indigènes n'a atteint que
le tiers de la somme prévue par le budget. Le railway-tax est
aussi très significatif; nous payons sous ce nom l'impôt qui
sert à payer à nos créanciers néerlandais leurs intérêts; il
est de Liv. st. 1.10.0 par électeur, étranger ou boer. Il y a
aussi un arriéré considérable sous ce chef et, en général, la
proportion entre les divers chiffres du tableau ci-dessus est,
quant à cette taxe, la même que pour l'impôt foncier. Mais
cette fois les Boers ont encore moins obéi à la loi ; car cette
taxe leur est plus antipathique qu'aucune autre, et je le com-
prends. On peut donc inférer sans hésitation que le produit
réalisé de cet impôt a été fourni en grande partie par les
Européens établis, commerçants, industriels ou autres.
Ce désordre paraîtrait avec plus d'évidence, et les causes
en seraient mieux mises au jour, si nous pouvions enti-er
dans les détails et poursuivre notre enquête jusqu'au bout.
Mais vous en seriez bientôt fatigué, cher Monsieur, ainsi que
les honorables membres de la Société de géographie ; car
Técononiie poUlique du Transvaal ne peut intéresser à un
haut degré que les habitants du pays. Laissez-moi toutefois
vous rappeler la relation qu'il y a eu entre ces impôts arrié-
rés et la rétrocession du Transvaal par les Anglais.
L'administration anglaise s'était rendue impopulaire sur-
tout parce qu'elle exigeait le payement régulier des impôts,
et qu'elle s'efforçait de faire régner la justice dans le pays.
Un jour un Boer refusa net de payer ce qu'il devait à l'Élat;
mais il fut poursuivi par le gouvernement; son cheptel fut
saisi et mis en vente. Le Boer prit les armes, appela ses amis
à son aide, marcha contre l'huissiei" public, et la guerre éclata.
Cela donne la mesui'e de l'indépendance que les Boers du
Transvaal pi'étendenl conserver. Mais je serais fort sui'pris si
une telle insuliordiiialion ne conduisait pas l'Etat à la ban-
queroute pour la seconde fuis.
La population indigène est trop considérable pour que le
gouvernement la soumette h son pouvoir; aussi, il y a sans
cesse des batailles et des guerres de tribu à tribu, et les au-
toiilés n'essayent pas même de maintenir l'ordre. La Mission
de Berlin avait une station florissante dans le pays de Molya-
120 CORRESPONDANCE.
tyi ; mais les cliefs païens el les sorciers, jaloux de leur puis-
sance que menace l'Évangile, enli-eprirent une persécution
violente contre les chrétiens. Au jour donné on prend les
armes, et l'on massacre sans pitié un chef de second rang,
chrétien fidèle, et avec lui trente personnes, qui acceptent le
mai'tyre sans résister. Aussitôt le missionnaire écrit au ma-
gistral et le nantit de l'affaire, lui demandant de proléger
les chrétiens contre les meurtriers. Mais on lui répond que
Ton ne possède pas les forces nécessaires. Nos autorités font
des aveux pareils sans aucune honte ; et l'on prétend néan-
moins que le Transvaal englobe le pays de Motyatyi,
Dans les Spelonken il en est de même : les blancs, une
vingtaine de familles, payent les impôts, mais ne reçoivent
en échange ni protection, ni aucun bénéfice. On vit comme
on peut ; et si quelque péril menace, on fait les plus grands
sacrifices pour le conjurer. Dans de telles conditions, le pays
ne peut pas progresser, el le commerce est à peu près im-
possible. Les indigènes de la montagne, appelés Ba-Venda,
refusent de payer Timpôt ; mais les Ma-Gwamba sont plus
dociles, et ils payent. Malheureusement on en profile pour
les exploiter ; comme ils n'ont pas d'argent, ils essayent de
payer en nature; mais le magistrat, qui trouve cela fort en-
nuyeux, vend ou taxe à un prix infime les objets qu'on lui
apporte ou le bétail qu'on lui amène. De cette façon, si l'on
compte la valeur intrinsèque des dits objets, ces natifs sont
souvent obligés de livrer dix fois plus que le montant de
l'impôt. La conséquence, c'est que beaucoup d'indigènes se
découragent et qu'ils émigi'ent pour chercher la paix ail-
leurs.
Un des chefs des Ba-Venda se nomme Chivasse (écrit à la
française), et fait volontiers, comme les autres du reste, le
commerce de chair humaine. Un certain H. S., Boei' du Ma-
galisberg, dont la ferme se trouve entre Pretoria et Rusten-
burg, est en affaire avec lui et le fournit de chevaux. Der-
nièrement, Chivasse envoyait trois enfants au Boer pour
qu'il en fît ses esclaves. Un missionnaire du voisinage, ému
de pitié, essaya de racheter ces enfants avant leur départ.
Mais sans entrer dans ses vues, le chef indigène lui dit avec
empressement qu'il lui en fournirait autant qu'il en voudrait,
moyennant une somme de Liv. st. 30 par tête. Il va sans
NÉCROLOGIE. 121
dire que le missionnaire sentit son impuissance et s'en re-
tourna découragé.
Je vous le disais en commençant, cher Monsieur, nous
vivons dans la barbarie, et aucune lueur ne nous annonce
l'aurore d'un jour nouveau. Mais qui sait ? Les changements
se produisent parfois dans la vie des peuples sans qu'on
puisse les prévoir. Ainsi, qui nous eût dit l'an passé que la
colonie de Waltisch Bay allait devenir allemande ?
Voilà Umzila, le chef zoulou conquérant des Ma-Gwamba,
qui vient de mourir. Cet événement pourrait changer beau-
coup la situation politique du Uttoi-al.
J'ai lu avec intérêt, dans le Globej le compte rendu de la
conférence de M. Gros. Mais je dois y i-elever un mot pour
en contester l'exactitude ; c'est à la page 1 13, au bas. Les
chevaux vivent très bien sur les hauteurs du Zoutpansberg ;
mais dans les vallons ils périssent presque tous, et cela dans
n'importe quel mois de l'année, et qu'ils aient été ou non
préservés de l'influence de la rosée ou de l'air de la nuit ;
c'est ce que j'ai moi-même souvent constaté.
Agréez, cher Monsieur, les souvenirs respectueux de votfe
dévoué
Paul Berthoud. M. G.
Valdézia, 21 décembre 1884.
••«*5=<!A3"
NÉCROLOGIE
Le D"" g. Nachtigal.
La science géographique a fait une perte considérable par
la mort du D" Nachtigal, qui, depuis vingt-cinq ans environ, la
servait avec une haute intelligence et un zèle infatigable.il a
succombé au climat de cette Afrique à laquelle il avait dû, en
18(J0, aller demander le rétablissement de sa santé, altérée
par une affection pulmonaire. De Bône, où il avait peu à peu
recouvré des forces, il se rendit à Tunis, s'y établit et étudia
le pays et ses habitants ainsi que la langue, qu'il parla bientôt
couramment. Aussi, en 1868, le roi de Prusse le chargea-t-il
de porter des présents au sultan du Bornou, le cheik Omar,
122 iîÉCROLOGIE.
qui avait rendu d'importanls services aux explorateurs alle-
mands Bartii, Voii^el. v. Beurmann, Rolilfs, etc.
Le 18 février 18(59 il quitta Tripoli et se dirigea d'aboid
sur Mourzouk. Mais là, il trouva la route du Bornou par Bil-
ma fermée par des tribus pillardes, et ne voulant pas rester
longtenjps inoccupé à Mourzouk, il résolut de se rendre au
Tibesti, où jusqu'alors aucun Européen n'avait osé pénétrer.
Ce qu'il eut à y endurer rappelle les récils d'aventures de
voyage des siècles passés. Rendu à moitié aveugle par une
ophtalmie, souffrant d'une inflammation aux pieds par suite
de l'ardeui- du soleil, il n'atteignit le Tibesti qu'après avoir
failli succomber deux fois, grâce à la négligence de ses gui-
des; arrivé dans la vallée de Bardai, il fut retenu prisonnier
un mois dans sa tente, qui n'olfrail qu'un abri insuffisant
contre le soleil, 11 dut s'échapper de nuit, et n'arriva au Fez-
zan qu'épuisé de fatigue et les vêtements en lambeaux. Heu-
reusement il avait sauvé ses papiers les plus importants.
Le 6 juillet 1870, il enirait dans Kouka, capitale du Bor-
nou, d"où il entreprit l'exploration des pays qui entourent le
lac Tchad: le Borkou, le Baghirmi, etc., sur lesquels il four-
nit des renseignements nouveaux d'un haut intérêt. En 1873
il se rendit au Wadaï, et de Abeschr il fit de nombreuses
excursions pour apprendre à connaître à fond le pays. Il y
resta jusqu'en janvier 1874, empêché jusqu'à ce moment de
pénétrer dans le Darfour. agité par des querelles de succes-
sion au trône. Lorsqu'enfin il eut réussi à y entrer, il l'étudia
aussi et en rapporta, ainsi que du Kordofan qu'il visita en-
suite, des matériaux qui trouvèrent leur place dans son grand
ouvrage Safiara et Soudan.
Lorsque vint le moment où l'Allemagne commença à se
préoccuper des intérêts allemands en Afrique, le prince Bis-
marck envoya, en 1882, Nachtigal à Tunis comme consul-
général de l'empii'e; puis, quand la côte occidentale d'Afrique
devint l'objet des vues coloniales du gouvernement allemand,
ce fut encore à l'ancien explorateur que furent confiées les
fonctions de commissaire impérial dans cette région. Il entre-
prit alors (1884), cette expédition fameuse dont le résultat fut
la création des premières colonies allemandes, au Cameroon,
à Togno, et au Damaraland, dont les détails sont dans toutes
les mémoires. Il était en loute pour venir présenter person-
BIBLIOGRAPraE. 123
nellement son rapport à l'empereur et au chancelier de l'em-
pire, lorsque la fièvre le prit et l'emporta le 21 avril, en mer,
à la hauteur du Cap Palmas, où le vapeur qui le ramenait en
Europe s'arrêta pour déposer sa dépouille mortelle et lui
rendre les derniers devoirs. Vraiserablahlement ses restes
seront rapportés plus tard en Allemagne pour qu'ils repo-
sent dans sa patrie, au développement scientifique et colonial
de laquelle il a tant contribué. Nous nous associons au deuil
de ses compatriotes et de tous les amis de la géographie.
Appelé comme conseil à la Conférence de Bruxelles, il fut
un des fondateurs de l'Association internationale africaine,
et devint un des membres de sa commission executive. Pré-
.sident de la Société de Géographie de Berlin, il travailla à
.son développement avec toute l'intelligence et le zèle dont il
était capable, et sut rendre chacune de ses séances attrayante,
par le résumé lumineux des faits géographiques venus h sa
connaissance d'une séance h l'autre. Il était membre hono-
raire de notre Société depuis 1880; nous ne pouvions le voir
enlever par la mort sans payer à sa mémoire un juste tribut
de regrets sincères. Ch. F.
-^Ay\,'^.J^- "v^>j^>-
BIBLIOGRAPHIE
Lettres du général Gordon adressées à sa sœur, et traduites en
français, par Daryl, 1884.
Les dates de ces nombreuses lettres nous retracent les
péripéties de sa carrière poursuivie pendant plusieurs années
au sein de l'Afrique, au milieu de ces populations barbares
auxquelles il tenta de poiler aux unes la protection, au\ au-
tres la lépression, dans une lutte contre les trahirons, la
résistance ouverte, le climat, les éléments, toujours infatiga-
ble et .soutenu par une im perturba hle confiance en Dieu.
Dans la partie purement géographique de ses travaux, nous
le voyons parcourir avec une activité dévorante la route du
Nil, de KiKUtoum à l'éqiiateur, et de l'équateur au Caire, de
Suez à Aden, de Zeila remonter à la cité presque légendaire
d'Harar, de Massaouah à l'intérieur de l'Abyssinie, aupi'ès
124 BIBLIOGRAPHIE.
du loi Joliannès, dans les solitudes où la garnison de Kassala
se débat aujourd'hui contre la faim. Nous glanons à la
page 2B3 cette phrase : « Maintenant que j'ai absolument
abandonné tout vin ou spiritueux je m'en trouve beaucoup
mieux et je dors bien ; mais je vis dans la fièvre. » Le vin
avait été le grand sujet des préoccupations de Charles Didier
dans ce voyage de Souakim à Khartoum, qu'il intitule pom-
peusement Quarante jours dans le désert, centième partie de
ceux de Gordon.
11 rend justice aux services loyaux de Gessi, ce marin ita-
lien, explorateur de l'Albert Nyanza. Entouré de traîtres et
d'assassins, il ne pouvait se risquer à conduire à l'ennemi,
en mettant son indignité trop en évidence, cette armée égyp-
tienne, dont il connaissait les trahisons el la lâcheté, de peur
de se priver du prestige qu'elle lui donnait. Les traîtres les
moins justifiables étaient les hommes en faveur desquels
s'exerçaient ses brillantes qualités, le khédive et ses minis-
tres. — Se rendait-il, à force de bravoure et de stratégie,
maître de quelques scélérats, chasseurs d'esclaves du Dar-
Four, il les retrouvait comblés d'honneurs à la cour du
vice-roi. Chassait-il le prévaricateur Reouf-Pacha de sa vice-
royauté de Khartoum, il le retrouvait toujours pillard, gou-
verneur d'Harar et Ten expulsait encore.
Il restait à ce héros abandonné^ trahi de tout le monde et
qui devait l'être de ses prolecteurs naturels, à être traité
comme le lion mourant par la plume de son traducteur qui,
dans sa préface, taxe Gordon iTanachronisme, en 1884, et
trouve dans ses lettres si pleines de sentiments élevés et de
confiance en Dieu le « style d'une vieille fille dévote et an-
glaise. » Il est un anachronisme vivant comme la féodalité
anglaise peut seule en produire au millésime de 1884 »
(p. 61). Il tourne en ridicule le héros qui « va en Palestine
étudier avec passion le Saint-Sépulcre, le Tabernacle, l'en-
ceinte de Jérusalem. » — Il lui fait déterminer à son entière
satisfaction remplacement exact du pai-adis terrestre. Tandis
que le héros martyr écrit (p. 6(5} : « Confie-loi à Lui de tout ton
cœur et ne t'appuie pas sur ta propre intelligence, » le tra-
ducteur qui connaît si peu l'Angleterre et son aristocratie,
montre une égale ignorance du style dû à des lecteurs; il
représente Gordon (p. 61), à son retour de la mer Rouge,
BIBLIOGRAPHIE. 125
« allant serrer la main à son lieutenant Gessi en train (sic) de
mourir à l'hôpital français de Suez. » Il le conduit (p. 319)
auprès du roi Mtésa pour voir de quoi il retournait (p. 167),
et qui était dans tous ses états. « 11 lui fait écrire : « Xai donné
un fameux savon au commandant en voyant dans quel pétrin
il s'était fourré. » El il dépeint les bandes de maraudeurs du
Kordofan prenant leurs jambes à leur cou.
Paul Chaix.
ïm Thurn, Among the Indians of Guiana. Vie au milieu des
Indiens de la Guyane anglaise.
M. Im Thurn, Suisse d'origine, devenu Anglais par émi-
gration et par l'éducation, est fixé depuis plusieurs années
dans l'Amérique méridionale par des recherches d'histoire
naturelle. Il a eu pour prédéceseurs M. Hillhouse, excursio-
niste hardi et narrateur agréable, et les frères Schomburgk,
explorateurs absolument qualifiés pour leur œuvre difficile.
M. Im Thurn, moins topographe que les Schomburgk, est
naturaliste, observateur des mœurs des Indiens, admirateur
des beautés